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 4. Affligé et consolé

 

La maison neuve qu'habitait à Chrischona Mme Rappard de Rham ne tarda pas à être visitée par le deuil. Le fils cadet, Louis, avait déjà le poumon malade lorsque la famille s'était installée là en mai 1876. Grâce à l'air tonique et bienfaisant des hauteurs, une année s'écoula sans que le mal fit trop de progrès, et le cher malade, les regards tournés vers l'éternité, puisait joies et encouragements dans l'atmosphère spirituelle qui l'enveloppait. Mais, à mesure que l'homme intérieur se renouvelait de jour en jour et se préparait à jouir du « poids éternel de gloire », l'homme extérieur déclinait, et, en septembre 1877, arriva le signal du départ. Louis était prêt. Étant élève du collège de Lerber à Berne, il avait donné son coeur au Sauveur, au cours de cette semaine de janvier 1875 dont il a été question plus haut. Dès lors, il n'avait cessé de progresser. Son cantique favori: « In der Felsenkluft geborgen (1) » (Blotti dans le creux du Rocher), exprimait bien sa joyeuse expérience dans les derniers temps de sa vie. La dernière nuit il dit à la servante, encore inconvertie, combien le Seigneur Jésus rend heureux les siens et l'engagea à venir à lui. Il exprima le désir de voir autour de son lit de mort les élèves des deux classes supérieures : « Nous nous retrouverons auprès du Seigneur, dirent encore ses lèvres mourantes, si vous restez fidèles jusqu'à la fin. »

Ainsi s'en alla ce jeune homme de dix-neuf ans, gerbe mûrie et moissonnée de bonne heure.

Peu de mois plus tard, tôt après le nouvel-an, allant en visite à Neukirchen, Mme Rappard-de-Rham trouva dans un état inquiétant sa fille Minna, âgée de vingt-quatre ans, qui avait dû aller passer l'hiver auprès du vieil oncle Bräm, laissé veuf. Le médecin la déclara bientôt atteinte de phtisie galopante. Un changement d'air n'amena aucune amélioration, et à la fin de mars la pauvre mère brisée ramenait à Chrischona cette fraîche fleur si tôt flétrie. Les premiers jours de mai, la jeune vie s'éteignait.

Minna d'ailleurs connaissait aussi le Sauveur et n'avait aucune peur de la mort. Peu de jours avant la fin, en état de rêverie fiévreuse, elle manifestait inconsciemment ses dispositions et son amour du travail pour autrui dans ces mots touchants: « Le Seigneur Jésus vient de me dire

Minna, j'ai déjà de l'ouvrage tout prêt pour toi au ciel. »

Ces deux deuils ne furent pas seuls en ce temps-là à assombrir l'horizon. Au commencement de mars déjà Rappard avait été pris d'un fort refroidissement. Non seulement la toux ne le quittait pas, mais il maigrissait à vue d'oeil ; le mal perfide, semblait-il, l'attaquait à son tour. De violents accès de fièvre ajoutaient à sa faiblesse. Cependant, toutes les fois qu'il le pouvait, il s'acquittait de ses fonctions; tout en s'en remettant au Seigneur comme à son médecin, il ne méprisait point les fortifiants que lui offrait l'affection. Il ne voulut toutefois pas entendre parler d'un congé prolongé avant les vacances annuelles. Il ne pouvait, disait-il, rester sans rien faire, et il voulait tenir bon jusqu'à ce que le Seigneur lui dît: « Henri, couche-toi et meurs ! »

Avec le printemps, son état s'améliora graduellement, et il ne douta point que son céleste Maître n'allât lui rendre ses forces. Quand donc, le 1er juin, commencèrent les fenaisons et cessèrent les leçons, il partit pour Heinrichsbad, où bientôt, après une grave rechute, la guérison s'affirma, remplissant les coeurs de tous de joie et de louange. Il fit encore un court et beau séjour à Engelberg en compagnie de sa femme et de leurs trois aînées, et, du sein de ce splendide cadre de montagnes, l'hymne de la louange monta vers le Dieu qui exauce les prières. Il put en juillet rentrer avec les siens à Chrischona, fortifié de corps et d'âme.

Dès lors et pendant trente années presque sans interruption, Rappard a pu servir le Seigneur en parfaite santé.

Mais il eut d'autres afflictions à supporter. Deux fois de suite, en 1879 et en 1881, son coeur de père fut douloureusement frappé par la mort de deux petits garçons nouveau-nés. Faisant alors cadeau à sa femme d'un exemplaire de la Lyra Passionis, il y écrivait: « En souvenir de notre passion au temps de la Passion de 1881. » La gratitude cependant l'emportait encore sur le chagrin, car il avait craint de perdre aussi sa femme, et c'était du fond du coeur qu'il disait : « Ah ! Seigneur, tu m'as repris l'enfant, mais tu m'as laissé la mère: je t'en bénis! »

Il eut aussi à endurer des peines d'un tout autre genre. Sa nature ensoleillée eut à se débattre contre les attaques des puissances des ténèbres, et il en souffrait d'autant plus qu'il ne pouvait s'en ouvrir à autrui. C'étaient toujours des luttes passagères, heureusement, et l'on put dire de lui comme de maint autre fidèle serviteur de Dieu: « C'est par la foi qu'il s'est frayé un chemin au travers des ténèbres. »

Il se peut qu'il y ait eu aussi des causes physiques à cet état douloureux - mais lui n'admettait aucune excuse, Dieu dominant aussi sur le corps, disait-il, et sur les nerfs. Ces heures sombres devinrent d'ailleurs de plus en plus rares, et concoururent à son éducation et à son affermissement en Christ. A chaque nouvel assaut de l'ennemi, il s'en tenait à la vertu du sang de Jésus, vertu telle, dit un cantique, qu'à sa vue

 

L'enfer s'épouvante et s'étonne,

L'Église jouit de la paix;

Satan viendrait-il en personne,

Il ne l'emportera jamais.

 

Mais, riches en tribulations, ces années-là abondèrent aussi en consolations et en joies véritables. Dans la vie du chrétien, joies et tristesses sont souvent si étroitement enchevêtrées, les unes même sortant souvent des autres, qu'il ne peut être question de les séparer, d'autant moins qu'elles rentrent les unes comme les autres dans ces choses qui toutes concourent au bien de ceux qui aiment Dieu.

La bénédiction divine, reposant visiblement sur son travail, faisait déborder de reconnaissance le coeur de Rappard. De nouvelles portes s'ouvraient encore à son activité. C'est ainsi qu'en 188 1 il fit dans le sud de la Russie un voyage assez prolongé dont il sera question plus loin ; tandis que le printemps suivant le trouva à Londres pour un travail d'évangélisation parmi les Allemands. C'est alors qu'il fit la connaissance de l'Armée du salut, qui n'avait pas encore fait son apparition sur le continent. Les belles conférences de Mildmay lui firent grande impression. Il écrivait à son retour:

Il faut que le Saint-Esprit puisse nous utiliser comme des outils, il nous faut être dans la main de Dieu comme la plume dans la main de l'écrivain. Nous n'avons pas à copier les autres ; il s'agit bien plutôt d'être si parfaitement débarrassés de toute crainte des hommes comme de tout désir de leur plaire que nous puissions, si le Seigneur nous le demande, renverser les barrières de l'usage et de la tradition. A bien des égards, nos Églises et nos réunions auraient besoin de s'entendre dire : « Défrichez-vous un champ nouveau, et ne semez pas parmi les épines. » (Jér. 4, 3.) La forme extérieure n'est cependant pas l'essentiel ; ce qu'il nous importe de posséder, comme serviteurs de Jésus-Christ, comme soldats de la grande armée de sauvetage dont Christ est le seigneur et le maître, c'est l'équipement de Saint-Esprit et de puissance venant d'En Haut. Si nous croyons, nous verrons la gloire de Dieu ; déjà nous la voyons de loin : nous savons que Jésus, notre Roi, est vainqueur, et nous nous réjouissons dans l'espérance de son apparition dans la gloire.


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1) Gerneinschaftslieder, No 392