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 2. Le mouvement d'Oxford

 

Bon nombre de frères venus d'Allemagne et de Suisse avaient assisté aux réunions d'Oxford et avaient été, comme Rappard, richement bénis. Mentionnons pour la Suisse les pasteurs Otto Stockmayer et Arnold Bovet, le professeur Félix Bovet et M. Kober; pour l'Allemagne les pasteurs Pank et Müller, qui publièrent d'excellents articles sur ces « journées de bénédiction à Oxford » et Jellinghaus, qui écrivit aussi plus tard un livre fort répandu: Le plein salut en Christ. Les récits de tous ces frères remuèrent bien des coeurs et leur firent désirer d'en savoir davantage sur ce joyeux message, qu'on résumait dans la formule : la sanctification par la foi.

Peu après son retour, Rappard fut invité très cordialement à aller raconter à Berne ce qu'il avait vu et éprouvé à Oxford. Il le fit, à la salle de la Société évangélique, à sa façon coutumière, simple et sans apprêt. Quelques-uns des membres influents de la dite société furent d'emblée convaincus du fait que le mouvement venait du Seigneur et que la doctrine en était bien biblique. Le pasteur 0. Stockmayer se trouvait aussi présent, et l'on vécut alors, dans un petit cercle où régnait une pleine harmonie, des heures bénies inoubliables.

Rappard fut aussi appelé à St-Gall et s'y rendit volontiers. Il y était moins connu, mais le Seigneur frayait la route à sa Parole. Voici ce que lui écrivait peu de jours après un vénérable serviteur de Dieu

Ce que j'ai vainement essayé d'obtenir depuis des années pour ma ville natale vous a été accordé : dans bien des coeurs s'est éveillé l'ardent désir de posséder la vraie vie de communion avec Christ en Dieu. En vous entendant, j'entendais la voix de l'Époux. Mais l'ami de l'Époux, qui se tient là et qui l'entend, éprouve une grande joie à cause de la voix de l'Époux : aussi cette joie qui est la mienne, est parfaite.

Quelle humilité et quel amour!

Mais ce que l'inspecteur souhaitait maintenant de tout son coeur, c'était de voir se réaliser aussi dans l'institut même quelque chose de ce qu'il avait expérimenté si puissamment. Dans cette attente, il mit à part quelques Journées, du 16 au 21 novembre, pour le recueillement et la retraite silencieuse, et il invita son ami, le pasteur J.J. Riggenbach à venir l'aider ; les maîtres collaboraient aussi.

Dans ces réunions, écrit-il, dont nous avions entièrement remis la direction au Saint-Esprit, le Seigneur eut d'abord à nous faire descendre très bas et très profond. La lumière d'En Haut fit venir au jour bien des choses qui avaient entravé la bénédiction et paralysé l'effort. Mais une fois le mal ouvertement reconnu et abandonné sans restriction, dès que l'âme pouvait se livrer pleinement et se jeter dans les bras de Dieu, elle faisait aussi par la foi l'expérience de la vérité divine de I Jean 1. 7, à savoir que le sang de Jésus-Christ purifie de tout péché.

Plusieurs purent enfin saisir avec une joie jusqu'alors inconnue la vérité dès longtemps bien connue que le péché ne saurait avoir domination sur ceux qui par la foi demeurent cachés en Jésus, et ils agirent en conséquence : ils se placèrent avec gratitude entre les bras de leur Berger pour se laisser désormais garder et porter par lui jusqu'à la fin.

Ces réunions, n'étant destinées qu'à la communauté de Chrischona, eurent lieu dans la salle assez exiguë de la première classe. Quoique toutes simples, on y expérimenta cette « démonstration d'Esprit et de puissance » qui brise merveilleusement les coeurs. Aussi y eut-il dans l'intimité, tantôt chez l'inspecteur, tantôt chez l'un des maîtres, bien des larmes de sincère repentance et des confessions de péchés ou de petites infidélités. Et de ces coeurs meurtris jaillit la prière, avec une force et une liberté inconnues auparavant. L'heure de six à sept chaque matin, était trop courte, pour tout déposer devant le trône de la grâce.

Plusieurs amis de Bâle et des alentours, apprenant que l'Esprit soufflait à Chrischona, vinrent aussi sans être invités. Quand on a vécu dans ces temps où les fenêtres du ciel sont ouvertes toutes grandes, on ne peut y penser sans en éprouver la nostalgie. Mais, qu'on se le dise et qu'on se console, les âmes qui, à travers bien des combats et des luttes solitaires, apportent dans le secret et le silence leur fardeau au pied de la Croix et saisissent par la foi toute nue le salut qui leur est acquis, ne le cèdent en rien, - l'expérience le prouve, - à celles qui parviennent à la paix, portées par les vagues puissantes d'un réveil.

La même année encore, en automne, Rappard fondait, en collaboration avec son beau-frère Kober, libraire à Bâle, une revue mensuelle: « Des Christen Glaubensweg (Le chemin de la foi pour le chrétien), feuilles de réveil et de développement de la vie chrétienne ».

Le numéro programme disait entre autres:

La croix de Christ, qui nous a délivrés du châtiment du péché, est aussi le moyen de nous affranchir de sa domination. Le chemin qui y amène, c'est la foi qui nous unit à Christ. Elle est le trait d'union entre notre faiblesse et la toute-puissance de Dieu.

Plus le croyant se tient près du Seigneur, le modèle de toute sainteté, plus aussi il découvre la distance immense qui le sépare de son Sauveur, et plus il sent profondément sa propre imperfection et ce qui manque à son obéissance. Il a chaque jour à demander : « Pardonne-nous nos offenses ! » même alors qu'il constate que Christ lui fait selon sa foi et le garde de péchés conscients.

Nous aimerions lui montrer quels sont les obstacles qui s'opposent à la foi, et l'aider à tirer parti de tous les trésors que la Parole de Dieu lui offre pour le développement de la vie spirituelle. Nous voudrions enfin mettre les croyants en garde contre le danger de rabaisser les exigences de Dieu au niveau de leurs propres expériences défectueuses, et les pousser au contraire à hausser leur propre vie intérieure et extérieure au niveau de la révélation divine, à marcher dans une lumière toujours croissante, dans la connaissance et dans la victoire sur le péché et sur le moi.

On voit combien cet enseignement est éloigné des vues des perfectionnistes. Il n'y a là ni excitation, ni pression, ni recherche fébrile de dons extraordinaires, mais bien plutôt une aspiration profonde et puissante, une main tendue avec confiance pour saisir les fruits authentiques de l'Esprit, l'amour et l'humilité, la justice, la paix et la joie,. On était exhorté, non pas à attendre quelque chose de nouveau, mais à prendre avec foi ce que le Seigneur donne.

Il y eut alors toute une série de conférences ou réunions d'alliance évangélique, comme on les appelait, durant plusieurs jours de suite, et auxquelles Rappard fut invité à prendre part. De chacune des différentes villes où il se rendit, Berne, Genève, Strasbourg, Bâle, Schaffhouse, il y aurait bien des choses intéressantes à raconter. Mais nous devons nous borner.

Il n'y a rien de nouveau, et pourtant tout est devenu nouveau, c'est ce qu'affirmaient plusieurs. Nous étions des croyants très peu croyants. Mais à présent nous voulons aller de l'avant et croire. Pendant si longtemps je suis resté dehors, au froid, à attendre ; j'ai appris enfin maintenant que pendant ce temps le Seigneur m'attendait. Il m'a accueilli tel que je suis venu, et j'ai cette confiance en lui qu'il achèvera son oeuvre en moi.

Voilà les témoignages qui sortaient de bien des coeurs.

A Berne, la conférence eut lieu du 3 au 10 janvier 1875, et dés lors, en souvenir de cette rencontre bénie et féconde, chaque année, dans la première semaine de janvier, quelques jours sont mis à part pour l'approfondissement de la vie de la foi. Ce fut dans ces premières réunions de Berne que M. et Mme Vischer-Sarasin, de Bâle, se joignirent ouvertement et avec joie à ceux qui abandonnent tout pour suivre le Seigneur. Une étroite amitié unit dès lors cette famille à la famille Rappard. Quant à M. Théodore Sarasin, du Volksbote, et à Madame, ils étaient déjà plus anciennement du nombre de ses fidèles amis.

M. Pearsall Smith prit part aux réunions de Bâle, du 4 au 1 1 avril, et fit une grande impression par sa personnalité remarquable et son langage pénétré de la puissance de l'Esprit. Rappard et les autres frères qui avaient dirigé jusqu'alors ces réunions et qui s'étaient imposé la règle de ne mettre aucun nom d'homme sur le devant de la scène, s'effaçant et visant à la plus grande simplicité, ne purent se défendre de quelque inquiétude en voyant se manifester une sorte d'exaltation autour d'un instrument humain. Smith, il est vrai, s'en défendait. « Supposez, disait-il, qu'un cercle d'amis soit réuni à la tombée de la nuit, et qu'il entre un domestique apportant une lampe allumée qu'il pose sur la table, tout au plus lui dirait-on merci, personne en tout cas n'aurait l'idée de courir après lui; on resterait tranquillement autour de la lampe. » On résolut donc d'avoir confiance dans le Seigneur à cet égard aussi, et de se réjouir cordialement de ce qu'il avait fait, lui, à beaucoup d'âmes. La semaine se clôtura par un service de Sainte-Cène à la cathédrale, avec deux mille participants.

De Bâle, Smith se rendit en Allemagne. Le directeur Thumm de Wilhelmsdorf écrit après les réunions de Carlsruhe et de Stuttgart:

Ce qui s'est passé là pour moi ! 0 chers frères, mon voyage au désert a pris fin. Le Seigneur m'a rendu ma jeunesse, avec la fraîcheur de sa foi et sa force triomphante. Je me fais l'effet d'un miracle. Alléluia!

Mentionnons encore la grande conférence de Brighton, du 29 mai au 7 juin, à laquelle assistèrent un grand nombre de pasteurs suisses, allemands et français. Le Glaubensweg en rendit compte en détail. Mais nous n'en relaterons ici qu'un souvenir.

Dans une des réunions du matin, un évangéliste, dont le ministère a été richement béni, raconta à peu près ce qui suit: « Mon Dieu s'est approché tout près de moi une de ces dernières nuits, ayant beaucoup de choses à me dire. Il m'a dit d'abord: «N., voilà un rameau qui ne vaut rien, il faut le couper. » « Oui, Seigneur, répondis-je, non sans qu'il m'en contât, coupe-le. » Alors il continua: « N., voici une branche qui ne porte pas de fruit; et voilà une pousse qui ne convient pas dans ma vigne. » « Oui, Seigneur, répondis-je encore, taille seulement, émonde, pourvu que je t'aie, toi.... » Mais cette dernière nuit le Maître est venu plus près encore et m'a dit: « Ce n'est pas seulement tel rameau ou telle branche qu'il faut tailler, c'est N. tout entier qu'il faut abattre et mettre à mort. » Mes frères c'était douloureux, mais c'est fait et définitivement fait. » Le compte-rendu du Glaubensweg se terminait ainsi:

Notre joie n'est point fondée sur quoi que ce soit qui se trouverait en nous-mêmes, pas même sur l'oeuvre de Christ en nous, mais sur lui, et sur lui seul. Cette oeuvre admirable de délivrance qu'il a accomplie pour nous, voilà le fondement de notre paix.

 

En Suisse, l'oeuvre allait progressant. On constatait de toutes parts une vraie soif de la Parole de Dieu. On vint beaucoup à Chrischona, en quête du salut, et il était bien doux de pouvoir conduire des âmes altérées à la source de la vie.

Mais alors survint une affligeante nouvelle. Rappard s'en exprime franchement dans le Glaubensweg, après avoir publié une circulaire d'un certain nombre de frères anglais dignes de confiance, dans laquelle on lisait ce qui suit :

Peu de semaines après la conférence de Brighton, nous apprenions que M. P. Smith avait énoncé ici et là dans des entretiens particuliers des vues fort dangereuses et contraires à l'enseignement biblique. Nous trouvions en outre que sa conduite rendait nécessaire une démarche de notre part, bien que nous restions convaincus de la pureté de ses intentions. Nous l'avons prié en conséquence de s'abstenir de toute activité publique; et dès que nous lui eûmes montré les choses sous leur vrai jour, il donna son plein assentiment à notre manière de voir et reconnut avec un profond chagrin le caractère non biblique et dangereux de son enseignement et de sa conduite.

Et Rappard ajoute:

J'apprends par des lettres d'amis chrétiens, qui, connaissant de près l'état des choses, n'ont cependant pas retiré leur confiance à ce frère, que les erreurs dans lesquelles il est tombé ont quelque analogie avec celles qui se sont produites à diverses époques dans l'histoire de l'Église et spécialement dans la mystique du moyen âge, et dont l'Église morave elle-même n'a pas été exempte lorsqu'elle a passé par le crible.

Pearsall Smith lui-même écrit à Rappard à ce sujet:

Que mon exemple vous serve de garde-à-vous, en vous montrant que les plus graves dangers sont tout près des grands privilèges, et que, même alors que nous croyons sincèrement être dans la volonté de Dieu, nous sommes exposés aux ruses de l'ennemi, qui sait venir à nous déguisé en ange de lumière. Restez attaché à la Parole. J'ai insisté, non pas trop, mais trop exclusivement, sur la confiance en Dieu et pas assez sur la vigilance. je vous en prie, chaque fois que vous découvrirez dans mes enseignements quelque lacune ou manque d'équilibre, cherchez conseil auprès du Seigneur pour combler le déficit conformément à sa volonté (1).

Ces faits attristants eurent un peu partout un douloureux retentissement, et, naturellement, ceux qui étaient restés à l'écart du mouvement en conclurent qu'il était tout entier erroné. « Nous comprenons bien ce jugement hâtif », écrivait Rappard, et nous remettons tout à celui qui juge justement». Quant à lui, il en fut fort affligé, mais nullement ébranlé. Il avait plongé son regard trop profond dans la loi parfaite de la liberté (Jacq. 1, 25) pour n'y pas persévérer même aux heures des assauts.

Résumons brièvement ici ce qu'il en disait à ses lecteurs du Glaubensweg:

Avant tout, nous nous humilions devant Dieu, qui s'est vu contraint, dans sa sagesse insondable, de permettre cela. Notre Dieu est un Dieu jaloux, qui ne peut donner sa gloire à un autre. Nous apprenons par là, de façon à ne pouvoir l'oublier, qu'il ne faut parler de soi et de ses expériences qu'avec une extrême prudence et sous la discipline de l'Esprit, pour rester dans les limites de la stricte vérité.

D'autre part nous ne sommes nullement surpris de ce qu'une chose qui est du Seigneur passe par le crible. Cette fournaise sert aussi à l'épuration de notre foi. On connaîtra maintenant ceux qui ont reçu une réelle bénédiction et qui sont entrés dans la communion du Sauveur éternel et immuable.

Nous ne pouvons que bénir le Seigneur de ce qu'il a agi envers son serviteur de façon aussi stricte. Il n'a pas laissé l'erreur se propager en secret, il l'a fait venir à la lumière pour qu'elle fût jugée et punie par la lumière. Ne nous a-t-il pas donné ainsi un gage de sa fidélité à nous diriger ?

Mais quant aux vérités que le Saint-Esprit a replacées devant nos coeurs, fût-ce par le moyen de serviteurs faillibles, elles demeurent inébranlables. Un homme peut chanceler, cela ne change rien à la fidélité de Dieu.

Plusieurs, surtout parmi les chrétiens mal affermis, avaient cru pouvoir conclure des allocutions de Smith, et surtout de ses écrits, que l'on pouvait attendre une purification du coeur et une sanctification instantanée. Mais Rappard ne l'avait ni compris ni prêché ainsi. Il connaissait trop bien sa Bible. Ce qu'il réclamait de ses auditeurs et de ses lecteurs, en les y encourageant de son joyeux témoignage, c'était de rompre décidément avec le péché, d'abandonner complètement et définitivement leur volonté propre, de prendre possession par la foi de la délivrance accomplie sur Golgotha, c'est-à-dire de la justification et de la sanctification émanant de la communion avec Jésus, et de se consacrer entièrement au Seigneur avec une pleine confiance qu'il accepte le sacrifice qu'on lui offre.

 

Que si tu me dis, lit-on dans le Glaubensweg, que tu n'es pas au clair sur la question de savoir si la pleine consécration est un acte accompli d'un seul coup ou un fait qui se prolonge, je te comprends fort bien, et je voudrais te dire avant tout : elle est l'un et l'autre. Il me paraît très important de considérer d'abord la consécration comme un acte décisif accompli une bonne fois sous l'action du Saint-Esprit et qui réclame toute l'énergie de la volonté. Si, à propos d'une transaction quelconque, on a l'impression qu'elle sera considérée comme valable et décisive, on l'accomplira avec beaucoup plus de réflexion et avec un sentiment plus profond de la responsabilité qu'on assume. Il est donc de la plus haute importance qu'on se place une bonne fois bien en face de cette grave décision, comprenant qu'il s'agit d'une consécration totale et sans retard, qu'on déclare en termes non équivoques :

C'en est fait, ô Jésus! je ne suis plus à moi; Pour jamais, mon Sauveur, je m'abandonne à toi.

Une fois notre consécration au Seigneur consommée ainsi par une sorte de contrat intime et décisif, en vertu duquel nous avons renoncé à tout ce que nous reconnaissons à la lumière de Dieu pour coupable ou seulement douteux, alors elle peut et doit être aussi un fait qui se prolonge. Il s'agit maintenant de constater si c'était une consécration en réalité ou seulement en paroles. Il s'agit de continuer dorénavant à se considérer comme mort au péché et comme la propriété vivante de Jésus. Surgit-il un désir coupable ou quelque tentation venant du dehors, on dira : « je suis à mon Bien-aimé comment pourrais-je me souiller ? » Une question se pose-t-elle à propos de l'emploi du temps ou de l'argent, au fond du coeur une voix se fait entendre:

« Eh bien, mon temps, mon argent, tout n'appartient-il pas à mon Seigneur, à qui je me suis donné corps et âme ? » Une fois que je suis à Lui, il s'agit de lui appartenir toujours plus complètement, de lui abandonner toujours mieux toutes choses sans réserve. Le pas décisif une fois fait pour sortir de moi-même et entrer en lui, il s'agit de marcher pas à pas à sa suite. C'est toujours le même ancien message, éternellement nouveau: Venez à moi, et Demeurez en moi!

Trente-trois ans plus tard, peu de semaines avant sa mort, Rappard eut l'occasion d'exprimer encore son avis sur ce mouvement, et cela à propos de l'agitation causée dans plusieurs communautés par les dangereux courants contemporains.

 

En Angleterre, le réveil d'Oxford s'est perpétué surtout dans le mouvement qui se rattache au nom de Keswick. La première « convention de Keswick », en 1875, faisait immédiatement suite aux réunions de Brighton. Dès lors, et sans interruption, elle s'est réunie annuellement, toujours préparée et dirigée avec soin, et toujours richement bénie. Elle a une tendance missionnaire très marquée, et a fourni aux missions bon nombre d'excellents ouvriers.

En Allemagne et en Suisse, il en a été autrement. Laissons parler encore le Glaubensweg :

Le mouvement s'est arrêté, du moins quant à ses manifestations extérieures ; nous y voyons une direction du Seigneur, et nous pouvons lui en rendre grâces. Il avait fait souffler cette bienfaisante brise, qui avait apporté une vie nouvelle à un grand nombre de ses enfants et à d'autres. Puis, voyant les hommes gâter son oeuvre, il a dû l'épurer. Il a constaté que plusieurs avaient pris ces vérités glorieuses dans un sens charnel et s'étaient contentés d'impressions superficielles, de sorte qu'il fallait opérer un triage. Nous l'avions instamment prié de nous garder de tout ce qui tient au moi, de tout esprit de coterie, et il l'a fait.

Le creuset a consumé les scories humaines. L'or divin est demeuré. Les vérités remises alors en lumière ont déployé leur puissance victorieuse dans l'Église de Jésus et sont proclamées avec plus de clarté qu'autrefois.

Rappard a constamment et toujours à nouveau rencontré des preuves vivantes des fécondes bénédictions de ces temps remarquables, et il ne doutait pas que l'éternité n'en dévoilât encore les fruits abondants.

Nous aimons à donner encore ici le témoignage d'un pasteur suisse, alors à Genève, aujourd'hui encore à l'oeuvre en Allemagne, M. Ch. Correvon :

Mes souvenirs de M. l'inspecteur Rappard remontent aux temps du réveil provoqué par le témoignage de l'Américain Pearsall Smith. Chez nous, cette période religieuse s'appelait simplement « le Réveil ». Des centaines de pasteurs et de laïques furent empoignés par cet important mouvement et amenés à une vie nouvelle de consécration au Seigneur. Personnellement, je n'oublierai jamais que ce fut ce puissant courant spirituel qui me mit d'aplomb sur le terrain de la croix et me révéla la vraie signification éternelle de la mort de Christ. J'ai dès lors commis bien des fautes, mais je n'ai jamais perdu la conscience de cette merveilleuse puissance libératrice accordée à la foi qui saisit là mort et la résurrection de Christ. Ces vérités fondamentales de Rom. 6, 7 et 8 étaient alors perdues pour la plupart des croyants, et c'est à Pearsall Smith qu'il fut donné de les remémorer à nos Eglises assoupies.

 

Mais autour de M. Smith gravitait toute une pléiade - faut-il dire un état-major - d'hommes et de femmes qui avaient fait, eux aussi, l'expérience vivifiante de la mort et de la résurrection avec Christ, et qui pouvaient rendre témoignage devant de grandes assemblées de ce que le Seigneur avait fait pour eux.

Au nombre de ces témoins on remarquait la personnalité virile, aristocratique et puissante de l'inspecteur de Sainte-Chrischona, M. Rappard. Je l'ai entendu plus d'une fois, tant à Genève qu'à Yverdon et Sainte-Croix, ainsi que Théodore Monod de Paris, le professeur Godet de Neuchâtel, le pasteur Besson de Tavannes, le pasteur Otto Stockmayer. Leur thème à tous était le pouvoir de la croix de Christ pour triompher de tout. Peut-être quelques-uns d'entre eux dépassaient-ils la mesure en décrivant le repos complet dont nous pouvons jouir en Christ, comme s'il n'était plus question de luttes. je n'ai pas souvenance que Rappard ait partagé ces vues erronées. Ce qui m'a toujours frappé en lui, c'est sa grande sobriété, alliée à une chaleur juvénile et à un amour bouillant pour le Seigneur, qui nous enthousiasmait, nous les jeunes d'alors. L'affirmation claire et nette de la possibilité, pour quiconque croit, de la sanctification, de la pleine victoire en Christ et d'une communion ininterrompue avec le Sauveur crucifié et ressuscité, cette affirmation joyeuse, retentissait comme une fanfare dans les rangs des soldats de Christ épuisés et déprimés. C'était pour nous comme une nouvelle révélation, et je chantais avec transport, en compagnie de mes amis de l'Union chrétienne et de la faculté de théologie, les cantiques de Moody et de Sankey, qui exprimaient avec tant d'émotion ces vues.

Il me serait impossible d'oublier certaines réunions de prière d'alors, une, entre autres, à la Salle de la Réformation, à Genève, où après quelques paroles pénétrantes de MM. Théodore Monod et Godet, toute l'assemblée, d'un mouvement irrésistible et spontané, tomba à genoux pour entonner le magnifique psaume des huguenots :

Comme un cerf altéré brame

Après le courant des eaux....

Je pense aussi à une réunion dans la Salle de la Rive droite, à laquelle M. Rappard prit une part prépondérante, et où beaucoup, entre autres beaucoup de pasteurs, déclarèrent avoir trouvé le Sauveur. je ne saurais reproduire mot à mot ces allocutions. je me rappelle seulement que M. Rappard exalta surtout avec chaleur le repos du coeur et de la conscience que nous trouvons dans l'oeuvre accomplie par Christ sur Golgotha.

Les traces bénies de ce réveil de 1875 et 1876 sont encore visibles, et dans toute la Suisse romande et ailleurs il est beaucoup d'hommes qui font remonter leur vie spirituelle à cette époque. Et beaucoup considèrent le cher inspecteur de Chrischona comme leur père spirituel.

Ici à Francfort, ainsi qu'à Blankenburg et à la conférence de Gnadau, j'ai eu plus d'une fois le privilège de le rencontrer, et il m'a toujours fait l'impression d'un croyant solidement fondé sur les Ecritures, d'un disciple jouissant du repos en son Sauveur, d'un homme qui a été en bénédiction à des milliers par sa foi si enfantine et pourtant si virile, sa joie intérieure et l'intimité de sa vie spirituelle.

Nous ne saurions mieux conclure ce paragraphe que par ces vers de Théodore Monod, envoyés d'Oxford à Mme Rappard par son mari :

 

O honte! ô mémoire cruelle!

A Jésus, le Berger fidèle..

Quand il m'appelait par mon nom,

Insensé, j'ai répondu : Non !

De lui j'ai détourné ma face;

J'ai crié : «Pour toi point de place !

De tes bienfaits je ne veux rien :

Laisse-moi tout mon coeur, et garde tout le tien! »

 

Pourtant, il sut trouver mon âme

Je le vis, sur le bois infâme

Navré d'opprobre et de douleur,

Priant : « Père, pardonne-leur ! »

Et, devant sa beauté sanglante,

Je lui dis d'une voix tremblante

« Sois mon modèle, mon soutien,

Et répands dans mon coeur quelque chose du tien! »

 

De jour en jour, de grâce en grâce,

Sa clémence, que rien ne lasse,

Douce étoile à mon horizon,

Fut ma joie et ma guérison.

A cet ami, si fort, si tendre,

Ma requête se fit entendre :

« Daigne, ô Christ, me rendre chrétien

Plus pauvre de mon coeur et plus riche du tien! »

 

Plus haute que les cieux sublimes,

Plus profonde que les abîmes,

Plus vaste que l'immensité,

Dieu Sauveur! est ta charité.

Je suis vaincu, je rends les armes,

Et, baignant tes pieds de mes larmes,

Je soupire après un seul bien :

Viens m'ôter tout mon coeur, me donner tout le tien.


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1) Vers cette époque, M. P. Smith fut atteint d'une maladie nerveuse qui le tint à l'écart de toute activité, mais dont il se remit peu à peu entièrement. Il n'en resta pas moins dans la retraite jusqu'à sa mort, en 1898.