Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !
 

LE DEVOIR CHRÉTIEN


ENVERS LES


ENFANTS ABANDONNÉS


ET

CRIMINELS

 

SERMON PAR FRED. MERRICK, D. D.

 

Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. Luc, XIX, 10.

 

TRADUIT DE L'ANGLAIS.

Se vend en faveur de l'hospice des Bayards.

 

NEUCHATEL

LIBRAIRIE GÉNÉRALE J. SANDOZ.

-1872 -

Décembre 2002
fac-similé de la couverture


Nos frères d'Amérique se préoccupent vivement du sort de l'enfance abandonnée. Ce souci s'est manifesté diversement : il vient d'inspirer au révérend Frédéric Merrick, D. D., un sermon plein de raisons concluantes et tout empreint de charité chrétienne. Puisse-t-il, malgré la faiblesse de la traduction, contribuer en quelque chose à l'avancement de la cause sacrée qu'il plaide et à la solution de la question soulevée par la succession de feu M. François Borel.


Ce sermon a été prêché en 1870 devant le Congrès américain, réuni à Cincinnati, pour s'occuper de l'étude de la réforme pénitentiaire.


Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.

Luc, XIX, 10.

Nous marchons dans les ténèbres. Nous ne voyons que confusément comme dans un miroir. Il y a beaucoup de mystère dans tout ce que nous avons à faire. Nous ne connaissons que partiellement. Mais, tandis que notre savoir est ainsi limité, nous connaissons suffisamment notre devoir; et, mû par cette pensée, un esprit sérieux et chrétien, inquiet, touchant l'accomplissement de sa tâche, s'écriera : « Seigneur, que veux-tu que je fasse? » tandis que, plein d'une humble foi quant aux choses cachées, il ajoutera : « Qu'il en soit, ô mon Père, comme tu le jugeras bon. »

Considérons aujourd'hui le devoir du chrétien de prendre soin des enfants abandonnés ou criminels.

Et d'abord, en existe-t-il de ces enfants qui réclament nos soins? Hélas! en trop grand nombre. Nos villes en fourmillent. On les rencontre à chaque place, à chaque coin de rue, aux portes des édifices publics et du théâtre, sur les quais et dans les promenades; on les trouve dans les mansardes et dans les caves, dans les égouts et sur les pavés.

Allez où vous voudrez : vous rencontrerez leurs figures tristes; les uns mendiant, d'autres balayant les rues, ramassant des Chiffons, ou glissant la main dans les poches des passants, et beaucoup souffrant dans des lieux où le soleil et les sourires sont également inconnus. On ne les trouve pas seulement dans les grandes cités. Quoique moins nombreux dans les villes et les villages, il n'existe pas de paroisse qui n'en ait quelques-uns. L'estimation qui, dans les Etats-Unis, fixe leur nombre à cent mille, est plutôt au-dessous de la vérité, sans parler des multitudes non comprises dans le nombre, et dont la condition misérable appelle notre aide et notre sympathie.

Notre sollicitude peut-elle leur venir en aide? Sans nul doute. Ils peuvent être ignorants, et dans le nombre if s'en trouve de très vicieux. Cependant ce sont des êtres humains susceptibles de recevoir toutes les influences qui affectent l'humanité. Les plus vicieux sont moins endurcis dans le crime qu'ils n'y sont habitués; et, règle générale, ils ne s'y sont pas endurcis surtout en résistant à de bonnes influences; car le plus grand nombre n'en ont connu que peu. La négligence, la cruauté et le mauvais exemple les ont, avant tout, rendus ce qu'ils sont. Voici ce que disait, il y a quelques semaines, une enfant abandonnée, recueillie dans l'école de réforme industrielle pour les filles de l'Ohio : « Jamais, avant d'entrer ici, je n'ai su ce que c'est que d'entendre de bonnes paroles », et là où il ne se dit pas de bonnes choses, il ne se pratique que peu de bien. En général, ces enfants sont très sensibles à la bonté. En vérité. c'est quelque chose de merveilleux que de voir combien la plupart en sont touchés.

A peine venais-je d'écrire cette pensée que j'eus le plaisir d'en voir un bel exemple dans l'institution déjà nommée. J'avais le bonheur d'introduire dans cette école un monsieur qui venait d'être nommé membre surveillant, homme dont le grand coeur est la source vivante de mobiles généreux et bons. Comme il passait d'un air radieux dans les rangs des élèves, adressant à chacun des paroles d'encouragement et d'espérance, donnant à chacun un salut plein de bonté, les coeurs semblaient touchés, et des larmes se voyaient dans tous les yeux. En voici un exemple encore plus frappant et que je tiens du directeur de l'école de réforme pour les garçons de Lancaster, dans le même Etat. Un garçon dont le caractère était extrêmement violent et de volonté rebelle, y fut amené pour cause de meurtre. Il se montra tellement intraitable qu'on fut forcé de l'enfermer dans une cellule. Espérant que sa réclusion l'avait un peu soumis, on le remit en liberté quelques jours plus tard. Aucun changement en bien ne s'était opéré, et bientôt il s'évada.

Peu après il fut ramené plus abruti et plus vicieux que jamais, et de nouveau il fut enfermé. Il devint si farouche et si violent qu'il fallut l'enchaîner pour la sûreté de, ceux qui le soignaient. Comme il n'en devenait pas plus docile, l'intendante pria qu'on lui ôtât, ses chaînes. Elle alla seule dans sa cellule, s'assit à ses côtés, lui lut dans un livre qu'elle avait apporté et se mit à causer avec lui de la manière la plus touchante. Il l'écouta dans un sombre silence, insensible en apparence, mais sans montrer toutefois quelque signe d'impatience. Jour après jour elle se rendit à son devoir, portant quelquefois quelques petites douceurs de sa propre table, et employa tous les moyens pour fondre la dureté et chasser le mauvais esprit qui animaient le prisonnier; mais tout cela ne produisit, en apparence, aucun effet favorable. Mais si le mal résistait, la mère n'était pas non plus à bout de ses forces.

L'amour ne pouvait se laisser vaincre par la haine. Elle poursuivit ses visites; elle continua à répandre ses bontés sur le prisonnier jusqu'à ce qu'un jour, lui parlant d'un ton doux et tendre, petit-être un peu attristée par sa persistante rébellion, elle le vit s'éveiller soudainement comme d'un rêve, tandis qu'il s'écriait : « Mme Howe, vous pouvez être tranquille, on peut me laisser sortir ; je ne donnerai plus de peine tant que je serai dans l'établissement. » C'étaient les paroles d'un esprit assoupli et pénitent. La bonté venait de remporter la victoire. Aujourd'hui, c'est un digne fonctionnaire de l'institution.

Oui, cette classe d'enfants réclame notre sollicitude. La sympathie et le travail que nous leur vouerons, ne le seront pas en vain. Peu de champs du vaste domaine ouvert aux efforts de la charité donneront des résultats plus réjouissants.

Mais pourquoi est-ce un devoir de prendre soin d'eux? C'est un devoir d'en prendre soin, en premier lieu, parce qu'ils sont infortunés. Il y en a, il est vrai, qui sont criminels; mais, pour cette raison, ils n'en sont pas moins malheureux. Le crime, en vérité, est le crime, et c'est une fausse moralité que celle qui ne voit. dans le crime qu'un malheur, et c'est un sentiment morbide que celui qui n'accorde au criminel que de la commisération; et cependant dans l'histoire des plus coupables il y a beaucoup de choses qui réclament à juste titre notre pitié. C'est surtout vrai pour tous les jeunes criminels, et, dans la plupart des cas, c'est la principale, sinon la seule manière, d'envisager leurs crimes; car le sort du plus grand nombre a été amèrement triste. Visitons-les un instant et apprenons d'eux leur histoire. Il y en a qui ont été exposés et abandonnés pour cacher la honte de leurs parents, et qui n'ont jamais connu ou ne connaîtront jamais le prix de l'amour paternel; ils sont, au contraire, condamnés à porter la honte d'un péché dont ils sont innocents ; prouvant avec amertume que la faute des parents peut devenir le triste héritage de l'enfant. D'autres, restés orphelins par la providence de Dieu, n'ont ni parents, ni amis qui prennent soin d'eux; laissés seuls à lutter aussi bien qu'ils peuvent contre leur sort cruel, ils n'ont que peu d'occasions de s'améliorer ou d'y être encouragés. Les uns sont les enfants de parents dissolus et que l'usage des boissons a privés de toute affection naturelle, qui n'ont que des cruautés pour caresses, qui peuvent voir leurs enfants dépérir dans le besoin, l'ignorance et l'abandon, et s'en détourner pour chercher dans la débauche une satisfaction grossière ; d'autres sont les enfants de mendiants et de voleurs de profession, élevés dès leur enfance aux tromperies et au crime, entourés d'influences corruptrices et dégradantes ; et d'autres encore ont pour parents des gens qui, soit par pauvreté on par maladie, souvent pour ces deux causes, quoique bien disposés, sont néanmoins hors d'état de pourvoir aux besoins de leurs enfants. Ces enfants sont malheureux, le plus grand nombre le sont particulièrement; et si l'infortune est un titre à la commisération et au secours, ils ont un juste droit à notre sympathie et à notre sollicitude.

Mais on doit prendre soin d'eux en vue des résultats attendus, et particulièrement pour eux-mêmes. La valeur des résultats du travail et de l'habileté dépendent dans la plus large mesure des matériaux auxquels on les consacre. Le lapidaire pourra travailler longtemps et avec un art consommé, un grossier morceau de grès, et le résultat de sa peine sera nul on de peu de valeur; le même effort, exercé sur une perle ou un diamant, révélera des beautés cachées qui rehausseront au plus haut point sa valeur. Mais nulle perle n'est comparable à l'âme humaine, - aucun diamant ne peut rendre comme elle de pareils feux sous la main d'un travail sagement dirigé. C'est une perle de grand prix, - un diamant qui, taillé et poli avec soin, n'est pas indigne d'orner le diadème qui ceint le front du Sauveur. La révélation, c'est là son unique tendance, veut nous pénétrer de l'importance extrême de chaque homme. Mais la propre existence de chaque individu est à lui-même d'une importance particulière. pour l'homme, pour chaque homme, créé à l'image de son Dieu, héritier de l'immortalité, capable d'un développement illimité, et susceptible d'une joie ou d'une douleur indicible, que lui servira-t-il de gagner tout le monde, s'il vient à perdre son âme? Que donnera-t-il en échange de son âme? Ces enfants infortunés courent le péril de se perdre. Je ne cherche pas à démontrer théologiquement ici ce qui est impliqué dans la destinée future ainsi entrevue; mais personne, croyant ou non croyant, d'une foi quelconque, ne peut douter que tout ce qui donne de la valeur à l'existence ne soit, pour ces pauvres enfants, abandonné au plus terrible hasard ; et chacun conviendra que des efforts assidus en sauveraient un bon nombre d'une ruine imminente, et par une bonne éducation, leur assureraient à eux-mêmes tous les riches avantages d'une vie intelligente et vertueuse. Ils peuvent être sauvés - sauvés pour la société; sauvés pour bénir et non maudire le milieu dans lequel ils se trouvent; sauvés pour eux-mêmes; sauvés pour connaître la joie d'une existence qui répond à tous les buts qui lui sont assignés, - la joie d'une existence en harmonie et en communion avec le Père des esprits et avec tout ce qui est pur et bon dans son univers. Le devoir accompli ne peut être douteux, puisque de tels avantages s'y rattachent.

En outre, le devoir de prendre soin de ces enfants est urgent quand on considère que les criminels du pays sortent en majorité de cette classe-là. La statistique de nos pénitenciers, de nos prisons et de nos Cours criminelles fournit la preuve abondante de ce fait. Et qui pourra évaluer la somme des maux que ces criminels infligent à la société? C'est une peine que chacun ressent. Elle pénètre en quelque sorte tous les étages de la société. Sous forme de violence personnelle, perte de biens, sentiment de danger, humiliation et honte, elle nous touche tous. Et ce qui est réellement alarmant, c'est que le crime, au moins dans notre pays, est en voie de progression. Le récit quotidien de tentatives d'assassinat par les armes à feu, le poignard ou le poison; de vols avec effraction, de débauche et d'ivrognerie, produit un sentiment universel d'insécurité. Nous marchons dans les rues de nos cités avec l'appréhension nerveuse que le premier pas qui se fait entendre derrière nous pourrait être celui d'un assassin. Nous fermons nos portes à clef en plein jour; et nous prenons des mesures de prévoyance pour la nuit. Il fut un temps où les choses n'étaient pas ainsi. Sans doute, il faut attribuer en grande partie cet accroissement apparent du crime au zèle avec lequel la presse recueille et met en circulation des faits de ce genre; néanmoins l'observation do chacun doit convaincre que le crime, sous ses formes multiples, devient de plus en plus commun. Son air hideux se découvre partout, dans les lieux élevés comme dans les bas, dans les cités, les villes, les villages et dans les campagnes, sur les marchés publics et dans les maisons particulières. Allons où nous voulons, nous le rencontrerons.

Même celui qui réclame notre charité surveille l'occasion d'abuser de notre confiance et de tromper notre généreuse sympathie par le récit de souffrances qu'il n'a jamais endurées. Il est pénible et humiliant. de constater ces faits, mais on ne peut se les déguiser. Ils nous donnent trop de souci et d'angoisse. En regard, il est bon de dire aussi que la charité est devenue plus active et plus efficace. Je suis heureux de croire qu'il en est réellement ainsi, mais cela ne détruit pas non plus ce que j'ai dit de l'accroissement du crime; cela prouve seulement que le conflit des forces morales est devenu plus intense, - fait qui, en effet, est avéré aux yeux de tous.

Mais le crime n'est pas seulement le trouble de la paix et de la sécurité dans la société, il est aussi onéreux. Ceci, quoique étant l'un des moindres de ses maux, n'est nullement une bagatelle. Il pèse comme un lourd impôt sur chaque communauté. La torche d'un seul incendiaire peut coûter à une cité des millions de dollars. Les frais d'une affaire criminelle suffiraient souvent pour élever un certain nombre de ces enfants abandonnés. Le crime est toujours onéreux. Là où c'est possible, une sage économie fait certainement mieux de le prévenir plutôt que d'avoir à le punir. En vérité, l'un des principaux buts de la punition est de la prévenir; mais la théorie qui voudrait faire du châtiment le premier moyen de prévenir la répression, est radicalement défectueuse. La punition, naturellement, arrive trop tard pour prévenir le crime pour lequel elle a été infligée. Réforme-t-elle le criminel et par conséquent empêche-t-elle la répétition de la faute? Rarement, sinon jamais par elle-même; quoique, sans nul doute, elle prépare souvent à d'autres influences plus élevées une voie efficace. De plus, c'est principalement sur la crainte de la punition plus que sur la punition elle-même qu'on se fonde pour prévenir le crime. Mais la crainte ainsi que la souffrance, séparées des convictions morales, n'ont que peu ou point d'effet salutaire de réforme. Elle peut en certains cas prévenir l'exécution de certains crimes. Mais elle ne change pas la disposition de ceux qu'elle contient. Elle peut réprimer les flammes du volcan, elle ne peut éteindre ses feux; elle peut arrêter les eaux du torrent, mais elle ne desséchera pas sa source. Voilà pourquoi d'autres influences sont nécessaires, celles-là surtout qui font appel aux affections et à la conscience. Il faut rechercher celles qui peuvent seules effectuer un changement dans le caractère ; car, sans un changement de caractère, presque rien n'est accompli. S'il n'est pas déraciné le mal se fera jour sous quelque forme.

Les probabilités de la réclusion et du châtiment peuvent, en effet, être assez accrues, et la pénalité de certains crimes être rendue assez sévère, pour empêcher un grand nombre d'hommes de les commettre, ou du moins les retenir pour un temps. Mais ce n'est pas seulement coûteux; manquant au but proposé de changer le caractère de ceux qui sont disposés au mal, cela ne fait que détourner le courant du crime dans de nouvelles voies. Une forme du crime ne disparaît que pour faire place à une autre, à une autre peut-être plus dangereuse que celle qui a été supprimée. Le mai réel existe toujours. Le siège de la difficulté n'a point été atteint. Ceux qui méditent le mal sont toujours à l'oeuvre, guettant l'occasion. Leur disposition reste la même et ils deviennent probablement toujours pires. Le résultat peu satisfaisant obtenu en cherchant à supprimer le crime par la seule crainte de la punition est illustré de la manière la plus frappante par le système de police de Paris. Cette cité a, sans nul doute, la meilleure police au monde. Ses agents sont pour ainsi dire omniprésents dans tous les lieux publics. Le résultat en est ordinairement la tranquillité, l'ordre, et un sentiment de sécurité, qui sont la meilleure recommandation de l'efficacité du système ; cela pourrait donner à un observateur superficiel l'idée d'un haut degré de culture morale parmi le peuple. Et cependant la corruption de la cité est, comme on le sait bien, très grande. Il en est de ses habitants comme des pécheurs d'Ephèse, c'est une honte même de parler de ce qu'ils font en secret. En dépit des dépenses énormes de son gouvernement pour maintenir l'ordre et supprimer le crime, la cité est comme un volcan en travail, toujours menaçant d'une prochaine explosion; tandis que le crime, moins publie qu'ailleurs, est terriblement commun. Les mauvais ne sont pas réformés, et comme la source amère donnera des eaux amères, et l'arbre mauvais des fruits mauvais, le résultat est inévitable.

La réforme, je le répète, et non la contrainte, voilà le vrai remède. Mais quand cette oeuvre de réforme commencera-t-elle? Attendrez-vous que quelque grand crime ait été commis, et son auteur reconnu et jugé? Commencerez-vous avec le prisonnier? Ce ne serait pas seulement renouveler la folie de fermer la porte aux verrous après que le cheval a été volé, mais celle de vouloir redresser le jeune arbre quand il a déjà pris l'inflexible raideur de l'âge ou bien laisser passer le meilleur, sinon le seul temps où les peines et les efforts de l'oeuvre réformatrice peuvent être pleines d'espoir. La réforme des criminels âgés et endurcis est possible, mais elle est proverbialement difficile. Cesser de mal faire, apprendre à bien faire est pour eux comme pour le léopard de changer ses taches et pour le More sa peau. Je ne voudrais décourager aucun effort fait en vue de les réformer. Que tout ce qu'il est possible de faire pour eux soit fait, et béni soit celui qui en détournera un de la mauvaise voie. Sa récompense sera grande, car il aura sauvé une âme de la mort et couvert une multitude de péchés. Mais si nous consacrons tous nos soins à la jeunesse, nous pouvons compter sur le succès en cherchant à prévenir le crime par la destruction du vice. Les jeunes coupables sont beaucoup plus impressionnables que les vieux. Leurs habitudes ne sont pas devenues fixes et inflexibles et la voix de leur conscience n'est pas entièrement étouffée; ils ne sentent point non plus que le temps de commencer une vie vertueuse est passé pour eux. L'avenir leur est encore ouvert : c'est le moment de choisir la bonne ou la mauvaise voie. C'est donc à eux qu'il faut exposer tous les motifs élevés d'une vie bien réglée et non sans, espoir que ce ne sera pas en vain.

Mais il y a encore plus d'espoir dans la nombreuse classe de ces enfants négligés dont la vie n'a encore été souillée par aucun crime; mais qui, exposés à de fortes et nombreuses tentations, sans gardiens naturels ou bien en ayant qui les négligent ou abusent d'eux, s'ils sont laissés à eux-mêmes, sont presque sûrs de tomber dans les pratiques du mal et en définitive, de devenir des criminels endurcis. Un grand nombre, par des soins entendus, pourraient être sauvés, et la société serait ainsi soulagée de ce qui devient autrement un fardeau pénible et onéreux.

Le soin de ces enfants est un devoir que nous devons à Dieu, le Père de nous tous. C'est en lui que nous vivons et c'est de lui que nous recevons tout ce qui fait de l'existence une bénédiction. Nos obligations envers lui sont infinies. Faire sa volonté est notre premier devoir. Sa volonté est que tous soient vertueux et heureux, personne n'en doute. Il est également vrai qu'il a trouvé bon de mettre l'aide mutuelle comme condition de notre bien-être. Porter la charge les uns des autres est donc un devoir sacré, un devoir que nous devons remplir envers Dieu aussi bien qu'envers nos semblables. Le commandement qui nous ordonne d'aimer notre prochain comme nous-mêmes est donc renforcé par une, double obligation. Dieu ne nous excusera en aucune façon si nous manquons à ce devoir, et nous ne pouvons même le désirer.

Les motifs d'obligation, d'amour et de gratitude, devraient nous pousser sans relâche à l'accomplir. « Suis-je le gardien de mon frère? » est une question indigne de l'être qui doit tout à Celui qui lui demande ce service d'amour; et ce de, voir général s'applique particulièrement à la classe dont nous parlons, à celle de ces pauvres enfants. Il y a quelque chose de merveilleux dans l'amour de Dieu pour les infortunés, les égarés, et même pour les coupables. Il s'est manifesté à l'homme de la manière la plus remarquable dans ses vues miséricordieuses à leur égard, et Lui qui n'a pas épargné son propre Fils, mais qui l'a donné pour tous, veut certainement que nous prenions soin de ceux qui sont exposés à tomber dans le péché ou qui ont déjà franchi les limites de la loi et de la vertu; ce serait voir les choses d'une manière étroite et erronée que de supposer qu'Il s'inquiète moins de l'enfant que de l'homme. Lui, pour qui un jour est comme mille ans, voit déjà l'enfant dans la plénitude de l'âge et dans la maturité du caractère. Pour Lui, l'enfance et la jeunesse ne sont que vanité quand leurs précieuses années ont été gaspillées et perdues. Il comprend, comme nul autre ne peut le faire, de quel prix indicible elles sont; et Il voudrait nous voir travailler à en prévenir le funeste emploi pour ceux qui, malheureusement, sont placés dans des conditions de tentation particulière. Prenez-les, nous dirait-il, et apprenez-leur à vivre; prenez-les et élevez-les pour moi. « Ainsi, prendre soin de ces enfants est clairement un devoir que nous avons à remplir envers nous-mêmes, envers la société et envers Dieu. »

Mon sujet veut que je caractérise cette oeuvre essentiellement comme le devoir du chrétien. Il y a une raison de le faire. Le christianisme est éminemment un système de réforme. Son point de départ, son origine n'a pas eu d'autre but que de réformer et de sauver un monde coupable et corrompu. Dieu regarda sur la terre et vit que la méchanceté de l'homme était grande; et dans les angoisses de son amour infini, il s'écria :

« Comment l'abandonnerais-je ? » La grande pensée du salut sortit de cette compassion divine pour l'homme.

Elle eut pour origine l'amour et pour plan d'exécution la sagesse infinie. Celui qui avait dit : « Faisons l'homme » et qui savait ce qui était en lui, qui connaissait ses capacités pour le bien et pour le mal, tous ses motifs d'agir, les ressorts les plus cachés de son être intérieur, qui connaissait les abîmes où il était tombé et les artifices par lesquels il avait été séduit, qui connaissait les hauteurs de sainteté auxquelles on pouvait l'élever, et les meilleurs moyens de procurer son élévation, - Lui, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse, s'écria de nouveau : « Que l'homme soit sauvé!» Assignant au christianisme cette origine, nous ne pouvons qu'anticiper le moment où il sera appliqué à la réforme de l'homme ; et certainement tel est le cas. Il est parfaitement propre à ce but dans tout son esprit et son système de vérité, dans toutes ses applications de la vérité aux coeurs et aux consciences des hommes; son esprit est celui de la bonne volonté envers les hommes ; il est en sympathie profonde avec les infortunés et les coupables; il pleure sur la tombe de l'homme vertueux, murmure des paroles d'espoir à l'oreille du désespéré; il a des avertissements pour l'obstiné, et de grandes, d'excellentes promesses pour celui qui se repent. Il reprend, admoneste, exhorte en toute patience et en toute vérité ; - sa doctrine n'est pas., la moindre de ses influences salutaires. La sympathie, le sentiment et l'affection sont des biens, et il les possède en abondance ; mais l'homme doit connaître la vérité, la vérité qui peut toucher et vivifier tous les pouvoirs de l'âme, - qui peut descendre jusqu'en ses profondeurs extrêmes, lui révéler ses plus grands besoins et éveiller en elle des aspirations pour son plus haut bien ; et le christianisme a ces vérités. Il reconnaît chaque fait de la condition et de la destinée humaine, et sonde le domaine de l'âme avec l'oeil perçant de l'omniscience. Car il a une vérité appropriée. à tous les pouvoirs et à la susceptibilité humaine, à tous ses besoins et ses aspirations. Il n'y a jamais eu de pensée renfermant plus de philosophie profonde ou plus de vérité de fait que dans la prière et la déclaration de Christ « Sanctifie-les par ta vérité; ta parole est la vérité.

La vie du fondateur du christianisme a été en harmonie avec son esprit et son enseignement. Quelle que soit là diversité des opinions quant à la personne de Christ, il est hors de doute que, par les préceptes et l'exemple, il tient le premier rang parmi les réformateurs. - Lui-même déclarait que sa mission était « de chercher et de sauver ce qui était perdu. » Toute sa vie a été d'une sublime conséquence avec ce bat. Il se dévoua lui-même à l'oeuvre de régénération et de salut avec une constance et un dévouement sans pareils. Renonçant avec joie au confort ordinaire de la vie jusqu'au point où il pouvait dire : « Les renards ont leurs tanières, et les oiseaux du ciel leurs nids, mais le Fils de l'homme n'a pas un lieu où reposer sa tête » (non dans l'esprit d'un anachorète, car il savait jouir de la vie, mais dans l'esprit d'un vrai réformateur, renonçant à lui-même dans l'intérêt des autres), il poursuivit l'oeuvre de sa vie. Dans le temple, sur le bord du chemin, sur la montagne, sur le lac, partout, où c'était possible, il instruisait l'ignorant, encourageait l'homme abattu, et par toutes les manières engageantes de l'amour aussi bien que par le pouvoir de l'autorité, il chercha à guider les hommes dans une vie de vérité et de pureté. Il n'oubliait pas les enfants. « Laissez-les, » disait-il à ses disciples qui, n'ayant pas encore son esprit et ne comprenant pas le but de sa mission, étaient choqués de l'indiscrétion de ceux qui voulaient imposer les enfants à son attention,- « laissez-les venir à moi et ne les empêchez pas; » et l'évangile ajoute avec une douce simplicité : « Et il les prit dans ses bras et, les bénit. » Nous nous souvenons tous comment, lors de la mémorable entrevue sur la rive du lac, après sa résurrection, il dit à son disciple errant, mais repentant, avec une expression que celui-ci ne put sûrement pas oublier : « Pais mes agneaux. »

Quand on réfléchit à l'origine du christianisme, à son esprit régénérateur et à ses moyens, à l'exemple de son fondateur, c'est un devoir manifeste de prendre soin des enfants dont nous parlons. Pour les chrétiens, y manquer est une inconséquence grave. C'est renier en fait Christ et sa doctrine. Il l'a regardé ainsi : « Tant que vous n'avez pas fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, » - Christ se représente comme parlant au dernier jour, et parmi ces petits, il entend certainement les enfants abandonnés, « vous ne les avez pas faites à moi-même. »

La discussion des modes ou des moyens d'accomplir ce devoir rentre à peine dans le sujet qui m'est assigné, et elle trouvera mieux sa place dans les délibérations du congrès que dans ce sermon du dimanche; et cependant il y a une question si intimement liée à la responsabilité et au devoir personnels que je ne pourrais me justifier en négligeant de l'indiquer au moins. Cette question la voici : Comment cette oeuvre, cette oeuvre d'amour s'accomplira-t-elle ? Par l'effort individuel ? Par des associations volontaires ? Ou par le gouvernement? Si l'effort individuel pouvait l'accomplir, ce serait sans doute la méthode préférable. La charité personnelle vaut toujours mieux que celle qui s'exerce par association et surtout mieux que la charité publique. Son effet moral est incomparablement plus grand. Elle met celui qui donne et celui qui reçoit dans la sphère de l'influence sympathique, éveille et développe ainsi quelques-uns des plus nobles comme (les plus aimables traits du caractère, comme aucune charité publique ou l'association ne peut le faire. C'est vrai surtout quand la bonté cherche à faire du bien aux autres par l'influence directe, l'influence indispensable dans l'oeuvre régénératrice. Atteindre ce but par une tierce 'partie c'est interposer un corps isolant entre les pôles d'une batterie galvanique. La main doit toucher la main, le coeur doit rencontrer le coeur. L'esprit, refroidi par la négligence ou paralysé par le crime, doit être éveillé et vivifié par les chaudes pulsations de l'amour. L'âme, faible dans ses aspirations vers le bien, et tirée vers la terre par ses mauvais penchants, doit nécessairement s'attacher et se lier à' ce qui est fort. La main doit prendre la main, l'âme saisir l'âme dans cette lutte de la vie; car c'est pour retirer la vie des griffes de la mort que ces efforts sont déployés ; et la sympathie et l'affection qui font que les âmes prennent possession les unes des autres et influent mutuellement les unes sur les autres , sont nécessaires pour son accomplissement.

Parlant de cette oeuvre comme d'un devoir chrétien, il m'est permis de dire que l'influence personnelle, est un des principes vitaux du christianisme. L'individualité, l'intérêt et l'affection personnelle, la souffrance et l'effort pour d'autres, joints à l'humilité et à la confiance, à la gratitude et à l'amour, en ceux qui reçoivent le bienfait, mettent l'évangile en pratique: Christ n'est pas mort pour l'humanité prise dans son « ensemble » mais pour chaque homme ; chaque individu reçoit l'Esprit dans une certaine mesure, et pour chaque âme qui lutte il y a une présence réelle du divin Sauveur encourageant et fortifiant; et tout homme doit se confier en lui par un acte de foi personnelle pour recevoir tous les avantages de sa mission de miséricorde.

« Voici, je suis toujours avec vous» - « Celui qui croit en moi ne périra point, » telles sont les propres paroles de Christ, montrant clairement l'action bienfaisante de cette présence personnelle et son influence dans l'oeuvre de relèvement et de salut des pécheurs.

Mais le fait le, plus merveilleux dans l'évangile et celui qui, plus que tout autre, jette sur ce sujet le plus de lumière, est l'incarnation du divin Christ prenant notre nature avec toutes ses infirmités et passant par toutes les expériences humaines afin que, comme sacrificateur miséricordieux de l'humanité, il pût être touché par nos douleurs et savoir secourir et délivrer ceux qui sont tentés. Ici est la sagesse profonde comme la charité qui l'inspire.

Avec cette lumière pour nous guider, nous pouvons sûrement conclure que, dans l'oeuvre régénératrice, le système qui procure la plus grande somme d'influence personnelle et directe est le meilleur. Tout est accompli par l'effort individuel ; et s'il y avait assez de philanthropie chrétienne dans la société, à quelques exceptions près, nulle autre méthode ne serait requise. Ce que je vais dire peut sembler paradoxal, mais le christianisme qui a donné naissance à nos établissements de bienfaisance sera un jour leur destruction. Quelques-uns continueront d'exister, mais non comme établissements de charité publique. La charité privée se réjouira de pourvoir aux besoins nécessaires à tous, mais ce temps est à venir. Pour le présent, il est à craindre, que longtemps encore, l'effort et la libéralité individuels Accompliront qu'une petite part de ce qu'il est urgent de faire. Des multitudes d'enfants dont nous avons parlé, ceux qui sont tombés dans le vagabondage et peut être dans le crime et dont la condition misérable fait un appel des plus pressants à tous les meilleurs sentiments du, coeur, ne trouveront aucune main amie qui s'étende vers eux pour les sauver.

Ces enfants dont chacun devrait trouver un foyer paternel dans quelque bonne famille, mais qui restent abandonnés, doivent être élevés par la société. Je ne veux pas discuter ici la question. de savoir s'ils doivent être placés dans des institutions sous le contrôle d'associations volontaires ou sous celui du gouvernement.

Peut-être pour le moment est-il besoin de ces deux classes d'institutions. Dans les premières ou pourra introduire plus largement sans doute l'élément de l'influence personnelle et avec, plus d'efficacité puisque ce sera d'une façon plus naturelle, tandis que des institutions sous le contrôle du gouvernement pourront s'occuper d'une classe que, les autres ne seraient point en mesure d'atteindre. Mais, soit qu'on emploie l'une ou l'autre de, ces méthodes, l'éducation entendue de ces enfants abandonnés est un sujet qui mérite l'attention la plus sérieuse de toute la communauté ; et l'efficacité de la méthode adoptée sera proportionnée à l'intérêt excité.

Jusqu'à présent ce sujet n'a pas obtenu l'attention qu'il mérite. Les aveugles, les sourds, les idiots sont traités avec une bonté libérale. Et c'est juste. Mais combien peu pensent à ces enfants délaissés et errants, qui languissent dans le besoin et sont, entourés des tentations du crime.. La dureté et les mauvais traitements sont pour l'ordinaire leur partage ; et cependant leur doit à notre sympathie et à, notre aide est plus fort même que celui du sourd ou de l'aveugle. Leur infortune atteint plus le moral ; elle saisit l'âme plus profondément ; leurs intérêts les plus élevés sont plus en péril.

Ainsi l'intérêt que nous prendrons à eux exigera une forme plus haute de bonté. La vue de ceux qui sont privés de leurs sens ou impotents éveille tout de suite notre pitié et nous dispose à leur offrir du secours. Mais il y a beaucoup d'hommes qui ne reconnaissent pas si promptement les infirmités morales et, qui ne sentent pas une si profonde sympathie pour leurs effets. Et cependant ne pas avoir pitié et ne pas prendre soin de ces infortunés, c'est se priver d'un des motifs les plus élevés et les plus nobles de la vie. Par conséquent nous devons nous intéresser à ces enfants dans notre intérêt et dans le leur. En prenant soin d'eux nous travaillerons très efficacement à notre bien le plus élevé. Nous nous élèverons nous-mêmes de la boue d'un égoïsme étroit et mesquin à' cette bonté intelligente et pure - bonté qui nous unira aux anges et à Dieu, qui nous fera participer de la nature divine et qui fera assurément de nous les héritiers de la promesse. Nous ne pouvons les négliger. Tous nos intérêts les plus élevés sont liés à ces oeuvres de misé

Ainsi nous devons les remplir pour l'humanité entière. Oh! combien l'or brillant s'est obscurci, comme la couronne est tombée de la tête quand des créatures humaines, os de leurs os et chair et de leur chair, - des frères - cessent de prendre soin les uns des autres et particulièrement de sympathiser 'avec ceux sur qui s'étend l'ombre d'une grande infortune. Nous avons besoin de nous stimuler, de trouver un levier plus puissant, et le but d'un amour sérieux et désintéressé. Nous le devons à notre religion. Nous sommes un peuple chrétien, et si le christianisme nous enseigne quelque devoir c'est celui de prendre soin de ceux qui ont besoin de notre aide. Et qui la réclame plus que ces enfants ? Montrons en prenant soin d'eux notre foi par nos oeuvres et recommandons ainsi de la meilleure manière la religion que nous révérons et que nous aimons à ceux qui sont en dehors de son sein. Le christianisme, si nous l'acceptons, nous impose ce juste devoir; si nous avons son esprit, le devoir sera joyeusement et cordialement rempli.

Nous le devons à notre pays. En quoi consiste la vraie gloire d'un peuple? Dans ses monuments? Dans sa richesse! Dans sa population? Dans ses oeuvres d'art ou de littérature ? Dans ses faits militaires ou ses découvertes scientifiques ? Toutes ces choses ont leur signification, et une nation peut-être fière de plusieurs d'entre elles. Mais il y a une gloire plus excellente.

Toutes pâlissent en présence des vraies oeuvres de charité. Une nation accomplit un acte plus grand en libérant ses esclaves qu'en subjuguant un peuple; en élevant ses pauvres plus qu'en couronnant ses héros. Qui honore le plus l'humanité ? Alexandre ou Paul ? Tamerlan ou Xavier ? Napoléon ou Howard ? Wellington ou Wilberforce ? Jeanne d'Arc ou Florence Nightingale ? Christ nourrissant ceux qui avaient faim, pleurant sur Jérusalem et mourant sur le Calvaire est l'événement le plus sublime de l'histoire. La bonté est la plus vraie des grandeurs, et les oeuvres de miséricorde sont les plus nobles de toutes les actions.

Et enfin, par le plus élevé de tous les motifs, nous le devons à Celui qui nous a rachetés, à Celui dont nous sommes les serviteurs et dont le service doit être notre plus grande joie, auquel soit la gloire de tout le bien fait sur la terre et au ciel, dès maintenant et à jamais.

Amen.