Le héros de la guerre de Six Jours

est populaire de plusieurs longueurs d'avance

 

Shimon Peres, svelte, de moyenne stature, une voix sonore, les yeux bruns mélancoliques, les mouvements retenus, presque maladroits: il a misé trop haut, brisé la grande coalition - sans pour autant être parvenu à rassembler les 61 députés de la Knesseth derrière l'étendard d'une propre coalition en miniature. Son parti, déçu, a désamorcé le thème de la paix au Moyen-Orient - ayant servi de puissant aimant publicitaire pour sauter la coalition - au même titre qu'une mine rouillée.

Yitzhak Rabin, le héros de la guerre de Six Jours de 1967, y a contribué de manière décisive. Trapu, prêt à la détente, il donne depuis une image plus civile, plus engageante, faisant tout de même plus général que diplomate. Il regroupe la majorité du parti derrière lui, dépasse Peres de plusieurs longueurs sur le plan de la popularité et à ce titre également Shamir, la figure de proue du Likud. Il voit poindre le bout de son long chemin, l'indemnisation à portée de main de défaites cuisantes.

Fils d'un émigrant américain, Rabin est né à Jérusalem; il a servi dans l'unité d'élite juive «Palmach», collaboré avec les troupes britanniques sous mandat durant la Seconde Guerre mondiale; plus tard, il a lutté contre elles et été fait prisonnier par les Britanniques. Il fut toujours un homme d'armes, initialisant une percée décisive vers Jérusalem durant la guerre de 1948; comme chef de l'état-major général, il a su revendiquer une part décisive également au succès des Israélites.

Par son naturel, Yitzhak Rabin personnifie la réalité israélienne avide de survie; l'uniforme lui sied mieux qu'un complet-veston, l'armée fait partie inhérente de sa vie - tout comme ceux du reste qui sont nés en Israël.

Shimon Peres est venu en 1934 en Palestine, à l'âge de onze ans, de son nom Shimon Persky, fils d'un riche négociant en céréales et bois. Comme élève, il a vécu la «Haganah», mais n'a jamais fréquenté l'armée. Il a grandi au sein du mouvement kibboutz. Ce chemin civil, par très naturel pour un ressortissant israélien, a été jusqu'alors un traumatisme pour le maître ès ruses de guerre politiques.

Le fondateur légendaire de l'Etat d'Israël, David Ben Gourion, a décelé très tôt ses talents politiques. En 1948, il l'a mis à la tête de la marine, dans le ministère de la Défense; en 1950, il l'a chargé d'une mission délicate, celle d'acheter des armes aux Etats-Unis. Avec son aide, il a forgé une étroite fraternité d'arme israélo-française, démantelée seulement par l'embargo qu'a décrété De Gaulle en 1968.

Sur mandat de Ben Gourion, il a décimé le Parti du travail en 1965, fondé le parti Rafi qui a réintégré trois ans plus tard le bercail politique après la mort de Levi Eschkol et la venue au pouvoir de Golda Meir. Depuis, Peres a fait figure de «faucon», un renom qui a contribué à sa défaite lors de sa première confrontation avec Rabin en 1974.

Corruption et huile de coude agitant le Parti du travail, Israël au seuil de la défaite lors de la guerre d'octobre 1973 - tout cela a contribué à balayer Golda Meir et son ministre de la Défense, Moshe Dayan du pouvoir en avril 1974. Prêts à reprendre la relève: un Rabin se parant des lauriers de la guerre de Six Jours, renommé comme pragmatiste, tout comme un Peres traînant dans son sillage une odeur de «Trikky».

Après une défaite très serrée, il est juste de relever que Peres tendit la main à son rival lui tournant le dos avec nonchalance; mais l'ivraie de la discorde était déjà semée.

Après de nouvelles crises du Cabinet, des scandales et des querelles, Rabin annonça une coalition avec les nationaux-religieux et de nouvelles élections pour mai 1977. Lors du Congrès du parti, Peres récidive en s'élevant contre lui et c'est à nouveau le chef en place du gouvernement qui remporte le trophée, de justesse en février 1977.

Avril vint: un compte en dollars canadiens de l'épouse Lea Rabin fut découvert et par la même occasion une entorse grave à la réglementation sur les devises. Rabin dut démissionner, Peres parvenant presque à son but par une victoire à la Pyrrhus: il perdit en effet les élections contre Manachem Begin. La Maarach, le parti d'état apparemment invincible à l'instar des démocrates-libéraux japonais, devait pour la première fois se contenter du rôle de force d'opposition.

Peres resta toutefois le numéro un, son renom de «faucon» dans le conflit du Moyen-Orient s'atténuant, sa popularité augmentant. Il consacra son image de marque par une mobilité ayant autrefois amené des comparaisons désavantageuses avec Nixon et le reproche d'une absence de loyauté permanente. Rabin néanmoins le suivait à la trace, comme une ombre, reprenant pied peu à peu.

Lors de la première demi-période de la grande coalition avec Shamir, Peres mena les affaires d'état à partir de septembre 1984, nomma Rabin ministre de la Défense (tout comme ce dernier avait dû confier ce poste-clé au puissant rival durant sa période de gouvernement) et propulsa sa popularité à des sommets jamais atteints, avec une politique intelligente et équilibrée de paix au Moyen-Orient. Peres jouissait des grâces du soleil, Rabin devant se contenter de l'ombre projeté.

Nouvelles d'Israël Juillet 1990

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