Interview d'Ariel Sharon, "Ce n'est pas l'heure des compromis"

 

Ariel Sharon nous a reçus lundi 19 août en début de soirée pour un entretien de plusieurs heures à son domicile de Balfour Street, la résidence des Premiers ministres israéliens à Jérusalem, transformée en véritable camp retranché.

Les années et les tensions semblent n'avoir aucune prise sur cet homme de 73 ans. « C'est une de mes très rares soirées calmes, a-t-il confié avec humour. D'habitude, je me couche à 2 h 30 du matin et je suis debout à 5 h 30. »

Lorsque nous l'avons quitté à 23 heures, il se préparait à un long entretien téléphonique avec Condoleezza Rice, chef du Conseil national de sécurité de la Maison-Blanche et principal conseiller de politique étrangère du président Bush.

Détendu, l'oeil vif, se laissant aller parfois à quelques souvenirs personnels, il formule avec une parfaite courtoisie, dans cet entretien avec Le Point, ses nombreuses certitudes, il évoque le non-avenir d'Arafat et détaille le plan de règlement israélo-américain, l'éventualité d'une intervention américaine contre l'Irak et la réplique israélienne en cas d'attaque contre son territoire - E. L.

LE POINT : Monsieur le Premier ministre, vous avez confié qu'à vos yeux le conflit actuel avec les Palestiniens constitue la prolongation de la guerre d'indépendance de 1948. Qu'entendez-vous par là ?

ARIEL SHARON : Nous sommes en guerre. Cela doit être dit très clairement. La situation que nous affrontons aujourd'hui est celle d'une guerre. Nous sommes un pays de 6 millions d'habitants. Dans un pays de 60 millions d'habitants comme la France, le pourcentage équivalent des victimes du terrorisme, depuis deux ans, se chiffrerait à 6 000 morts et à 45 000 blessés. En l'élargissant encore à l'échelle de l'Union européenne, le nombre de tués atteindrait 41 000 et celui des blessés 282 000. C'est énorme.

Cette guerre terroriste a commencé il y a cent vingt ans. Mes grands-parents, mes parents, mes fils ont tous dû y faire face. Nombreuses sont les familles qui ont vécu cette situation depuis cinq ou six générations. Et cela n'a absolument rien à voir avec notre présence à Jérusalem. Depuis 1860, les juifs sont la communauté la plus importante de Jérusalem. A Hébron, allez au cimetière et vous verrez des tombes juives vieilles de deux cents ans. A Gaza, les juifs vivent depuis près d'un siècle. Je pourrais multiplier les exemples. La guerre que j'évoque est un affrontement dont les débuts remontent à l'Empire ottoman et qui s'est poursuivi sous le mandat britannique jusqu'à aujourd'hui.

LE POINT : Et le moyen d'y mettre fin ?

ARIEL SHARON : De nombreux efforts ont été accomplis pour aboutir à un règlement politique, mais tous ont échoué jusqu'à maintenant.

LE POINT : Il existe une interrogation quant à vos intentions. Vous avez confié : « En échange de la paix, je suis prêt à faire des concessions douloureuses. » Jusqu'où êtes-vous prêt à aller ?

ARIEL SHARON : Ce serait une erreur de parler de compromis ou de les envisager au moment où prédomine la terreur. Ce n'est pas encore l'heure d'engager des pourparlers politiques et d'esquisser les contours des futurs compromis. Je voudrais souligner un point très important : Israël n'a jamais cherché l'affrontement mais a gagné toutes les guerres qu'il a livrées. Or je ne connais aucun autre pays vainqueur qui soit prêt à des compromis territoriaux, à céder, comme nous sommes disposés à le faire, une part de notre territoire qui est une composante essentielle du berceau et de la nation du peuple juif.

Il y a trois ans, j'ai rencontré le pape à l'occasion des fêtes du nouveau millénaire. Au cours de nos discussions, je lui ai dit : « Je suis juif, ce qui pour moi est le plus important ; je suis membre d'un gouvernement juif installé à Jérusalem, la capitale du peuple juif depuis plus de trois mille ans et qui est aujourd'hui la capitale unifiée et indivisible de l'Etat d'Israël. » Jean-Paul II m'a écouté, puis, après un long silence, a répondu : « La terre d'Israël est sainte pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, mais elle a été promise seulement aux juifs. » Quelque temps après, recevant en audience ma femme, il lui a reformulé cette distinction entre « terra sancta » et « terra promissa ». C'est pourquoi venir maintenant à la table des négociations et dire « Voilà ce que pourrait être la frontière » serait de mon point de vue une erreur.

LE POINT : Avec le recul, quel regard portez-vous sur les accords d'Oslo, que vous avez toujours critiqués ?

ARIEL SHARON : Oslo, selon moi, a été la plus tragique des erreurs. Pour deux raisons : d'abord, les accords conclus étaient si compliqués qu'il était difficile d'assumer et de mettre en oeuvre le calendrier élaboré ; ensuite, ces accords, implicitement, plaçaient la sécurité d'Israël entre les mains des Palestiniens. Ces deux facteurs conjugués ne pouvaient conduire qu'à des drames et des bains de sang, ce qui impose aujourd'hui de trouver une nouvelle solution.

LE POINT : Qui aurait quel contour ?

ARIEL SHARON : Nous y travaillons avec les Etats-Unis. J'ai rencontré à six reprises le président Bush au cours des douze derniers mois et le plan avancé par le président américain est proche de nos propositions. De mon point de vue, l'échéancier est moins important que la situation qui prévaudra sur le terrain, dans la région. Un tel plan devrait s'articuler autour de trois phases. Phase 1 : lutte et démantèlement, de la part des Palestiniens, de toutes les infrastructures et logistiques utilisées pour la violence et la terreur. Puis passage à la phase 2, reposant sur la coopération et l'interdépendance à partir de projets conjoints. Je souhaiterais qu'il existe une véritable « contiguïté » entre les zones palestiniennes sans qu'il soit indispensable à leurs habitants de franchir des barrages et des contrôles établis à l'heure actuelle pour des raisons évidentes de sécurité. Enfin, la phase 3 aborderait la question des frontières « finales » entre Israël et les Palestiniens. Voilà dans ses grandes lignes le plan que nous avons discuté avec l'administration américaine. Mais tout cela exige de la part des Palestiniens de réelles réformes.

LE POINT : Dans quel domaine ?

ARIEL SHARON : Dans plusieurs domaines, et les plus importants devraient concerner les services de sécurité et le domaine des finances. Les Américains ont sur ces sujets une position très claire : l'organisation en matière de sécurité ne doit plus dépendre d'Arafat. Aussi longtemps qu'il contrôlera plus d'une dizaine d'organisations qui sont autant de vecteurs de la terreur, rien ne changera. Les services de sécurité devront être ramenés à trois sous l'autorité d'un seul responsable et placés sous l'autorité de leur ministre de l'Intérieur. Les services jordaniens et égyptiens pourraient coopérer à une telle organisation, qui pourrait être coiffée par les Américains.

L'autre problème crucial concerne la mainmise de Yasser Arafat sur l'ensemble des finances palestiniennes. Là encore, il doit en être écarté. Il contrôle les finances des organisations terroristes. Il est d'ailleurs très important que le Japon et l'Union européenne, qui sont les principaux bailleurs de fonds de l'Autorité palestinienne, cessent de transférer de l'argent qui pourrait être utilisé par Arafat, ce qu'ils font actuellement. Je rencontre des Palestiniens occupant des postes de responsabilité qui tous comprennent que la situation actuelle conduit au désastre et que les souffrances des Palestiniens sont la conséquence de la politique d'Arafat.

LE POINT : Considérez-vous toujours que le départ d'Arafat est un préalable à toute négociation et à tout règlement ?

ARIEL SHARON : C'est une erreur absolue de vouloir présenter les choses comme un problème personnel entre lui et moi. Mais retirez-lui la sécurité et les finances et il n'est plus rien.

LE POINT : Que ferez-vous si en 2003 Yasser Arafat est réélu président de l'Autorité palestinienne ?

ARIEL SHARON : La fonction présidentielle pourrait être symbolique et il devrait y avoir la création d'un poste de Premier ministre à la tête d'un gouvernement sur lequel le président n'exercerait aucun contrôle. Ce Premier ministre aurait notamment sous son autorité le ministre de l'Intérieur, responsable de l'organisation de la sécurité. Quand j'ai discuté de cette organisation, j'ai évoqué la création d'un poste de « chief executive officer » pour les réformes, élu par le Parlement palestinien et qui jouerait le rôle d'écran, de tampon entre le gouvernement palestinien et Arafat, qui ne devrait plus avoir le moindre droit de regard sur les accords ou transactions financières, ni sur les services de sécurité.

LE POINT : Comment réagissez-vous face au désespoir de plus en plus grand qui gagne la population palestinienne ?

ARIEL SHARON : Des contacts entre nous et des responsables palestiniens sont maintenus. J'ai confié au ministre des Affaires étrangères, Shimon Peres, la responsabilité de tout l'aspect humanitaire. Je suis moi-même à la tête de ce groupe, qui se réunit une fois par semaine et qui regroupe les ministres des Affaires étrangères, de la Défense et des Finances. Nous faisons de gros efforts pour contribuer à aider la population qui n'est pas impliquée dans les actions terroristes. Quelques mois après mon élection au poste de Premier ministre, Arafat m'a téléphoné et je lui ai déclaré très clairement que j'établissais une distinction très nette entre, d'une part, les Palestiniens qui souhaitent seulement pouvoir rapporter de quoi nourrir leurs familles et dont je faciliterai l'existence par tous les moyens et, d'autre part, les terroristes et leurs soutiens. Je lui ai dit : « Si vous le voulez vraiment, vous pouvez les combattre, vous avez signé suffisamment d'accords en ce sens. Je ne suis pas votre conseiller militaire, mais je peux vous faire une suggestion : concentrez vos forces dans les zones sensibles et nettoyez-les de tous les terroristes. »

LE POINT : Soutenez-vous clairement toute intervention militaire des Etats-Unis contre l'Irak ?

ARIEL SHARON : Nous soutiendrons toute décision américaine, mais nous n'exercerons aucune pression d'aucune sorte, que ce soit pour annuler ou avancer la date d'une éventuelle action. Je l'ai dit clairement au président Bush au cours de ma dernière visite à Washington : « C'est entièrement votre décision. »

LE POINT : Certains experts du Pentagone ont confié qu'en cas d'attaque irakienne contre Israël au moyen d'armes non conventionnelles l'Etat hébreu pourrait répliquer en utilisant l'arme atomique contre l'Irak.

ARIEL SHARON : Nous avons pris toutes les précautions nécessaires. Nous ne serons jamais les premiers à utiliser des armes de destruction massive, mais naturellement, je le répète, nous avons pris toutes nos précautions. Je pense que le mieux actuellement est d'en parler le moins possible tout en étant prêt à agir immédiatement.

LE POINT : Quelle est la situation la plus dure que vous ayez eu à affronter depuis que vous êtes au pouvoir ?

ARIEL SHARON : Voir des civils, notamment des enfants, pris pour cibles par des terroristes qui se transforment en bombes humaines. Ceux qui décident de faire exploser un bus scolaire remplis de jeunes garçons et filles, ou encore de tuer dans une discothèque, ne commettent pas seulement un crime, un crime contre l'humanité, mais aussi quelque chose d'insultant pour l'espèce humaine.

J'ai reçu des appels de chefs d'Etat s'inquiétant de la situation d'Arafat dans son QG de Ramallah. On se montrait préoccupé par la « difficulté » de ses conditions d'existence et certains de mes interlocuteurs proposaient même de lui envoyer des bougies pour qu'il puisse s'éclairer. On parlait de lui envoyer des bougies, mais personne ne m'a demandé, même une seule fois, des nouvelles des deux petites filles dont les parents avaient été tués en pénétrant dans un magasin de jouets, ou de cette vieille femme de 83 ans qui avait miraculeusement survécu à un attentat, ou encore de cette femme qui a perdu son mari et ses deux enfants. Quelle hypocrisie !

LE POINT : Au fond, croyez-vous vraiment, fondamentalement, à une paix avec le monde arabe ?

ARIEL SHARON : Je pense que oui, mais avant que nous nous lancions sur la voie de compromis vraiment importants, les Arabes doivent renoncer à leur volonté d'anéantir Israël et accepter l'idée que les juifs ont le droit de vivre et d'habiter dans le pays où ils sont nés et qui est leur patrie. Ils doivent reconnaître les droits historiques du peuple juif. Le fond du problème est que les Arabes n'ont pas encore reconnu ce droit des juifs à vivre en sécurité et en paix. Ce conflit finira immédiatement et vraiment lorsqu'on sera passé d'une paix formelle à une paix réelle et qu'ils auront admis les conditions que je viens d'énumérer.

LE POINT : Et, selon vous, qu'est-ce qui les empêche encore aujourd'hui de les accepter ?

ARIEL SHARON (geste d'incompréhension) :

C'est ça le problème, tout le problème !

(Le Point/CID) ajouté le 31/8/2002

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