Source: Pompignane

Sa grâce : les uns la reçoivent, les autres la repoussent...

 

Napoléon ROUSSEL

 

Evangile de Jean, chapitre 3, verset 22 à 36

Quand les incrédules s'élèvent contre la doctrine évangélique, ils ne sont pas tant irrités du salut de ceux qui croient que de la condamnation de ceux qui ne croient pas. Ne serait-ce pas parce qu ils pressentent que cette condamnation pourrait bien se réaliser ? S'ils la jugent impossible, pourquoi s emporter contre elle ? Il leur suffirait de la mépriser et de se taire. Mais non, ils y reviennent avec une espèce d acharnement, sans qu'on leur en parle, sans nécessité, même quand on les entretient de toute autre chose. Qu'ils y songent: un proverbe populaire dit:<< Il n y a que la vérité qui blesse >>; il pourrait bien se faire que cette parole fût ici applicable. Toutefois essayons de répondre plus directement.

Le fait est que, pour trouver la doctrine évangélique en défaut, ses adversaires la dénaturent. Ils lui font dire : les uns sont sauvés parce qu'ils croient; les autres sont condamnés parce qu'ils ne croient pas. Or' ce n'est pas là ce que déclare l'Évangile. Il n'est pas dit que la colère de Dieu vient sur celui qui ne croit pas, mais qu'elle demeure sur lui. Dieu ne s'irrite donc pas contre l'homme parce qu'il refuse de croire, mais il reste irrité contre lui à cause de ses péchés. Avant que la foi fût présentée à cet homme, il était déjà pécheur et déjà condamné; son refus de croire n'y change donc rien, il reste pécheur et condamné. Ce qui serait vraiment étrange, ce serait que, parce qu'il a repoussé le Sauveur, son sort fût amélioré et qu'il fût sauvé à cause de son incrédulité ! Une comparaison nous fera mieux comprendre.

D'innombrables malades viennent dans un vaste hôpital chercher la guérison des maux qu'ils se sont attirés par leurs débauches, leurs vices ou leurs crimes. Tous souffrent, tous |appellent du secours Un habile médecin arrive, il apporte un remède infaillible et crie : << Quiconque boira cette eau sera guéri ? quiconque la refusera restera souffrant et finalement mourra! >>. Quelques malades tendent la main, boivent à longs traits et retrouvent la santé. D'autres se moquent du docteur et refusent un remède qu'ils jugent trop simple pour être efficace, et ces hommes meurent, non de l'eau qu'ils n'ont pas bue, mais de la maladie qu'ils avaient déjà.

Qui pourra dire que leur mort est injuste et la reprocher au généreux médecin ? Je dis plus : qui pourra faire un reproche de cette mort au Créateur qui avait donné la vie a ces malades ? N'est-ce pas par leur faute qu'ils ont souffert et qu'ils sont morts ! Ce Créateur leur devait-il quelque chose ? En leur donnant les quelques années de vie qu'ils ont déjà goûtées, ne leur a-t-il pas accordé plus qu'il ne leur devait, lui qui ne leur devait rien ? Et enfin, si quelqu'un prétendait encore qu'il est injuste que le Créateur laisse mourir d'une mort sans retour l'homme coupable d'une faute passagère, je répondrai : Je n'examine pas si c'est injuste; mais vous, convenez du fait : cela est, cela se voit tous les jours, et, quoi que vous puissiez dire, cela est, cela se voit. Or, il ne m en faut pas davantage pour vous faire comprendre maintenant que le Dieu de l'Evangile peut bien et doit même, pour être le vrai Dieu, faire ce que fait le Dieu de la nature.

Ce monde est le vaste hôpital encombré, non de malades, mais de pécheurs qui tous, par le fait seul de leur désobéissance, ont encouru la condamnation et la mort. Que personne ne vienne à leur secours, et tous mourront sans qu'aucun puisse se plaindre avec raison. Mais Jésus arrive, entre dans ce grand réceptacle de souffrances morales et crie dans tous les rangs de la société. << Quiconque veut se confier en moi et jeter sur moi un seul regard ne mourra point; fût-il déjà expirant, il passera de la mort à la vie; si d'autres refusent mon secours, je ne veux, ni ne puis les contraindre; je ne viens pas les condamner, mais les laisse où ils sont déjà, sous la condamnation; ce n est pas moi, ce sont eux-mêmes qui le veulent ainsi. La colère de Dieu demeure donc sur eux >>

Les uns tournent les yeux et les mains vers ce Sauveur, et revivent, les autres le raillent et meurent. Qui pourra se plaindre ? Jésus les a-t-il fait mourir, ne se sont-ils pas deux fois suicidés, d'abord par leurs péchés, ensuite par le refus du pardon ? Et maintenant dira t'on qu'il est injuste que le Dieu de l Évangile ait créé des êtres qui finalement devaient tomber sous sa colère ? A cela nous n'avons qu'un mot à répondre : Le Dieu de l Évangile est le Dieu de la nature; il ne s agit pas pour nous, faibles intelligences, d'examiner si la conduite du Créateur est juste, mais de nous assurer ce qu'elle est. Or, quoique vous puissiez dire, il est certain que Dieu laisse mourir des hommes à la fleur de l'âge, en laisse souffrir d autres pendant de longues années; et si cela est, si cela se voit dans la nature, cela peut bien être et se voir dans l'Evangile; cette analogie d'action me montre, au contraire, que c'est bien le même Dieu.

Voilà l'Evangile: Dieu offre sa grâce à tous : les uns la reçoivent, les autres la repoussent; c'est à nous de voir si nous voulons la repousser ou la recevoir ! C'est à nous de sonder notre coeur et de juger s'il est malade de péché et s'il a besoin de pardon; c'est à nous de voir si par nous-mêmes nous pouvons effacer nos fautes passées, et si par nos forces nous pouvons éviter le mal à l'avenir. Si nous sommes justes, comme le demande la conscience, et saints, comme l'exige la loi de Dieu, c'est à nous de nous lever, de le dire et de congédier le médecin Sauveur! Ah ! malheureux disputeur que nous sommes, qui aimons mieux discourir sur nos plaies que de les voir guérir! Insensés qui souffrons en disant : Ce n'est rien, et qui expirerons bientôt de douleur en criant : Je me porte bien ! Semblables à cet orgueilleux païen qui, la jambe rompue, laissait échapper cette parole : << O douleur ! tu ne m'obligeras jamais à dire que tu sois un mal >>. Nous, brisés par le péché, nous crions : J'aime mieux en souffrir que de l'avouer ! Ne l'avouons donc pas, si bon nous semble, mais ne nous étonnons pas si la mort éternelle s'ensuit ! Ou plutôt laissons là l'orgueil de la propre justice ; sentons nos misères, laissons à Dieu le soin de composer, d'analyser et d'expliquer ses mystérieux remèdes ; pour nous, acceptons-les de sa main. Ils sont bien simples et se réduisent à un : pauvres pécheurs souffrants, confiez-vous en l'amour et en la puissance de Jésus-Christ ; celui qui croit au Fils a dès à présent et pour toujours une vie éternelle et bienheureuse !

Napoléon ROUSSEL