fut aussi le plus persécuté
Certes les autres prophètes tiennent aussi d'En-Haut une vocation sensiblement identique; mais Jérémie découvre mieux qu'eux le choix dont le prophète est l'objet, et la présence intime de Dieu en lui, que ce choix implique. Il est le premier, semble-t-il, à comprendre qu'il était connu de l'Éternel dès avant sa naissance, aimé et comblé par lui dès avant le temps de sa conception.
Cette découverte saisissante semble l'aboutissement d'un passé mystique qui va désormais se confirmer et se renforcer. La formule : « Je suis avec toi », qui revient souvent dans le livre de Jérémie, ne signifie pas seulement une haute protection et des interventions intermittentes, mais bien une réalité constante au plus profond de l'être. Pour l'élu, Yahvé n'est pas un maître lointain dont l'autorité le domine à distance, mais un ami, un soutien, un confident avec lequel il converse, qu'il sent vivre en lui-même.
A cet intime il fait part de tous ses sentiments. La tendresse a rarement trouvé des expressions plus persuasives, la confiance n'apparaît nulle part plus absolue, et l'insistance plus pressante. Mais le divin ami a de singulières exigences; il arrive que Jérémie ait tenté de l'oublier, qu'il ait esquissé un refus de parler en son nom. Alors un feu dévorant le consumait et avait bientôt raison de sa résistance (JÉRÉMIE, chap. 20, vers. 9).
Si le grand prophète qui vécut la fin tragique du royaume de Juda a si souvent recours à Yahvé, c'est qu'il rencontre constamment la persécution et la contradiction. Certes tous les inspirés se sont heurtés à l'opposition de ceux qu'ils prenaient à parti, mais aucun n'en a pâti à ce point. En dernière analyse, il connaissait le véritable opposant à sa mission : le péché du monde et plus immédiatement celui d'Israël, à travers les bourgeois, les soldats, les notables, les faux prophètes, les prêtres ou le roi.
Peut-être Jérémie est-il aussi le premier à avoir posé clairement la redoutable question : « Pourquoi le sort des méchants est-il prospère et tous les perfides goûtent-ils la paix ? » (chap. 12, vers. 1 et suivants). Elle compte parmi les plus angoissantes de celles que soulèvent les écrivains sacrés de l'Ancien Testament, et notamment l'auteur du livre de Job, quelques psalmistes et les sages. Comme eux, Jérémie ne peut que souhaiter à ces ennemis de Dieu, qui sont aussi les persécuteurs des justes, le châtiment mérité où se manifestera l'existence et la justice de Celui que nient ces impies (JÉRÉMIE, chap. 17, vers. 13-18 ; chap. 18, vers. 21-23, etc.).
Les rapprochements entre certains psaumes et l'expérience du prophète sont si concluants qu'on a pu écrire un livre entier sur « Le psautier selon Jérémie »(1). Il semble bien, par exemple, que le fameux « puits » dont il est si souvent question dans le psautier pour évoquer le fin fond de l'épreuve et de la déréliction, soit une réminiscence de la citerne fangeuse dans lequel fut jeté l'homme de Dieu, et où il faillit périr (JÉRÉMIE, chap. 38 vers 6). Les thèmes de convergences sont nombreux. Nous y reviendrons.
Loin d'éloigner de Dieu celui qui fut persécuté plus que tout autre, les épreuves et les échecs l'ont comme accu lé à se jeter en lui plus résolument. Et Dieu de son côté l'a jeté plus hardiment dans la lutte. Éloigné de ses parents, traqué par ses amis, privé de la douceur d'un foyer, maltraité, suspecté de trahison, incarcéré et menacé de mort, démuni de toute sécurité, Jérémie est l'inspiré de la nuit obscure. Ce n'est pas sans raison qu'un saint Jean de la Croix, le grand mystique espagnol du XVIe s., a trouvé dans l'oeuvre à laquelle s'attache son nom de quoi exprimer l'inexprimable de sa propre « nuit ».
Le prophète de la Passion
A cause de l'abandon apparent entre les mains des hommes où il se trouve, et des pages saisissantes qui évoquent alors ses souffrances, Jérémie fut aussi considéré par la tradition chrétienne comme le prophète par excellence de la Passion du Christ. Une antique tradition imposait la lecture liturgique de son « livre » durant les deux semaines qui précèdent la fête de Pâques, où l'Église commémore plus intensément le drame du Calvaire : le Christ lui aussi fut «l'agneau docile qu'on mène au sacrifice », et ses persécuteurs ont mis « du bois dans son pain ». Ce bois de la croix grâce auquel il fut « rayé de la terre des vivants » (JÉRÉMIE, chap. 11, vers. 19, 20) après avoir été comme son prophète frappé et mis au fer (chap. 20, vers. 2).
Dom J. GOLDSTAIN
1- P.E. Bonnard, Éd. du Cerf.
En ce temps-là, la Bible No 60 pages I-II.