LE GRAND ROI SALOMON
Étrange, certes, la personnalité de Salomon, telle qu'elle apparaît dans la Bible, est aussi la plus contradictoire, et peut-être la plus conventionnelle : tandis que les récits de la vie de David sont pleins de sève, les textes qui présentent Salomon restent pour la plupart l'illustration d'une idée. Ils sont répartis en deux séries, d'ailleurs imbriquées : la première décrit une espèce d'âge d'or; l'autre, des fautes et des faiblesses. Le bel hymne majestueux a des fausses notes. Pas en grand nombre; mais on en sent l'importance.
Roi pacifique c'est le sens de son nom - Salomon poursuit dans la paix l'oeuvre que David avait commencée dans la guerre. Sa politique intérieure est audacieuse : à la division particulariste en tribus, il substitue une division équilibrée en régions. Ainsi devait agir la Révolution française. A l'extérieur, il mène une politique très intelligente : il entretient de bons rapports avec ses voisins, il crée un courent commercial et aussi des échanges culturels. Sa sagesse est en continuité avec celle de l'Orient. Cette intelligence de sagesse, il faudra attendre les derniers livres bibliques' : l'Ecclésiastique et la livre de la Sagesse, huit siècles plus tard, pour en retrouver la veine. Le fait d'avoir établi le courant sapiential dans l'Ecriture suffirait à la gloire de Salomon : le premier, il a tenté de mettre en continuité la plénitude de la foi et l'amour de la civilisation : ce problème de la rencontre de la religion et du monde, que David semble-t-il n'avait même pas soupçonné.
Grand constructeur enfin, Salomon aménage la capitale, il y construit le palais royal, il est l'architecte du Temple. Avec le Temple est institué un « service du temple », un groupe sacerdotal qui va s'y agglutiner. La religion prend une allure nouvelle; ce sera une religion de pèlerinage. On aura bientôt l'impression qu'il y a toujours ou un Temple de Jérusalem, et que depuis toujours c'est là que la culte des croyants fut rendu au vrai Dieu.
Mais le Temple est un ouvrage ambigu, et cette ambiguïté pèsera sur toute l'histoire d'Israël. Certes, le « Temple de Salomon », est élevé à la gloire de Dieu, il fera de Jérusalem le grand centre religieux du pays. Seulement, Dieu n'est plus nomade. A David, la prophète Nathan avait dit de la part de Dieu (21 Samuel, chap. 5, vers. 7): « Ai-je dit à un seul des juges d'Israël : Pourquoi ne me bâtissez vous pas une maison de cèdre? » Le résultat le plus inattendu de cette sédentarisation, c'est que Dieu va devenir plus lointain : il faudra aller à Jérusalem pour le trouver. Ensuite, pour construire le Temple, Salomon institue la corvée. Et puis - manque de psychologie - il fait de la corvée une institution durable. Or, on peut demander un service « gratuit » pendant quelques semaines, voire quelques mois. Mais les sept années de construction du Temple seront suivies des treize années de construction du palais : un mois sur trois, chacun devait venir travailler à Jérusalem. En outre il semble bien que la tribu de Juda ait été dispensée de la corvée : ce « privilège » n'arrangera rien. Pareilles erreurs ont entraîné bien des révolutions. Ici, la corvée aura pour conséquence la schisme qui va couper en deux le peuple de Dieu. La seconde erreur de Salomon est une conception trop fastueuse de la royauté : la palais royal est plus vaste que le Temple lui-même. Même devant son Dieu, le roi se veut un grand personnage. En outre il n'a pas de prophète, et c'est un signe grave : nous verrons toujours par la suite que les règnes heureux sont ceux où, comme au temps de David, le pouvoir prophétique tempère le pouvoir royal.
Reste-t-il le 1er lieutenant de Dieu » ?
Cet « oint du Seigneur » qui n'a pas de prophète près de lui, dont le palais est plus grand que le Temple, qui a 700 épouses et 300 concubines, est-il vraiment le lieutenant de Dieu sur la Terre? Il y a une démesure (au sens grec du mot) dans ce règne.
Cette « politique de grandeur » qui dépasse les possibilités de la nation entraîne des impôts très lourds, mais il y a pire : les ouvriers étrangers fabriquent un temple conforme à ceux qu'ils ont vus dans leur pays. Ils se moquent éperdument de ce Dieu pour lequel ils travaillent. Souvenons-nous de la Tente et de l'Arche; on les avait construites au désert, avec des moyens modestes, mais c'était l'oeuvre de gens qui y croyaient. Bien plus, les ouvriers étrangers amènent leurs propres cultes et, autant que les femmes de Salomon, contribueront à l'idolâtrie.
Ce courant d'idolâtrie est finalement imputable en partie au roi lui-même. On lit au chapitre 3, verset 3 : « Salomon aimait Yahvé, il marchait selon le précepte de David son père...mais il sacrifiait et brûlait de l'encens sur les hauts lieux. » A ce moment de l'histoire où le Temple n'est pas encore construit, il n'est pas étonnant que le roi, comme le peuple, sacrifie sur les hauts lieux. Cependant le « mais » s'éclaire au chapitre 11 : « Le roi Salomon aima beaucoup de femmes étrangères. » Ce problème des mariages mixtes reste aigu, comme au temps des Patriarches, parce que ces femmes « détournent les coeurs vers d'autres dieux ». Ce n'est pas la polygamie qu'on reproche à Salomon, c'est l'idolâtrie. Aujourd'hui encore, le mont sur lequel il construisait des temples pour les idoles de ses épouses S'appelle le « mont du scandale ».
Jugé sur sa sagesse et non sur ses erreurs
Certes on doit se méfier des jugements trop sommaires : on n'a pas attendu Salomon pour adorer les faux dieux. Le temps des juges fournit assez d'exemples de tels égarements. Mais ce qui brouille tout, c'est précisément la réputation, de sagesse de Salomon : qu'un mauvais roi élève des temples aux faux dieux, c'est regrettable; mais quand c'est un roi qui a bonne réputation, cela devient le scandale des faibles: tout le monde est entraîné.
Ce n'est pourtant pas sur Ses erreurs que Salomon est jugé par l'histoire. Pas plus d'ailleurs que par l'Ecriture. L'Evangile parle peu de lui, mais il n'en parle que dans des termes élogieux : « Salomon dans toute sa gloire... La reine du Midi se lèvera lors du Jugement... Car elle est venue de l'extrémité de la Terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon... »
Cet éloge est tout de même une belle réhabilitation.
par F. LOUVEL 0. p.
En ce temps-là, la BibleNo 25 pages I-II.