Le procès de Jésus - Un procès d'exception

 

On ne peut comprendre ni expliquer historiquement les circonstances du procès de Jésus sans le situer dans le cadre politique et judiciaire qui était celui de son temps, c'est-à-dire dans la capitale, Jérusalem, d'un pays occupé par les Romains : ceux-ci, à l'époque de Jésus, semblent avoir eu pour but de réduire le rôle des tribunaux juifs, devant lesquels le Christ allait comparaître, et de les soumettre à leurs usages; ils n'étaient bien sûr pas les mêmes que ceux qui étaient inspirés par le texte traditionnel de la Tora.

La justice avait été de tout temps un des attributs essentiels de la morale juive et une des manifestations privilégiées de la vie en société, telle que la concevaient les Juifs. On sait d'ailleurs que le mot hébreu « tsedek », que nous traduisons en français par « justice », signifie à la fois « justice » et « charité », indiquant ainsi, par le vocabulaire lui-même, que la justice véritable comporte le respect d'autrui et se conforme au précepte fondamental exprimé deux fois au chapitre 19 du Lévitique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même" (vers.18)et: «Vous aimerez l'étranger comme vous-mêmes » (vers. 34). On connaît un commentaire rabbinique, recueilli dans le traité intitulé « Sentences des Pères », Pirké Avot, qui prescrit : « Avant de juger quelqu'un, il faut se mettre à sa place. » Un des martyrs d'Israël, un des sages les plus réputés de la tradition juive, Rabbi Akiba, qui fut supplicié par les Romains un siècle après Jésus, allait même jusqu'à prescrire cette règle de jurisprudence : « Quand des juges ont à délibérer sur un cas qui peut entraîner la peine de mort, ils doivent jeûner pendant le jour du jugement. S'ils prononcent la peine capitale, ils doivent porter eux-mêmes le deuil de celui qu'ils ont condamné. »

Tels étaient, en Israël, le respect de la vie humaine et les scrupules religieux qui auraient dû se manifester à l'époque de la Passion. Est-il nécessaire de dire que rien de semblable n'apparaît au cours du procès de Jésus? Il en est plusieurs raisons, mais l'une, d'ordre historique, est que la justice juive se trouvait alors, du fait de l'occupant romain, en perte d'autorité. Au milieu du premier siècle avant notre ère, un général romain, Gabinius, avait supprimé purement et simplement le grand sanhédrin, tribunal national dont la compétence s'exerçait sur toute la Palestine. Il n'avait laissé subsister que cinq sanhédrins locaux, dont l'un résidait à Jérusalem, et les quatre autres dans des villes de moindre importance : Gadara, Hammat, Jéricho et Diocasarea (Sephoris).

De ces cinq tribunaux, celui qui conserve d'abord le plus d'autorité et de prestige, celui qui recueille partiellement l'héritage du grand sanhédrin, est naturellement celui qui siège à Jérusalem, et devant lequel comparaîtra Jésus. Mais encore faut-il constater que les Romains font tout leur possible, pour limiter son pouvoir.

Au cours des années 20 à 30 de notre ère, le sanhédrin de Jérusalem, qui siégeait d'abord à l'intérieur du Temple dans la « chambre de la pierre de taille », est exilé successivement hors de l'enceinte, mais toujours sur la montagne du Temple, au lieu-dit « emplacement du négoce », puis en pleine ville de Jérusalem. Plus tard, d'époque en époque, il sera relégué dans cinq autres villes, dont la dernière est Tibériade.

Sa compétence aussi fut réduite progressivement au profit des tribunaux romains. Quarante ans avant la destruction du Temple, donc vers l'époque du procès de Jésus, le sanhédrin de Jérusalem se vit retirer le droit de connaître des causes comportant la peine de mort, ce qui confirme que le procès du Christ n'était pas de sa compétence. Par la suite, dans les dernières années du premier siècle, les Romains le dépossédèrent aussi des procès civils : la fin de l'autonomie politique de la Judée s'accompagna de la mise en place de nouvelles juridictions créées par l'occupant, encore qu'elles aient dû apprécier selon la loi juive.

Ce Processus historique de satellisation, s'effectuant avec le concours d'un petit nombre de Juifs dociles à Rome, éclaire deux caractères particuliers du drame de la Passion; d'une part, dans cet épisode fondamental de l'histoire religieuse d'Occident, les règles humanitaires de la justice juive ne seront pas appliquées. D'autre part, les usages romains, prévus pour l'ensemble des territoires occupés, prévaudront sur les usages nationaux des pays soumis et, dans le cas particulier, sur les usages juifs.

Le procès de Jésus, situé dans son cadre historique, apparaît donc sous un double aspect : celui d,un procès d'exception, et celui d'un procès de l'occupation.

L'étrange empreinte une confirmation de la remarque de Jean (c. 19, v. 30) : « ... Inclinant la tête, il rendit l'esprit. » Des mesures Précises de la distance linéaire de l'articulation sterno-claviculaire à la bouche indiqueraient que la tête était en effet sensiblement inclinée sur la poitrine, dans une attitude fixée par la rigidité cadavérique..

Si l'ensemble de ces observations ne suffit pas à convaincre que ce suaire est bien celui du Christ, comment ne pas convenir que le supplicié dont il offre l'image subit un sort étrangement identique à celui du divin Crucifié?

On a bien sûr pensé au travail d'un faussaire génial. Mais l'hypothèse est difficilement soutenable. Comment expliquer qu'un homme du Moyen Age ou même de la Renaissance, médecin ou artiste, ait reconstitué avec une telle sûreté les signes physiologiques du supplice, avant et après la mort de la victime, de telle manière qu'ils soient, dans la suite des siècles, vérifiables par une science qu'il ignorait ? Comment supposer, en outre, qu'il ait confié la pleine révélation de son oeuvre à la technique photographique, qu'il ne pouvait soupçonner?

Il appartient sans doute à d'autres techniques, plus modernes encore, de dater, fût-ce à quelques dizaines d'années près, « l'exceptionnelle image» et son support : un sergé de lin en arête de poisson, apparemment analogue à ceux qu'on trouva dans les fouilles de Pompeï ou de Palmyre. La mesure de l'éradiation du carbone 14 dans la matière à examiner, permettrait théoriquement une appréciation avec une marge d'erreur minime : de 5 à 10 %. Peut-être le fait que le procédé entraînerait la destruction d'un important morceau nécessaire pour une telle analyse, explique-t-il bien des hésitations. L'importance de l'enjeu ne vaut-il pas le sacrifice?

Robert Aron

En ce temps-là, la Bible No 75

© En ce temps-là, la Bible