Deux des amis de Job, venus « pour le consoler » et qui n 'y ont guère réussi dans leurs premières interventions, vont à nouveau prodiguer les bonnes paroles dans la seconde partie du livre qu 'on va lire; un autre, qui n 'a pas encore été présenté, parlera lui aussi, et quatre fois sur la même lancée. On se perd facilement dans tous ces propos auxquels le« saint homme» ajoute les siens. Les exégètes de la tradition les ont classés en trois groupes, ou cycles. C'est le troisième qui commence avec le chapitre 22. Le premier va du chapitre 4 au 14 et le second du 15 au 21, et se prolonge jusqu'au 37 si l'on joint aux nouveaux discours d'Éliphaz de Thémân et de Baldad de Shuah celui d'Élihu l'interlocuteur tard venu.
Les thèses que tous ces beaux parleurs développent, avec souvent d'ailleurs une élévation de pensée, voire un lyrisme qu'il ne faut pas minimiser, sont en moins de mots à peu près celles-ci: Dieu ne peut s'empêcher d'être juste (chap. 81 vers. 3: chap. 34, vers. 10-30). Au coupable, le châtiment (chap. 8, vers. 4) ; à celui qui se convertit, le retour à la prospérité (chap. 81 vers. 5-7). C'est la doctrine résultant du témoignage des anciens (chap. 8, vers. 8-1 0: chap. 15, vers. 17 -19). A leur avis, la vertu doit être profitable à qui la pratique (chap . 22, vers. 2-3). Et puisque l'homme reçoit des avantages de la vertu, il doit être châtié s'il commet le mal (chap. 22, vers. 4-5). Job est puni, c'est donc qu'il est coupable (chap. 22, vers. 6-9; chap. 36, vers. 7 -10). Peut-être n'est-il conscient d'aucune faute qui soit proportionnée au mai qui le frappe, mais Dieu seul pourrait lui faire comprendre sa culpabilité mystérieuse (chap. 11, vers. 5-6).
« Que Job se convertisses »
Quelle présomption de sa part que de vouloir contester le bien-fondé des dispositions divines (chap. 11, vers. 7-10) ! Il n'y a qu'une issue pour lui : qu'il se convertisse afin de recouvrer son ancienne prospérité (chap. 8, vers. 21 et suivants ; chap. 11 , vers. 13-19 : chap. 22, vers. 24-30; chap. 36, vers. 16-17). Les malheurs sont la loi des méchants : seule l'attitude de Job envers Dieu peut être la cause de ce qui lui arrive (chap. 1 5, vers. 25-26; chap. 18, vers. 5-6; chap. 24, vers. 21-44). Lorsqu'il se trouve qu un pécheur est heureux, ce ne peut être que pour un temps (chap. 20, vers. 4-5) ; bien»tôt il s'évanouit comme un songe et disparaît en pleine prospérité (chap. 20, vers. 7-11). Le châtiment et l'anéantissement du coupable seront suivis d'une vengeance divine atteignant ce qui survit de lui (chap. 27, vers. 14-17). En tout cas Job aggrave son cas par ses plaintes et ses protestations (chap. 34 à 36).
Leur caractère perce dans leurs propos
Les trois compères qui ont ouvert le colloque ont plus d'un trait commun. Leur bonne intention d'abord. On ne peut douter que leur but bien réel soit d'amener Job à une conversion qu'ils estiment nécessaire. Tous trois aussi donnent l'impression d'avoir appris des leçons bâties sur une enfilade de proverbes, et qu'ils débitent par coeur. Ils ont mis le monde moral en fiches sous différentes rubriques et, pour eux, tout événement doit entrer de gré ou de force dans les catégories classiques.
Chacun cependant à sa personnalité : Éliphaz semble déjà vieux, car il invoque volontiers son expérience (chap. 4, vers. 8; chap. 5, vers. 3; chap. 15, vers. 17). Il croit aux pressentiments et aux songes : il en a eu (chap. 4, vers. 12 -15). Il se fait une haute idée de Dieu (chap. 5, vers. 8-16; chap. 15, vers. 8-16, chap. 22, vers. 1-3). Il a longtemps réfléchi aux problèmes de la vie morale et ne croit guère à la vertu des hommes (chap. 22 vers. 6-20, chap. 15, vers. 12-16). Le Tout-Puissant fait ses délices (chap. 22, vers. 25-26), mais il ne dédaigne aucun des biens que peut lui valoir le service divin (chap. 22, vers. 27-30). En somme, il est pieux, quoique intéressé. Baldad est probablement plus jeune (chap. 8, vers. 9). Son éloquence est plus cinglante (chap. 18 vers. 1-4). Il est peut-être le meilleur poète des trois, comme le laisse apparaître la grande fresque qu'il trace (chap. 26, vers. 5-14). Il semble surtout admirer en Dieu le déploiement de la force, le pouvoir d'ébranler « les colonnes du monde » (chap. 26, vers. 11 »12). Il a moins qu'Éliphaz le sens des nuances. Il méprise le méchant qui se laisse prendre au lasso de Dieu (chap. 18, vers. 5-10). Le caractère de Sophar offre un curieux mélange de profondeur et de cynisme. Il commence par insulter Job (chap. 11, vers. 1 -3), poursuit par l'évocation de la sagesse divine (chap. 11, vers. 4-12), et finit par un appel à la conversion des plus intéressés (chap. 11, vers: 13-19). Si le méchant reste impuni, ses fils devront indemniser les pauvres (chap. 20, vers. 10-20). Des trois amis, il paraît pourtant le plus terre à terre, avec ses allusions réalistes (chap. 20, vers. 12-15) et sa complaisance aux images tirées des tristes exploits du goinfre (chap. 20, vers. 17-23).
Un « lourdaud », mais remarquable logicien
Quant à Élihu, le « quatrième » ami, d'aucuns n'ont pas hésité à le qualifier de « lourdaud ». Son manque d'éducation, l'outrecuidance avec laquelle il se targue de sa jeunesse, sa véhémence intempestive, son goût de l'apostrophe, peuvent justifier ce juge»ment. Mais à vrai dire, il est un remarquable logicien , compte tenu de la tragédie qu'il prétend dé»nouer, c'est du reste une faiblesse plutôt qu'une force. Il se sent inspiré et ne se fait pas faute de le dire (chap. 32, vers. 18), allant jusqu'à se présenter lui-même comme nettement supérieur à tous ceux qui se sont exprimés avant lui (chap. 32, vers. 7-16). Sa prétention le rend quelque peu ridicule, d'autant que son argumentation, qui se voulait tellement prometteuse, n'apportera finalement au ténébreux problème pas une lueur de plus, ni ne fera avancer d'un pas vers la solution. Il se prétend original (chap. 32, vers. 14), mais il se contente de courir à son tour sur des sentiers battus (chap. 34, vers. 10-12, chap. 35, vers. 10-16; chap. 36). Après avoir distribué des blâmes à tous, il reprend les thèses de chacun, si bien que sa tentative apparaît un effort ultime et infructueux de l'intelligence humaine pour discerner les voies impénétrables de Dieu. L'incise que constitue le chap. 28 et la finale de l'intervention d'Élihu (chap. 36, vers. 22; chap. 37, vers. 24), toutes deux consacrées à magnifier la sagesse divine, amènent à cette conclusion.
P. CRISOLIT
En ce temps-là, la BibleNo 43 page IV.