LA SIGNIFICATION SPIRITUELLE DES FÊTES JUIVES

(suite)

Célébration de la Pâque

 

par André BOULAGNON

 

La célébration du seder commence toujours par la bénédiction du vin (Quiddouche), dont la première des quatre coupes a été remplie.

Carpass
Le chef de famille prononce une bénédiction et distribue du persil après l'avoir trempé dans l'eau salée.

Ya'hats : partage de la matsah (singulier de matsoth)
Le chef de famille élève bien haut le plateau contenant les matsoth (pain sans levain ; cf. le n° 1981-5) et le fait passer trois fois au-dessus de la tête des membres de l'assistance.
Après cela, il prend le pain azyme du milieu, le Lévi, qui est l'objet d'une attention toute particulière. Cette matsah est bénie, soulevée pour bien la montrer aux assistants, puis finalement partagée en deux parties inégales :

- la plus petite est remise dans le plat entre deux serviettes blanches ;
- la plus grosse est enveloppée dans une serviette immaculée puis posée sur l'épaule du chef de famille qui la porte comme si c'était un lourd fardeau ;

ensuite, elle est cachée, soit à l'extrémité de la table sous la nappe, soit sous un coussin à proximité du chef de famille ; cette partie de la matsah ne reparaîtra qu'à la fin du seder pour être le dernier aliment du repas

Cette partie de la matsah s'appelle «aphikomen», seul mot qui ne soit pas d'origine hébraïque parmi tous ceux qui sont prononcés pendant le repas de la Pâque. Ce mot d'origine grecque signifie littéralement : «je suis venu» ; cette expression est à elle seule tout un symbole.

« Je suis venu au nom de mon Père, a dit Jésus. Si vous croyiez en Moïse, en qui vous avez mis votre espérance, vous me croiriez aussi car il a écrit à mon sujet » (Jn 5 : 43-46).

Jésus, matsah rompue, était annoncée par le prophète Esaïe, dans le chapitre 53 de son livre. Il faut se rappeler la parole surprenante de Jésus la nuit où il rassembla ses disciples dans la chambre haute pour prendre avec eux le dernier souper de la Pâque :

« Prenez, mangez : ceci est mon corps qui est rompu pour vous ; faites ceci en mémoire de moi» (Mt 26 : 26-28; Lc 22 :14-18).
Tout a été tellement singulier dans ce repas avec Jésus ! Les disciples ne se doutaient pas qu'ils vivaient des minutes d'éternité ! Celui que la liturgie juive appelle de ce nom mystérieux d'aphikomen est déjà venu se livrer, de son plein gré, pour être immolé, tel un agneau innocent et sans tâche, afin que nos péchés soient effacés et que nous soyons purifiés... Ainsi, les Israélites annoncent à leur insu, lors de chaque seder annuel, la mort du Serviteur de l'Éternel, le Saint et le Juste.

Maguide : narration
À ce moment de la célébration pascale, le chef de famille élève le zéroah (os) ainsi que l'oeuf posé sur le plateau, et il commence la narration de l'esclavage des ancêtres en Égypte.
Après que le plateau sur lequel se trouve l'os et l'oeuf ait été reposé, la seconde coupe de vin est remplie et le plus jeune des assistants doit poser quatre questions. Il représente tour à tour quatre types d'enfant : le sage, le méchant, le simple ou naïf et celui qui ne sait pas poser des questions.

Suivent une explication midrachique de Deutéronome 26: 5 à 8 et le rapport des dix plaies d'Égypte.
Une bénédiction est prononcée tandis que la seconde coupe est bue.

Rahats
Tous les assistants procèdent à une ablution de leurs mains et une bénédiction est prononcée.

Motsi-Matsah : bénédiction sur les matsoth (les pains azymes)
Après cette bénédiction,, on casse Lin morceau de chacune des deux matsoth supérieures (le Cohen et le Lévi) et toute l'assistance en reçoit un bout.

Maror : bénédiction sur les herbes amères
Le chef de famille prend un morceau de matsah enveloppé de laitue ou de céleri et le trempe dans le « haroseth » (substance faite de compote de pommes et de noix ou d'amandes, qui symbolise l'argile utilisée par les Israélites pour fabriquer les briques destinées à la construction des villes et forteresses égyptiennes). Une bénédiction est prononcée et ce morceau trempé est mangé.

« En vérité, en vérité, je vous le dis, l'un de vous me livrera» dit Jésus (Jn 13: 21). Dans l'intimité de la chambre haute (le Cénacle), Jésus ne pouvait pas garder plus longtemps secrète la trahison de l'un de ses disciples. À la question de Jean «Seigneur, qui est-ce ?», Jésus répond « C'est celui à qui je donnerai le morceau trempé ». « Et ayant trempé le morceau, il le donna à Judas l'lsh-Karioth (l'homme de Karioth). En tendant à Judas le morceau de salade trempé dans le haroseth, Jésus jouait, en somme, le prologue du drame de sa passion. « Judas ayant pris le morceau se hâta de sortir. Il était nuit » (Jn 13 : 30). Auparavant, Jésus lui avait dit «ce que tu fais, fais-le promptement ».

Koreth : souvenir de Hillel
On enveloppe un petit morceau de raifort entre deux morceaux du matsah de dessous (l'Israël) et on mange le tout.

Le repas du soir est, ensuite, servi. À la fin, l'aphikomen est sorti de sa cachette ; on en mange un petit morceau et chacun dit alors « Souvenir de l'agneau ! ».

Comment ne pas être émus, remués au plus profond de nous-mêmes! Comment ne pas penser à la rencontre poignante de Jésus avec Yohanan ha Matbil (Jean l'immergeur ou le baptiste) qui, sous l'inspiration de l'Esprit Saint, s'est écrié : « Voici l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde».
La troisième coupe (la coupe de bénédiction) est ensuite remplie et quatre bénédictions spéciales sont récitées. Les assistants boivent la coupe et quelqu'un doit ouvrir la porte d'entrée ou celle de la pièce dans laquelle se déroule la cérémonie de la Pâque pour que le prophète Elie puisse entrer s'il se présente.

C'est à ce moment-là que Jésus prit une coupe et après avoir rendu grâces, il la donna à ses disciples en disant «Buvez en tous, car ceci est mon sang qui est répandu pour vous» (Mt 26 : 28 ; Lc 22 : 20). Et les disciples ont bu sans se rendre compte qu'en cette minute solennelle, une nouvelle alliance (berith hadaschah) s'établissait entre Dieu et les hommes (Jr 31 : 31).

Hallel
La quatrième coupe de vin est remplie et on termine en chantant les Psaumes 115, 116, 117, 118: 21-24 et le grand hallel 136. Les assistants boivent et prononcent la bénédiction sur le vin en se souhaitant les uns aux autres «I'an prochain à Jérusalem ! »

Le repas de Jésus avec ses disciples s'acheva sur une dernière bénédiction de Jésus : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix... que votre coeur ne se trouble point et ne s'alarme point !» Puis après avoir chanté les cantiques (hallel), Jésus et ses disciples se rendirent à la montagne des Oliviers (Mt 26 : 30; Mc 14: 26 ; Lc 22 : 39).
Année après année, depuis près de trente cinq siècles, les juifs répètent cette histoire avec une immuable régularité.
La Pâque, qui rappelle la délivrance d'Égypte, est annonciatrice d'une délivrance plus grande encore, de la rédemption accomplie par Jésus. Reportons-nous, en esprit, dans la chambre haute où Jésus a mangé la Pâque avec ses disciples : la pleine signification de la délivrance d'Israël du pays d'Égypte y est dévoilée. L'Agneau de Dieu est là dans la personne de Jésus lui-même, qui est sur le point de verser son sang sur la croix afin que tous ceux qui croiront en lui soient délivrés de l'esclavage du péché.

Il faut se rappeler

- l'aphikomen et son symbole, surprenant témoignage au corps brisé du Messie, le Seigneur Jésus qui est venu, et à sa résurrection ;
- les diverses coupes de vin rouge, quatre au total, qui symbolisent le sang de l'agneau par lequel les enfants d'Israël ont été sauvés de la mort.
Jésus a bu de ce vin après l'avoir béni et distribué à ses disciples en disant: « cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; toutes les fois que vous en boirez, faites ceci en mémoire de moi» (1 Co 11 : 25).
Jésus est la réalité dont l'agneau pascal n'était qu'une représentation préalable. « Célébrons donc la fête (la Pâque) non avec du vieux levain, non avec le levain de la malice et de la méchanceté, mais avec les pains sans levain de la pureté et de la vérité» (1 Co 5 : 8).

S'il y a des analogies précises entre le rituel pascal juif et la sainte Cène instituée par Jésus le Messie, il y a aussi des différences importantes. Jésus a voulu marquer le caractère nouveau de ce repas où l'agneau est celui qui a donné son corps et son sang, où la délivrance en cause est celle de toutes les puissances de ténèbres et de la mort, où l'espérance est celle du Royaume de Dieu.
Seul, Jésus est l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde et communique la vie nouvelle : la grâce est accordée par le Saint-Esprit et la chair est purifiée de ses oeuvres comme d'un vieux levain.

Prenons garde d'oublier que la Pâque des chrétiens présente des éléments communs avec celle des juifs, mais sachons aussi que des différences existent et expliquent la difficulté des rapports entre Juifs et Chrétiens : pour nous, Jésus est le Messie qui nous a acquis la vraie délivrance, le salut, par le sacrifice de sa vie, par sa mort et par sa résurrection.

A. B.

(A suivre)

© Fac-Réflexion No 6 1981