Halloween est une fête nocive pour l'imaginaire des enfants

 

Depuis le milieu des années 1990, la fête de Halloween s'est acclimatée sous nos latitudes. Pur produit commercial importé des Etats-Unis et artificiellement planté en Europe, Halloween et son cortège de citrouilles et de sorcières ont rencontré un succès fulgurant, avec une large bénédiction sociale. Quelques protestations critiques se sont élevées ici ou là, provenant essentiellement d'ecclésiastiques chagrins, mais elles ont été étouffées par le joyeux brouhaha des squelettes en folie. Aujourd'hui, un jeune philosophe et critique littéraire français s'insurge contre cet impérialisme des potirons qui a balayé les chrysanthèmes de la Toussaint. Il vient de publier un livre* dérangeant et décapant sur Halloween, qui lui vaudra certainement quelques malédictions de cucurbitacées courroucées.

Le Temps: Damien Le Guay, vous écrivez: «La Toussaint se meurt; vive les citrouilles et la fête des squelettes.» Pourquoi une telle animosité à l'égard de Halloween, fête qui semble somme toute assez inoffensive?

Damien Le Guay: Je n'éprouve aucune animosité à l'égard de Halloween, et je n'ai aucune intention de tuer des citrouilles ni de mettre en prison des sorcières. Mon propos se veut polémique et ironique, il est un appel à la réflexion sur les enjeux de cette fête qui apparaît comme un symptôme de certains dérèglements de nos sociétés contemporaines.

- Dans votre livre, vous regrettez le fait que Halloween soit en train de supplanter la Toussaint. Qu'est-ce qui vous permet d'affirmer cela?

- Je ne regrette rien, je constate. Je ne défends pas la Toussaint, je regarde la nocivité de Halloween. Cela dit, en termes de calendrier, il y a un effet de recouvrement de la Toussaint par Halloween, comme un navire qui serait submergé par une énorme vague. Cela est dû au battage médiatique qui est très fort, à de puissantes opérations marketing, relayées par l'école et d'autres institutions, comme la poste en France qui a créé un timbre spécial à l'effigie de la citrouille de Halloween. Cet effet est tel qu'en France, certains enfants ne parlent plus des vacances de la Toussaint, mais de celles de Halloween.

- Vous estimez que Halloween est une fête nocive. Pourquoi?

- Je ne dis pas qu'elle est novice, je dis qu'elle comporte des éléments de nocivité dissimulés. Cette fête a des conséquences sur l'imaginaire des enfants. Premièrement, elle donne l'idée que l'univers est régi par des forces occultes contre lesquelles l'enfant ne peut rien, et que tout est décidé par avance. Dans cet univers où règne la fatalité, l'homme n'est qu'un jouet ballotté par des entités tutélaires magiques. Il est difficile de faire comprendre aux enfants qu'ils sont libres, libres d'agir et de prendre en main leur vie.

Ensuite, Halloween dénature l'apprentissage indispensable de la mort. Elle lui enlève son caractère tragique, lui confère un anonymat et en fait un objet d'amusement. Halloween invite à prendre la mort au second degré. Or, les enfants ont un travail imaginaire important à faire pour juguler leurs angoisses existentielles. Mais plus on est dans l'anonymat et dans le second degré, plus on prolonge ce que l'historien Philippe Ariès appelle la «mort interdite». Par ailleurs, n'oublions pas que Halloween véhicule des éléments religieux liés au culte de Samhain pratiqué par les Celtes et donc aux anciennes religions primitives. Dès lors, même si on en parle au deuxième degré et qu'on affirme ne pas y croire, la puissance spirituelle de la magie reste active.

Quant à la Toussaint, elle propose un type d'apprentissage de la mort diamétralement opposé. Elle donne à la mort un visage, qui peut être celui de proches décédés ou des saints, et elle offre à l'enfant la possibilité de s'inscrire dans une histoire des vivants et des morts qui le concerne. On devrait créer un «principe de précaution imaginaire», de même qu'on applique un principe de précaution alimentaire en abattant des millions de vaches dites «folles».

- N'est-il pas dangereux de vouloir ainsi régenter l'imaginaire des enfants?

- Il n'est pas question de remettre en cause la nature de l'imaginaire des enfants, qui a toujours été peuplé de monstres et de fées, mais de protéger la qualité de cet imaginaire. Aujourd'hui, la frontière entre l'imaginaire et le réel est floue. Halloween flatte le sentiment de toute-puissance de l'enfant au lieu de le canaliser. Il lui laisse croire qu'il peut jeter un sort à l'adulte qui lui refuse des bonbons. Nous ne sommes plus ici dans la logique du don, mais dans celle du chantage. Nous savons, avec Bruno Bettelheim, que l'imaginaire est nécessaire aux enfants pour canaliser leurs angoisses. Je m'interroge sur la capacité qu'a l'enfant, flatté par Halloween, de bien faire la part des choses. Ne sommes-nous pas en train de gommer, de plus en plus, cette frontière indispensable entre l'imaginaire et le réel? Ce flottement des frontières, Freud le nommait «l'inquiétante étrangeté».

- La fête de Halloween ne dure qu'un jour. Est-ce suffisant pour flatter durablement ce sentiment de toute-puissance?

- Elle ne dure qu'un jour, certes, mais elle est préparée depuis un mois. Il y a la fête en tant que telle, et puis il y a tout ce qui l'annonce. Avec Halloween, nous sommes dans un univers de sorcellerie et de magie, qu'on retrouve dans tous les feuilletons américains regardés par nos enfants, comme Buffy, Charmed ou Dark Angels. Halloween, de ce point de vue-là, est un élément symptomatique de cet univers de néo-paganisme ambiant.

- Vous critiquez l'insertion d'une nouvelle fête dans le calendrier. Quel mal à cela?

- Depuis un peu plus d'une dizaine d'années, on assiste à la greffe sur notre calendrier d'un nombre incalculable de fêtes qui ne fêtent rien. On fête tout pour oublier le vide. Il s'agit d'une fuite en avant. Cette sociabilisation à outrance participe de ce que Bernanos nommait «une conspiration contre la vie intérieure». Comme l'alcool, ces réjouissances artificielles sont une façon de quitter le réel plutôt que de chercher à le comprendre, de fuir le concret plutôt que de le prendre à bras-le-corps.

- Halloween serait-elle plus nocive en Europe qu'aux Etats-Unis, où elle est fêtée depuis plus d'un siècle?

- Comparaison n'est pas raison. Les configurations religieuses d'un côté ou de l'autre de l'Atlantique ne sont pas du tout les mêmes. Aux Etats-Unis, contrairement à ce qui se passe en Europe, la religion a droit de cité, elle n'est pas reléguée dans le seul espace privé. La stratégie de la dérision n'y est pas du même ordre et ne pourrait pas s'appliquer à la religion chrétienne.

Damien Le Guay, «La face cachée de Halloween», Cerf, 162 p.

(LeTemps.ch) ajouté le 28/10/2002

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