Source: Pompignane

Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement...

 

Napoléon ROUSSEL

 

Lisez l'épître aux philippiens 2

Nous voudrions consacrer toutes ces méditations à l'édification directe de ceux qui les parcourent ; et cependant de temps à autre nous nous voyons contraint en quelque sorte à changer de terrain pour entrer, comme aujourd'hui, sous celui de l'explication d'un passage difficile. Mais nous supplions ceux qui nous écoutent de se rappeler que la science acquise pour elle-même enfle le coeur, et qu'il n'est utile de savoir qu'afin de pratiquer.

Les uns soutiennent que le salut vient de la grâce de Dieu, et ils citent ces paroles : " C'est Dieu qui produit en vous le vouloir et l'exécution ". D'autres affirment que le salut vient des oeuvres de l'homme, et amène en preuve ces mots : " Travailler à votre salut avec crainte et tremblement ".

Il faut le reconnaître de part et d'autre, ces deux citations semblent venir chacune parfaitement à l'appui de l'une des deux doctrines contraires, et nous comprenons que de part et d'autre on les présente de bonne foi. Cependant la Bible ne peut se contredire : si l'une de ces deux paroles est bien comprise, l'autre l'est mal ; mais laquelle ? C'est ce que nous allons bientôt découvrir.

Remarquez d'abord une circonstance qui doit encore augmenter votre étonnement : ces deux passages se touchent dans l'épître, ou plutôt ils ne font qu'un seul, que voici :

" Travailler à votre propre salut avec crainte et tremblement, car (remarquez ce mot) CAR c'est Dieu c'est Dieu qui produit en vous avec efficace le vouloir et l'exécution selon son bon plaisir ".

Le lien entre ces deux idées ne vous semble t-il pas étrange ? Pourquoi travailler avec crainte et tremblement, puisque Dieu est là pour faire fructifier le travail de nos mains ? Cette objection est fondée, ce raisonnement est juste, oui, juste dans le coeur de celui qui pourrait dire aussi : " Restons dans le péché, afin que la grâce abonde ". Mais ce n'est pas à cet homme que s'adresse saint Paul : c'est à ses chers Philippiens, c'est à Lydie, dont l'Esprit Saint avait ouvert le coeur pour la rendre attentive à sa parole ; c'est au geôlier, qui, tout tremblant, avait dit : que faut-il que je fasse pour être sauvé ; c'est à ces chrétiens touchés de l'amour de Christ et pleins du Saint Esprit que s'adresse l'apôtre. Ainsi tachez de vous mettre à leur place, efforcez-vous de revêtir ces saintes dispositions qui font dire au commencement du chapitre :

" S'il y a quelques consolations en Christ, s'il y a quelque soulagement dans la charité, s'il y a quelque affection cordiale et quelque compassion, rendez ma joie parfaite, étant en bonne intelligence, ayant une même charité, étant bien unis ensemble, ayant les mêmes sentiments ; " écoutez avec un coeur ému de reconnaissance et de foi, et vous comprendrez les rapports de sentiments que saint Paul établit entre deux pensées en apparence discordantes.

Voici :

Si vous aviez un roi pour hôte dans votre demeure, ne croiriez-vous pas devoir être encore plus actif que d'ordinaire pour tout tenir en bon ordre ? Si ce monarque, descendu dans votre maison, se plaçait à vos cotés pour accomplir votre tâche, ne vous sentiriez-vous pas aiguillonnés par sa présence ? S'il plaçait entre vos mains un royal et puissant instrument pour rendre vos propres efforts efficaces, ne vous croiriez-vous pas chargés d'une plus grande responsabilité par cela seul que vous agissez avec le secours de votre roi ?

Eh bien, de même Paul vous rappelle que Dieu est près de vous ; qu'il vous a donné pour agir les forces de son Saint-Esprit, et, afin que vous sentiez mieux la grandeur de ces privilèges, il vous dit : pourriez-vous négliger de tels secours ? Seriez-vous lâches quand Dieu est là ? Bien au contraire ! Puisque l'oeuvre est soutenue de Dieu, elle ne risque plus d'être vaine. Celui qui sème, incertain s'il recueillera, peut travailler languissamment ; mais vous, vous êtes assurés de la récolte : Dieu laboure et sème avec vous.

Courage donc, courage, et prenez garde de mépriser le concours d'un tel ouvrier ; ce serait l'insulter que de négliger les ressources qu'il vous donne ; une crainte filiale convient en présence de Dieu, et un saint tremblement sied bien à celui qui ne voudrait pas laisser perdre la plus légère faveur d'un tel compagnon d'oeuvre.

Ainsi compris, ce passage n'est-il pas simple, naturel, beau, sublime ? Oui, sans doute ; car il vient du coeur et ne peut être apprécié que par le coeur. Bien malheureux celui qui ne le sentirait pas ainsi ; car il manquerait encore l'élément d'amour que le Saint-Esprit dépose dans l'homme pour en faire un chrétien.

En agissant de la sorte, nous ne serons pas des enfants de Dieu, comme le dit ensuite l'apôtre, uniquement pour la raison que nous ferons des oeuvres selon la volonté de Dieu ; mais nous serons encore ses enfants dans ce sens que nos oeuvres viendront de lui, seront encore ses enfants dans ce sens que nos oeuvres viendront de lui, seront accomplies par ces forces en nous ; nos oeuvres seront les siennes, ou plutôt nous serions son oeuvre, ses créatures, ses enfants.