Deuxième Forum protestant 9 et 10 novembre 1990, Berne... ou: « La stratégie des petits pas »
Organisation et thème
Organisé par l'Alliance Évangélique Suisse (AE), la Fédération des Eglises protestantes de la Suisse (FEPS), la Fédération romande d'Églises et Oeuvres évangéliques (FREOE), l'Association d'Églises libres et Communautés évangéliques en Suisse (VFG), la Société Biblique suisse (SB), ce Forum, qui avait pour thème: «Évangélisation - La Suisse, terre de mission», se présentait comme le prolongement du premier Forum (Berne, 24 et 25 septembre 1988), axé sur le même sujet. Ce deuxième Forum était censé clarifier certaines notions théologiques, par exemple celles de «Salut et Conversion», où de nettes divergences étaient apparues lors du premier Forum. Il devait aussi apporter une évaluation sur les deux conférences missionnaires internationales de San Antonio (Oecuménique - COE) et de
Manille (Evangélique - Comité de Lausanne), qui avaient eu lieu entre temps (Printemps et début de l'été 1989).
But
Le but clairement énoncé du Forum était «la compréhension réciproque et l'encouragement à la collaboration». Du côté de la FEPS en tout cas, élément moteur de ce rassemblement, on s'attendait à des résultats concrets, à certaines avancées vers une forme de collaboration. Preuve en soit ce passage de la recommandation qui clôt «le Résumé des résultats» du premier Forum protestant:
«Les participants au Forum protestant étaient unanimes à désirer que cette première rencontre ait une suite. Ils ont demandé aux organisateurs d'examiner comment ce voeu pourrait être réalisé. Une seconde rencontre devrait être préparée avec soin. Nous devrions essayer de formuler ce qui nous unit - la base de notre foi commune. Il faudrait en même temps élaborer des propositions de «pas» communs.
Chaque autre pas que nous ferons ensemble implique que nous nous sachions engagés les uns envers les autres... » (p.5, point 12, sous Recommandation. C'est nous qui soulignons).
Logique de collaboration et pression oecuménique
Il est donc évident que, dès le premier Forum, des «pas communs» - une forme de collaboration - ont été envisagés. On a voulu mettre en marche, entre églises protestantes oecuméniques et communautés évangéliques, une « logique de collaboration», pour ne pas dire une dynamique.
Rien d'étonnant, par conséquent, que deux ans plus tard, au deuxième Forum, malgré le cafouillage théologique qui a caractérisé certains des ateliers (au point que l'on a même parlé de «disputes»), malgré les très maigres résultats qui en sont sortis en matière de convergences doctrinales, l'on ait perçu, tout au long de la séance plénière finale, une pression courtoise, mais ferme et insistante, pour des suites concrètes.
Le président du Forum, M. Lukas Vischer de la FEPS, a posé une question significative: «Combien de temps le Forum évangélique peut-il s'occuper de théorie? Peut-on passer à la phase de la réalisation ? »
En guise de suites concrètes, on a suggéré des rencontres régionales, soigneusement préparées, un troisième Forum... (jamais deux sans trois!)
Avec une base théologique admise dès le départ - elle a d'ores et déjà été jugée «suffisante» selon M. Vischer, bien qu'elle se réduise à la confession de la seigneurie de Jésus-Christ, en qui Dieu s'est révélé - ce troisième Forum devrait permettre à des chrétiens de tous les bords de travailler ensemble, après s'être donné des buts communs.
C'est l'atelier No 1, sur « Évangélisation - La Suisse terre de mission», atelier au rôle stratégique - le programme ne le cache pas d'ailleurs - qui a élaboré cette proposition... Aucun hasard non plus si M. Lukas Vischer, figure hautement oecuménique, avait un rôle d'animateur dans cet atelier. «The right man in the right place ».
Réactions du côté de la FREOE
La pression exercée en vue de prolongements pratiques du Forum - le premier serait une conférence nationale sur la formation de responsables dans les médias, le bureau de la FEPS pouvant servir d'outil de collaboration - était si sensible qu'elle suscita l'intervention de deux délégués de la FREOE. Norbert Valley, d'abord, rappela avec beaucoup d'à-propos qu'un Forum était un lieu d'échange et non de décision. Un peu plus tard, ce fut au tour de Samuel Dind, président de la FREOE, de donner un sérieux coup de frein. Reprenant les propos de son collègue, il insista sur le fait qu'un Forum, par sa nature même, ne peut pas prendre de résolutions. Avec netteté, il rappela que la FREOE, avant le Forum, avait fait connaître ses positions - à savoir qu'un Forum ne nous lie pas - et que, par conséquent, il n'avait pas le droit de s'engager pour elle.
Processus d'unification et volonté d'unité
Cela montre à l'évidence, pour ceux qui en douteraient encore, que ces Forums ne sont pas, dans l'esprit des responsables protestants oecuméniques, de simples lieux de discussion où l'on apprend à se découvrir et se connaître mutuellement. Non! Ces Forums font partie d'un projet bien défini, conscient, manifeste, d'unification, où la volonté d'unité apparaît au grand jour. En ce moment, cette volonté se sert du thème très porteur (comme on dit) de l'évangélisation de notre pays. 'Lapproche du 700e anniversaire de la Confédération facilite aussi grandement les choses, car le Jubilé est une invite à l'action commune, au témoignage commun. Preuve en est cet autre atelier stratégique du deuxième Forum: «Jubilé de 1991 - Comment voyons-nous notre responsabilité commune? » Tout montre d'ailleurs que la FEPS ne peut pas accepter qu'il n'y ait pas de « culte en commun » lors du Jeûne Fédéral de 1991. La volonté de rallier à tout prix les Évangéliques - qui n'ont pas consenti à un culte en commun - perce dans la suggestion faite par Lukas Fischer, lors de la réunion plénière de clôture, d'avoir une rencontre en rapport avec la célébration du Jubilé.
Manipulation des évangéliques
C'est à propos de la négociation sur le Vietnam qu'Henry Kissinger - négociateur pour les U.S.A. - avait évoqué la stratégie des «petits pas». De petits en petits pas... on peut gagner ou perdre beaucoup de terrain. Le propre Kissinger a dû s'en rendre compte, à ses dépens!
Qu'ils le veuillent ou non, qu'ils le sachent ou non, en se prêtant à l'organisation de tels Forums, les Évangéliques lâchent de plus en plus de terrain. En revanche, d'un pas à l'autre, les Oecuméniques en gagnent. La preuve est vite faite: au premier Forum, la FREOE n'avait qu'un rôle d'observateur. Au deuxième, elle était partie prenante... Si la proposition pour un troisième Forum se concrétise, que se passera-t-il ?
J'ai suivi ce Forum en qualité d'observateur individuel, une participation effective étant déjà, à mon sens, un acte d'association et de communion. En effet, la lettre d'invitation parlait de «la confession en commun de Jésus-Christ, Dieu et Sauveur» (base théologique du C.O.E. en 1948, à Amsterdam). Et le Forum se terminait par un culte, indubitablement un acte de communion.
C'est le coeur serré que lors de l'examen final des résultats, et à l'énoncé des thèses ou propositions élaborées par l'atelier-clé No 1, j'ai vu se dessiner la manoeuvre feutrée, mais efficace, à l'adresse des Évangéliques. Des Évangéliques mous, disons-le, à deux exceptions près, les délégués de la FREOE. Et, de plus, inconséquents et incohérents, car, bien que confrontés sur place par des désaccords doctrinaux, et témoins directs de la cacophonie théologique, ils se laissent quand même piéger, manipuler par le langage et le verbiage de l'unité... Et il n'y a pas d'unité! (Cf. Jérémie 6:14). Coûte que coûte (quitte à faire peu de cas de précieuses convictions bibliques) il faut marcher, oeuvrer, travailler « ensemble». Quelle folie! Pour la raison et pour la foi.
Quant aux divergences, même fondamentales, on a appris, non pas à les nier, mais à les dépasser. Et ici, c'est l'art de la synthèse qui intervient. La synthèse est une démarche de pensée, une méthode de raisonnement. Elle consiste, après une discussion comme celle que l'on a dans les ateliers, ou à la fin d'un Forum, à rapprocher les points de convergence. Et à partir de là - parfois du plus petit commun dénominateur - à proposer un pas de plus, un pas en avant.
À l'occasion des Forums, les Oecuméniques, passés maîtres dans l'art de la synthèse, outil idéal pour la manipulation des esprits, montrent pratiquement aux Évangéliques ce qu'il faut faire des divergences: jamais ne s'y arrêter, jamais ne se laisser arrêter par elles, mais les dépasser. Le mouvement «dialectique» doit l'emporter.
Écoutez plutôt: «Mais même si nous ne sommes pas d'accord aujourd'hui sur bien des points, Christ nous invite à cheminer ensemble dès maintenant. C'est seulement en travaillant et en témoignant ensemble que nous ferons l'expérience de la communion en Christ et que nous pourrons l'approfondir» (point 3 du Résumé des résultats du premier Forum protestant, septembre 1988).
Ne serait-ce pas là un tissu de mensonges pieux? Des mensonges auxquels on finit même par croire, cf. Il Thessaloniciens 2:11-12.
Conclusion
Pour nous, évangéliques, c'est l'heure de nous réveiller enfin du sommeil. Face au danger très réel de nous laisser prendre irrémédiablement dans «l'engrenage» de l'unité sans la vérité», chacun de nous devrait adresser à Dieu cette prière: «Sonde-moi, ô Dieu, et connais mon coeur! Éprouve-moi, et connais mes pensées! Regarde si je suis sur une mauvaise voie et conduis-moi sur la voie de l'éternité.» (Psaume 139:23-24)
Paul-André Dubois
La Bonne Nouvelle No 1 / 1991
Note:
Pour le premier «Forum Protestant», voir «La Bonne Nouvelle» 2/1989, pp. 23-26.