EPREUVES ET TENTATIONS
La vie offre à nos pauvres méninges plus d'un problème à résoudre. Parfois, le casse-tête est complet, il devient mystère. Rien ne nous empêche, à priori, de nous attaquer à l'inexplicable. Pour ne l'avoir pas toujours fait, des hommes se sont privés d'une véritable bénédiction, d'un mieux-être. D'autres, au contraire, pour avoir prétendu résoudre tous les mystères, se sont livrés à une exploration effrénée, sans plus tenir compte de leurs limites. La première de ces attitudes extrêmes peut engendrer le fatalisme et l'obscurantisme, la seconde, l'ésotérisme et l'occultisme.
A bien des égards, les multiples « dérèglements» qui affectent notre belle mécanique humaine demeurent mystérieux. Comment expliquer la souffrance, ou l'irrésistible pulsion qu'on nomme désir et qui nous pousse parfois à détruire? D'un côté l'épreuve, de l'autre la tentation. Nous ne proposerons ici aucune solution nouvelle à ces délicates énigmes! Mais notre réflexion se nourrira simplement de ce que la Bible nous révèle sur ces lieux obscurs; car nous croyons que Dieu, par les écrits inspirés, a voulu nous aider à comprendre une partie du mystère.
Le tentateur
Si la Bible ne contenait pas le livre de Job, nous serions privés d'une bienfaisante explication. Pourtant, si le pauvre Job, un homme intègre - toujours soucieux de se détourner du mal - nous aide à comprendre qu'un « juste» peut aussi souffrir, il nous laisse sans réponse devant l'étonnante intrigue: Dieu permet à Satan d'éprouver un homme qu'il agrée. Mystère, encore.
Pour la plupart de nos contemporains, le diable passe pour n'être qu'une fiction, le produit de l'imaginaire, aujourd'hui relégué aux oubliettes moyenâgeuses. La Bible le décrit néanmoins comme un être malicieux, un adversaire des hommes, un empêcheur de danser en rond, un accusateur qui ne cesse d'accroître les effets dévastateurs d'une culpabilité galopante, un meurtrier et menteur de la première heure, un séducteur plus infaillible qu'un Don Juan, un ange de malheur déguisé en ange de lumière, un trappeur d'âmes insatiable, un voleur de dignité humaine, un lion rugissant qui se plaît à nourrir l'angoisse... Il use donc de deux tactiques assez distinctes: il suscite le désir, l'envie de commettre un acte finalement néfaste; à cette fin, il se déguise en bon apôtre, pour mieux tromper son monde. Sinon, d'un coup de griffe bien ajusté, il fait peur. Dans les deux cas, le diable ment: c'est sa principale activité, diablement mauvaise ! Que ceux qui veulent l'ignorer l'ignorent, le diable s'en frotte sûrement les mains.
L'homme
Certes, cet ange de malheur a parfois bon dos. Trop facile, de l'incriminer sans cesse. Et l'homme, dans tout ça? Au commencement, on ne le répétera jamais assez, l'homme et la femme furent créés Parfaits. Mais Satan inaugura auprès d'eux ses douteux stratagèmes pour détrôner le Tout-Puissant, comme si c'était possible. Non, une créature ne peut rien contre le Créateur. Mais alors, pourquoi? Mystère, toujours. Essayons toutefois de comprendre le compréhensible. Un commencement, même pour ceux qui en doutent, un homme, une femme, un jardin, un serpent qui parle, qui ment: « Dieu a-t-il réellement dit? ... Vous ne mourrez pas ! Vos yeux s'ouvriront, vous serez comme des dieux!» Mensonge bien actuel, et donc réel, aux terrifiantes conséquences. Pourtant, Dieu avait dit de ne pas goûter à cette Connaissance-là. Depuis, nous mourons, nous sommes de petits hommes, avec de petites résurgences, même pour les plus grands, de ce que furent autrefois nos richissimes facultés. Et nous avons peur. Et nous sommes insatisfaits. Qui le nierait? Rousseau peut-être, qui a écrit un traité sur l'éducation au doux nom d'Emile, qui a abandonné sa femme et ses six enfants. Allez comprendre.
La psychologie, telle qu'elle nous est enseignée aujourd'hui, est une science récente, non exacte, et donc humaine. On aurait tort d'oublier les écrits anciens pour autant ; les psychologues eux-mêmes y ont largement pulsé ! Au premier siècle après. la venue de Jésus, un homme de modeste condition (il était pécheur en Galilée ! ), a formulé une admirable synthèse de tout le drame qui nous plonge dans la tentation: «Que personne, lorsqu'il est tenté, ne dise: - C'est Dieu qui me tente ! -. Car Dieu ne peut être tenté par le mal, et il ne pousse lui-même personne à commettre le mal. Mais chacun est tenté, quand son propre désir suscite en lui un puissant attrait et le séduit ». Ce désir malsain, ajoute encore Jacques, nous entraîne, notre résistance lâche, et le germe semé en nous s'épanouit en un plantureux... péché. Or, une fois consommée, cette faute nous précipite dans la mort. Le principe exposé est donc clair; attirance - complaisance acquiescement - faute - mort. Le drame originel nous colle à la peau; il est devenu notre drame quotidien,
Epreuve ou tentation?
Deux précisions, cependant: si ce schéma s'applique à la tentation, il est aussi valable pour l'épreuve; car les sentiments engendrés par la difficulté s'infiltrent en nous selon le même processus. Les termes nassah (en hébreu) ou peirasmos (en grec ) sont traduits par épreuve ou tentation: ils sont généralement synonymes. Nous préférons voir, en simplifiant à l'extrême, une distinction dans l'origine même du mal qui nous accable: désir ou crainte. La tentation n'est-elle pas aussi une mise à l'épreuve? L'épreuve n'est-elle pas aussi une tentation? Résister ou céder au succulent mais malsain désir, accepter ou refuser de se laisser gagner par la colère, le découragement ou l'amertume consécutifs à la souffrance, ces deux attitudes ont d'indéniables points communs. L'objet de la tentation, ou la cause de la souffrance nous sont extérieurs (sauf quand nous en sommes directement les initiateurs ), ils n'ont de vigueur qu'en nous-mêmes, dès la première pensée. (Jacq 1:12-15 )
Dans tous les cas, l'homme reste donc entièrement responsable de ses actes, en bien comme en mal. Le diable, pourtant parfaitement amoral, nous accuse ou nous flatte alors sans relâche, via notre conscience. Il utilise même, avec ses mains sales, les tables saintes de la loi de Dieu: « Tu as fauté ! car il est écrit... ». Il sait aussi nous aveugler, au point de nous persuader que l'homme est bon (mais Auschwitz, alors? ), que le mal est une chimère, que sa force réside seulement en notre relatif imaginaire. Menteur. Jésus le compare à un loup déguisé en brebis qui cherche à piller, égorger, détruire. Et nous souffrons encore d'ajouter à nos torts, le produit de nos pensées les plus folles: nous nous accusons d'un mauvais désir qui ne l'est pas toujours; nous nous gratifions d'une souffrance que nous voudrions rédemptrice; nous augmentons la valeur de nos mérites, avec la plus extravagante facilité. Notre raison n'est plus absolument raisonnable.
L'amour mis à l 'épreuve
Dieu a inspiré aux hommes une loi d'amour, Or l'amour, le vrai, est constructif. Si le Seigneur permet l'épreuve, c'est à nous que la responsabilité en incombe : la justice de Dieu reste irrépréhensible. Mais Dieu pardonne le fautif qui reconnaît son erreur et sa faiblesse, il le relève, le rend à la vie, lui restitue toute sa dignité et sa grandeur. Impossible donc, dans une seule et même situation, de confondre l'action de Dieu avec celles du diable ou de l'homme.
Il n'est d'ailleurs qu'un seul péché impardonnable, celui de s'estimer exempt de toute faute. Comment un individu soutenant une telle thèse reconnaîtrait-il alors en Jésus le Messie venu pour endosser, par amour, les monstrueux appétits de son insatiable «je»? Car c'est en cela que consiste surtout le péché: un non-amour, un Moi devenu dieu, une injustice sans cesse répétée. Jésus dérange, car il est juste comme la Loi. Il n'accuse pourtant personne, il vient pour sauver le monde, Il aime. Il l'a prouvé par son geste étonnant envers nous. Mais il dénonce le pouvoir de la faute réfugiée en son abri le plus secret: une pensée malveillante qui traverse notre esprit et fait son nid au fond de notre être, et c'est déjà la faute en germe, l'acte en devenir déjà dévoilé aux yeux de Dieu pour qui rien n'est caché. Peut-on résister à 1 'irrésistible? ? .
Au secours!
Quand le peuple d'Israël sortit d'Egypte, Dieu le conduisit dans le désert, par un chemin plus long et redoutable que celui imaginé par un guide raisonnable. En longeant la côte, le trajet eût été beaucoup plus court et moins périlleux. Quand Jésus fut reconnu par Jean comme le Messie promis, il fut également conduit par l'Esprit Saint dans le désert, pour être tenté par le diable précise encore le récit.
Dans ce désert, Israël fut poursuivi par les Egyptiens en armes, et acculé devant la mer rouge. Puis il eut faim et soif. Le regret d'avoir quitté l'Egypte devint intense; surgit alors le désir d'y retourner pour manger des concombres, une bonne brochette de cailles accompagnée de courgettes et d'aubergines, puis un melon doré et sucré. Mémoire sélective et idéaliste: Israël oubliait l'insupportable esclavage qui lui tint le dos courbé pendant des siècles. Des hommes et des femmes furent encore jaloux de ce Moïse qui cumulait les privilèges, et la quasi-totalité du peuple se révéla enfin incapable d'entrer dans le pays promis. Le tableau dépeint par Moïse n'a rien d'une fresque aux mièvres couleurs d'une pseudo-perfection ! Et c'est là sans doute une des preuves les plus éclatantes de l'authenticité du récit. Nous devrions être d'une même scrupuleuse honnêteté. D'ailleurs, ne sommes-nous pas pareils à Israël dans le désert: rarement contents de notre sort, craintifs et sans beaucoup de foi devant l'offre du Dieu d'amour?
Dans le désert, Jésus triomphe de l'épreuve: il résiste au désir de céder la priorité à son ventre affamé en une aussi décisive circonstance; il refuse de mettre Dieu à l'épreuve en l'obligeant à accomplir un miracle inutile; il s'oppose vigoureusement à l'idée de se prosterner devant le faux-dieu de cette terre. Au père du mensonge, il répond par un « il est écrit » ferme et solennel, par une concise et suffisante affirmation au « si » que le diable lui suggère. Jésus est le fils de Dieu, preuve en est faite, à jamais. La tentation n'a trouvé aucune prise en lui; il ne peut être tenté par le mal. Jésus a connu, ce jour, et jusqu'à la sombre nuit de Gethsémané, toutes les tentations, toutes les mises à l'épreuve que l'homme peut connaître, sans jamais fléchir. Il a souffert, il peut secourir d'autant mieux ceux qui souffrent. Par sa mort, il a neutralisé l'accusateur: il a payé de sa vie l'effroyable poids de nos dettes envers Dieu, de nos évidentes ou occultes culpabilités. Vainqueur de la mort, revenu à la vie, il offre à quiconque le lui demande une totale annulation des torts, de beaucoup supérieure à un ambigu non-lieu. Il est notre avocat perpétuel auprès du juge suprême. Mieux encore, il nous vient en aide quand nous sommes encore tentés, quand l'épreuve nous semble supportable.
Mourir et vivre
Sans Dieu pour appui, la difficulté est généralement une source de découragement et d'amertume. C'est ainsi qu'elle est perçue par la plupart des êtres humains. Il est rare que nous l'envisagions comme une école de patience ou d'humilité ce n'est plus dans l'air du temps, aujourd'hui. Et l'on préfère l'absence d'explication, un monde sans valeur, devant le mal qui nous assaille. Les fruits de ce choix ne sont pas toujours très probants.
Mais ceux qui ont encore le courage car il en faut - de tourner les regards vers le Tout-Puissant, reçoivent de sa main un réconfort certain dans les heures les plus sombres. La prospérité matérielle ou physique ne sont pas les preuves tangibles de la bénédiction de Dieu; non plus l'absolu dénuement des plus dévoués aux petites ou grandes causes. La bénédiction suprême du Seigneur, c'est sa présence à nos côtés, sa paix en nous, dans les pires moments comme dans les meilleurs, quand ils sont régis par l'amour. Tableau idéal, s'il en est, assombri dans la réalité quand notre faiblesse, chaque jour constatée, s'y trouve inévitablement mêlée. Job l'a compris dans l'épreuve, comme dans l'abondance. C'est là sans doute la plus grande leçon que nous puissions apprendre ici-bas. Quand Dieu choisit de nous conduire au désert, il sait combien nous pouvons en ressortir grandis et fortifiés, plus prompts à servir qu'à nous élever, à éliminer le superflu, à laisser mourir en nous les mortelles pulsions, à vivre du désir de la grâce. Le désert avec Dieu, même peuplé de scorpions et parsemé de buissons épineux, est un verger pour qui veut bien le voir.
Comme un arboriculteur soucieux de produire des fruits plus beaux et appétissants, notre créateur nous émonde. " maîtrise parfaitement tous les instants de l'épreuve, il fait concourir toutes choses, même la difficulté, au bien de ceux qui l'aiment. Rien à voir, dans ces affirmations, avec la candeur d'un Candide ou l'optimiste complexité d'un compliqué Leibniz. L'indéniable souffrance que nous connaissons tous à divers degrés, et l'ampleur d'un tel débat n'y autorisent pas. La sagesse ultime revient à Dieu, mais notre raison l'appréhende toujours avec une tragique insuffisance. L'apôtre Paul a souffert: naufrages, emprisonnements, injustes lapidations et flagellations publiques, calomnies, trahisons, dénuement, faim, froid... La liste est longue. Il a sans doute éprouvé plus d'une fois le désir de tout arrêter: «C'est trop dur, quoi !» Forgé par d'aussi douloureuses expériences, et toujours debout, il nous a laissé de précieuses réflexions: «Les épreuves ou les tentations que vous avez connues sont celles qui se présentent à tous les hommes. Mais Dieu est fidèle, il ne permettra pas que vous soyez éprouvés au-delà de vos forces, de votre capacité de résistance: au moment où surviendra l'épreuve, il vous donnera la force de la supporter (ou de résister à la tentation ), et le moyen d'en sortir... » Il nous reste cependant l'incontournable responsabilité de lui demander cette aide. (1 Co 10: 13)
Garde-moi , O Dieu !
Jésus nous enseigne à prier le Père de nous garder d'entrer dans ce conflit. Mieux vaut prévenir que guérir, dit-on. Résister à la tentation, c'est aussi choisir de la fuir, parfois; et cette fuite n'est pas celle d'un lâche, elle exige une vaillante détermination. A l'égard de la tentation, notre mort doit être résolument volontaire. Veillons donc. «Rien ne peut nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus le Messie », disait le valeureux apôtre. Que cette phrase devienne une vivante promesse pour chacun de ceux qui endurent l'épreuve ou la tentation, dont Jacques nous dit qu'elles peuvent devenir aussi divin paradoxe - une source de joie et de vie: « Mes frères, réjouissez-vous si vous passez par toutes sortes d'épreuves; car vous le savez, votre foi éprouvée produit la patience... Heureux l'homme (ou la femme! ) qui demeure ferme dans l'épreuve: après avoir prouvé sa fermeté, il recevra la couronne de vie que le Seigneur a promise à ceux qui l'aiment... »
Frédéric Baudin
Le Berger d'Israël No 470