ÉDUCATION
ET ÉDUCATION CHRÉTIENNE
Entretien
avec Monsieur le Pasteur Robert Somerville (R.S.) conduit par
Monsieur Bernard André (B.A.) assistés des membres de l'équipe
de travail d'Ichthus: Mlle Isabelle Létienne (I.L.), M. Henri
Blocher (H.B.) et M. Florian Dunkel (F.D.)
Une
ou deux éducations
B.A.
Faites-vous une différence entre éducation et éducation
chrétienne?
R.
S. L'éducation existe en dehors de la foi chrétienne et
les enfants des familles chrétiennes ont les mêmes besoins
sinon les mêmes réactions que les autres. On peut donc définir
l'éducation en général comme l'ensemble des activités qui
permettent de conduire l'enfant de la dépendance totale
jusqu'à l'âge d'homme. La pleine responsabilité humaine n'est
perçue que dans la communion de Dieu. Autrement-dit, en dehors
de la communication à l'enfant de la Parole qui le conduit
jusqu'à Dieu et pas simplement jusqu'à une autonomie humaine,
il n'y a pas vraiment d'éducation complète.
Les
deux éducations ont donc des points communs. Les chrétiens ont
aussi affaire à des petits d'hommes qui ont des réactions
psychologiques humaines, des besoins identiques à ceux de tous
les enfants. Certains procédés d'éducation sont donc valables
dans les deux cas.
B.A.
Vous soulevez un point important dans la mesure où la
distinction entre éducation et éducation chrétienne pourrait
conduire des parents à adopter un mode d'éducation laïque en
surimposant simplement certains principes chrétiens, mais cela
conduit à dissocier la vie de la foi.
R.S.
Malheureusement, c'est souvent ce qui se passe. En France,
l'école, mais aussi les camarades, contribuent à l'éducation
des enfants et le font en dehors de la perspective chrétienne.
Ainsi, bien des familles, plus ou moins rattachées aux
Eglises, mais pour lesquels l'Évangile n'est pas la force
déterminante, confient leurs enfants à l'Église pour
l'éducation chrétienne pendant une heure par semaine et tout
le reste est en dehors. C'est une erreur à éviter.
L'éducation
chrétienne doit tenir compte de la Parole de Dieu. Il ne peut
y avoir d'éducation neutre. Les parents chrétiens ont la
responsabilité par conséquent d'essayer de communiquer leur
foi à leurs enfants, et celle aussi de corriger et de
combattre un certain nombre d'idées qui sont données aux
enfants par des éducateurs et un milieu non-chrétiens.
B.A.
Il faudrait peut-être commencer par éduquer les parents...
R.S.
L'éducation, ce n'est pas simplement certaines heures
consacrées à cette tâche, mais c'est la prise en considération
de la totalité de la vie et des
relations
qui s'établissent entre parents et enfants. Tout adulte est
héritier lui-même d'une éducation reçue – même s'il n'est pas
issu d'un milieu chrétien.
Les
parents doivent se laisser remettre en question par le
Seigneur. La compétence d'éducateur n'est pas donnée d'avance.
Ouvrages
de psychologie
B.A.
Et pourtant, on devient parent assez rapidement sans
apprentissage. Quel rôle donner alors aux traités de
psychologie parfois vulgarisateurs face à l'Écriture, lumière
et norme?
R.S.
Les ouvrages de psychologie présentent un danger: celui de
faire croire qu'il existe des recettes, des réponses toutes
faites à des problèmes auxquels la Parole de Dieu ne donne pas
non plus de solution toute faite. La Bible ne recouvre pas
toutes les situations et il est souvent nécessaire de
transposer ce qu'elle dit dans une situation culturelle
différente de la nôtre. Les parents sont alors tentés de
chercher des recettes dans des manuels de psychologie. Ces
ouvrages peuvent être utiles à condition de les laisser à leur
place. Qu'ils soient des aides ne commandant pas toute la
vision de la tâche d'éducateur et que les parents soient bien
armés pour ne pas accepter l'idéologie qu'ils véhiculent. Je
proposerai un parallèle avec l'éducation physique des enfants.
Il me paraît tout à fait normal et sage d'écouter des
nutritionnistes ou des médecins non-chrétiens pour préserver
la santé des enfants. Sur le plan psychologique, il peut ainsi
être utile d'écouter des éducateurs professionnels; il est
cependant dangereux d'imaginer qu'ils ont forcément la
solution. Les parents chrétiens peuvent donc utiliser des
données de la psychologie à condition de ne pas se laisser
enfermer dans une idéologie ou un système.
Il
y a tout un courant pédagogique héritier de Jean-Jacques
Rousseau, pour lequel l'homme est naturellement bon et pour
lequel l'éducation consiste à faire sortir ce qui est en lui.
Cela est tout à fait étranger à la perspective chrétienne pour
laquelle le petit homme, livré à lui-même, déraille, si bien
qu'il a besoin d'une autorité pour diriger son éducation.
H.
B. En même temps, il y a sans doute une parcelle de
vérité à reprendre encore de cette conception de l'éducation
comme actualisation des potentialités de l'être humain. L'idée
qu'il y ait des pouvoirs à développer, une personnalité en
germe qui doit s'épanouir, a aussi sa place dans une éducation
qui se veut chrétienne.
Voulant
mener à bien leur tâche, deux méthodes opposées me paraissent
également fausses: pour les uns, la volonté de l'enfant doit
être brisée, il faut l'obliger à obéir. Il n'est plus question
là d'autorité mais d'autoritarisme. D'autres éducateurs
tombent facilement dans l'extrême contraire: le laisser-aller.
Il me semble que la perspective biblique évite ces deux
dangers en rejetant le rigorisme: «il va falloir le dresser,
ce gosse-là!» et le laisser-aller: «Faites-lui confiance,
l'enfant se débrouillera bien tout seul!».
B.A.
La Bible n'est pas un livre de recettes, et c'est à tort que
les ouvrages d'éducation – mêmes rédigés par des croyants –
proposent des réponses toutes faites.
R.S.
On ne sait pas non plus exactement quand on éduque. On ne
connaît pas les moments décisifs de l'éducation.
L'éducation
chrétienne, définition et but
F.D
Comment définissez-vous l'éducation chrétienne ou
biblique? Entre le rigorisme et la liberté totale, où
situez-vous l'éducation chrétienne?
R.S.
L'éducation chrétienne, c'est l'activité consciente ou non qui
consiste à conduire l'enfant hors de l'esclavage du péché à la
foi en Jésus-Christ, à la pleine responsabilité de l'homme
devant Dieu, une responsabilité acceptée et non pas
contrainte. Ce verbe «conduire» implique qu'on ne laisse pas
l'enfant aller à l'aventure, qu'une direction lui est proposée
et dans laquelle on marche devant lui. Cela implique aussi des
correctifs: on ne laisse pas l'enfant aller à l'aventure... on
le remet dans le droit chemin, mais on ne le porte pas non
plus, on ne fait pas l'éducation pour lui, c'est lui qui doit
marcher.
Par
ailleurs, on n'est pas derrière lui avec un fouet, mais plutôt
devant lui même s'il faut parfois revenir en arrière pour
l'accompagner.
De
plus, l'éducateur chrétien sait qu'il n'est pas seul dans ce
travail. Il est au service d'un éducateur, Dieu lui-même.
B.A.
Notre éducation porte en elle des valeurs et une histoire que
nous transmettons. Lorsqu'on dit que le but de l'éducation
chrétienne est la conversion à Jésus-Christ, on introduit en
plus de la transmission d'un donné vécu auquel nous adhérons,
l'intention de conduire l'enfant à quelque chose.
Tout
le problème de la pression psychologique surgit alors: on peut
certainement faire beaucoup pour influencer un enfant,
précisément pour le conduire là où on veut qu'il aille. Si le
but est la conversion à Jésus-Christ, comment éviter toute
pression psychologique? Le but, est-ce vraiment la conversion
à Jésus-Christ? Ne serait-ce pas plutôt de donner à l'enfant
les moyens par lesquels il peut prendre position, devenir
capable de répondre de lui-même, de sa vie face à l'appel, au
projet de Dieu?
R.S.
Le but recherché est de donner à l'enfant les moyens de se
situer devant Dieu, de se reconnaître en manque de Dieu, de se
reconnaître pécheur, de découvrir qu'il y a en Jésus-Christ
une réponse à cette situation. Cela implique la communication
d'un certain nombre de valeurs qui font partie de l'éducation
chrétienne dans un sens général, mais d'un autre côté, ces
valeurs ne seront pleinement intégrées dans la personnalité de
l'enfant qu'à partir du moment où il aura pleinement accepté
l'autorité de Jésus-Christ sur sa vie. Il y a donc une étape
préparatoire par les parents qui tend à redresser les valeurs
du monde dans lequel ils vivent. En plus, il y a l'espoir que
ces valeurs ne restent pas simplement un héritage, mais
qu'elles deviennent partie intégrante de la personnalité de
l'enfant. C'est là qu'intervient la conversion.
De
toute façon, nous ne sommes pas en mesure de communiquer la
foi en Jésus-Christ, seul l'Esprit peut accomplir une telle
tâche. Nous pouvons donc donner à l'enfant les éléments
nécessaires par notre enseignement, notre exemple, notre foi,
notre pratique, notre partage de la Bible, notre amour.
Nous
aidons l'enfant à comprendre l'appel que Dieu lui adressera un
jour. Et même si l'enfant devenu adulte quitte ses parents
sans s'être converti, ce qui a été semé n'est pas perdu. Les
parents n'ont pas forcément manqué le but; ce qui a été donné
servira.
B.A.
Il reste cette tension importante entre ce désir de voir
son enfant adhérer à la foi que nous professons, surtout si on
est pleinement convaincu de ce que l'on a cru et vécu et ce
choix qu'on lui laisse, sans exercer de pression; cela demande
beaucoup de confiance en Dieu, en soi et en l'enfant. Nous
n'avons pas à prendre une décision à la place de l'enfant.
R.S.
Il faut beaucoup de discernement, de respect de l'enfant et en
même temps beaucoup de conviction pour que l'enfant sache
qu'il ne s'agit pas de quelque chose de secondaire. Quand on a
voulu forcer l'enfant, on a abouti à la révolte contre les
pressions subies, les longues réunions... De façon beaucoup
plus subtile, il y a aussi la tentation de profiter de la
faiblesse psychologique de l'enfant, de son caractère
influençable. Il peut répondre à la personnalité du
prédicateur plutôt qu'à Jésus lui-même. Je ne saurais dire où
commence la pression psychologique... chaque enfant est
différent. Il nous faut être attentif... C'est une question
d'écoute, de respect... Nous devons écouter l'enfant non
seulement pour vérifier ce qu'il sait, mais pour connaître ce
qu'il pense.
B.A.
A condition de ne pas chercher à manipuler l'enfant... cela me
semble être le coeur même de l'éducation chrétienne. Par
opposition à toute la technologie que nous avons aujourd'hui à
disposition au point de vue psychologique, centrer l'éducation
sur la relation de confiance et réaliser que l'enfant est déjà
une personne à respecter me semble être véritablement au
centre de cette éducation. Toute éducation qui accepte ce
principe a quelque chose de chrétien même si elle n'a pas la
totalité de la vérité en elle puisqu'elle ne conduit pas à
Jésus-Christ. Il y a là une attitude profondément chrétienne.
Par ailleurs, toute éducation fondée sur une transmission de
la foi ou du savoir chrétien au détriment de cette confiance
en l'enfant me paraît au contraire profondément
anti-chrétienne.
H-B.
J'avoue une petite gêne par la formule: confiance en l'enfant.
Je ne vois pas très bien ce qu'elle veut dire dans le contexte
de notre débat. Faisons-nous confiance à l'enfant pour une
réponse que nous ignorons? La folie n'est-elle pas attachée au
coeur de l'enfant selon la formule biblique? Ne s'agirait-il
pas plutôt du respect de sa personne créée à l'image de Dieu?
Il me semble que, dans le rapport avec l'enfant, l'essentiel
n'est pas le choix de l'enfant, mais le choix de Dieu. À ne
respecter que l'enfant et son choix, nous risquons de lui
communiquer de façon inconsciente une vision où lui, l'enfant,
est au centre et où Dieu a une situation d'appendice pour
satisfaire ses aspirations au bonheur. Dans ce cas, nous avons
dévié de l'Écriture. Il faut rappeler à l'enfant que Dieu a un
droit entier sur lui, sa conversion sera une grâce divine en
sa faveur.
R.S.
Il ne s'agit pas d'inviter l'enfant à choisir ce qui lui
permettra de s'épanouir car il n'y a pas d'épanouissement vrai
en dehors de la relation de confiance, de foi et d'amour
envers Dieu. L'éducation chrétienne consiste à conduire
l'enfant hors de cette illusion que l'homme pourrait
s'épanouir et se réaliser en lui-même. Il y a donc toujours
une rupture par rapport à ce que l'enfant aurait tendance à
choisir. En opposition à sa tendance à se choisir lui-même ou
à choisir le monde, l'appel du Seigneur doit être clairement
perçu, mais, bien sûr, dans le respect de sa personnalité.
H.B.
Et éviter que Dieu apparaisse comme un moyen dont l'enfant
pourrait se servir.
B.A.
Oui! Et nous nous retrouvons devant la notion de modèle: «Quel
est le Dieu des parents? Quelle image lui transmettent-ils?»
Cela n'enlève rien à la confiance en l'enfant qui s'oppose à
la défiance. On se défie de sa capacité d'appréhender
l'univers ou de prendre ses responsabilités. Dans ce sens-là,
je ne suis pas plus digne de confiance que lui. Ce n'est pas
parce qu'il est enfant que je dois me défier de lui. Cela
n'enlève rien à la notion de chute, de faillibilité et de
limitation, mais je crois que cette attitude positive est
indispensable à l'éducation.
H.B.
Je suis d'accord pour l'expression «attitude positive». En
même temps, il me semble discerner dans la Bible une prudence
à l'égard de l'enfant qui différencie le rapport à l'enfant et
le rapport à l'adulte. La confiance qui peut être accordée à
un homme éprouvé ne peut l'être, selon la Bible, à l'enfant.
B.A.
Mais bien sûr! On ne confie pas le volant à un enfant de 7
ans!
F.D.
Plus l'enfant grandit, plus nous devons lui faire confiance.
Il est impossible d'éduquer nos enfants – surtout nos
adolescents – sans leur faire confiance. La défiance conduit à
la rupture, à la révolte.
R.S.
La confiance doit être limitée. Il faut conduire l'enfant vers
plus ou moins de responsabilité. En grandissant il doit
s'exercer de plus en plus à prendre des responsabilités. Sans
la confiance, il ne peut pas vraiment devenir un homme.
L'éducateur, en tant que tel, ne se justifie qu'en raison de
cette responsabilité atténuée de l'enfant jusqu'au jour où il
sera affranchi de l'autorité de son éducateur parce qu'il aura
(idéalement) accepté l'autorité du Seigneur sur sa vie.
H.B.
À propos de manipulations psychologiques, je voudrais
souligner un point capital. Il est nécessaire de disjoindre la
sécurité affective de l'enfant par rapport à ses parents de sa
réponse à l'appel du Seigneur. L'enfant doit être entièrement
persuadé que l'amour de ses parents ne dépend pas de son
acceptation du Seigneur.
La
question de l'autorité
B.A.
Quelle sorte d'autorité souhaitons-nous?
R.S.
En fait, je vois deux questions à se poser: celle de la nature
et du fondement de l'autorité, puis celle du comment de
l'autorité.
L'autorité
de l'éducateur chrétien lui vient du Seigneur duquel il a reçu
un mandat. De plus, il se reconnaît lui-même sous autorité. Il
est donc conscient de sa responsabilité dans la manière
d'exercer cette autorité. Il y a là un garde-fou à la foi
contre l'autoritarisme et contre l'abdication. Quant à la
manière d'exercer l'autorité, je ne pense pas qu'il y ait
recette, mais je vois deux éléments fondamentaux: 1. La
compétence vécue des parents: qu'il y ait cohérence entre
leurs paroles et leurs actes. 2. La compétence pédagogique:
que les parents soient attentifs aux besoins de leurs enfants.
Ceux qui mettent des enfants au monde sont des apprentis.
B.A.
Cela signifie-t-il pour les parents qu'ils doivent consentir à
être secoués ou remis en question?
R.S.
Oui, mais sans que cela ne signifie abdication, sans que
l'enfant en arrive à mener ses parents par le bout du nez.
L'autorité est aussi liée à l'amour. C'est un service que l'on
rend à ceux qui nous sont confiés.
B.A.
En parlant d'autorité de service, on désarme les détracteurs
de l'autorité. Parfois, même au nom de la foi chrétienne, des
enfants ont été brimés et ont subi les séquelles d'un
autoritarisme écrasant.
R.S.
On voit aussi aujourd'hui beaucoup d'enfants qui gardent des
séquelles du manque d'autorité. Si bien des jeunes se
plaignent de l'excès d'autorité des parents, il y en a encore
plus qui se plaignent de leur manque d'autorité.
F-D.
Les enfants contestent l'autorité dont ils ont besoin et
qu'ils recherchent.
R-S.
Oui, mais l'autorité qu'ils recherchent est une autorité à
laquelle ils puissent faire confiance, et ils se rendent vite
compte si celui qui a l'autorité ne l'exerce pas pour
lui-même. Il y a le danger de l'amour possessif, surtout dans
les milieux chrétiens.
I.L.
L'autorité est bonne quand elle est accompagnée d'amour, mais
il me semble que l'amour des parents n'est pas naturel, c'est
une grâce. Trop souvent, le sentiment des parents est
possessif. Ils devraient s'interroger sur la nature véritable
de leurs sentiments envers leurs enfants. Le sentiment de
possession conduit à l'autoritarisme. L'amour maternel et
paternel sont aussi des grâces.
R.S.
Il y a des sentiments d'affection réelle dans la plupart des
cas, mais le véritable amour, celui qui aide l'autre à être et
à grandir, est une véritable grâce qu'on doit apprendre et
recevoir du Seigneur.
Lorsque
cet amour vrai n'existe pas il y a certes danger
d'autoritarisme, mais il y a aussi le risque de laisser
tomber. Par exemple, lorsqu'une fille est enceinte, les
parents ont tellement peur de perdre la face, qu'ils
n'apportent pas à leur enfant le soutien dont elle a besoin.
F.D.
L'amour pour soi dépasse alors largement l'amour pour
son enfant.
H.B.
On peut chercher à recevoir la sécurité affective dont on
manque par l'affection des enfants. Dans plusieurs cas de
laxisme, les parents sont mus par la peur de ne pas être assez
aimés de leurs enfants. Ils cherchent à être populaires auprès
de leurs enfants, et cela est une source de conflits entre le
père et la mère.
B.A.
C'est le même problème dans l'enseignement. Certains
maîtres veulent être aimés des élèves, ou au contraire,
veulent les dominer. Dans les deux cas, quelque chose ne joue
pas.
Je
voudrais, à propos d'autorité, citer un responsable du
tribunal des mineurs en Suisse romande. À la question de
savoir si les délinquants provenaient de milieux autoritaires
ou laxistes, il répondit que le facteur déterminant n'était
pas là. Pour lui, le problème n'était pas tant la question de
l'autorité que celle de la relation établie entre parents et
enfants.
R.S.
On pourrait dire que l'autorité n'est pas une question de
quantité, mais de qualité.
H.B.
Lorsque la Bible parle de la verge pour l'enfant, elle ne dit
pas, comme on pourrait le croire, qu'elle fait toujours du
bien. Elle nous dit qu'elle est nécessaire. Si elle contribue
à protéger l'enfant de la folie native, il n'est pas dit qu'on
peut l'administrer à n'importe quelle dose. L'apôtre
recommande par exemple aux pères de ne pas aigrir leurs
enfants. Il faut marquer dans l'Écriture les deux principes.
Souvent,
les parents chrétiens ne lisent que le principe de la verge et
ne voient pas les deux aspects de l'enseignement biblique.
La
loi et la grâce dans l'éducation
R.S.
J'ai noté cette remarque d'un médecin non-chrétien dans un
livre sur les adolescents. Il disait: «Peu de jeunes ont pu
rencontrer un témoin véridique leur proposant un authentique
objet de foi. La religion a été pour la plupart un succédané
de l'éducation morale». Il y a là une éducation qui n'est pas
arrivée à sa fin dernière. Une éducation chrétienne doit
témoigner de la grâce. Mais la loi est nécessaire comme
pédagogie préparatoire à la grâce.
Dans
l'éducation, la discipline est nécessaire. La loi joue un rôle
important dès le début. L'enfant n'est pas le petit dieu qui a
droit à la satisfaction de tous ses désirs. La phrase: «J'ai
envie de...» n'est pas suffisante pour obtenir quelque chose.
L'enfant doit apprendre à tenir compte des autres. L'exemple
des parents qui reconnaissent leur soumission à l'autorité de
Dieu et de sa Parole est fondamentale. Le père n'est pas, dans
cette optique, au-dessus de l'enfant, mais avec lui, sous
l'autorité du Seigneur. Le père propose à l'enfant des repères
pour lui éviter la catastrophe.
B.A.
Cela doit se voir chez les parents.
R.S.
Bien sûr! Les parents n'ont pas le droit de punir l'enfant
pour le non-respect d'une loi qu'ils transgressent eux-mêmes
sans cesse. La limite à notre volonté, à notre prétention
d'être Dieu est une grâce.
F.D.
Les enfants sont aussi très rapides à trouver les failles de
leurs parents, c'est pourquoi la grâce intervient aussi et il
faut savoir demander pardon à ses enfants. La loi est
au-dessus de nous et nous nous efforçons de nous conformer à
ses directives, malheureusement nous la transgressons.
B.A.
Si, comme l'enfant, je suis sous la loi, je bénéficie
aussi, comme lui, de la grâce et du pardon.
R.S.
L'enfant ne juge pas sur des cas isolés, mais sur un ensemble.
Si les parents ont des failles – et c'est toujours le cas –
l'enfant est aussi conscient d'une certaine cohérence.
I.L.Et
pourtant certaines failles le blessent profondément!
R-S.
L'éducateur chrétien me paraît avoir l'avantage, en
s'appuyant sur la Parole de Dieu, d'avoir fait ce qu'il a pu
et il sait qu'il y a quelqu'un derrière qui est capable de
réparer ce qu'il a déchiré.
H.B.
Autrefois, la grande famille au-delà du noyau familial
pouvait compenser quelque peu les déficiences de l'éducation
parentale, mais pour les contemporains généralement, ce
correctif n'est plus disponible. Les chrétiens ont l'avantage
dans la communauté de l'Église de trouver des éléments
correctifs une grande famille.
B.A.Dans
la pratique, cela ne fonctionne pas beaucoup.
H.B.
Les activités organisées pour les enfants jouent aussi
un rôle. Les moniteurs et monitrices sont aussi des
éducateurs. Certains d'entre eux ont joué un rôle pour des
enfants tout à fait décisif; ils ont été de véritables
aiguilleurs du ciel.
R.S.
C'est encore plus vrai dans les camps de jeunes ou les
colonies, lorsque l'éducateur vit avec l'enfant. À cet âge,
l'influence des parents n'est pas toujours décisive. Un modèle
vivant donné par un éducateur peut alors être déterminant.
B.A.
Loi et grâce ne sont pas chronologiques la loi jusqu'à
un certain âge, la grâce ensuite...
R.S.
Je suis heureux de nous l'entendre dire! Trop de
chrétiens oublient que les dix commandements commencent par la
grâce: «Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui t'ai fait sortir
d'Égypte, de la maison de servitude». La grâce a précédé la
loi. Nous avons besoin de la loi pour nous rappeler que nous
avons un Seigneur. Les parents sont témoins de la grâce et de
la loi.
Une
éducation fondée uniquement sur la loi est dangereuse: On en
arrive à voir des gens qui ne peuvent pas croire à la grâce
parce qu'ils n'ont vécu que dans une relation de
donnant-donnant où tout se paie. Ils ne peuvent pas croire au
don de Dieu.
H.B.
L'ordre loi-grâce ne devrait pas être renversé.
L'Écriture nous enseigne l'ordre luthérien: loi d'abord, grâce
ensuite au moins en ce qui concerne la grâce rédemptrice. Bien
sûr, tout commence par l'amour de Dieu, sa disposition
favorable à l'humanité. Avant les dix commandements, il ne
faut pas oublier la loi créationnelle. Ce n'est pas le
principe loi qui succéderait à la grâce rédemptrice.
R.S.
Sur le plan pédagogique, l'ordre est effectivement
loi-grâce. L'enfant est d'abord placé devant sa
responsabilité, devant le fait qu'il a des devoirs à
accomplir. En même temps, il ne faut pas que la grâce
n'intervienne qu'à long terme. Il n'est pas bon d'écraser
l'enfant sous la loi pour enfin lui parler de la grâce.
F.D.
Ne peut-on pas considérer la loi et la grâce comme
simultanées? En Éden, il y a deux arbres: l'arbre de vie,
symbole de grâce et celui de la connaissance du bien et du mal
au milieu du jardin. En parlant de la confiance en l'enfant,
nous parlons de l'amour qui prend des risques dans
l'éducation.
R.S.
A propos de la confiance en l'enfant, il y a des moments où
l'on doit lui faire comprendre qu'on ne peut faire confiance à
quelqu'un que dans la mesure où il s'en montre digne – par
exemple lorsque la confiance qu'on lui faisait a été déçue. Il
doit savoir qu'être responsable, c'est se montrer digne de
confiance. Le but de l'éducation est de conduire l'enfant vers
une plus grande responsabilité pour qu'on puisse lui faire
confiance.
F.D.
J'ai connu un éducateur qui faisait justement confiance à ceux
qui en étaient indignes. Il a très bien réussi. Pour ma part,
je refuse de dire à un enfant «Je te ferai confiance quand tu
en seras digne», je préfère lui dire: «Je te fais confiance en
espérant que tu ne me décevras pas! (ou plus!).
R.S.
Les deux phrases ne sont pas contradictoires. Chacune peut
être la plus appropriée à un moment donné.
H.B.
A mon avis, l'attitude positive consiste à aller un peu
au-delà des preuves données par l'enfant de sa dignité.
R.S.
C'est là que la grâce intervient.
H.B.
Mais ce n'est ni sans critères, ni sans limites.
R.S.
La phrase «quand tu en seras digne» est sans doute
malencontreuse. L'idée qui me paraît importante est qu'il faut
que l'enfant sente qu'on l'appelle à être digne de confiance.
Il s'agit moins de sanctionner le passé en appliquant la loi,
qu'à ouvrir un avenir par l'appel de la grâce.
Quand
l'enfant se montre indigne de la confiance qu'on lui a faite,
on ne l'enferme pas dans son échec. La relation parent-enfant
ou éducateur-enfant doit accorder un rôle prépondérant au
pardon. C'est aussi une relation de gratuité, pas de
donnant-donnant. L'amour des parents ne doit pas être vendu,
mais donné.
B.A.Si
on est aussi prompt à pardonner et à excuser qu'on l'est à se
pardonner et s'excuser soi-même, alors tout va très bien.
R.S.
Cela dépend. Certaines personnes ont beaucoup de peine à se
pardonner elles-mêmes. Toute leur vie est empoisonnée par
cette incapacité-là. Pardonner, ce n'est pas être indulgent,
c'est faire comprendre aux enfants la gravité de la faute
commise tout en lui reconnaissant son caractère pardonnable.
L'enfant peut trouver accès auprès de son juge, c'est bien là
refléter Jésus-Christ.
B.A.
Le mot «confiance» reflète les deux choses simultanément
d'une part, une attitude générale, d'une autre, des faits
précis: «Je fais confiance pour telle ou telle chose».
Attitude positive à priori, mais aussi croissance de la
confiance.
H.B.
Cette attitude positive me semble reposer sur trois éléments:
1.
Le péché originel ne signifie pas que toute la conduite
comprenne seulement de mauvaises choses.
2.
La grâce commune: l'aide du Seigneur accordée à tous les
hommes, même à ceux
qui
ne sont pas ses enfants par adoption et plus particulièrement
les ressources qu'il offre à ceux qui se tournent vers lui.
3.
Le caractère dynamique de la relation. Le fait d'être appelé à
une responsabilité, de se voir confier quelque chose motive
farouchement l'enfant. Il s'élève ainsi au-dessus des limites
qu'il avait atteintes précédemment.
Conclusions
R.S.
Notre relation à Dieu éclaire notre relation à ceux qui nous
sont confiés pour que nous les éduquions. L'éducateur par
excellence, c'est le Seigneur. Nous avons à apprendre de lui
par dessus tous. Ni des sciences humaines, ni de notre
expérience, mais de lui, nous avons à apprendre l'amour qui
conduit, l'amour qui éduque.
B.A.
Notre rapport aux autres éclaire aussi notre relation à Dieu.
Si je suis incapable d'aimer, c'est que je n'ai pas reçu ou
compris l'amour que Dieu avait pour moi. Je ne fais alors que
refléter ce que j'essaie de créer par moi-même.
R.S.
La grâce, c'est aussi la force de libération contre cette
identification qui nous empêche de répondre à l'appel de Dieu.
On peut être bloqué par ce que l'on a vécu.
L'enfant
peut aussi réagir négativement à un type d'éducation dont il a
souffert. La vraie grâce, dans ce cas-là aussi, c'est de
pouvoir retenir ce qui est bon dans ce que l'on a reçu en se
plaçant soi-même devant Dieu.
©
Ichthus 1986/4 (No 137)
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