« Jésus et le
politique »
La pensée mennonite a le vent en poupe.
Absente durant des siècles du débat des théologiens -
sinon, méconnue, à titre d'épouvantail, demi-présente -
elle attire aujourd'hui l'attention, s'exprime dans des
travaux de poids, et bénéficie d'un climat favorable_ La
publication récente de la Christologie anabaptiste de Neal
Blough,1*pourvue
d'une préface extrêmement sympathique du professeur Marc
Lienhard, et de la traduction, Jésus et le politique, de
l'ouvrage assez retentissant de John H. Yoder,2*illustre
le phénomène. C'est même plus qu'une illustration : un
événement, qui réclame un commentaire.
Les deux auteurs, tous deux américains,
sont personnellement proches l'un de L'autre. Tous deux
ont contracté avec la France un lien privilégié : le
second, qui s'est l'aîné, par son mariage ; le premier
nommé, par le ministère qu'il y exerce. Mais les deux
livres différents beaucoup par le sujet, le genre
académique, le style de l'argumentation, l'écriture, les
enjeux, les débats qui sont ouverts. C'est pourquoi nous
ne pouvons pas aller plus loin dans l'association des deux
ouvrages. Il convient de les examiner chacun pour
lui-même, et plus longuement celui de J. H. Yoder, à cause
des questions soulevées.
.
« Christologie anabaptiste »
Neal BLOUGH, Christologie anabaptiste :
Pilgram Marpeck et l'humanité du christ, Genève : Lober et
Fides, 1984, 280 p.
Neal Blough tire de sa thèse de IIIe
cycle l'exposé qu'il fait d'une christologie anabaptiste
du XVIe siècle, celle de Pilgram Marpeck (vers 1495-1556).
Sur ce sujet d'ampleur limitée, il respecte impeccablement
les règles de la production scientifique ; on ne trouvera
rien à redire sur l'emploi des sources, scrupuleusement
reproduites dans la vieille et fantaisiste orthographe de
l'allemand d'époque, et la documentation. N. Blough
excelle dans une vertu entre toutes digne d'éloge : la
modestie. Il progresse avec simplicité,lentement et
sûrement,il ne se lasse pas d'aider le lecteur en répétant
ses propositions principales.
Il renonce à la tentation des
approfondissements vertigineux, des raccourcis
acrobatiques, des formules brillantes, qui dissimulent si
souvent un fond peu solide. Il est donc, pour l'essentiel,
convaincant. De la lecture du livre, Pilgram Marpeck
émerge bien comme on l'a décrit : « le dirigeant et
théologien anabaptiste allemand le plus éminent »(cité p.
19). Ce Tyrolien, ingénieur des mines, habitué à porter
les responsabilités, a échappé à la fin prématurée
infligée à la plupart de ses pairs. S'il a payé, lui
aussi, de souffrances son engagement religieux, il a eu le
temps de mûrir sa doctrine - bien que les outils d'une
formation théologique normale lui aient manqué. Deux
influences, surtout, paraissent l'avoir orienté, celles de
Luther et de Schwenckfeld ; à celui-là, il doit son accent
sur l'humanité réelle du Christ, et, du même coup, sur
l'ordre extérieur de la Parole objective et des sacrements
; à celui-ci, l'opposition entre l'Ancien Testament et le
Nouveau (p. 127 ; cf. pp. 66-72, 78-83, 118s, 230ss). Le
sens quasi-luthérien de l'incarnation permet à Marpeck de
repousser résolument la christologie monophysite infiltrée
par Melchior Hoffmann dans l'anabaptisme, et reprise par
Schwenckfeld (la chair du Christ seulement céleste, ne
pouvant être dite créature) ; l'importance du baptême
extérieur et de la cène est préservée, contre le
spiritualisme.3*
Mais l'incarnation fait également pour
lui la différence entre l'ancienne économie, réduite à son
avis aux figures, et la nouvelle, qui apporte la réalité
(Wesen) intérieure : l'anabaptisme s'établit ainsi face
aux thèses zwinglienne et luthérienne (et bucérienne).
Nous saluons avec reconnaissance la
fermeté de Marpeck contre toute atteinte à l'humanité du
Christ, contre le germe de l'hérésie. Mais nous nous
avouons déçu par les imprécisions, ambiguïtés,
contradictions, exégèses douteuses, que Neal Blough
constate honnêtement, malgré son affection pour son héros
(pp. 157s, 160s,168 , 173 n. 108 , 175 , 184 n. 144 ).
Plus que notre commentateur, semble-t-il, nous nous
émouvons du pélagianisme de Marpeck (pp. 84s, 13 6 , 170 ,
174ss) ; de son incompréhension de la doctrine luthérienne
de la justification (pp. 8 sss, 8 9 : la justification est
la circoncision du coeur ou le baptême du Saint-Esprit,
94, 2 1 8, 23 1 ) ; de ses idées confuses en christologie
même, qui lui font faire du Christ la troisième Personne
de la divinité (pp. 156 , 167 , 169), ou flirter à son
insu avec l'adoptianisme (p. 184).4*Les
apports comme les carences de la théologie de P. Marpeck
révèlent l'intérêt et le danger d'emprunter beaucoup à un
petit cercle de contemporains, en un temps
d'effervescence, en ignorant l'héritage des pères et les
méthodes rigoureuses. Au demeurant, les relations
historiques forment un écheveau embrouillé. . . N. Blough
écrit quelques-unes des meilleures pages de son livre sur
l'enchevêtrement des rapports entre anabaptisme, Réforme,
Moyen Age, humanisme (pp. 234ss). Simplifier serait ici
faussé fatalement !
.
« Jésus et le politique »
John H. YODER, Jésus et le politique :
La radicalité éthique de la croix, Lausanne : presses
Bibliques Universitaires, 1985, 235 p.
Le livre de l'éthicien John H. Yoder
nous ramène au passé tout proche, puisque l'original, Trie
Politics of Jésus, a paru aux Etats-Unis en 1972.
Le passé, déjà, bien que proche ? Eh oui
! Le choix de son sujet reflète l'intense politisation des
intellectuels et de leurs intérêts, à cette époque
désormais révolue. Délibérément, peut-être, le titre
français emploie un masculin; Jésus et LE politique, qui
vous a comme un léger parfum rétro : ce masculin, avec la
nuance qu'il comporte (le domaine politique dans son
ampleur), était une coquetterie à la mode. La traduction
du livre est d'ailleurs excellente : à part quelques
scories,5*c'est
la meilleure que nous ayons lue depuis longtemps.
Félicitations à l'équipe qui s'en est chargée !
Le délai qu'il lui a fallu, et qui
provoque le décalage dont nous parlons entre la situation
historique de l'original et la nôtre, favorisera peut-être
une plus juste évaluation de l'ouvrage.
Il y a près de dix ans, une courtoise et
fraternelle controverse nous avait opposé au professeur
Yoder, sur ses thèses dans Trie Politics of Jésus. Il est
fructueux de débattre quand les divergences se détachent
sur un fond de convictions communes, et que chacun cherche
à forger une argumentation serrée : c'est une expression
d'estime et de loyauté. Sachant que l'auteur avait
retouché son texte pour la traduction française, nous
avons ouvert Jésus et le politique avec une attention
suraiguisée ! Nous avons effectivement remarqué de menues
différences, réjouissantes.6*Mais
si peu... Les positions et les arguments n'ont pas varié -
et nos réserves ne le peuvent guère non plus, après
ré-examen. A cet article d'en faire part.
Montrer en Jésus le modèle normatif pour
nous en matière d'éthique sociale et politique : tel est
le propos de notre auteur dans sa vaste enquête
néo-testamentaire (p. 22 et passim). Il reproche aux
protestantismes libéral et orthodoxe d'écarter du domaine
en cause la pertinence de Jésus (pp. 15 ss). Jésus,
plaide-t-il, loin de se cantonner au « spirituel » et à
l'intériorité, introduisait une nouveauté politique (p. 46
n. 38, le mot est pris au sens large, relatif à « la
structuration des rapports entre hommes et groupes »). «
Jésus ne réprimande aucunement ses disciples « parce
qu'ils s'attendent à le voir établir un nouvel ordre
social» (p. 42) ;il donne à la petite troupe rassemblée
autour de lui le caractère « d'une communauté qui lutte
pour un changement de société » (p. 43). C'est à cause de
son éthique sociale, « de sa manière particulière de
refuser l'épée », que les Juifs l'ont condamné (pp. 19 et
99), et, de ce point de vue, « Jésus a pu réellement
représenter, aux yeux de l'Empire romain, un danger
suffisant pour justifier son exécution » (p. 54 ; cf. p.
57 : « un homme qui menace la société »).
Pour servir sa thèse, le professeur
américain ressuscite l'interprétation qu'André Trocmé
avait proposée en 1961 , sans succès : Jésus, en
proclamant, dans la synagogue de Nazareth,
l'accomplissement d'Esaïe 6 1 , 1-2 a, aurait annoncé la
mise en vigueur de la loi du Jubilé (Lv 2 5, 8 ss), avec
sa remise des dettes et sa restitution des terres. «
L'attente exprimée par ce passage ne porte pas tant sur le
fait que Jésus vienne inaugurer une ère nouvelle que sur
un retour concret à l'égalité et à la justice... » (p.
33). C'est bien un Jubilé, conforme aux instructions
sabbatiques de Moïse, que Jésus a proclamé en l'an 26 de
notre ère, un Jubilé apte à résoudre le problème social
tel qu'il se posait en Israël... » (p. 67).7*De
nombreux passages y feraient allusion, et confirmeraient
la couleur nettement politique des démarches de Jésus,
révolutionnaire non violent, dont la tentation réitérée et
toujours repoussée a été celle d'une action menée à la
manière des Zélotes (pp. 31 ss, 38 s, 52).8*
Le disciple qui accueille le Royaume de
Dieu - « il est cette obéissance concrète, jubilaire dans
le pardon et la repentance »(p. 97) - est appelé à
l'imitation de Jésus, en particulier dans sa relation
non-violente aux pouvoirs. Le disciple prend sa croix en
acceptant d'avance le supplice comme « le résultat
politique, juridiquement prévisible, d'un affrontement
moral avec les « pouvoirs en place » (p. 122). Les
épîtres, continue le professeur Yoder, confirment le
témoignage des Evangiles. Leur éthique, même dans les
préceptes aux époux, aux enfants et parents, aux esclaves
et maîtres, ces « tables domestiques » qu'on a dites
démarquées des préceptes stoïciens, décrit la « suivance »
de Jésus, tire ses normes de son modèle (ch. 9). John
Yoder donne une grande importance au thème des Puissances,
surtout chez Paul, et les assimile aux structures
religieuses, intellectuelles, morales, politiques, qui
asservissent socialement les hommes (ch. 8 ).
L'Etat en fait partie (p. 133 : « la
tyrannie. . . selon Romains 13,1 doit être comptée au
nombre des Puissances » (p. 178 ). Ces puissances, malgré
leur déchéance et leur lutte contre Dieu, jouent un rôle
régulateur sous la providence divine, et le croyant est
invité à se soumettre à elles (pp. 133ss). La
subordination selon Romains 13 s'entend de cette façon ;
ce passage et le Sermon sur la Montagne n'enseignent pas
deux éthiques au croyant : «Tous deux l'appellent à se
soumettre au processus de l'histoire dans laquelle le
glaive continue à être porté pour permettre qu'un ordre
minimum soit maintenu, mais sans confondre cette fonction
avec son ministère propre de réconciliation » (p. 194). Le
ministère de rénovation des rapports sociaux est au coeur
de la nouvelle création selon 2 Corinthiens 5, 17, et de
la justification, trop rétrécie par les Réformateurs
augustiniens (ch. 11) ; c'est la guerre de l'Agneau dont
parle l'Apocalypse (ch. 12).
Plusieurs des thèses que nous venons de
résumer nous semblent mal fondées. Les improbabilités
s'empilent, les données contraires restent dans l'ombre,
le lecteur peu averti aura l'impression que la plupart des
spécialistes sont d'accord alors qu'il n'en est rien. Mais
nous ne sommes pas en désaccord sur tout ! Nous ne logeons
pas aux antipodes ! (Nous ne sommes pas enfermés dans
l'alternative que le livre suggère souvent entre la thèse
yodérienne et son contraire). Notre gratitude va,
par-dessus tout, à la section sur les « tables domestiques
» : elle nous a éclairé, convaincu (à noter la résistance
sobre à la démagogie à propos du rôle de la femme, pp.
162s).
Malgré des accentuations excessives,
l'interprétation tombe juste sur le sens de « prendre sa
croix », et l'importance de la tentation « zélote » pour
Jésus.9*Nous
sommes profondément d'accord avec John Yoder lorsqu'il
plaide que le souci d'efficacité ne saurait empiéter sur
la simple obéissance (pp. 211ss), sur la vocation à suivre
l'Agneau crucifié : Amen ! Pour nous aussi, en un sens, le
Royaume de Dieu est un ordre social visible, qui doit dès
maintenant structurer les relations de la vie commune dans
l'Eglise, prémices de la nouvelle création. Nous pourrions
même admettre le mot « politique » dans l'acception large
définie par J. Yoder ; en outre, nous ne nions pas que
l'existence dans le monde d'une communauté de service
mutuel, du pardon et de la réconciliation, affecte « le »
ou la politique au sens banal.
Enfin, nous affirmons la pertinence
éthique de Jésus, dans tous les domaines - nous différons
seulement du professeur Yoder dans la description et
l'analyse du modèle, et nous faisons une plus large part
aux éléments ressortissant à la vocation individuelle.
Avouons-le, la lecture des Evangiles
dans Jésus et le politique nous paraît singulièrement
gauchie. D'après le texte biblique, et contrairement aux
affirmations citées plus haut, ce n'est pas à cause de son
éthique socio-politique, et encore moins de son refus de
l'épée, que le Sanhédrin et Pilate ont condamné Jésus :
c'est le blasphème d'une messianité céleste, au rang
divin, qui a indigné les chefs juifs (Mt 26,6 4ss ; Mc 14,
62ss ; Lc 22, 69ss ; Jn 19,7 cf. 5, 18 et 10, 33 ) ;
Pilate, ayant expressément reconnu l'innocence et
l'innocuité politique de Jésus, après l'avoir interrogé
sur sa royauté, a été contraint par le chantage à
prononcer un verdict sans fondement dans les faits à ses
propres yeux. Ou bien on accuse les évangélistes de
maquillage tendancieux, ou bien le reproche se renvoie de
l'autre côté10*.
L'argument selon lequel la réaction des
notables prouve que Jésus menaçait politiquement leur
pouvoir est anachronique : il oublie la force, dans une
telle société, des passions strictement religieuses et
théologiques (même de nos jours, rappelons-nous l'Iran) ;
de plus, l'autorité sacerdotale et doctrinale fondait en
grande partie le pouvoir des élites juives : un message
purement religieux pouvait paraître une menace. A propos
de l'épée que Jésus commande de prendre (Lc 22,36), John
Yoder aboutit à une exégèse surprenante : Jésus
préparerait ses disciples « pour son arrestation, pour
accomplir la prophétie qui veut qu'on le trouve en
compagnie compromettante », l'oracle « On l'a compté parmi
les criminels » (p. 49 n.44 ;p. 51 : « Jésus pris dans une
situation où il était formellement coupable de fomenter
une insurrection armée »). Ainsi, Jésus aurait été
condamné pour son refus de l'épée, et aurait organisé une
mise en scène (trompeuse) pour obtenir l'inculpation toute
contraire !
La théorie du Jubilé tient du château de
cartes. Certes, Esaïe 61, il fait sans doute allusion à la
loi de Lévitique 25 ; l'indice en est le terme assez
technique employé pour la « libération » proclamée, terme
rare et caractéristique des dispositions jubilaires.
Mais, dans son contexte, la prophétie ne
peut viser que la Grande Rédemption promise aux exilés de
Sion, dont le retour de Babylone sera le prélude et
l'achèvement, le salut et la nouvelle création par le
ministère du serviteur de l'Eternel : le Jubilé n'est
évoqué qu'à titre de figure.11*C'est
du grand Événement, objet de toute l'espérance, que Jésus
à Nazareth annonce l'accomplissement. On ne peut pas en
tirer que Jésus exige de la société israélite en l'an 26
l'application de la loi jubilaire - même si les deux
textes (Lv 25 et Es 61) étaient lus à la suite dans le
service synagogal.12*Les
autres ,allusions alléguées sont encore moins
consistantes. Si le « Notre Père » demande « Remets-nous
nos dettes », rien n'indique de penser au Jubilé (contre
pp. 59s) : John Yoder oublie qu'en araméen, le hôbà',
littéralement « dette », était devenu le terme courant
pour la « faute » ou le « péché », et c'est bien pourquoi
Matthieu paraphrase aussitôt en employant « transgression
». Interpréter Luc 1 2 , 3 3 , « Vendez ce que vous
possédez et donnez-le en aumône », comme « ordonnance
jubilaire », comme la « redistribution du capital »
pouvant seule satisfaire Jésus (pp. 67 -69), c'est dériver
fort loin de l'institution du Lévitique prétendument en
cause ! Celle-ci ne parle pas d'aumône, ni de vente, et ne
réclame même pas la « redistribution » du capital,
puisqu'elle garantit une propriété perpétuelle, sauf
extinction de la lignée : chacun retourne dans le
patrimoine familial. A quel, point une thèse préconçue
infléchit la lecture !
Encore un échantillon du traitement de
l'histoire évangélique. On s'étonne que la fameuse réponse
de Jésus à propos du tribut versé à César reçoive moins
d'une page de commentaire, et surtout de la logique que le
professeur Yoder lui applique. Pour lui, elle infirme la
conception «spiritualisante », apolitique, de Jésus ; «
elle met plutôt en évidence, écrit-il, l'imbrication de
deux revendications ou de deux souverainetés qui
s'affrontent sur le même terrain » (p. 48). En réalité, le
texte se lit aussi facilement dans la perspective la plus
luthérienne des deux Royaumes que dans celle de notre
auteur : il n'infirme ou ne confirme pas plus l'une que
l'autre. Il enseigne, cependant, un point capital que John
Yoder passe entièrement sous silence : interrogé sur le
paiement de l'impôt (Lc 20,22), Jésus délimite une sphère
de légitimité pour les exigences de César, auxquelles il
commande (avec son autorité de suprême Docteur, v. 21) de
se soumettre. Il ne s'agit pas de non-résistance à
l'agression du méchant, mais de choses qui appartiennent à
César et lui sont dues (v. 25).
La question de la légitimité, avec
d'autres, importe aussi dans l'étude des épîtres
pauliniennes. A propos des Puissances, et de l'inclusion
de l'Etat parmi elles, nous sommes heureux que le
professeur Yoder ne veuille pas « perdre de vue le sens
littéral de la terminologie paulinienne en rapport avec la
démonologie... » (p. 129 n.4). La précision est bienvenue,
d'autant que les auteurs auxquels il emboîte le pas ne
sont pas aussi nets. En dehors du désir de transposer ou «
actualiser », la pensée biblique pour des modernes mal à
l'aise avec la croyance aux démons, nous n'avons rencontré
aucune considération assez forte pour asseoir la théorie
des Puissances - structures. Yoder use en quelque sorte de
l'argument d'autorité (scientifique) : les « conclusions »
qu'il invoque « sont aujourd'hui admises par les exégètes
», incomprises seulement « au-delà des frontières de la
discipline » (p. 128). Cette présentation, qui en impose
au lecteur non averti, est contestable. Déjà à l'époque de
Trie Politics of Jésus, tous les exégètes, même critiques
libéraux, étaient loin de se rallier à la thèse des Caird
et Hendrik Berkhof. M. Cambe, qui survole à l'époque le
débat, le montre, et se montre lui-même très prudent.13*Depuis,
la réaction, celle du bon sens à nos yeux, a pris plus
d'ampleur. Le dernier gros travail que nous ayons vu sur
la question, celui que Wesley Carr a tiré de sa thèse à
Sheffield, renverse complètement la vapeur :14*au
point de verser dans l'excès opposé ! Il démontre, en tout
cas, l'inconsistance des arguments de la thèse qui fut à
la mode, et dénonce justement le recours à des sources
nettement plus tardives. Parmi les évangéliques, P. T.
O'Brien a repris et développé la réfutation de John Stott
(commentant Ep 6) dans le même sens.15*
Quant à l'inclusion de l'Etat parmi ces
Puissances, on se rappelle que Martin Dibelius qui
introduisit cette pensée en 1909 (avec dette envers
Everling, 1888), l'a plus tard répudiée (1942). Elle a
subi de violentes critiques, et nous la croyons très
minoritaire aujourd'hui. Les deux grands commentateurs
évangéliques F. F.
Bruce et John Murray la rejettent.16*C.E.
B. Cranfield (que Yoder cite, pp. 192s) la favorisait il y
a vingt ans ; voici son témoignage plus récent : ...tandis
que nous revenions à ce sujet plusieurs fois dans les
années qui ont suivi, nous nous sommes sentis de plus en
plus mal à l'aise (... )
Nous en sommes venu maintenant à la
considérer comme moins probable que l'interprétation selon
laquelle Paul, utilisant exousiai ici (R m 13 ), ne
pensait qu'aux autorités civiles comme telles.17*
Espérons que le professeur Yoder opérera
semblable conversion. Quant à l'avis des spécialistes sur
Romains 13, John Yoder s'exprime comme il l'a fait à
propos des Puissances - et, pareillement s'impose une mise
en garde. Après avoir résumé, sans y mettre de sympathie !
la compréhension traditionnelle, il écrit : « l'exégèse
néo-testamentaire a depuis longtemps abandonné un. concept
aussi simpliste de l'institution divine dans l'ordre de la
création » (p. 176).
La formulation joue d'ambiguïté (qui se
croit « simpliste » ?) et il est certain que l'idée
d'ordre de la création ne fait pas l'unanimité. Mais s'il
fallait comprendre que les exégètes effacent la notion
d'institution divine de Romains 13, comme Yoder le fait
lui-même ensuite, alors l'énoncé serait grandement
inexact. Nous l'avons retrouvée, au contraire, dans tous
les commentaires que nous avons consultés ! Le coeur de la
position yodérienne, face à Romains 1 3 , 1 -7, se lit
dans les lignes suivantes :
Le grec est formel, il ne dit pas de
Dieu qu 'il crée, qu il institue, qu il établit ou qu il
consacre les autorités mais seulement qu'il les met en
ordre, qu'il leur assigne souverainement une place ou une
fonction (...)
Pour Dieu cette mise en ordre n
'implique pas qu il cautionne moralement ou qu il approuve
particulièrement ce que ce gouvernement est appelé à
faire. On n'attend pas du bibliothécaire qu'il écrive ou
qu'il souscrive au contenu de tous les ouvrages qu'il
catalogue et qu'il range sur ses rayons ! Les rebelles «
autorités qui existent » ont déjà leurs formes et leurs
identités propres dont Dieu n'a pas à assumer la
responsabilité. Le texte dit simplement qu'il les
subordonne, qu il les met en rang... (p. 185).
En prêchant aux chrétiens la
subordination, Paul « leur recommande d'adopter une
attitude de non-résistance à l'égard de la tyrannie » ; «
voilà quel est le sens précis et immédiat de ce passage...
» (p. 186). On le voit, John Yoder élimine la légitimation
des autorités civiles. Sa stratégie consiste à faire
passer l'ordre en cause chez Paul de la volonté préceptive
de Dieu (de sa loi) à la volonté décrétive (son
gouvernement providentiel : l'original parle de permissive
government). Dieu ne confère plus d'autorité légitimante
aux magistrats, il intègre l'oeuvre des méchants, des
tyrans, dans sa conduite de l'histoire.
Les atouts du traitement yodérien
appartiennent à la rhétorique : non pas à l'exégèse. Les
premiers mots, déjà, du paragraphe cité, risquent
d'induire en erreur : « le grec est formel ». Certains ont
imaginé que le verbe grec (tassô) ne peut pas signifier «
instituer » ou « établir », et vont s'étonner du choix de
ces verbes par presque toutes les traductions ! C'est tout
le contraire qui est vrai: les lexicographes les plus «
côtés » (nous renvoyons au Bauer-Arndt - Gingrich)
exposent que tel est l'un des usages, et ils le
reconnaissent en Romains 13, 1, usage très approprié quand
il s'agit de personnes, exerçant un commandement, mises en
place par le Souverain. De nombreuses données excluent que
l'apôtre n'ait ici en vue que les arrangements
providentiels de Dieu, qui canalisent la violence
pécheresse des rebelles. Paul commence par poser la
question de l'origine de l'autorité, comme telle : « il
n'y a pas d'autorité sinon venant de Dieu » (v. l ). Il
insiste ensuite sur l'ordre venant de Dieu comme jamais il
ne le ferait du simple «arrangement» des forces mauvaises
: en effet, l'apôtre accumule les termes qui ont tassô
pour radical ; nous suggérons l'équivalent approximatif
suivant en français, avec le radical moins fort « poser »
:
Que toute âme accepte l'imposition
(hupotassô) des autorités supérieures, car il n'y a pas
d'autorité sinon venant de Dieu, et celles qui existent
ont été (pré)posées (tassô) par Dieu, de telle sorte que
celui qui s'oppose (antitassô) à l'autorité résiste à la
disposition (diatassô) de Dieu, et ceux qui résistent
s'attireront condamnation (vv.1 -2 ).
La « condamnation » ne tombe pas pour
défaut de conformité à Jésus dans la non-résistance au
méchant ; plutôt, s'opposer à l'autorité, c'est s'opposer
à Dieu, l'autorité venant de Dieu. Paul ne parlerait pas
de devoir de conscience (v.5) pour l'attitude générale
d'humble service à laquelle nous sommes appelés ; il
emploie un tel langage quand il débat de points précis
relatifs à la volonté préceptive de Dieu (cf. en
particulier 1 Co 10, 2 sss). L'arrangement providentiel, à
lui seul, n'expliquerait pas l'accent sur le titre de
serviteur de Dieu (diakonos)décerné à l'autorité (v.4,
deux fois), et même de « liturges de Dieu », titre
d'honneur; pour les gouvernants (v.6).18*Tous
les indices exégétiques vont dans le même sens.
D'autres considérations corroborent
notre critique. On se demande si le gouvernement permissif
de Dieu ne sert pas, dans l'explication yodérienne, à
conférer subrepticement comme un grain de légitimation
indue aux méchants ployés par Dieu à ses desseins.
Nous ne prônerions pas, quant à nous, la
soumission au « processus de l'histoire » (p. 194).
D'ailleurs, parle-t-on proprement d'ordre, de mise en
ordre, pour la manière dont Dieu englobe le mal sous son
gouvernement ? Aux Puissances rebelles et vaincues, le
Nouveau Testament ne nous dit nulle part de nous soumettre
!Nous n'avons pas à résister ou nous opposer à l'homme
méchant (Mt 5,39) et au magistrat (Rm 13,2) - Les deux cas
n'étant pas pour nous assimilés - mais bel et bien au
diable (Jc 4, 7 ; 1 P 5, 9) et aux esprits mauvais (Ep
6,13 ; même verbe dans tous des versets). John Yoder ne
peut ignorer que nous menons guerre contre les Puissances,
mais il plaide que nous nous contentons strictement de la
défensive (p. 14 1) : cela paraît forcé, en particulier
pour l'épée (de l'Esprit).19*Le
commandement de chasser les démons évoque plutôt
l'offensive, et déclarer que Jésus a accepté de se
soumettre aux Puissances (p. 136) ne s'accorde guère, avec
Luc 11,20ss... Si notre auteur s'empêtre dans ces
difficultés, c'est qu'il refuse de distinguer du
gouvernement providentiel la légitimation du magistrat par
délégation d'autorité : cette notion permet de maintenir
la légitimité du pouvoir tout en désapprouvant l'usage qui
en est fait, comme Jésus face à Pilate (Jn 19,11).
contrairement à l'insinuation, la lecture traditionnelle
de Romains 13 n'oblige nullement à un conservatisme
pro-gouvernemental.
Cette notion s'élabore dès l'Ancien
Testament,20*et
des savants compétents assurent qu'elle était doctrine
reçue dans le judaïsme.21*
L'interprétation spécieuse de Romains 13
que nous écartons n'appartient pas, croyons-nous, à la
tradition mennonite, qui retenait « l'institution », non
plus que l'accent sur la pertinence politique de Jésus.
C'est pourquoi nous qualifions volontiers de «
néo-mennonite » la pensée yodérienne.22*C'est
pourquoi, aussi, nous ne reprenons pas la discussion du
pacifisme (objection de conscience au port des armes) : il
n'est pas le sujet même de l'ouvrage examiné, bien qu'il
soit, à coup sûr, sous-jacent. Il importait d'abord de
faire apparaître le véritable état des questions, obscurci
par une information inadéquate.
Nous donnerions avec joie la réplique à
beaucoup d'autres affirmations du professeur Yoder, par
exemple sur la justification.23*L'espace
nous contraint d'y renoncer, comme à la présentation
positive du rapport entre Jésus et le domaine politique,
ou de l'enseignement paulinien. Nous esquisserons la
réponse à une dernière question : quels sont, à notre
avis, les facteurs de déviation qui ont infléchi la
lecture yodérienne ?
Nous n'en nommerons qu'un qui paraît
principal : nous déplorons une réduction éthique du
Royaume de Dieu, qui ne s'explique et ne s'excuse pas
assez par le souci de compenser l'excès contraire (p. 2
10). La phrase sur le Royaume de Dieu, « Il ne survient
pas comme une catastrophe universelle, indépendante de la
volonté des hommes ; il est cette obéissance concrète... »
(p. 96s) recèle une dangereuse ambiguïté. Le Royaume de
Dieu, s'il croît comme une semence discrète, par l'Esprit
Saint, avant la « catastrophe », est toujours le fait de
Dieu ; il arrive et atteint les hommes, qu'ils lui fassent
ou non bon accueil, pour leur salut ou leur jugement (Mt
12,28 ; Lc 10,11, etc.). Jésus et le politique gomme cette
dimension première, la priorité biblique de l'oeuvre de
Dieu, de la relation et réconciliation de l'homme avec
Dieu, de l'expiation des péchés qui séparent l'homme de
Dieu, de la mission expiatoire pour le Fils venu en chair.
C'est peut-être un manque d'attention aux Événements du
sang rédempteur, de la résurrection glorieuse, de
l'effusion de l'Esprit, de la Parousie attendue
(événements aussi concrets que l'Exode ou la délivrance de
Josaphat, p. 80), qui empêche de discerner la dualité de
notre situation présente, entre les temps, « en espérance
», avec les deux citoyennetés conjuguées dans la même
existence pour le croyant, ensemble assumées avec leurs
droits et leurs devoirs.
Au delà des discussions, cependant (cf.
Hé 5, 14), sur le Christ de Marpeck et le Jésus yodérien,
subsiste la vérité que nous professons d'un même coeur et
par laquelle le professeur Yoder conclut « en beauté » son
ouvrage : Vicit agnus noster, eum sequamur Notre agneau a
vaincu, suivons-le !
Henri BLOCHER
Ichthus 1985-5 (No
132)
.
1. Christologie anabaptiste. Pilgram
Marpeck et l'humanité du Christ (colt. « Histoire et
société » 4; Genève: Labor et Fides, 1984) 280 pp.
Signalons une seule coquille importante: p. 174, la
citation attribuée à l'Ecclésiaste est de
l'Ecclésiastique.
.
2. Jésus et le politique. La radicalité
éthique de la croix (Lausanne : Presses Bibliques
Universitaires, 1984) 235 pp., présenté par Jean Séguy,
l'historien-sociologue (catholique) du C.N.R.S.
.
3. Schwenckfeld préconisait une
suspension, Stillstand, de la célébration des sacrements.
.
4. Les citations suggèrent
l'adoptianisme dit « mitigé», l'homme Christ fait fils de
Dieu à l'Ascension.
.
5. Il faut corriger «qui ressort», p.22,
en « qui ressortit »(confusion entre les deux verbes «
ressortir »); « alternative » est employé de façon
anglaise,incorrecte en français (au sens de « solution de
rechange, autre option »), pp. 36, 39, 77, 156n.9, 173 ;
le faux ami évidence (textuel evidence) est rendu
«évidences» (textuelles), p. 120, quand il faudrait
«données ».
.
6. L'absence de référence à Jn 18,36
nous avait étonné John Yoder a maintenant quelques
paragraphes sur ce passage, pp. 100-102. La retouche est,
à l'occasion, un peu gauche. Nous nous étions inquiété de
l'éclairage défavorable projeté sur
l'expiation-propriation; le mot« seulement » a donc été
ajouté p. 39 :«la croix s'annonce non seulement comme un
instrument rituel de propitiation...» mais, bien sûr, la
croix n'a jamais été un instrument ,duel. A la croix,
Jésus se livre pour opérer la propriation réelle, que les
rites préfiguraient.
.
7. Comment concilier cette précision de
date (répétée p. 68) avec la suggestion de Kraeling,
apparemment retenue pp. 81s n.3, selon laquelle on compte
1290 jours entre « l'abomination de la désolation» commise
par Pilate en 26 (les enseignes romaines à Jérusalem) et
le début du ministère de Jésus ?
.
8. «A l'origine, (la proie à saisir de
Ph 2,6) faisait peut-être référence au refus de Jésus de
devenir un roi tel que le concevaient les Zélotes» (p.11s
n.23). Mais les Zélotes, fanatiques du monothéisme,
n'avaient jamais rêvé pour leur roi l'égalité avec Dieu !
.
9. Signalons, cependant, que le
zélotisme comme parti politique et mouvement de
guérilleros n'est pas encore attesté au temps de Jésus :
cf. J. A. Morin, « Les deux derniers des Douze : Simon le
Zélote et Judas lshkarioth», Revue Biblique 80 (1973)
pp.332-358. Une note de Yoder montre d'ailleurs qu'il sait
le terrain scientifiquement instable (pp. 56s, n.53).
.
10. Nous souhaiterions plus de vigueur
dans la riposte de Yoder à l'accusation lancée par les
critiques comme Brandon à l'encontre des évangélistes:
«Nous admettons aussi que la dépolitisation du souvenir de
Jésus dans le christianisme primitif(quoique dans le canon
du Nouveau Testament cela ait été beaucoup moins prononcé
qu'il ne le pense) répondait à une motivation apologétique
» (p. 46 n.38). Dans un seul passage le meurtre de Jésus
reçoit une motivation politique : Jn 11,47-52, mais
l'éthique de Jésus n'est pas en cause ;il s'agit de ses
miracles, et des remous qu'ils provoquaient. (Nous ne
nions pas que le comportement de Jésus, en particulier sa
manière de frayer avec les riches collaborateurs de
l'ennemi,les publicains, ait exaspéré ses adversaires,
mais nous voulons respecter l'équilibre des textes).
.
11. Es 61,3 (la plantation) montre que
la visée reste la même qu'au chapitre précédent (Es
60,21), un renouvellement si radical que l'Eternel
remplacera le soleil comme lumière de son peuple (Es
60,19s). Le parallélisme avec le premier poème du
Serviteur (Es 42,1ss, aucune réminiscence du Jubilé) est
bien connu ; le mot employé à la fin de 61,1 (sous une
forme redoublée, emphatique) est celui de 42,7 (« pour
ouvrir les yeux des aveugles»), et la version grecque,
citée en Lc 4,18, a traduit de même. Lv 25 est loin, qui
ne contient rien de cette sorte (et ne parle même pas de «
prisonniers »). Yoder a probablement perçu que l'oracle
d'Es 61 ne se soucie pas de prédire la mise en vigueur de
la loi du Jubilé, car il concède :« L'année d'accueil par
le Seigneur était certainement pour le prophète un
événement particulier devant avoir lieu, soit à la fin des
temps, soit dans un avenir rapproché pour les captifs de
Babylone, soit encore dans ces deux sens » (p. 33).
.
12. C'est la seule donnée que peut
invoquer Yoder, p.33 n.15, et encore, il signale que
l'association des passages dans les lectionnaires juifs
est peut-être plus tardive.
.
13. Art. « Puissances célestes »,
Supplément au Dictionnaire de la Bible VIII, Fasc. 49-50
(197 5) Cols. 336-381.
.
14. Angels and Principalities. The
Bacground, Meanring and Development of the Pauline Phrase
hai archai kai hai exousiai (Monographies de la S.N.T.S.
42 ; Cambridge : Cambridge University Press, 198 1) XII et
242 pp.
.
15. « Principalities and Powers »,
Evangelical Review of Theology (av. 1982) pp. 50-61 .
.
16. Le second a un substantiel appendice
qui réfute la thèse « angélique » en Rm 13 : Trie Epistle
to the Romans... (Londres et Edimbourg, Marshall, Morgan
and Scott, 1967) Vol. Il, pp.252-256.
.
17. A Critical and Exegetical Comment on
the Epistle to the Romans (Edimbourg : T et T Clarck,
1979) Vol. Il, p. 659.
.
18. Yoder, p. 191, voudrait que ces «
liturges » soient les chrétiens payant leurs impôts. Il ne
mentionne même pas l'énorme difficulté contre laquelle
bute son hypothèse : sans autre indication, les chrétiens
exhortés à la 2e personne du pluriel au v.6a et encore au
v.7a seraient en cause à la 3e personne au v.6b ! Yoder ne
peut citer aucune traduction ni aucun commentaire qui ait
fait ce choix, indéfendable. Il grossit, lui, démesurément
la difficulté de l'éloignement du sujet logique (les
gouvernants, v.3): ce n'est pas si loin pour le style de
Paul.
.
19. Yoder admet, p. 187 n.14 : « C'est
l'arme du corps-à-corps (Mt 26,51), de l'insurrection (Lc
22,36). C'est l'arme du bourreau, sauf à Rome (Hb 11,37 ;
Ac 12,2) ». Cranfield, p. 667, interprète l'épée de Rm
13,4 de la disposition du pouvoir militaire, de la force
armée.
.
20. Les gouvernants ou «juges »
représentent Dieu et sont appelés 'elôhim, Ex 21,6 ; 22,8s
; Dt 1,16s ; 2 Ch 19,6 et le Ps 82. La plupart des données
concernent, cela va de soi, les magistrats israélites,
mais on peut étendre aux païens = Elisée va oindre Hazaël
(2 R 8,7-15); Cyrus est dit « messie » (Es 45,1).
.
21. C. H. Dodd, The Epistle of Paul to
the Romans (Londres: Hodder et Stoughton, 1931) p. 203 :«
la conception selon laquelle les gouvernements séculiers
sont d'institution divine... était doctrine orthodoxe dans
le judaïsme ». On cite souvent Sag 6,1-11.
.
22. L'élément théorique le plus neuf
n'apparaît guère dans Jésus et le politique. où les
innovations tendent surtout à augmenter l'homogénéité de
la pensée mennonite, mais dans le livre,signalé p. 104,
The Christian Witness to the Store (Newton, Kansas : Faith
and Life Press, 1964) 90pp. L'ouvrage est court, mais de
poids ; en exploitant certains apports de Reinhold Niebuhr
(fameux champion du christianisme social «réaliste»),
Yoder élabore un intermédiaire (dynamique, instable car
toujours remis en question) entre le radicalisme pacifiste
et les politiques ordinaires : ce qu'on peut demander à un
Etat non chrétien.
.
23. Nous renvoyons à notre « fac-étude
», La doctrine du péché et de la rédemption
(Vaux-sur-Seine: Edifac, Fac. de Théol. Ev., 1983) pp.
354-376 ; nous citons des travaux récents qui répondent au
type d'interprétation adopté par John Yoder.