Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Etudes bibliques

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JEPHTÉ: L'ÉTRANGE VOEU D'UN MARGINAL (Juges 11.29-40)


Qui dit Jephthé dit voeu; qui dit voeu dit Jephthé. Du ministère de ce juge, le lecteur ne retient souvent que le récit de son voeu étrange. Impossible de dissocier les deux. Mais en quoi consistait exactement cet engagement? Était-il plaisant ou déplaisant, exemplaire ou exécrable? Dans quel esprit et pour quelle raison a-t-il été fait?

L'interprétation de cet acte oppose adversaires et sympathisants de notre juge. Les uns voient en lui un produit des cultures cananéennes, un homme qui n'a pas hésité à sacrifier sa propre fille pour s'acheter la bénédiction divine. Les autres, sans l'approuver entièrement dans sa démarche, suggèrent que Jephthé s'est contenté de consacrer sa fille au service du tabernacle.

La difficulté à trancher entre les deux points de vue vient souvent d'une négligence (pour ne pas dire d'une ignorance) du contexte, car faut-il le rappeler, les 12 versets de notre récit font partie d'un ensemble beaucoup plus large (60 versets: Jug 10.6 -12.7). Évaluer la force de chaque position sans étudier les développements antérieurs et postérieurs, c'est s'aventurer sans boussole dans une jungle d'arguments.

Notre étude du contexte examinera les données relatives, (I) à l'ensemble du livre des Juges, (2) au cadre fixé par le ministère des juges précédant et suivant immédiatement Jephthé, (3) à la structure du sixième cycle d'oppression / libération, (4) au contenu particulier de ce cycle. Nous serons alors mieux à même de discerner l'ivraie du bon grain dans les arguments avancés par les différents commentateurs. Mais avant de prendre envol pour cette approche globale, précisons les éléments clés de chaque position.


Sacrifice humain ou consécration au service de Dieu?

Les critiques de Jephthé relèvent comme argument fondamental la mention du mot holocauste («olâ: 11.31).

Selon eux, ce mot est toujours utilisé pour décrire un sacrifice entièrement brûlé. Pour expliquer l'abomination du sacrifice humain, ils relèvent l'arrière-plan du juge et la dégradation morale de son époque. Notre juge est né d'une prostituée (probablement païenne puisque la prostitution était bannie d'Israël pendant la majeure partie de son histoire). Il semble avoir vécu à l'étranger (le pays de Tob) entouré d'hommes de rien (11.3). Ce contexte païen pourrait expliquer la perversion des valeurs morales et spirituelles de Jephthé. Plus tard, le massacre de 42 000 hommes d'Ephraïm (12.1-6) semble confirmer ce jugement. Quant à l'absence de reproches du peuple suite à ces infamies, elle serait due à la dégradation morale et spirituelle de l'époque.

De l'autre côté, les défenseurs de Jephthé avancent que le juge est mentionné comme héros de la foi dans le Nouveau Testament (Héb 11.32), que l'Esprit divin était sur lui (Jug 11.29), que le drame principal du récit est la virginité et non la mort de la fille de Jephthé. Enfin, la passivité du peuple devant un sacrifice humain serait inexplicable, même en des temps d'apostasie. Ne voit-on pas le peuple réagir violemment à une autre abomination à la fin du livre, alors que le peuple est au plus bas (19.30-20.1)?


Le contexte du livre: le thème du leadership

Comme nous avons eu l'occasion de le relever dans nos études précédentes (Promesses 99-104), le livre des Juges présente le ministère des leaders sous un regard favorable. La corruption rencontrée à cette période en Israël ne vient pas des juges, mais du peuple. Celui-ci préfère se tourner vers les idoles plutôt que de suivre la voie tracée par leurs chefs (voir en particulier Promesses 99: 1992/1). Mis à part quelques légers écarts, le comportement des juges est irréprochable.

Le Nouveau Testament interprète dans le même sens leur ministère: non seulement rien de négatif n'est mentionné à leur sujet, mais surtout quatre d'entre eux (dont Jephthé) sont cités comme héros de la foi (Héb 11.32).

Concernant le voeu, on doit relever la mention de la venue de l'Esprit de l'Éternel sur le juge juste avant la formulation de son voeu (11.29-30). Six des sept références à l'Esprit de l'Éternel dans ce livre ont pour but d'aider le lecteur à interpréter correctement un récit qu'il pourrait, de prime abord, mal comprendre. (La première référence sert à qualifier le ministère du juge-type Othniel: 3.10). Ainsi, l'auteur nous met en garde de ne pas lire négativement cette action du juge: Jephthé était pleinement guidé par le Seigneur quand il s'est engagé par son voeu. L'étude détaillée du texte nous montrera en quoi son voeu était le produit d'un coeur noble. Cependant avant de le faire, notre attention s'arrêtera sur le contexte historique du juge et la structure du cycle.


Le cadre des prédécesseurs et successeurs: le thème de la descendance

Le ministère de Jephthé est entouré par celui de cinq petits juges, deux avant (Tola et Yaïr: 10. 1-5) et trois après (Ibstân, Elôn et Abdôn: 12.8-15). Le qualificatif petit qui leur est appliqué ne caractérise ni la durée de leur règne (les deux premiers ont régné trois fois plus longtemps que Jephthé) ni leur influence (Yaïr, Ibtsân et Abdôn ont profondément marqué les générations suivantes par leurs descendants), mais par la place que l'auteur leur consacre: le ministère de chacun est «expédié» en deux ou trois versets.

Cependant, tout petits qu'ils soient, on aurait tort de les ignorer. L'auteur des Juges a choisi avec soin tous les éléments de son oeuvre. Les trois siècles qu'il désire décrire sont riches en événements. Seuls quelques-uns peuvent être mentionnés. Chacun est donc significatif et représentatif de son époque. Les petits juges jouent le rôle des petites pierres qui viennent s'intercaler entre les blocs massifs d'une construction pour en accroître la solidité et l'unité. Au nombre de six (aux cinq mentionnés ci-dessus, il faut ajouter Chamgar: 3.31), les petits juges portent le nombre total des juges à douze, soit le nombre des tribus d'Israël. Par ce chiffre-clé, l'auteur semble signaler aux lecteurs attentifs que les juges sélectionnés dans son livre représentent tous les juges de cette période. D'autre part, la totalité du règne de ces petits juges «bouche-trou» s'élève à 70 ans, un autre chiffre plein de sens. Notez que l'auteur n'invente rien. Il se contente de mentionner et d'omettre ce qui est utile à son oeuvre (ce que fait, soit-dit en passant, tout historien).

Pour revenir plus précisément aux cinq petits juges entourant Jephthé (soient cinq petites pierres pour caler un bloc plus embarrassant que les autres), il nous faut relever, dans les données accompagnant le nom de ces juges, les mentions abondantes (et même démesurées) des descendances. De plus, si l'on inclut la seule autre descendance mentionnée dans ce livre (celle du juge précédant immédiatement Tola), nous obtenons un chiasme révélateur:


A1 Gédéon: 70 fils (8.29-32)

B1 Tola: aucune précision sur la descendance (10. 1-2)

C1 Yaïr: 30 fils (10.3-5)

D1 Jephthé: est privé d'une descendance (11.29-40)

 

C2 Ibtsân: 30 fils (12.8-10)

B2 Elôn: aucune précision sur la descendance (12.11-12)

A2 Abdôn: 40 fils et 30 petits-fils, soient 70 au total (on relève les 70 ânons) (12.13-15)


Cette structure focalise les regards sur Jephthé au centre du chiasme. Au mouvement décroissant des descendances conduisant de Gédéon à Jephthé, suit le mouvement inverse de Jephthé à Abdôn. Mieux: les chiffres des descendances respectives se correspondent entièrement: 70 – ? – 30 – 0 – 30 – ? – 70.

Si Jephthé est au centre, le thème de la descendance l'est aussi, ou plutôt l'absence de descendance. En effet, le drame de Jephthé privé d'une descendance est décuplé dans ce contexte d'une progéniture plus qu'abondante. Comme une tache noire sur fond blanc, le sort de Jephthé tranche sur celui des autres juges. La structure globale du texte rejoint le message verbal: la souffrance de Jephthé tient dans la virginité de sa fille. Une nouvelle fois, notre analyse fait pencher la balance en faveur de ceux qui voient dans l'enjeu du voeu une consécration au service divin plutôt qu'un sacrifice vivant.


La structure du cycle: Le thème de la marginalité

Avant d'étudier les mots mêmes de notre texte, une dernière étape doit être franchie dans notre approche globale: celle qui situe nos 12 versets dans le cadre des 60 consacrés au cycle de Jephthé.

La particularité de cette section (en plus du voeu de Jephthé) vient de la longue plaidoirie du juge en faveur de la légitimité pour Israël à occuper la Transjordanie (11. 12-28). Pourquoi l'auteur a-t-il jugé opportun de rapporter ces paroles, et de manière si détaillée? Cette question devient brûlante quand on réalise que ce discours est au centre de toute la section:

A1 La révolte du début: 10.6

B 1 La colère de l'Éternel devant la trahison d'Israël: 10.7-16

C1 L'héritage laissé à Jephthé: 10.17-11.11

D Plaidoirie sur l'héritage d'Israël en Transjordanie: 11.12-28

 

C2 L'héritage laissé par Jephthé: 11.29-40

B2 La colère de Jephthé devant la trahison d'Ephraïm: 12.1-6

A2 La conclusion du règne: 12.7

Les tribus de Transjordanie sont l'objet de ce cycle. L'auteur des Juges, qui n'en a encore jamais parlé (sinon brièvement au travers du juge Yaïr: 10. 35) et ne les mentionnera plus (sinon brièvement lors de la coalition contre Benjamin à la fin du livre: 20. 1), règle ici leur statut. La situation de ces trois tribus établies à l'est du Jourdain était ambigüe: tout en faisant partie d'Israël, elles avaient préféré une autre région à la terre promise. La menace d'une scission entre les tribus des deux côtés du Jourdain était constante (Jos 22).

En incluant dans son livre une histoire de salut relative à Gad, l'auteur reconnaît le rattachement de ces tribus à Israël. Certes, seul Gad est mentionné, mais la situation des autres est la même; et comme d'autre part, Gad est situé entre Manassé au nord et Ruben au sud, il représente tous les trois.

Si les trois tribus font partie d'Israël, si elles ont hérité d'une terre comme les autres, si elles sont inclues dans l'alliance avec l'Éternel (et souffrent de sa colère ou bénéficient de son secours selon leur attitude), leur situation n'est quand même pas identique à celle des tribus de Cisjordanie. Restées en marge des promesses divines, elles ne recevront qu'un juge marginal, Jephthé, le fils d'une prostituée. Le juge qui les défendra est aussi celui qui les représente. La marginalité des tribus entraîne la marginalité du juge. Ce lien entre le juge et sa tribu est fondamental si l'on veut bien comprendre la réponse divine au voeu de Jephthé. En effet, ce qui arrive au juge n'est pas seulement le résultat de son attitude ou de son statut personnel, mais aussi le résultat du statut des tribus qu'il représente.


Lumière sur un voeu: le thème de la consécration

L'analyse du contexte étant terminée, nous pouvons maintenant nous pencher sur le récit du voeu. Jephthé est un homme de Dieu, un héros de la foi. Oint de l'Esprit divin, il s'engage et se consacre à Dieu. Quel était le contenu de son engagement et pour quelle raison l'Éternel a-t-il fait tomber le sort sur sa fille? Dans l'ordre, nous allons répondre à ces deux questions.

Jephthé, le marginal et le représentant d'une tribu marginale, désire renouveler son alliance avec Dieu. Mais Dieu est-il prêt à renouveler cette alliance? Jephthé sera fixé à l'issue du combat. S'il remporte la victoire, il saura que Dieu est de son côté. Et dans ce cas, il s'engagera de tout son être.

Mais comment marquer cet engagement? Jephthé propose de laisser à Dieu le choix de l'offrande. Je te consacrerai quiconque sortira des portes de ma maison à ma rencontre à mon heureux retour de chez les Ammonites.

L'offrande de Jephthé est de valeur. Mieux qu'un objet, il offre une personne, et une personne de valeur: elle fera partie de sa famille, et sera celle qu'il apprécie le plus, puisqu'elle aura été plus alerte que les autres à l'accueillir à son retour. En effet, quelqu'un qui nous est entièrement attaché et ne vit que pour nous est aussi quelqu'un que l'on apprécie. Ainsi Jephthé place la barre au sommet: il veut offrir à Dieu la personne qu'il apprécie le plus. Cependant, il laisse le choix final à Dieu. Comme signe d'une soumission réelle, il était difficile de mieux faire.

Comment cette personne sera-t-elle offerte à Dieu? La personne sera consacrée à l'Éternel, et je l'offrirai en holocauste (11.31). Le mot français holocauste vient du grec holos (tout) et kainô (brûler); il représente un sacrifice dans lequel la victime est entièrement brûlée. Le mot hébreu traduit par holocauste est olâ il vient de la racine alâ qui exprime l'idée de monter. Lévitique 1 fournit les caractéristiques de trois types d'holocaustes. À chaque fois, l'offrande est brûlée dans sa totalité, mais l'accent pour ces sacrifices est ailleurs. Il est dans la fumée et surtout l'odeur agréable qui montent vers le Seigneur (Lé 1.9,13,17). Ainsi la racine hébraïque (et non le mot grec) exprime l'essence fondamentale de ce sacrifice.

Jephthé, en parlant d'holocauste, ne pense nullement à un sacrifice humain, mais à un don total et à une offrande d'une agréable odeur qui monte vers Dieu. L'apôtre Paul reprendra dans un même esprit les notions de sacrifice vivant (Rom 12.1) et d'odeur de vie (parfum) (2 Cor 2.14-16). Jephthé, comme Paul, pense au service de Dieu. La suite du texte des Juges confirme cette interprétation puisque la conséquence de cet engagement total n'est pas la mort, mais le célibat du serviteur. Et pour être bien compris, l'auteur relève jusqu'à trois fois la virginité de la fille du juge (11.37, 38, 39).

Jephthé consacre une personne de grande valeur au service de Dieu. Mais pourquoi ne s'est-il pas offert lui-même? Le don d'un autre n'est-il pas une voie de facilité? Pour certains peut-être: pas pour Jephthé. Notre juge est prêt à s'engager totalement. Mais si Jephthé est consacré, il est aussi sage et humble.

Il réalise que son appel se situe sur le plan politique. Dieu l'a qualifié pour libérer le pays. Ses désirs personnels importent peu: il doit rester à son poste. Pas question de servir au temple. Comme le fidèle qui n'a pas reçu d'appel pastoral, mais soutient pasteurs et missionnaires par ses ressources, Jephthé reste à son poste, mais appuie de toutes ses forces le ministère spirituel d'une autre personne.

Par ailleurs, Jephthé est le fils d'une prostituée. Quand on connaît toutes les restrictions physiques au ministère de sacrificateur, on peut imaginer les hésitations de Jephthé à s'engager dans un ministère religieux. Parmi les descendants d'Aaron étaient éliminés du service de l'autel les aveugles, les boiteux, ceux ayant le nez déformé ou un membre allongé les hommes ayant une fracture au pied ou à la main, les bossus ou grêles, ayant une tache à l'oeil, la gale, une dartre ou les testicules écrasés (Lév 21.18-20). Ainsi sous l'Ancienne Alliance, les caractéristiques physiques et spirituelles devaient correspondre. La perfection sous tous les rapports était exigée. Or par sa naissance, Jephthé est impur, et d'emblée, il se sent exclu d'un ministère spirituel.


Un homme sans reproche

Si Jephthé porte en lui une marque d'imperfection (par sa naissance), il est irréprochable sur le plan moral et spirituel. Il accepte les limitations imposées par Dieu pour certains ministères; il se soumet aussi au choix de Dieu lorsque sa fille l'accueille la première. Même la guerre civile qu'il mène après sa victoire sur les Ammonites est juste (12.1-6). Les hommes d'Ephraïm qui en voulaient à sa vie sans raison n'étaient que des criminels. Comme juge, il accomplit son devoir. En les punissant par la mort, il applique la loi divine qui exige la peine capitale pour les meurtriers (Ex 21.12).

Le seul point négatif à relever contre Jephthé semble être la réponse divine à son voeu. En le privant de descendance, l'Éternel ne l'a-t-il pas puni? Dans l'Ancien Testament une descendance nombreuse était signe de bénédiction, et Jephthé en désirait une.


Un rappel du contexte aide à mieux comprendre le choix divin.

Le dernier siècle de la période des juges est marqué par une aspiration grandissante à la royauté. Les juges, au travers de leurs descendants, cherchent à asseoir leur maison. Gédéon voulait transformer un de ses fils en héros (8.20-21); Yaïr marque de son nom 30 localités qu'il confie à ses fils (10.4); Ibtsân conclut des alliances politiques par des mariages inter-ethniques (12.9); Abdôn choisit, pour ses descendants, 70 ânons (12.14) comme marche-pied au pouvoir (à noter que les rois cheminaient sur des ânes); plus tard sous Samuel, le peuple ira jusqu'à demander la royauté. Rien de bon dans tout cela, car cette séduction vers la royauté ne reflète en fin de compte qu'un rejet de l'autorité divine. Le slogan à la fin du livre des Juges (en ce temps-là, il n'y avait pas de roi en Israël. Chacun faisait ce qui lui semblait bon: 17.6; 18. 1; 19. 1; 21.25) est une apologie non de la royauté humaine, mais de la royauté divine. Quand Dieu est rejeté comme roi, l'anarchie s'installe.

Certes, la royauté sera instaurée par Dieu en temps voulu, car la venue du Messie doit être préparée. Mais en aucun cas, la maison de Jephthé ne pouvait servir de fondation à cette royauté: Jephthé est le fils d'une prostituée et représente une tribu restée sur la réserve. Jephthé est impur et sa tribu est impure. En lui refusant une descendance, Dieu lui fait comprendre que le Messie tant attendu ne pourra venir ni de sa maison ni de sa région. Accessoirement, l'Éternel lui rappelle aussi que le salut dépend de l'alliance, et non de la grandeur d'une maison (mais voir note à la fin).

Aucun blâme personnel pour Jephthé: il n'est simplement pas l'homme de Dieu pour cette vocation. Dieu l'a choisi pour une autre tâche, ponctuelle celle-là: libérer son peuple de la main des oppresseurs Ammonites. Son rôle s'apparente d'une certaine manière à celui de Débora. Tous les deux sont des juges inhabituels (une femme et un bâtard), tous les deux exercent un ministère temporaire (Débora essaie de se retirer dès que possible pour laisser la place à un homme; Jephthé n'a pas de descendance et reçoit un règne limité à six ans). Ce rapprochement entre les deux juges est encore renforcé par la structure globale du livre. Si l'on excepte Othniel, qui sert de prologue aux juges, on peut relever le chiasme suivant:

A1 Ehud: un libérateur solitaire du sud (Benjamin)

B1 Débora: un juge inhabituel (une femme)

C1 Gédéon: le père vainqueur de Baal


C2 Abimelek: le fils adorateur de Baal

B2 Jephthé: un juge inhabituel (un bâtard)

A2 Samson: un libérateur solitaire du nord (Dan)

Face à l'esprit de revendication qui secoue notre société, Jephthé (comme Débora) est l'exemple du serviteur qui ne se révolte pas contre sa condition modeste. Il accepte, dans la paix, la place que lui confie le Seigneur. Avec lui, la parole de Christ est accomplie avant d'être prononcée: quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné dites: Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire (Le 17. 10).

Daniel Arnold

Note de la rédaction:

N'oublions pourtant pas que, dans la généalogie de Jésus, il y a Rahab, une prostituée.

© Promesses 1993 – 3 / No 105


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JÉRÉMIE: LE PROPHÈTE QUI VÉCUT AU PLUS PRÈS DE L'INTIMITÉ DIVINE FUT AUSSI LE PLUS PERSÉCUTÉ


L'aspect original de l'expérience religieuse personnelle que vécut Jérémie tient surtout à la conscience très vive que prit celui-ci de sa prédestination; il s'en explique à plusieurs reprises dans ses confessions, et ce qu'il en dit pourrait se résumer ainsi: «Yahvé m'a choisi depuis toujours pour vivre dans son intimité, pour goûter sa parole, et pour la proclamer malgré toutes les persécutions.»

Certes les autres prophètes tiennent aussi d'En-Haut une vocation sensiblement identique; mais Jérémie découvre mieux qu'eux le choix dont le prophète est l'objet, et la présence intime de Dieu en lui, que ce choix implique. Il est le premier, semble-t-il, à comprendre qu'il était connu de l'Éternel dès avant sa naissance, aimé et comblé par lui dès avant le temps de sa conception.

Cette découverte saisissante semble l'aboutissement d'un passé mystique qui va désormais se confirmer et se renforcer. La formule: «Je suis avec toi», qui revient souvent dans le livre de Jérémie, ne signifie pas seulement une haute protection et des interventions intermittentes, mais bien une réalité constante au plus profond de l'être. Pour l'élu, Yahvé n'est pas un maître lointain dont l'autorité le domine à distance, mais un ami, un soutien, un confident avec lequel il converse, qu'il sent vivre en lui-même.

À cet intime il fait part de tous ses sentiments. La tendresse a rarement trouvé des expressions plus persuasives, la confiance n'apparaît nulle part plus absolue, et l'insistance plus pressante. Mais le divin ami a de singulières exigences; il arrive que Jérémie ait tenté de l'oublier, qu'il ait esquissé un refus de parler en son nom. Alors un feu dévorant le consumait et avait bientôt raison de sa résistance (JÉRÉMIE, chap. 20, vers. 9).

Si le grand prophète qui vécut la fin tragique du royaume de Juda a si souvent recours à Yahvé, c'est qu'il rencontre constamment la persécution et la contradiction. Certes tous les inspirés se sont heurtés à l'opposition de ceux qu'ils prenaient à parti, mais aucun n'en a pâti à ce point. En dernière analyse, il connaissait le véritable opposant à sa mission: le péché du monde et plus immédiatement celui d'Israël, à travers les bourgeois, les soldats, les notables, les faux prophètes, les prêtres ou le roi.

Peut-être Jérémie est-il aussi le premier à avoir posé clairement la redoutable question: «Pourquoi le sort des méchants est-il prospère et tous les perfides goûtent-ils la paix?» (chap. 12, vers. 1 et suivants). Elle compte parmi les plus angoissantes de celles que soulèvent les écrivains sacrés de l'Ancien Testament, et notamment l'auteur du livre de Job, quelques psalmistes et les sages. Comme eux, Jérémie ne peut que souhaiter à ces ennemis de Dieu, qui sont aussi les persécuteurs des justes, le châtiment mérité où se manifestera l'existence et la justice de Celui que nient ces impies (JÉRÉMIE, chap. 17, vers. 13-18; chap. 18, vers. 21-23, etc.).

Les rapprochements entre certains psaumes et l'expérience du prophète sont si concluants qu'on a pu écrire un livre entier sur «Le psautier selon Jérémie». Il semble bien, par exemple, que le fameux «puits» dont il est si souvent question dans le psautier pour évoquer le fin fond de l'épreuve et de la déréliction, soit une réminiscence de la citerne fangeuse dans lequel fut jeté l'homme de Dieu, et où il faillit périr (JÉRÉMIE, chap. 38 vers 6). Les thèmes de convergences sont nombreux. Nous y reviendrons.

Loin d'éloigner de Dieu celui qui fut persécuté plus que tout autre, les épreuves et les échecs l'ont comme accu lé à se jeter en lui plus résolument. Et Dieu de son côté l'a jeté plus hardiment dans la lutte. Éloigné de ses parents, traqué par ses amis, privé de la douceur d'un foyer, maltraité, suspecté de trahison, incarcéré et menacé de mort, démuni de toute sécurité, Jérémie est l'inspiré de la nuit obscure. Ce n'est pas sans raison qu'un saint Jean de la Croix, le grand mystique espagnol du XVIe s., a trouvé dans l'oeuvre à laquelle s'attache son nom de quoi exprimer l'inexprimable de sa propre «nuit».


Le prophète de la Passion

À cause de l'abandon apparent entre les mains des hommes où il se trouve, et des pages saisissantes qui évoquent alors ses souffrances, Jérémie fut aussi considéré par la tradition chrétienne comme le prophète par excellence de la Passion du Christ. Une antique tradition imposait la lecture liturgique de son «livre» durant les deux semaines qui précèdent la fête de Pâques, où l'Église commémore plus intensément le drame du Calvaire: le Christ lui aussi fut «l'agneau docile qu'on mène au sacrifice», et ses persécuteurs ont mis «du bois dans son pain». Ce bois de la croix grâce auquel il fut «rayé de la terre des vivants» (JÉRÉMIE, chap. 11, vers. 19, 20) après avoir été comme son prophète frappé et mis au fer (chap. 20, vers. 2).

Dom J. GOLDSTAIN

© En ce temps-là, la Bible No 60 pages I-II.


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LE JEUNE HOMME RICHE


Des coûts et des douleurs

Accosté par le jeune homme riche en des termes élogieux: «Bon Maître», Jésus l'arrête et lui pose une question qui m'a toujours étonné: «Pourquoi m'appelles-tu «bon»? Il n'y a de bon que Dieu» (Marc 10,18)? J'avoue ne pas comprendre.

Jésus n'a-t-il pas été le serviteur irréprochable, débordant d'amour et de bonté à l'égard des malheureux de tous ordres? Je donnerais volontiers raison à ce jeune homme. Qu'en pensez-vous?

Je reconnais avec vous que la question posée à l'homme riche a de quoi surprendre quiconque connaît un peu la vie du Sauveur. Vous étonnerai-je à mon tour si je vous dis que vous pouvez donner raison à ce jeune... sans pour autant contredire Jésus?

C'est justement par cette question déroutante que le Maître «accroche» son interlocuteur; il veut l'obliger à réfléchir, à rentrer en lui-même, mais surtout l'amener à reconnaître qui il est.

Hélas!

Un instant bousculé, et parce qu'il entrevoit la lumière, l'homme se dérobe et se cache derrière sa piété qu'il étale sans retenue.

Il prouve en tout cas qu'il est aveuglé sur lui-même (comme il se connaît peu!) mais aussi sur la personne du Fils de Dieu.

Il n'a vu en Lui qu'un prophète, sans doute un sage aux judicieux conseils, un maître au jugement sûr, un homme puissant et d'une rare bonté, mais simplement... «un homme». Il n'a pas discerné qu'il est devant le Messie, l'envoyé de Dieu venu pour sauver les pécheurs.

S'il avait reconnu (ou accepté de reconnaître) sa divine origine, il se serait alors exclamé: Tu as raison. Dieu seul est bon... mais n'es-tu pas Dieu? Donc, je maintiens ce que j'ai dit: tu es bon, pleinement bon. Plus encore, j'accepte tes propos en ce qui me concerne: si Dieu est bon, il est clair que moi, je ne le suis pas; aussi je renonce «à faire quelque chose de bon pour obtenir la vie éternelle». Je reconnais être impuissant à satisfaire Celui «dont la bonté va jusqu'aux nues».

Ah, si ce jeune homme avait su discerner à qui il s'adressait, son comportement aurait été tout autre.

Il aurait perdu sa superbe et, du même coup, aurait cessé de se croire digne d'entrer au ciel par ses actions bonnes.

En lui ordonnant de faire don aux pauvres de tous ses biens, dans son amour Jésus tentait de lui ôter toute illusion en lui ouvrant les yeux sur son véritable état devant le Père. Un peu d'honnêteté avec lui-même et le jeune homme aurait découvert sans peine que, lié par ses richesses, il s'avérait incapable d'obéir ou de plaire au Fils de Dieu qui l'invitait à le suivre.

 

Qu'il est difficile à l'homme riche de qualités, de piété, de biens matériels!... d'avouer qu'il est misérable et sans ressource devant Dieu, donc perdu et indigne de toute faveur malgré de stériles efforts pour bien faire!

Ah! Comme nous aurions aimé voir cet homme se jeter aux pieds du Sauveur, confesser humblement son amour des richesses et en réclamer la délivrance pour suivre le Maître avec joie.

Hélas! C'est tout triste qu'il devait partir... avec ses biens (pour un temps)... mais sans le Sauveur (pour toujours).

C'est tragique!

Que rien ne nous retienne loin du Christ, le Roi des rois qui vient bientôt.

André Adoul

© AVÈNEMENT Mars 1992 No 40


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JOB: LES BEAUX DISCOURS DES «BONS AMIS»


Deux des amis de Job, venus «pour le consoler» et qui n'y ont guère réussi dans leurs premières interventions, vont à nouveau prodiguer les bonnes paroles dans la seconde partie du livre qu’on va lire; un autre, qui n'a pas encore été présenté, parlera lui aussi, et quatre fois sur la même lancée. On se perd facilement dans tous ces propos auxquels le «saint homme» ajoute les siens. Les exégètes de la tradition les ont classés en trois groupes, ou cycles. C'est le troisième qui commence avec le chapitre 22. Le premier va du chapitre 4 au 14 et le second du 15 au 21, et se prolonge jusqu'au 37 si l'on joint aux nouveaux discours d'Éliphaz de Thémân et de Baldad de Shuah celui d'Élihu l'interlocuteur tard venu.

Les thèses que tous ces beaux parleurs développent, avec souvent d'ailleurs une élévation de pensée, voire un lyrisme qu'il ne faut pas minimiser, sont en moins de mots à peu près celles-ci: Dieu ne peut s'empêcher d'être juste (chap. 81 vers. 3: chap. 34, vers. 10-30). Au coupable, le châtiment (chap. 8, vers. 4); à celui qui se convertit, le retour à la prospérité (chap. 81 vers. 5-7). C'est la doctrine résultant du témoignage des anciens (chap. 8, vers. 8-10: chap. 15, vers. 17-19). À leur avis, la vertu doit être profitable à qui la pratique (chap. 22, vers. 2-3). Et puisque l'homme reçoit des avantages de la vertu, il doit être châtié s'il commet le mal (chap. 22, vers. 4-5). Job est puni, c'est donc qu'il est coupable (chap. 22, vers. 6-9; chap. 36, vers. 7 -10). Peut-être n'est-il conscient d'aucune faute qui soit proportionnée au mal qui le frappe, mais Dieu seul pourrait lui faire comprendre sa culpabilité mystérieuse (chap. 11, vers. 5-6).


«Que Job se convertisses»

Quelle présomption de sa part que de vouloir contester le bien-fondé des dispositions divines (chap. 11, vers. 7-10)! Il n'y a qu'une issue pour lui: qu'il se convertisse afin de recouvrer son ancienne prospérité (chap. 8, vers. 21 et suivants; chap. 11 , vers. 13-19: chap. 22, vers. 24-30; chap. 36, vers. 16-17). Les malheurs sont la loi des méchants: seule l'attitude de Job envers Dieu peut être la cause de ce qui lui arrive (chap. 1 5, vers. 25-26; chap. 18, vers. 5-6; chap. 24, vers. 21-44). Lorsqu'il se trouve qu’un pécheur est heureux, ce ne peut être que pour un temps (chap. 20, vers. 4-5); bientôt il s'évanouit comme un songe et disparaît en pleine prospérité (chap. 20, vers. 7-11). Le châtiment et l'anéantissement du coupable seront suivis d'une vengeance divine atteignant ce qui survit de lui (chap. 27, vers. 14-17). En tout cas Job aggrave son cas par ses plaintes et ses protestations (chap. 34 à 36).


Leur caractère perce dans leurs propos

Les trois compères qui ont ouvert le colloque ont plus d'un trait commun. Leur bonne intention d'abord. On ne peut douter que leur but bien réel soit d'amener Job à une conversion qu'ils estiment nécessaire. Tous trois aussi donnent l'impression d'avoir appris des leçons bâties sur une enfilade de proverbes, et qu'ils débitent par coeur. Ils ont mis le monde moral en fiches sous différentes rubriques et, pour eux, tout événement doit entrer de gré ou de force dans les catégories classiques.

Chacun cependant à sa personnalité: Éliphaz semble déjà vieux, car il invoque volontiers son expérience (chap. 4, vers. 8; chap. 5, vers. 3; chap. 15, vers. 17). Il croit aux pressentiments et aux songes: il en a eu (chap. 4, vers. 12 -15). Il se fait une haute idée de Dieu (chap. 5, vers. 8-16; chap. 15, vers. 8-16, chap. 22, vers. 1-3). Il a longtemps réfléchi aux problèmes de la vie morale et ne croit guère à la vertu des hommes (chap. 22 vers. 6-20, chap. 15, vers. 12-16). Le Tout-Puissant fait ses délices (chap. 22, vers. 25-26), mais il ne dédaigne aucun des biens que peut lui valoir le service divin (chap. 22, vers. 27-30). En somme, il est pieux, quoique intéressé. Baldad est probablement plus jeune (chap. 8, vers. 9). Son éloquence est plus cinglante (chap. 18 vers. 1-4). Il est peut-être le meilleur poète des trois, comme le laisse apparaître la grande fresque qu'il trace (chap. 26, vers. 5-14). Il semble surtout admirer en Dieu le déploiement de la force, le pouvoir d'ébranler «les colonnes du monde» (chap. 26, vers. 11-12). Il a moins qu'Éliphaz le sens des nuances. Il méprise le méchant qui se laisse prendre au lasso de Dieu (chap. 18, vers. 5-10). Le caractère de Sophar offre un curieux mélange de profondeur et de cynisme. Il commence par insulter Job (chap. 11, vers. 1 -3), poursuit par l'évocation de la sagesse divine (chap. 11, vers. 4-12), et finit par un appel à la conversion des plus intéressés (chap. 11, vers: 13-19). Si le méchant reste impuni, ses fils devront indemniser les pauvres (chap. 20, vers. 10-20). Des trois amis, il paraît pourtant le plus terre à terre, avec ses allusions réalistes (chap. 20, vers. 12-15) et sa complaisance aux images tirées des tristes exploits du goinfre (chap. 20, vers. 17-23).


Un «lourdaud», mais remarquable logicien

Quant à Élihu, le «quatrième» ami, d'aucuns n'ont pas hésité à le qualifier de «lourdaud». Son manque d'éducation, l'outrecuidance avec laquelle il se targue de sa jeunesse, sa véhémence intempestive, son goût de l'apostrophe, peuvent justifier ce jugement. Mais à vrai dire, il est un remarquable logicien, compte tenu de la tragédie qu'il prétend dénouer, c'est du reste une faiblesse plutôt qu'une force. Il se sent inspiré et ne se fait pas faute de le dire (chap. 32, vers. 18), allant jusqu'à se présenter lui-même comme nettement supérieur à tous ceux qui se sont exprimés avant lui (chap. 32, vers. 7-16). Sa prétention le rend quelque peu ridicule, d'autant que son argumentation, qui se voulait tellement prometteuse, n'apportera finalement au ténébreux problème pas une lueur de plus, ni ne fera avancer d'un pas vers la solution. Il se prétend original (chap. 32, vers. 14), mais il se contente de courir à son tour sur des sentiers battus (chap. 34, vers. 10-12, chap. 35, vers. 10-16; chap. 36). Après avoir distribué des blâmes à tous, il reprend les thèses de chacun, si bien que sa tentative apparaît un effort ultime et infructueux de l'intelligence humaine pour discerner les voies impénétrables de Dieu. L'incise que constitue le chap. 28 et la finale de l'intervention d'Élihu (chap. 36, vers. 22; chap. 37, vers. 24), toutes deux consacrées à magnifier la sagesse divine, amènent à cette conclusion.

P. CRISOLIT

© En ce temps-là, la Bible No 43 page IV.


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JOB: DES CONSOLATEURS INEFFICACES LES AMIS DE JOB


Pourquoi la douleur, pourquoi la souffrance ne nous sont-elles pas épargnées, si Dieu nous aime; et quoi de plus troublant que la souffrance du juste? Au siècle où nous vivons, n'est-ce pas là le point d'interrogation qui se dresse à la façon du Serpent subtil devant nos docteurs, nos penseurs, nos écrivains, nos historiens, nos philosophes de l'anxiété, surtout depuis que Dostoïevski a créé le personnage d'Ivan Karamazov pour remettre en question sous un jour implacable l'existence de Dieu? Le Tout-Puissant ne peut-il donc rien contre la détresse des enfants, contre les tortures infligées à des innocents? ... Rien en somme pour les siens! Chacun doit savoir, même quand il n'a pas lu la Bible, que les «amis de Job», tels qu'ils y paraissent, sont des consolateurs inefficaces. Leur échec vient de ce qu'ils sont des conseillers qui se prennent pour des consolateurs, chose qui exaspère un être dans le moment où il souffre, et le baume du conseil est d'autant plus irritant pour sa patience qu'il a la couleur de la sagesse et les mesures de la raison. C'est ainsi que les amis de Job parlent splendidement du ciel comme s'il leur était familier, et avec une débauche d'arguments superbes qui se pressent sur leurs lèvres jusqu'à les étourdir eux-mêmes.


Or l'apologue de Job, du «saint homme Job», ainsi que disaient autrefois les pieuses gens, n'est pas seulement un poème sans égal dans les littératures, mais encore une histoire qui embrasse dans sa complexité tout le problème du mal; ou, plus exactement, de la douleur, qui est une manière concrète de le ressentir.
Ce grand livre de sagesse finira par se tourner contre les scribes sentencieux qui auront eu tort, moralement, d'avoir raison, et il se charge de le démontrer à la façon hébraïque, qui surprend. N'y voit-on pas Satan en personne (et Goethe s'en souviendra en composant le début de son Faust) offrir ses services à Dieu pour éprouver la sainteté de ce noble habitant du pays d'Hus, homme privilégié à tous égards, trop heureux vraisemblablement, et à qui il ne messiérait pas d'être soudain persécuté Oh! pour son bien, supposent naïvement Éliphaz de Thémân, Baldad de Shuah, Sophar de Naamath, qui n'ont pas l'esprit contestataire; et aussi ce pétulant jeune homme, Elihu, qui va s'introduire subrepticement dans le colloque.
Poème théologique devenu dramaturgie lyrique où s'affrontent la doctrine des honnêtes «conseillers» et l'âme meurtrie de la victime sur son fumier, qui gratte ses ulcères avec des tessons de poterie, gémit, se démène, se montre «inconsolable» en attendant la mort. Un dénouement très imprévu confondra nos quatre raisonneurs dont les propos en phrases si bien balancées se perdraient dans le vent si la poésie ne les retenait pas.
En fait, Dieu ne reproche aucune faute à Job, comblé de biens matériels, et de vertus morales. Si l'idée de Satan ne paraît pas tellement lui déplaire, c'est que le Shaddaï, le «Tout-Puissant», suivant le nom rarement employé dans la Bible et qui lui est donné dans ce poème, voit (non pas d'avance, car il n'y a pas d'avance pour Dieu, présent à tout) que Job, avec son immense douleur, sortira indemne de cette suite d'épreuves dont Satan est autorisé à l'accabler. Il n'en sera tiré qu'un grand avantage, et pour la gloire de Dieu et pour le bonheur de Job.
Mais comment tout cela se trouve-t-il accompli? Job ne s'est pas laissé, dans sa tentation, séparer de son Dieu au milieu des tourments de tout ordre qu'il a endurés, même s'il s'est plaint véhémentement, sans vergogne, tout à la sincérité de son coeur. Les amis qui l'assistaient ne sont pas parvenus à le convaincre. C'est qu'il ne recevait rien des hommes: il n'attendait sa consolation que de ce Dieu de miséricorde que le déchaînement de sa violence fait descendre sur terre quand les bénisseurs de la Loi n'ont plus rien à lui apprendre. Mais soyons équitables: ils ont été presque parfaits. Seulement Dieu, lui, se glisse dans la fissure de l'adverbe presque. On n'aurait pu imaginer le ton dans lequel il allait s'exprimer. Aux questions de Job il ne répond pas directement.
C'est entre nous et lui comme un dialogue de sourds. Aux questions de Job, on l'a dit, Dieu répond par d'autres questions, dans son style à lui, il ne s'embarrasse pas des considérations des amis de Job. Il regarde Job qui le regarde. Job nous en fera la confidence après que le Très-Haut aura parlé.
Mais parlé de quoi? De ce qui est. Le Très-Haut ne fait pas de philosophie, il ne discute pas. Il invite Job, le malheureux Job, qui lui a baillé sa foi, à jeter un regard circulaire sur les phénomènes de la nature. Son discours est une énumération des «tours» d'un inventeur dont l'imagination est inépuisables

«Maintenant mon oeil Te voit!»

Dieu semble dire à Job
«Sors de ta douleur, mon fils, sors de toi-même. Prends ma place. De la tienne, on ne comprend rien. De la mienne, on contemple tout. Qui a fait ceci? Qui a fait cela? Est-ce toi? Est-ce un mortel? Allons donc! Ouvre les yeux sur mon oeuvre qui se refait, se renouvelle à chaque instant et qui est si intéressante à examiner.» Au lieu de lui faire de la morale, qui, dans cette situation, n'est plus en jeu, il lui décrit la vie et toutes ces merveilles infiniment originales, la beauté de ce qui existe et dont il est la cause première et la caution finale. Job n'objecte plus rien, il n'a qu'à entrer en extase. La réponse à tout - et ce n'en est pas une est quelque chose de vivant, d'insondable et d'indubitable, comme Dieu.
Job obtient que ses amis, qui ne manquaient pas de bienveillante sympathie, mais dont le moralisme obscurcissait l'intelligence, s'ils ne sont pas récompensés de leurs efforts, ne soient du moins pas punis de leur maladresse par Dieu qu'ils ont fâché. Pour lui, Job n'a qu'une réflexion, qui conclut tout et efface le point d'interrogation des philosophes. Et voici sa réponse au discours du Tout-Puissant: «Mon oreille avait entendu parler de Toi, mais maintenant mon oeil Te voit» (Job, chap. 42, vers. 5).

par Stanislas FUMET

© En ce temps-là, la Bible No 42 pages I-II.


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JOB: L' HOMME QUI SERVAIT DIEU «GRATUITEMENT»

Ce serait sûrement priver le livre de Job d'une grande part de l'enseignement qu'il apporte que de prétendre le mettre bien «à plat», de lui imposer un plan très précis (qu'il n'a probablement jamais eu) ou même d'ordonner les thèmes qu'il développe en un beau dessin d'art théologique, qui lui donnerait des racines très nettes au plus profond de la psychologie humaine et des fleurs bien épanouies au paradis. Son texte a souffert, comme le héros dont il parle. Qu'on se garde de brutaliser l'un ou l'autre par une logique trop rigoureuse. Tout au long des 42 chapitres, le lecteur attentif entendra les échos de la sagesse. Tous ont valeur d'éternité. Mais telle résonance a pu toucher surtout les hommes de telle époque ou de telle société. La nôtre, qui est celle de l'intéressement et du profit au moins autant que de la consommation, pourrait prêter une attention toute particulière à la réponse de Job que rapporte le chapitre 9.

Longtemps, le héros biblique, a mendié la pitié de ses amis. Or voici qu'après les avoir entendus, il se redresse brusquement et crie sa foi en la justice divine. Il voudrait que son «réquisitoire contre Dieu» soit à l'épreuve du temps. Il rêve que son témoignage connaisse le sort enviable de ces inscriptions triomphales gravées dans le roc par les conquérants victorieux du Proche-Orient. «Qui me donnera que mes paroles soient écrites? Qui me donnera qu'elles soient tracées dans un livre, sur une lame de plomb par une pointe de fer, ou gravées dans la pierre?» (chap. 19, vers. 23-24).

Mais il a mieux à espérer que des lettres sur de la pierre. Son défenseur est vivant et c'est lui qui prendra la parole le dernier. Le «saint homme» ne doute pas un seul instant de son acquittement, parce qu'il a foi en un Dieu juste et clairvoyant, qui reviendra de cette erreur judiciaire dont lui, Job, parait être victime. Avec toute la sincérité qui est la sienne, il pense que Dieu se manifestera à cette occasion comme il l'a déjà fait tant de fois en faveur des patriarches. Alors ce Dieu de justice confondra, tous ceux qui méprisèrent et méconnurent Job à cause de son malheur. Mais beaucoup plus que de son propre sort, c'est de la réputation de la justice divine que celui-ci se préoccupe.


VOIR la justice de Dieu... c'est tout ce qu'il attend

Il est peu de passages de l'Écriture qui aient fait couler autant d'encre que le verset 26 de ce chapitre 19.

Presque tous les mots font difficulté et peuvent s'entendre avec des nuances. Quelles que soient celles qu'on adopte, l'objet précis de la foi de Job est mis en évidence: une intervention divine donnera raison au bon sens. Quand et comment se produira cette intervention? Voilà qui dépend de ce qu'on veut entendre de ce verset 26.

S'agira-t-il d'une justification postérieure à la mort du juste et dont il ne sera témoin qu'à l'état de spectre, sa peau ayant été définitivement détruite et «sans sa chair», comme l'estiment certains traducteurs? Ou bien faut-il lire en effet qu'en raison même de l'absurdité de l'aventure, tout ne peut rentrer dans l'ordre qu'après une véritable résurrection, aux modalités mal définies? L'antiquité chrétienne était déjà divisée sur l'intention théologique du texte original.

On peut certes remarquer que Job lui-même insiste à deux reprises sur le fait que ses yeux, ses yeux à lui, verront son Dieu. Mais dans la mentalité hébraïque, un esprit peut avoir des yeux, au moins au sens métaphorique, comme il peut avoir un corps, ou même une forme humaine, encore qu'évanescente.

Ces considérations sont d'un intérêt certain, mais ne touchent pas à l'essentiel.

Rien n'interdit d'estimer d'ailleurs que la Vulgate, ici comme en d'autres passages obscurs, donne «un coup de pouce» à la lettre et éclaire le texte à la lumière de la révélation plus complète dont bénéficie le traducteur. Il est après tout fort discutable que ce soit toujours une supériorité de s'obstiner à une interprétation littérale archaïque, alors que Celui qui a inspiré les auteurs sacrés a, depuis qu'ils ont écrit, précisé le message.

Quoi qu'il en soit, il n'est pas impossible que nous nous trouvions devant l'un de ces «pressentiments», comme en expriment certains psaumes, même si, pour les psalmistes, la récompense du ciel et le châtiment d'un quelconque «enfer» ne sont pas encore des notions bien précises.


Une telle espérance n'abolit ni la souffrance, ni l'angoisse

Ce qui demeure incontestable est que la certitude de Job ne l'apaise pas et n'offre nullement une issue à l'impasse dans laquelle il se trouve. Cette «espérance qu'il garde au fond de son coeur» (vers. 27) n'est pas de telle nature que le présent lui apparaisse parfaitement acceptable pour l'homme qu'il est, et dans le monde où il vit.

C'est en cela qu'il est par dessus tout admirable. Ignorant encore comment le Seigneur se manifestera et ce qu'il dira (du chapitre 32 à 48) pour le justifier lui-même et condamner les apologistes maladroits, tout ce qu'il attend c'est que Dieu proclame bien haut le droit, et non pas qu'il le rétablisse, lui, pauvre homme, dans un état perdu irrémédiablement. Il n'importe que cette proclamation soit faite ou non alors que le juste est encore de ce monde pour l'entendre et en jouir.


La foi en la vie éternelle n'exclut pas la «gratuité» du service de Dieu

Si d'aventure, un cinquième ami était venu lui dire: «Tu as raison, il n'y a pas de justice sur terre, mais il y en a une dans le monde futur», les données du drame auraient-elles été substantiellement modifiées? Certains penseront que Job aurait pu se dire avec soulagement: «Puisqu'il y a une justice et une récompense dans l'autre monde, tout va bien; je n'ai pas servi Dieu pour rien. La souffrance du juste n'est pas perdue.»

Du fait qu'il est la réponse à la question principale, celle-là même que Job ignore parce qu'il n'assista pas à la scène décrite dans le prologue (le saint homme sert-il Dieu gratuitement, ou non?), le livre ne perdrait-il pas tout son sens?

Affirmer qu'il le perdrait en effet, ce serait dire que ceux qui croient en la vie éternelle doivent renoncer à tout espoir de «servir Dieu gratuitement». Mais pour lier ainsi foi en la résurrection et espoir de récompense, il faut ignorer quel trouble la souffrance apporte dans l'âme de l'homme le plus éclairé il faut n'avoir jamais médité sur le cri du supplicié qu'annoncent les plaintes mêmes de Job: «Eli, Eli, lama sabacthani» (version araméenne, dont use le Christ, du verset 2 du psaume 21, Ps. 22 de l'hébreu), «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?»

Dom J. GOLDSTAIN

© En ce temps-là, la Bible No 43 pages I-II.


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LA PATIENCE DE JOB


Voici, nous disons bienheureux ceux qui ont souffert patiemment. Vous avez entendu parler de la patience de job, et vous avez vu la fin que le Seigneur lui accorda, car le Seigneur est plein de miséricorde et de compassion (Jac 5.11).

NB: Les références en chiffres seulement se réfèrent au livre de Job; p.ex.: (1.21) = (Job 1.21). 

La patience de Job? Étrange association de mots, à la vérité, car le bouillant et véhément malade ne ressemble en rien à un agneau muet et résigné. Pour le lecteur qui émerge de plus de trente chapitres de diatribes entre Job révolté et ses amis fâcheux, il est assurément difficile de discerner en Job un modèle de patience. Le terme grec utilisé par l'apôtre Jacques (hypomone), et traduit dans nos versions françaises par «patience», «constance», «endurance», suggère «l'action de supporter sans fléchir, ou sans se laisser entamer» (Dict. Bailly). Est-ce bien l'attitude générale de Job au sein de l'épreuve? Ce dernier offre-t-il au monde le spectacle d'une foi stoïque et impassible? Persiste-t-il longtemps dans l'admirable logique qu'il soutient en face de la vague déferlante des premiers malheurs:

L'Éternel a donné, et l'Éternel a ôté que le nom de l'Éternel soit béni! (1.21). Quoi! nous recevrons de Dieu le bien, et nous ne recevrions pas aussi le mal! (2. 10).

Non, la patience de Job ne sera pas celle d'un être désincarné ou d'un surhomme; elle ne sera ni muette ni résignée; elle ne sera pas celle d'un être qui abdique facilement, ou qui cherche une issue à n'importe quel prix. En un mot, la patience de Job ne sera jamais celle d'un lâche.

Pour bien saisir ce qu'une telle patience comporte d'exemplaire, il faut d'abord observer le comportement de Job et dégager ses principaux traits de caractère', nous tenterons ensuite de décrire la nature de sa foi et de comprendre comment, en fin de compte, le Tout-Puissant peut réhabiliter son serviteur.


I. Patience et réalisme

La patience de Job se conjugue d'abord avec sa lucidité Job ne minimise jamais son mal, ni ne le cache. Malgré la flatteuse réputation dont il jouit (cf 29), il ne songe ni à dissimuler ses plaies et la laideur de son apparence, ni à voiler ce qu'il ressent. Peu intéressé par la préservation de son image de marque, il expose son désespoir (6: 11-13; 17.16), crie sa douleur physique (7.3-5), son amertume (7. 11; 10. 1; 27.2), ses angoisses (7.11, 6.21). Job avait été rendu fort et célèbre par la grâce de Dieu; il sait maintenant se voir malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu (cf. Ap 3.17).

Ce n'est pas à dire qu'il n'ait pas honte de son état (10. 15, 11.5), ni qu'il ne souffre pas vivement du mépris dont on l'abreuve (19.13-19). Sa lucidité lui représente telle qu'elle est toute l'étendue de son naufrage. Peut-être ressent-il même quelque chose de ce que Christ a dû éprouver lorsqu'on l'apostrophait: Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même! S'il est roi d'Israël, qu'il descende de la croix... (Mat 27.42). En effet, Job est trop intègre pour ne pas sentir profondément l'acuité de certaines flèches: Tes paroles ont relevé ceux qui chancelaient, tu as affermi les genoux qui pliaient. Et maintenant qu'il s'agit de toi, tu faiblis! (4.3-6).

Tout lucide qu'il soit, Job pourrait néanmoins chercher des faux-fuyants. Or il préfère admettre son impuissance face à l'épreuve (16.6-8), et le trouble profond qui s'est emparé de tout son être (3.26). En cela, il se tient aux antipodes d'un certain optimisme contemporain qui se voile la face devant la réalité du péché et de la misère humaine, et croit pouvoir trouver son salut dans n'importe quelle thérapie à la mode, dans n'importe quelle frivolité distrayante, ou dans les chimères de la «pensée positive». Job, à aucun moment, ne perd de vue son état réel, à l'horreur de sa déréliction.

Ainsi, la patience de Job se définit d'abord comme la capacité de maintenir sur soi-même, au sein de la plus totale déchéance, un regard exact.

Ici déjà, Job nous donne une leçon. Car quel est en effet l'obstacle majeur sur le chemin de la conversion, et ensuite sur celui de la vie chrétienne? N'est-ce pas que nous portons, sur le gravité du péché et l'absolue détresse de l'homme sans Dieu, un jugement superficiel? N'est-ce pas que nous fermons les yeux sur le fait que notre vieille nature humaine est invariablement mauvaise? À tous les chrétiens tentés d'oublier leur condition première, l'apôtre Jacques déjà recommande: Sentez votre misère; soyez dans le deuil et dans les larmes; que votre rire se change en deuil, et votre joie en tristesse. Humiliez-vous devant le Seigneur et il vous élèvera (Jac 4.9-10). Oui, il faut de la patience et du réalisme pour maintenir qu'en ce qui concerne notre condition originelle, de la plante du pied jusqu'à la tête, rien n'est en bon état: ce ne sont que blessures, contusions et plaies vives... (Es 1.6).

Mais de ce regard sans illusions sur nous-mêmes dépend la possibilité, pour le Seigneur, de nous relever et de manifester en nous sa nouvelle création (2 Cor 5.17).


II. Patience et exigence de justice

À aucun moment, Job ne se sent responsable de son malheur (9.21 et ss; 12.4). Jusqu'à mon dernier soupir, je défendrai mon innocence; je tiens à me justifier, et je ne faiblirai pas; mon coeur ne me fait de reproche sur aucun de mes jours (27.5-6).

Et de ce fait, Dieu lui-même semble confirmer ce certificat d'excellence lorsque, d'entrée de jeu, il déclare à Satan qu'il n'y a personne comme Job sur la terre; c'est un homme intègre et droit, craignant Dieu, et se détournant du mal (1.8).

Quant à Job, l'incompréhensible supplice qui lui est imposé lui donne le sentiment d'être cerné par Dieu (3.23; 6.4, 16.9), d'être pris à partie sans raison (7.17-21), d'être contraint à une confrontation par trop inégale (9.2-4; 14.34), d'être piégé par un Dieu rancunier (10.13-14), d'être l'objet d'une mystérieuse crise de colère divine (14.13).

Devant un tel torrent d'assauts divins, un autre que Job aurait probablement battu en retraite. Il eût été plus facile d'acquiescer aux propos des «consolateurs», d'avouer n'importe quoi pour avoir la paix. Au lieu de cela, Job demande des comptes à Dieu.

Excédé par le silence de Dieu, et l'absence d'explications plausibles, Job va d'abord maudire le jour de sa naissance (3.1), puis exiger que Dieu le laisse respirer un peu (10.20) ou qu'il l'écrase définitivement (6.9). L'ensemble des discours de Job ne forment du reste qu'une longue revendication, l'exigence d'un homme qui pense qu'il a droit à un procès en règle, ou alors à la paix.

Remarquons ici que Job ne pense pas que, de manière absolue, il soit sans faute ni péché (7.21; 9.2-3; 13.26; etc). Ce qui révolte Job, c'est que Dieu semble désormais le poursuivre pour des péchés déjà pardonnés, ou même des péchés fictifs: Aujourd'hui tu comptes mes pas, tu as l'oeil sur mes péchés; mes transgressions sont scellées en un faisceau, et tu imagines des iniquités à ma charge (14.16-17).

Or, pendant ces nombreuses années de prospérité, Job a appris à considérer le Dieu tout-puissant comme son ami, comme le Seigneur qui daigne traiter avec l'homme non sur la base de la seule justice et sainteté divines, mais aussi sur celle de la grâce et de la miséricorde: Tu m'as accordé ta grâce avec la vie, tu m'as conservé par tes soins et sous ta garde (10.12). Par rapport au statut d'antan, Dieu semble avoir fait volte-face: Voici... ce que tu cachais dans ton coeur... Si je pèche, tu m'observes, tu ne pardonnes pas mon iniquité (10.13-14).

Voilà donc l'injustice que Job, obstinément, dénonce. Job crie à la rupture d'alliance, à l'incohérence de traitement. Tout se passe comme si Job refusait à Dieu le droit d'être autre chose que ce qu'il est: juste et bon, saint et miséricordieux.

Bien sûr, Job se trompe lorsqu'il croit pouvoir demander des comptes à l'Éternel, lorsqu'il imagine que son problème pourrait être réglé par une «explication», lorsqu'il accuse Dieu d'injustice et tente d'enfermer Celui qui est au-dessus de toute créature dans la logique de la créature. Job finira par avouer qu'il a parlé, sans les comprendre, de merveilles qui le dépassent (42.3). Toutefois, il y a quelque chose d'admirablement exact dans l'affirmation opiniâtre de Job: si Dieu n'est plus égal à lui-même, nos chances de subsister devant lui et sur cette terre sont nulles. C'est pourquoi Dieu fera remarquer aux amis de Job: Vous n'avez pas parlé de moi avec droiture comme l'a fait mon serviteur Job (42.7).

Dans cette perspective, la patience de Job prend l'allure d'une lutte avec Dieu dont l'enjeu principal est, non une bénédiction secondaire, mais une pleine réconciliation avec Dieu lui-même. Comme Jacob luttant avec l'ange du Seigneur, comme Jonas dans le ventre du poisson, Job insiste jusqu'à ce que Dieu réponde et se montre favorable. Car enfin, à quoi sert la guérison et la bénédiction (et la prospérité, et la richesse, et le succès) si l'on n'est pas sûr des intentions du souverain Médecin?

Job nous enseigne que, quelle que soit l'épreuve qui nous frappe, quelque éloigné que semble se tenir le Seigneur, quelque distante que semble sa voix, il nous appartient de ne jamais cesser de le chercher. Jacques, encore une fois, nous y exhorte: Voici, le laboureur attend le précieux fruit de la terre, prenant patience à son égard, jusqu'à ce qu'il ait reçu les pluies de la première et de l'arrière-saison. Vous aussi, soyez patients, affermissez vos coeurs, car l'avènement du Seigneur est proche (Jac 5. 7b-8).


III. Patience et connaissance de Dieu

Nous l'avons dit, Job connaît son Dieu de longue date. Le prologue du livre laisse même apparaître comme une sorte de vieille connivence entre Dieu et Job, à la grande déconvenue de Satan.

Les habitudes du «plus éminent de tous les fils de l'Orient» dénotent un respect profond et authentique à l'égard de Dieu (1. 1-5). À ce moment déjà, on devine que Job n'est pas un simple croyant par opportunisme et commodité. Le désir de ce serviteur de l'Éternel, c'est de bénir son Maître et de le laisser libre d'agir à sa guise.

Pourtant, lorsque la souffrance devient intolérable et qu'elle doit trouver un exutoire, lorsque les accusations injustifiées pleuvent sur le malheureux, Dieu se voit placé, comme les amis bien-pensants, sur la sellette - pour parler avec modération.

Toutefois le lecteur ne peut manquer d'être surpris par quelques déclarations qui, au passage, révèlent que la connaissance que Job possède des choses de Dieu est beaucoup plus vaste que le prologue le laissait entrevoir.

Il y a surtout cette certitude, bouleversante de la part d'un homme qui se sent victime de la colère de Dieu, qu'un jour il verra Dieu en face, et que ce dernier lui sera favorable: Après que ma peau aura été détruite, moi-même je contemplerai Dieu. Je le verrai, et il me sera favorable; mes yeux le verront, et non ceux d'un autre; mon âme languit d'attente au-dedans de moi (19.26-27). Comment expliquer cette bouffée de joie farouche, cette certitude incompréhensible? On touche ici au mystère même de la foi et de l'amour que l'amour de Dieu peut engendrer dans un coeur d'homme. L'amour est fort comme la mort, dit le Cantique des Cantiques, les grandes eaux ne peuvent éteindre l'amour, et les fleuves ne le submergeraient pas (Cant 8.6-7). Les années que Job a passées en compagnie de Dieu ont laissé en lui une empreinte indélébile, une attente indestructible. N'est-ce pas aussi cela qui confère à sa patience une valeur que Dieu peut honorer?

Mais plus encore, le coeur de Job abrite l'intuition prophétique qu'il y a dans le ciel un Témoin qui prend sa défense, un Médiateur qui le représente là où lui, Job, n'a pas encore accès: Déjà maintenant, mon témoin (ou avocat) est dans le ciel, mon témoin est dans les lieux élevés (16.19); Lui, qu'il défende l'homme contre Dieu, comme un humain intervient pour un autre (16.21, trad TOB; la King James traduit dans le même sens. Voir aussi 19.25).

À l'heure où tous ses amis l'abandonnent, et où Dieu se cache, Job s'accroche donc à cette ultime pensée que Dieu donne à tout croyant un Défenseur céleste. Aussi va-t-il jusqu'à formuler cette étonnante prière à son Dieu: Sois auprès de toi-même ma caution; autrement, qui répondrait pour moi? (17.3).

Avec quelques millénaires d'avance, Job a écrit Romains 8. Il a saisi Jésus-Christ par anticipation, et ne l'a pas lâché.

La troisième leçon de patience que Job nous enseigne, c'est que le croyant en proie à la difficulté peut passer à travers bien des doutes quant aux intentions de Dieu pour lui (cf. 10.2 et ss); il peut connaître toute une gamme de sentiments, de la révolte à la terreur, du désir de vivre au désir de mourir; mais s'il a un jour rencontré Christ, goûté et accepté son pardon, marché dans sa présence, cette relation ne sera jamais anéantie. Elle est le gage certain de ce qu'un jour nous verrons Dieu, et qu'il nous sera favorable, car Dieu nous a réconciliés avec lui par Christ (2 Cor 5.18-19).

Ainsi, l'épreuve du croyant n'est plus le signe d'une condamnation, mais le creuset de la foi, l'occasion pour Dieu de nous accorder une mesure supplémentaire de miséricorde et de compréhension de sa grandeur: Mon oreille avait entendu parler de toi; mais maintenant mon oeil t'a vu (42.5); la réponse aux besoins physiques, affectifs et moraux du serviteur éprouvé découle de cette révélation (42.10-17).

Heureux l'homme qui supporte patiemment la tentation; car après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que le Seigneur a promise à ceux qui l'aiment (Jac 1. 12).

Claude-Alain Pfenniger

© Promesses 1992 - 3 / No 101


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LA SOUVERAINETÉ DE DIEU (Job 22 et 23)


Les enseignements de l'Ancien Testament


Bibliographie

La Bible annotée, AT (P.E.R.L.E. Saint-Légier) Francis 1. Anderson – Tyndale Old Testament commentaries. Onter-Varsity Press, London)

nom: Job René Girard: route antique des hommes pervers (Grasset Paris)

Frédéric Godet: Notes sur le livre de Job et le Cantique des cantiques (Ligue pour la lecture de la Bible, Lausanne).

Calvin a consacré 159 sermons à l'étude du livre de Job. La richesse ainsi que la profondeur des thèmes traités par Job méritaient sans doute une telle somme. Nous n'étudierons que deux chapitres du livre de Job: Job 22, qui est le troisième discours d'Eliphaz, et Job 23, qui est la première partie de la réponse de Job. Mais commençons par rappeler brièvement l'histoire de Job.


Histoire de Job

Le livre de Job nous raconte l'histoire d'un homme accablé par les ennuis et les souffrances. Dépouillé de ses richesses et de sa famille, il ne comprend pas pourquoi Dieu lui fait cela. Seul le lecteur sait qu'en fait Dieu est en train de prouver à Satan la sincérité de la foi de Job. Trois de ses amis viennent à son côté pour le consoler. Avec Job, ils s'engagent dans une longue discussion où ses trois amis, Eliphaz, Bildad et Tsophar prendront chacun, à tour de rôle, trois fois la parole. Ces discours sont entrecoupés des réponses que Job leur adresse.

Les amis de Job essaient d'expliquer ce qui s'est passé en mettant en rapport les souffrances de Job avec ses péchés. Job refuse cette théorie. Au lieu de suivre leurs conseils de se repentir et de faire la paix avec Dieu, Job insiste sur son innocence et s'interroge sur la justice du traitement que Dieu lui fait subir.

À ce moment intervient un nouveau personnage: Élihu. En quatre discours, il espère trouver la solution aux problèmes de Job. Élihu, lui, pense que Dieu peut nous faire passer par le creuset de la souffrance, lors même que nous n'avons pas péché, afin de nous purifier et de fortifier notre foi. Job ne répond pas aux discours d'Élihu. Enfin Dieu lui-même s'adresse à Job. Son discours change l'attitude de Job, qui se soumet entièrement à Dieu. À la fin, Dieu déclare Job juste et lui redonne richesse, prospérité et bonheur.

Après avoir étudié les chapitres 22 et 23, nous étudierons une perversité du coeur humain que le livre de Job met en lumière.

1. Troisième discours d'Eliphaz (Job 22)

Dans le discours d'Eliphaz, nous relevons des erreurs sur Dieu, sur Job et sur la solution proposée, erreurs qui sont corollaires des trois thèses principales autour desquelles s'articulent les discours des amis de Job.

1. Dieu est juste, ce n'est donc pas arbitrairement qu'il distribue bonheur et malheur.

2. Les malheurs de Job sont les preuves certaines de péchés que ce dernier aurait commis.

3. Si Job se repent, Dieu lui pardonnera et le rétablira.

Avouons que ces thèses n'ont apparemment rien de choquant et qu'elles pourraient, à la limite, être les nôtres, si nous ne connaissions pas la discussion entre Dieu et Satan, dans le prologue, qui a présidé aux malheurs de Job. Pourtant, si ces thèses étaient les nôtres, nous serions dans l'erreur. En effet, à la fin du livre, Dieu donne tort aux amis de Job: Après que l'Éternel eut adressé ces paroles à Job, il dit à Eliphaz de Théman: Ma colère est enflammée contre toi et contre tes deux amis, parce que vous n'avez pas parlé de moi avec droiture comme l'a fait mon serviteur Job (42.7). Il faut souligner que Dieu leur donne tort, sans pour autant leur révéler la scène qui s'est déroulée dans les lieux célestes au début du livre.

Premièrement donc, Eliphaz commet des erreurs sur Dieu. Veuillez lire Job 22.2-4. Tout d'abord, affirmer que le juste ne sert en rien l'Éternel, c'est méconnaître le plaisir que procurait à Dieu la droiture de Job et le fait que la piété d'un homme contribue à la gloire de Dieu. Ensuite, Eliphaz prétend qu'il est impossible que ce soit à cause de la piété de Job que celui-ci ait été châtié. Or nous savons que c'est précisément pour cette raison que Job est accablé de malheurs.

Deuxièmement, Eliphaz se trompait sur Job. Lisez Job 22.5-9. Ce sont là de graves accusations; Eliphaz porte contre Job, sans pourtant en apporter la moindre preuve. Chacune de ses accusations font de Job un transgresseur de la loi. Le droit de la veuve et de l'orphelin, par exemple, est constamment répété dans la Bible: Maudit soit celui qui porte atteinte au droit de l'étranger, de l'orphelin et de la veuve (Deut. 27.19)! Dieu aurait-il fait remarquer à Satan la conduite exemplaire de Job, si ce dernier avait réellement commis tous ces péchés? Non, ce ne sont là que de fausses accusations auxquelles Job lui-même répond: Si j'ai mangé seul mon pain, sans que l'orphelin en ait eu sa part, moi qui l'ai dès ma jeunesse élevé comme un père, moi qui dès ma naissance ai soutenu la veuve.. (Job 31.17-18).

Il est donc clair qu'il n'y a aucun fondement à prétendre que, pour avoir subi un tel malheur, Job doit avoir grandement péché. Car la droiture de Job était connue de ses contemporains, et ses amis devaient savoir aussi bien que quiconque, qu'il accueillait la veuve et l'orphelin. Premièrement, une idée fausse de Dieu; deuxièmement, une idée fausse sur Job; troisièmement, une idée fausse des solutions. lisez Job 22.21-30. Bien entendu, ces solutions ne sont pas fausses en elles-mêmes. Au contraire, les exhortations d'Eliphaz à la repentance sont, selon le mot de Calvin, «de belles et saintes paroles». Leur seul mais incontournable défaut est d'être totalement inapplicables au cas de Job.

Prenons une illustration que nous propose Frédéric Godet, théologien neuchâtelois du siècle dernier. Imaginons un père qui aurait un fils exemplaire et dévoué, fils qu'il se plairait à combler des marques de son affection. Tout à coup, un hôte soupçonneux lui insinuerait que l'excellente conduite de son enfant n'est que le résultat d'un calcul très intéressé et qu'en réalité ce jeune homme se sert de lui bien plutôt qu'il ne le sert met en doute dans sa capacité d'être aimé pour lui-même, le père accepte le défi que renferme le soupçon émis par l'étranger. Il ôte à son fils tout ce qui faisait sa joie et son plaisir; il lui inflige sans raison apparente le traitement le plus sévère, les mortifications les plus douloureuses. Ses frères, voyant la rigueur soudaine avec laquelle leur père le traite, lui demandent ce qu'il a fait et l'invitent à confesser la faute par laquelle il s'est attiré la colère d'un être aussi juste que leur père. Le pauvre jeune homme ne peut répondre qu'une seule chose: «Je n'en sais rien. Notre père est juste, je ne comprends plus sa conduite. J'en appelle à lui.» Cela nous fait mieux comprendre à quel point l'appel à la repentance, envisagée comme solution par les amis de Job, est déplacé et douloureux pour celui-ci.

Tirons les leçons de ces erreurs qui, d'une façon ou d'une autre, nous guettent tous. Tout commence par une connaissance incomplète de la personne de Dieu. Partant de là, nous méjugeons nos prochains et nous en arrivons à des solutions totalement inapplicables. Nous trouvons un écho dans le NT de cette conception lacunaire de Dieu: Jésus vit, en passant, un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui firent cette question: Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle? Jésus répondit: Ce n'est pas que lui ou ses parents aient péché mais c'est afin que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui (Jean 9.1-3). Là encore, les disciples ignoraient la totale souveraineté de Dieu et que tout, même la souffrance, peut contribuer à sa gloire.


2. Réponse de Job (Job 23)

À l'argumentation de ses amis, Job n'a rien à opposer d'autre que le bon témoignage de sa conscience. Frédéric Godet dit à ce propos: «Sa bonne conscience, voilà le rocher contre lequel viennent se briser toutes les inculpations dont il est l'objet et même le principe sur lequel elles reposent, celui de la stricte rétribution. Que l'on ne cherche donc pas dans ses discours une rigoureuse conséquence logique, comme celle qui règne dans les discours de ses amis.» Dans le chapitre qui nous occupe, nous distinguons tout de même trois points.

Premièrement, Job exprime son désir de voir Dieu, de discuter directement avec lui: Lisez Job 23.3-7.

Deuxièmement, Dieu paraît inaccessible à Job: Mais, si je vais à l'occident, il n'y est pas; si je vais à l'orient, je ne le trouve pas. Est-il occupé au nord, je ne puis le voir; se cache-t-il au midi, je ne puis le découvrir (Job 23.8-9). Je voudrais ici ouvrir une parenthèse. Dans ce chapitre, Job constate simplement que Dieu lui est inaccessible; par contre, dans d'autres chapitres, Job ne s'arrête pas à cette constatation mais en appelle déjà, d'une façon extraordinaire, au Christ: Il n'y a pas entre nous d'arbitre, qui pose sa main sur nous deux (9.33). Déjà maintenant, mon témoin est dans le ciel, mon témoin est dans les lieux élevés (16-19). Mais je sais que mon rédempteur est vivant, et qu'il se lèvera le dernier sur la terre (19.25). C'est merveilleux de voir qu'en ces temps reculés, on avait déjà à la fois l'intuition et le besoin du Seigneur Jésus-Christ.

Troisièmement enfin, Job non seulement continue à affirmer son innocence, mais en même temps aussi la toute-puissance de Dieu. Son innocence: Mon pied s'est attaché à ses pas; j'ai gardé sa voie, et je ne m'en suis point détourné. Je n'ai pas abandonné les commandements de ses lèvres; j'ai fait plier ma volonté aux paroles de sa bouche (23.11-12). La toute-puissance ainsi que la souveraineté de Dieu: Mais sa résolution est arrêtée; qui s'y opposera? Ce que son âme désire, il l'exécute. Il accomplira donc ses desseins à mon égard, et il en concevra bien d'autres encore (23.13-14).


3. Une perversité du coeur humain

Nous avons entrevu, au travers du chapitre 22, ce que les amis de Job avaient à nous dire, à savoir: la stricte répartition des souffrances humaines selon la quantité des péchés de chacun. Nous avons vu la réponse de Job qui, faute d'explication logique à ses malheurs, admet la souveraineté de Dieu et en appelle à Dieu lui-même.

Ce troisième et dernier point nous permet, à la suite des sévères accusations qu'Eliphaz porte contre Job, de mettre l'accent sur une perversité du coeur humain que le livre de Job éclaire. C'est notre tendance à accuser des justes de péchés qu'ils n'ont pas commis. Job, tout en n'étant évidemment pas sans péché, était un homme droit dont la conduite était remarquée même dans les cieux. Pourtant cette droiture, assurément visible pour ses contemporains, ne l'a pas empêché d'être chargé des pires péchés par ses amis. Et non seulement eux, mais tout ceux qui l'avaient jusque-là respecté comme un homme sage et droit, se mettent soudainement à le mépriser et à l'accabler de péché. Lisez Job 17.2-6.

Job, jadis si respecté, est devenu un objet de mépris. Nous retrouvons ce mouvement du coeur humain aussi ailleurs dans la Bible. De nombreux prophètes ont été les victimes de cette perversité du coeur humain. Jésus-Christ lui-même, acclamé lors de son entrée à Jérusalem le jour des Rameaux, se fait accuser et condamner par cette même foule qui crie à Pilate Fais mourir celui-ci (Luc 23.18)

Conclusion

Je termine par quelques considérations:

D'abord il y a deux erreurs à éviter:

1. Celle de réduire Dieu et ses actions à nos propres déductions logiques.

2. Celle d'accuser de péché des hommes ou des femmes qui en sont innocents.

Ensuite il y a un exemple à suivre: reconnaître à Dieu la souveraineté totale dans tous les domaines, quoi qu'il trouve bon de faire.

 

Christian BENOIT

© Promesses 1987 – 3 / No 81


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JONAS: «COLOMBE» ÉTAIT SON NOM


Jonas est aussi indissociablement lié à sa «baleine» que saint Roch à son chien. C'est, à son sujet, le seul trait que retienne la mémoire universelle. Mais cette association fait tort au personnage car elle le renvoie automatiquement, sans procès, dans la catégorie des figures légendaires, folkloriques ou mythiques. Or, il est douteux qu'on rende ainsi justice au héros et surtout à l'auteur inconnu de ce petit livre de la Bible, bel et bien admis parmi les ouvrages prophétiques.

En hébreu, le nom même de Jonas signifie «la colombe». Or la colombe n'est pas un quelconque volatile: elle est le symbole même d'Israël. Le Psautier l'atteste (par exemple au verset 14 du psaume 67 hébreu 68) ainsi que les prophètes (tel OSÉE, chap. 7, vers. 11; chap. 11, vers. 11), ou la tradition vivante d'Israël.

Ainsi, un Targum (commentaire araméen de l'Écriture), paraphrase le titre du psaume 55 (hébreu 56) – «Louange pour la communauté d'Israël comparée à une colombe silencieuse.» Et dans le Talmud de Babylone, on peut lire, à propos des phylactères, la fort jolie histoire d'Élisha, appelé «l'homme aux ailes». Le pouvoir romain avait ordonné de percer le cerveau de tout Israélite qui porterait ces petits étuis contenant sur des lambeaux de parchemin des passages de la Loi. Élisha sortit dans la rue en les portant; un questeur le poursuivit et il arriva que ses phylactères se transformèrent en ailes de colombe. Et l'autour de préciser:

«De même que la colombe est protégée par ses ailes, ainsi Israël est protégé par les commandements.»

Il ne serait pas difficile d'ajouter à cet exemple une douzaine d'autres textes dont la plupart datent de ce même Ve siècle avant notre ère, celui qui est généralement assigné à la composition du livre de Jonas. N'aurait-on pas affaire à une allégorie?


La vocation d'Israël

C'est bien en effet l'histoire et la vocation du Peuple élu qui se laissent deviner derrière ce beau livre d'images. Appelé à une mission universelle, Israël a regimbé il n'a pas cru pouvoir aller proclamer aux nations païennes que le salut leur était également promis. Il s'est donc replié sur son quant-à-soi, enfermé dans son nationalisme intransigeant. Dès lors, il fut menacé de disparition et d'oubli: l'Exil l'a englouti pendant un temps, comme le monstre marin a englouti Jonas; et c'est par miséricorde que, finalement, Dieu a tiré son élu de l'abîme pour la rendre à sa mission.

Mais voici que pèse de nouveau l'éternelle menace du nationalisme chauvin. Au retour de l'Exil, il fallut resserrer l'unité nationale, se reconstituer en peuple dont la foi soit pure, sans compromissions avec les croyances païennes. Mais vint l'époque où Israël, suffisamment affermi, devait âtre rendu à sa vocation initiale. C'est donc à réveiller son élan missionnaire que s'emploie l'auteur du livre de Jonas, en promettant la conversion des nations, fussent-elles aussi endurcies dans le péché que cette Assyrie dont la fâcheuse réputation demeure parmi les descendants des captifs. Pourtant, l'écrivain sacré est sans illusion; il sait ce qui retient nombre de ses contemporains d'aller prêcher les nations: un certain dépit à voir des païens bénéficier du salut qu'ils entendent réserver à eux seuls. Il faudra attendre encore quelques siècles avant que le rêve du croyant inspiré ne se réalise pleinement.


Le «fils de la colombe»

Plus tard viendra le temps de l'Évangile, de la Bonne Nouvelle apportée à tous les hommes de bonne volonté. Jésus inaugurera pour de bon l'ère où Israël va rayonner sur le monde lorsque, sortant du Jourdain après le baptême octroyé par Jean, une colombe descendra sur lui. Plus tard encore, Pierre prendra officiellement le relais lorsque le Maître s'adressera solennellement à lui: «Heureux es-tu Simon, fils de Jonas...» (MATTHIEU, chap. 16, vers. 17). Plus tard enfin, c'est aujourd'hui, où la mission demeure plus que jamais d'annoncer aux peuples le salut et la libération contenus dans la Parole de Dieu.

Jean-Pierre Charlier o.p

© En ce temps-là, la Bible No 71

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JOSEPH: QUELLE IDENTITÉ?


Les enseignements de l'Ancien Testament


La vie de tout être humain tourne autour de ces questions: Qui suis-je? Quel sens a ma vie? Quel espoir pour demain?

Quand il n'y a plus aucune réponse à ces questions, on se suicide, souvent après avoir cherché une autre dimension dans l'exaltation de l'alcool, de la drogue, du sexe effréné, ou de la richesse, du pouvoir, de la célébrité – tous des chemins sans issue.

On veut «se réaliser» (à la mode!); mais qui veut-on réaliser? On ne peut pas se réaliser soi-même, vu qu'on est déjà une réalité! – mais une réalité insatisfaite. Pourquoi?

Personne ne conteste que l'équilibre a une importance vitale, que ce soit dans le domaine de la physique (loi de gravitation, horreur du vide), de l'esthétique (les arts: musique, poésie, peinture, sculpture) ou de l'esprit (raisonnement, sagesse, mémoire) – tout doit être équilibré pour que cela marche bien. L'équilibre rompu provoque la désintégration, voire la destruction (environnement, expression artistique, psychisme de la personne). Or:


La vie de l'homme naturel est déséquilibrée: c'est Moi, Moi, et encore Moi!

L'histoire de Joseph est très instructive dans ce contexte. (*) Voilà un homme qui a trouvé sa véritable identité. Son histoire va nous aider à mieux comprendre ce que cela signifie. En fait: pourquoi y a-t-il son histoire dans la Bible? Le NT nous éclaire à ce sujet: Tout ce qui a été écrit d'avance (ou: dans le passé) l'a été pour notre instruction, afin que, par la patience et la consolation que donnent les Écritures, nous possédions l'espérance (Rom 15.4). Cela leur est arrivé à titre d'exemple et fut écrit pour nous avertir, nous pour qui la fin des siècles est arrivée (1 Cor 10. 11).

Joseph nous montre que Dieu commence son travail de labourage profond en l'homme en lui faisant prendre un chemin qui descend. Avec patience et persistance, notre Père pénètre jusque dans les recoins de notre être pour nous révéler ce que nous sommes vraiment nous-mêmes.

Dans Gen 37, trois choses importantes nous sont dites sur ce jeune homme de 17 ans:

1. Joseph est rapporteur

Cela lui donne de l'importance, et il le sait. Il est le fils premier-né de Rachel, le grand amour de son père. Il est bien protégé, élevé qu'il est par deux femmes de son père, Bilha et Zilpa.

Il est l'intime de son père, car Jacob l'écoute quand il rapporte ce que disent ses frères aînés, et ce qu'on dit de mal sur eux. S'ils étaient mal vus, c'était en grande partie à cause du massacre de la population mâle de Sichem par Siméon et Lévi pour venger leur soeur Dina qui avait été déshonorée par le fils du prince de Sichem.

Il n'y a pas de doute que les grands frères se moquaient du jeune Joseph gardé à la maison et qui les visitait pour les surveiller et faire son rapport ensuite. Joseph se sentait meilleur que ses frères; par ses rapportages, il se vengeait de leur attitude dénigrante.

2. Joseph est préféré

Il a une position privilégiée. Jacob n'aurait pas pu trouver mieux pour distinguer Joseph de ses frères: un caftan bigarré à longues manches, habit voyant, l'uniforme du favori des femmes et du vieux père... Pas étonnant que ses frères prennent Joseph en aversion, au point où ils ne peuvent plus lui parler sans laisser percer leur haine.

Joseph a donc à présent une double identité: le confident de son père, et par là même le frère le plus important des douze; et le favori du vieux père, beau jeune homme somptueusement vêtu comme un prince. En ce temps-là, l'habit faisait bel et bien le moine, mais je ne suis pas si sûr que ce ne soit pas encore un peu le cas chez nous aujourd'hui...

3. Joseph est vantard

Tout cela doit avoir gonflé l'adolescent de 17 ans: le petit frère chouchouté méprisé des dix grands frères – élevé au-dessus d'eux tous! Il doit en avoir rêvé. Oh, les rêves délicieux de son Moi enflé!

Le premier rêve lui montre ses frères se prosternant devant lui. Et il le leur raconte! On peut imaginer son petit air de triomphe... Peut-on lui en vouloir? Il y a des gens bien plus âgés qui ne supportent pas mieux l'adulation.

Mais il y a encore mieux à rêver: non seulement ses onze frères, mais aussi son père et sa mère se prosternent devant Joseph le grand! Et il va le raconter aux frères, et aussi à son père. Ce dernier en est consterné il fait remarquer à Joseph que ce rêve ne peut pas se réaliser, vu que sa mère, Rachel, est morte. Jacob ne peut savoir qu'une partie du rêve se réalisera: oui, ses frères se prosterneront devant Joseph, mais pas son père. Cela nous montre avec quelle prudence nous avons à considérer nos rêves (même si on les nomme «visions»).

Voilà donc Joseph l'important, le favori, le grand rêveur à qui le monde doit obédience. Il est heureux dans cette identité réjouissante. Il n'a même plus besoin de prendre trop d'égards envers son bon vieux père. Cependant:


Dieu a un plan pour Joseph

C'est un plan de taille: Joseph devra servir à sauver de la mort, conséquence d'une famine de sept ans, toute sa famille (70 membres), tout le peuple d'Égypte et les populations environnantes. Pour ce faire, Dieu fera de Joseph le Premier ministre du Pharaon, qui règne sur le pays le plus puissant du Moyen-Orient. Grandiose, en effet! Seulement, avant que Joseph puisse être un instrument entre les mains de Dieu, il doit être façonné, car Dieu ne peut pas utiliser Joseph tel qu'il est, avec cette identité de fils préféré, de rapporteur, de rêveur de sa grandeur personnelle. Dieu ne peut utiliser aucun de nous avec l'identité qui lui est propre. Je m'arrête ici pour poser une question:


Quel est le point de référence?

Quelle identité, toi et moi? À quoi nous référons-nous quand il est question de notre personne? Oui, quel est notre point de référence?

– Est-ce d'être père ou mère?

– Est-ce d'être patron? ou femme émancipée (le mari obéit – ou: on a un travail indépendant)?

– Est-ce d'être Français? ou Suisse? ou Belge? ou Canadien?

– Est-ce d'avoir telle responsabilité publique?

– Est-ce d'être missionnaire, et professeur de surcroît (vous voyez que je me sens concerné comme vous)?

– Est-ce d'être médecin? chef de clinique?

– Est-ce d'être ingénieur? ou directrice d'école?

– Est-ce d'être ancien ou diacre d'une communauté?

– Ou est-ce encore d'être ouvrier fier de son statut de «travailleur» pas petit bourgeois comme certains?

– Ou peut-être que mon identité a-t-elle affaire à ma maison (pardon: villa), à ma voiture de marque, ou à toute autre propriété dont je suis fier?


Et si ce qui fait mon identité m'était soudain arraché?

C'est exactement ce que Dieu fit avec Joseph. Dieu commence son labourage en nous engageant dans un chemin qui descend. Il pénètre dans tous les recoins de notre être pour nous révéler toujours mieux ce que nous sommes vraiment au fond de nous-mêmes. Son but est de nous donner une nouvelle identité, une identité qui ne repose plus sur le Moi de l'homme naturel né dans le péché et accapareur de nature dans tous les sens du mot.

Voici Joseph qui va vers ses frères, sûr de lui car envoyé par son père, revêtu de l'emblème de sa position supérieure – et brutalement sa tunique précieuse lui est arrachée, déchirée, foulée aux pieds! Et il atterrit dans une citerne vide.

Où est ton identité à présent, Joseph? Te voilà tremblant de peur, en culottes au fond d'un puits vide, et tes frères qui sont assis en-haut en train de se repaître. Joseph n'a plus rien; tout ce qu'il voit, c'est une rondelle de ciel bleu.


Le façonnement

De Jonas, il nous est dit qu'il a prié dans le ventre du cachalot. De Daniel dans la fosse aux lions, il n'est pas dit qu'il priait; mais il est dit: il avait eu confiance en son Dieu. De Joseph, il n'est rien dit. Cependant, ayant été instruit par Jacob, il est certain que Joseph aura crié à l'aide, sinon à haute voix, du moins dans son coeur. Dieu connaissait Joseph et sa foi. Le voilà au fond du trou – et tout à coup, une corde! Elle descend pour ainsi dire droit du ciel.

La délivrance vient toujours du ciel. C'est en levant les regards vers Dieu que nous voyons qu'il agit pour sauver. Joseph est sauvé, ici, pour devenir un esclave, mais pas n'importe lequel; car Dieu veille, et Joseph devient l'intendant de Potiphar, homme influent, responsable de la prison.


L'Éternel fut avec Joseph

Dès ce moment, cette phrase ponctue le récit, avec comme corollaire: l'Éternel faisait réussir ce qu'il faisait.

Quel encouragement: dans ce chemin descendant, où nous devons perdre notre identité naturelle, nos points de référence naturels, Dieu est avec nous.

Dieu est avec Joseph, et c'est à cause de cela qu'il finit en prison. Cela nous étonne? C'est que, dit le texte: Joseph était d'une très grande beauté. Il a toujours sa beauté. «Joseph le beau garçon» – cela lui colle à la peau. Et cela le mène en prison. Il aurait pu être flatté par l'engouement de la femme de son maître. Non, car, dit-il: Comment ferais-je un aussi grand mal et pécherais-je contre Dieu? Il a compris que mal agir, c'est déshonorer Dieu. Il a déjà trouvé une identité nouvelle, supérieure à son Moi. Aussi Dieu le protège-t-il: il n'est pas exécuté pour son crime sacrilège – qu'il n'a pas commis! Potiphar connaît assez sa femme pour savoir que c'est elle qui a voulu séduire Joseph. Car lui-même, en tant qu'eunuque («saris» en hébreu) est émasculé, et sa femme cherche satisfaction ailleurs.

Pour Joseph, cela doit avoir été assez terrible: de nouveau, son vêtement lui est arraché! Innocent, il est jeté en prison. Il n'ouvre pas la bouche pour se défendre (il nous fait penser à Jésus). Il restera en prison jusqu'à 30 ans. Cette fois, Dieu lui donne, non des rêves, mais le don d'interpréter, non ce que son psychisme produit en lui, mais ce que Dieu produit, d'abord dans les autres, ensuite en lui.

Il aura fallu 13 ans à Dieu pour façonner Joseph à son image. Dieu procède comme un sculpteur. Pour faire d'un bloc de marbre un David, Michel.Ange enlève tout ce qui ne ressemble pas à un homme.

C'est ainsi que Dieu procède.

Nous voyons un homme sortir de prison qui a une nouvelle identité. Quand le Pharaon lui dit: J'ai appris que tu peux expliquer un rêve qui t'est raconté, Joseph répond: Ce n'est pas moi, c'est Dieu! Autrement dit: Je ne peux rien faire, Dieu seul peut tout!


Nouveau point de référence

Ce nouveau Joseph agira avec la sagesse de Dieu pour sauver toute une région de la famine. Ce nouveau Joseph saura amener ses frères à un vrai repentir. Ce nouveau Joseph pleurera à cause des épreuves auxquelles il est obligé de soumettre ses frères pour leur faire voir leur péché en cela il reflète le coeur d'amour de notre Seigneur.

Ce nouveau Joseph saura pardonner à ses frères et leur dire: C'est pour vous garder en vie que Dieu m'a envoyé, ce n'est pas vous (Gen 45.7-8)... Vous aviez voulu me faire du mal, mais Dieu l'a transformé en bien (50.20).

Ce nouveau Joseph, Premier ministre, le personnage le plus important après le Pharaon, a une nouvelle identité: son point de référence, ce n'est plus le Moi, c'est Dieu.

Quelle identité, la mienne? Quelle identité, la tienne? Nous lisons dans Rom 6: Nous savons que notre vieil homme (le Moi non régénéré) a été crucifié avec lui... pour que nous ne soyons plus esclaves du péché,... mais vivants pour Dieu en Christ-Jésus. «En Christ-Jésus» exprime notre nouvelle identité.

Sa vie est devenue notre vie: morts avec lui (sa mort à la croix à notre place) – ensevelis avec lui (signifié par le baptême) – assis avec lui dans les lieux célestes (Eph 2.6).

C'est par la foi que cette réalité peut être saisie, tout comme la réalité du pardon accordé à cause de son sacrifice à la croix. Maintenant, Christ est mon point de référence en tout.

Tu crois en Jésus-Christ? Alors il va te sculpter, toi aussi, car il t'a prédestiné à être semblable à l'image de son Fils (Rom 8.29). Il enlève ce qui ne ressemble pas à l'image de Jésus-Christ. Et il est en train de le faire. Tu sais pourquoi? Parce que si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature, un être qui a une nouvelle identité. C'est un fait, en Christ tu es une nouvelle créature; en tant que telle, tu es transformé par le Père d'amour en l'amour de son Fils. Et quand cela fait mal, comme Joseph, le Père pleure. Tes épreuves sont peut-être écrasantes, dures à porter, au point où tu gémis sous leur poids. Mais il te veut semblable à son Fils. Laisse-le tailler.

Christ est ta vie. Voilà ton identité.

Jean-Pierre Schneider

(*) Certains des éléments de l'histoire de Joseph m'ont été suggérés par des causeries données par Walter Gerber en mars-avril 1988 à Adelboden lors d'un séminaire sur la relation d'aide dirigé par le Dr. Paul Kaschel.

© Promesses 1989 – 4 / No 90


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JOSEPH: LE PÈRE DU SEIGNEUR JÉSUS?


QUESTION:

J'ai une question concernant la naissance de Jésus d'une vierge. Mon étonnement a été grand de constater que même des frères et des soeurs, que je tenais pour chrétiens réellement fidèles, pensent que Joseph était le père de Jésus. Ou alors: peu importe qu'il le soit ou pas. Et ils se réfèrent à la généalogie du Seigneur. Je ne puis admettre qu'il importe peu que nous croyions cela ou pas.

Réponse:

Effrayant et inquiétant comment l'esprit d'incrédulité gagne de plus en plus de terrain, également au sein des églises pourtant créées dans la foi! Des hommes pieux avaient fondé ces assemblées après de durs combats intérieurs. Ils avaient franchi ce pas à la gloire de Dieu, parce que ne pouvant plus supporter de voir comment leurs contemporains recevaient des pierres à la place du pain de vie. Mais aujourd'hui, nous constatons avec effroi comment l'esprit de l'Antichrist infeste de plus en plus ces milieux pourtant, jadis, fidèles à la Bible. L'apostasie du temps de la fin est de plus en plus manifeste. C'est la période prévue, avec tristesse, par le Seigneur Jésus: «Maïs quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-Il la foi sur la terre?» (Luc 18,8).

L'Écriture Sainte enseigne très clairement que le Sauveur du monde a été conçu du Saint-Esprit. Lorsque l'ange vint annoncer à Marie cette formidable nouvelle: «Voici, tu deviendras enceinte et tu enfanteras un fils; et tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. Il régnera sur la maison de Jacob éternellement, et son règne n'aura point de fin» (Luc 1, 31-33), elle demanda, absolument ébahie: «Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d'homme?» (v. 34). Et la réponse de l'ange fut: «Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre. C'est pourquoi le saint enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu» (v. 35). Et il donna à Marie une «béquille de foi» en lui annonçant que sa cousine Élisabeth attendait un heureux événement: malgré son âge, elle portait un enfant dans son sein!

Il ressort nettement de l'arbre généalogique de Jésus, du côté maternel, qu'Il n'était pas le fils de Joseph. Dans la généalogie du Seigneur en Luc 3, il est partout écrit: «fils de...», mais nous lisons au verset 23: «Jésus avait environ trente ans lorsqu'il commença son ministère, étant, comme on le croyait, fils de Joseph, fils d'Héli.» Et en Matthieu 1, qui présente la lignée royale, celle du côté paternel, cette formule est retenue, comme au verset 15 par exemple: «Eliud engendra Eléazar; Eléazar engendra Matthan; Matthan engendra Jacob.» Par contre, il est dit au verset 16: «Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de laquelle est né Jésus, qui est appelé Christ.» Ce n'est pas Joseph qui est le père de Jésus, mais bien le Dieu vivant. Quiconque nie ce fait ou l'estime peu important, s'éloigne du terrain de la foi et, conséquemment, de la félicité éternelle. Car si Jésus n'était pas le Fils de Dieu, Il ne pourrait être notre Rédempteur et Il n'aurait pas pu réconcilier le monde avec Dieu! De plus, ceux qui rejettent la filiation divine de Jésus font Dieu menteur, Lui qui, lors du baptême de Christ au Jourdain, a déclaré depuis le ciel: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection» (Matth. 3, 17). Et ceci également sur la montagne de la transfiguration: «Comme il parlait encore, une nuée lumineuse les couvrit. Et voici, une voix fit entendre de la nuée ces paroles: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection: écoutez-le!» (Matth. 17, 5). Malheur à celui qui met en doute ou rejette cette déclaration centrale de l'Écriture Sainte! Cette attitude se situe sur le même plan que 1 Jean 2, 22-23: «Qui est menteur, sinon celui qui nie que Jésus est le Christ? Celui-là est l'Antichrist, qui nie le Père et le Fils. Quiconque nie le Fils n'a pas non plus le Père; quiconque confesse le Fils a aussi le Père.»

EV

© Appel de Minuit 11 / 1999

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JOSUÉ, L'HOMME QUI ENTRA


Les enseignements de l'Ancien Testament


Le livre de Josué commence brutalement: Maintenant que Moïse est mort, traverse le Jourdain!

Qui est cet homme? Est-ce trop dire que c'est un génie militaire? La victoire par exemple qu'Israël remporte sur les Amalékites au Sinaï lui est due, humainement parlant. Mais il est loin de n'être que cela. Josué a les qualités de l'homme de Dieu. Moïse le choisit, avec quelques autres, pour l'accompagner sur la montagne quand la Loi est donnée. Lors de la reconnaissance du pays promis, Josué représente sa tribu, Ephraïm, parmi les espions envoyés; seuls lui et Caleb ont gardé la foi en la toute-puissance de Dieu et encouragent à la conquête du pays pourtant bien défendu et aux villes fortifiées. C'est que Josué et Caleb sont «animés d'un autre esprit», car ils n'ont pas oublié les miracles par lesquels l'Éternel a fait sortir Israël du pays de l'esclavage. L’Éternel est avec nous, ne les craignez pas! disent-ils au peuple incrédule (Nom 14.9). Comment peuvent-ils être si sûrs de la victoire? Ils prennent Dieu au mot, lui qui a dit: Envoie des hommes pour explorer le pays de Canaan que je donne aux Israélites (Nom 13.2). Eux seuls croient que Dieu va faire ce qu'il a promis. Eux seuls parmi les centaines de milliers sortis d'Égypte entreront dans le pays promis. Les autres ne purent y entrer à cause de leur incrédulité (Héb 3.19), y inclus Moïse. L’Éternel dit à Moïse et à Aaron: Parce que vous n'avez pas cru en moi..., vous ne ferez pas entrer cette assemblée dans le pays que je lui donne (Nom 20.12). Ces hommes qui sont montés d'Égypte, ne verront pas la terre que j'ai juré donner à Abraham,... car ils n'ont pas suivi pleinement ma voie, excepté Caleb et Josué... (Nom 32.11-12).

Je suis avec toi comme j'étais avec Moïse. Mais l'incrédulité de Moïse l'a empêché de faire ce à quoi Dieu l'avait appelé. Et pourtant, dans le postscript du Deutéronome se trouve ce témoignage splendide: Il ne s'est plus levé de prophète comme Moïse, que l'Éternel connaissait face à face. Maintenant qu'il est mort, Dieu en utilise un autre pour accomplir sa tâche. Cependant la Bible ne déprécie jamais Moïse. Il est même dit que Jésus était un prophète à l'instar de Moïse: L'Éternel ton Dieu te suscitera... d'entre tes frères un prophète comme moi: vous l'écouterez! (Deut 18.15) Oui, Jésus est un prophète comme Moïse, mais supérieur à Moïse en ce qu'il n'y a en lui ni faute, ni erreur, ni aucune défaillance (Héb 3).

Tout lieu que foulera la plante de votre pied, je vous le donne, comme je l'ai dit à Moïse (Jos 1.3). Il y a quarante ans que le peuple est sorti d'Égypte. Dieu n'a pas changé d'avis: il fait toujours ce qu'il a décidé (Nom 23.19). Dieu attend l'homme qui le prend au mot. Trois fois, Josué entend cette exhortation: Fortifie-toi, prends courage! (Jos 1) Par ses dernières paroles que Matthieu rapporte, Jésus assure à ses disciples qu'il est avec eux tous les jours jusqu'à l'achèvement de l'âge. De quoi être fortifiés! Dieu dit aussi à Josué comment se fortifier:... en observant et en mettant en pratique toute la loi. Tu y méditeras jour et nuit..., car c'est alors que tu réussiras. Cela n'a pas changé. Peut-être que ton manque de courage est dû à ta négligence de la méditation de la Parole? Lis-la, médite-la, et tu seras fortifié comme Josué.

Josué ordonne alors au peuple d'Israël de se préparer à la conquête de Canaan, car dans trois jours ils y entreront en passant par le Jourdain (Jos 1. 10- 11). Quel culot! Cet homme veut essayer d'accomplir ce que le grand Moïse n'a pas pu accomplir en quarante ans! Non, il ne va pas essayer – il croit tout simplement que Dieu fera ce qu'il a dit. En fait, Moïse a essayé – et il a donné la Loi à Israël, alors que Josué a cru – et il a donné le pays à Israël. Il y a là le double secret de la vie consacrée agréable à Dieu: croire Dieu et faire ce qu'il demande. Si la foi sans les oeuvres est morte, les oeuvres sans la foi sont des échecs, comme nous le verrons par la suite.

Le troisième jour au matin, ils entrent dans le pays promis. Il y aura un autre troisième jour au matin duquel le Christ ressuscitera des morts; par là il nous fait entrer dans le pays promis. Car Canaan n'est rien d'autre que la jouissance, sur terre, de la vie de résurrection de Christ. C'est aussi là que la Pâque peut être célébrée, face à la forteresse réputée imprenable de Jéricho. Le pays produit le grain qui permet de faire les pains sans levain. La Pâque rappelle la délivrance passée; elle rappelle que le premier-né doit mourir – image du Christ, le Fils premier-né, la Personne de la Trinité qui est notre propitiation, mort et ressuscité, vivant et prêt à venir conquérir la terre promise au sens littéral pour y établir le royaume qu'il gouvernera avec un sceptre de fer.

Voici donc le peuple d'Israël face à l'obstacle formidable que représente Jéricho, la forteresse de Satan dans le pays à posséder!

Les recherches archéologiques ont révélé que Jéricho était une petite ville recouvrant quatre hectares seulement. L'armée israélite pouvait aisément l'encercler. Quand les murs tomberaient, chaque soldat pourrait tirer son épée et y entrer. Comme la ville fut brûlée mais non pillée, tout resta en place. On trouva nombre d'ustensiles, et le grain qui était resté dans les fosses creusées dans le roc pour résister au siège. Le dessus des greniers fut brûlé, alors que le grain dessous resta intact. On en planta, et il poussa! Quel merveilleux symbole de la grâce! Car dans le NT, Jéricho devint un lieu de bénédictions: l'aveugle Bartimée et deux autres aveugles y furent guéris par Jésus (Marc 10; Mat 20); le voleur Zachée y fut converti (Luc 19). Mais cela arriva 1500 ans plus tard...

Les deux espions que Josué envoie et qui ont la vie sauve grâce à la prostituée Rahab, font une découverte ahurissante: depuis 40 ans, les Cananéens sont pris de terreur à la pensée de l'invasion par les Israélites au point d'en perdre le souffle! (Jos 2.9-11). Tout ce qui les étonne, c'est qu'Israël attende si longtemps pour prendre ce que Dieu leur a donné...

Israël avait donc tourné en rond dans le désert, parcourant des kilomètres et des kilomètres avec ses tentes et ses troupeaux, se nourrissant d'un menu uniforme consistant en manne et en cailles, alors que le pays coulant de lait et de miel attendait qu'il en prenne possession. Combien de chrétiens sommes-nous de courir d'une activité à l'autre, comme si nous essayions de compenser le manque de direction par le nombre de kilomètres!

Quelle direction? Celle de l'arche, qui est le symbole de l'alliance et dont les objets qu'elle renferme symbolisent le contenu de la foi et de l'intention de Dieu à notre égard. Par où l'arche a-t-elle mené le peuple? Par un chemin où il n'avait jamais passé avant (Jos 3.4).

Le désert? On connaît. Le pays de la plénitude? Suivons le divin guide

Invoque-moi, et je te répondrai; Je t'annoncerai de grandes choses, Des choses cachées Que tu ne connaissais pas. Jér 33.3

Jean-Pierre SCHNEIDER

© Promesses 1986 – 2 / No 76


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JOSUÉ: JÉRICHO – LA VICTOIRE


Rencontrer un ange

Le peuple d'Israël a pris pied dans le pays à conquérir. Il y est entré par un miracle en traversant le Jourdain à pied sec, tout comme il était sorti d'Égypte par un miracle en traversant la mer des Joncs. Le décalage de 40 ans entre les deux évènements était dû à l'incrédulité du peuple. Quelle est l'instruction qui en découle pour nous chrétiens aujourd'hui? Car tout ce qui a été écrit d'avance l'a été pour notre instruction, afin que, par la patience et par la consolation que donnent les Écritures, nous possédions l'espérance (Rom 15.4).

La sortie d'Égypte (notre conversion) devrait être suivie de près par l'entrée en Canaan (jouissance de la vie de résurrection de Jésus-Christ). Saisir le salut par la foi et vivre la vie de sanctification et de victoire par la même foi, par le Saint-Esprit reçu à la conversion: ces deux aspects de la vie chrétienne ne devraient pas être marqués par un décalage de 40 ans! Ne pas entrer dans la vie victorieuse n'est pas égal à perdre son salut, mais à perdre les bénéfices spirituels et pratiques promis à tout chrétien authentique.

Chrétiens découragés, relevez la tête! Paul parle de patience, de consolation et d'espérance. Dieu veut vous faire découvrir que vous pouvez entrer en possession du pays des promesses. La prise de Jéricho peut vous y instruire. Que le Saint-Esprit dont vous portez le sceau (Eph 1. 13) vous donne cette patience et vous console: il y a de l'espoir! Le cheminement d'Israël sous la conduite de Josué peut être le vôtre sous la conduite de Jésus (les deux noms veulent dire «Sauveur»).

Le premier point à découvrir (ou à redécouvrir), c'est que «Dieu est vivant». Les Israélites ont vécu pendant 40 ans comme si Dieu était mort; Josué leur rappelle: Dieu est vivant parmi vous (Jos 3. 10). Avez-vous vécu comme si Dieu était mort? Avez-vous vécu sans compter sur l'intervention de Dieu? Vos activités chrétiennes peuvent-elles s'expliquer par vos capacités naturelles? Peut-être continueriez-vous à fonctionner bien chrétiennement même si Dieu mourait? Quelle différence cela ferait-il? As-tu le renom d'être vivant, mais tu es mort (Apoc 3. 1)? Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre: tu le sais, mais y crois-tu? Tout pouvoir! Pas de limite à ce que le Seigneur peut accomplir dans ta vie! Mais ce sera pas à pas qu'il te mènera sur le terrain de la vie victorieuse, et il te fera passer par où tu n'as pas encore passé (Jos 1.3; 3.4).

Dieu avait donné à Moïse un ange pour chasser l'ennemi devant le peuple. Il en envoie un à Josué qui lève les yeux vers la formidable forteresse de Jéricho – et il voit un ange! Cet ange se présente comme un guerrier, l'épée tirée à la main. (À lire: Jos 5.13-15.) Josué, tout naturellement, veut savoir de quel côté ce guerrier se range. La réponse est catégorique: «D'aucun! Je ne suis pas venu pour prendre parti. Je suis venu pour prendre la situation en charge. » Josué est en face du chef de l'armée de l'Éternel. C'est lui le général. Ce n'est pas à nous de faire les plans, espérant que Dieu sera bien de notre côté. Jéricho n'est pas notre problème: Dieu s'en charge.

Josué l'a immédiatement compris: Parle, je t'écoute. Oui, bien sûr, nous écoutons Dieu. Cela ne suffit pourtant pas. Josué se prosterne en signe de soumission. Il connaît le récit du buisson ardent, mais il a oublié d'ôter ses sandales. Il pense marcher dans ses propres souliers. Josué doit redécouvrir ce que Moïse avait oublié: Dieu est présent, c'est lui qui me dit où aller, mes pieds suivront le chemin qu'il m'indiquera.

Dieu n'a pas changé. Le principe est resté le même: le buisson ardent, le chef de l'armée de l'Éternel, le Saint-Esprit en moi... Le Seigneur est présent, il veut prendre en charge. Ôté tes souliers; mets-toi sur le terrain de l'entière dépendance de Dieu; marche dans la victoire que le Seigneur a déjà préparée et prends possession du pays qu'il a déjà conquis.

Jéricho représente la forteresse de Satan dans le pays à posséder, dans la vie du chrétien. Comment vaincre cet obstacle? Héb 11. 30 nous le dit: C'est par la foi que les murs de Jéricho tombèrent.

Avant de continuer, lisez Josué 6.


Faire tomber la forteresse

Josué s'attendait vraiment à ce que les murs tombent: Poussez des clameurs, car l'Éternel vous a donné la ville! À la regarder, elle paraissait toujours aussi imprenable que jamais. Quel est l'obstacle qui empêche la vie de Christ de s'épanouir en vous? Vous attendez-vous à le voir tomber? Par la foi, les murs de Jéricho tombèrent, après qu'on en eut fait le tour pendant sept jours (Héb 11.30). Ils ne tombèrent pas le premier jour...

Le chiffre sept semble jouer un rôle important: 7 sacrificateurs, 7 trompettes, 7 jours, 7 tours. C'est le chiffre de la perfection divine. Dieu est une trinité, et il est le créateur. Or la terre est caractérisée par les 4 points cardinaux, et la création est représentée par les 4 êtres vivants dans l'Apocalypse (4.5-7). Le chiffre 7 représente donc le Dieu trinitaire créateur (3 + 4). Le symbolisme du chiffre 7 quatre fois répété indique clairement que la victoire est donnée par Dieu. Mais si certains expliquent la chute des murailles par un tremblement de terre (pourquoi pas?) ou par les vibrations créées par les cris du peuple (peu probable), il y a manifestement une intervention directe de Dieu, donc un miracle.

Pourquoi le peuple devait-il faire le tour de la ville le septième jour, pourtant le jour de repos, le sabbat? Ce jour devait être sanctifié (= mis à part) pour glorifier Dieu, et il était défendu de faire son propre travail ce jour-là. Or, si les murs de Jéricho sont tombés, c'était l'oeuvre de Dieu (comme les guérisons de Jésus faites le sabbat), et non celle des Israélites. Leur «oeuvre» était une cérémonie religieuse...

Quant aux «trompettes», il s'agissait du «chophar yobelim», du cor des jubilés, qui symbolise la proclamation de l'Évangile, qui est à la fois une déclaration de guerre à Satan et la proclamation de la victoire (dont le jubilé est l'expression). – Prophétiquement, la septième et dernière trompette sonnera aussi le septième jour (à la fin de la semaine prophétique) pour annoncer la victoire finale de Jésus-Christ sur Satan (1 Cor 15.52; Apoc 11. 15). (1)


L'interdit

La ville sera vouée à l'Éternel par interdit, elle et tout ce qui s'y trouve. Hommes, femmes, enfants, bébés, les animaux, tous doivent mourir.

Choquant, n'est-ce pas? Mais c'est un ordre de Dieu. Deut 13.16 montre que c'est le sort des communautés adonnées à l'idolâtrie. Israël ne devait pas en être contaminé. En devenant l'instrument d'un châtiment si terrible, Israël devait comprendre, d'une part, quel serait son propre sort s'il tombait dans le même péché, d'autre part, que Dieu est saint et ne peut tolérer l'idolâtrie et la conduite immorale qui l'accompagne.

Rien de ce qui servait Satan ne devait subsister. Rahab, elle, avait servi l'Éternel en hébergeant les deux Israélites envoyés en reconnaissance par Josué. Le cordon de fil écarlate (Jos 2.18) qui signifie le salut pour Rahab et les siens est un symbole du sang de Christ qui sera répandu pour le pardon du péché du monde entier (1 Jean 2.2).

Jéricho est un type des prémices. La première récolte appartient à Dieu, de même que le premier-né (que les païens offraient souvent en sacrifice). Jéricho représentait les prémices du pays de Canaan; c'est pourquoi la ville entière était vouée à Dieu.

C'est un autre fil qui traverse toute la Bible: ce que nous avons appartient en propre à Dieu, car qu'avons-nous que nous n'ayons reçu? Si Dieu demande les prémices, c'est pour nous rappeler qu'il doit être honoré le premier, qu'il en a l'emploi prioritaire. Dans l'AT, la loi avait fixé 10 % les dons dus à Dieu. C'était le minimum. En plus, il y avait les offrandes qui étaient proportionnelles à l'affluence individuelle. Le principe est resté le même. Aucun chrétien qui a pratiqué la dîme et l'offrande (le maximum de ce qu'il pouvait donner sans précipiter sa famille dans les dettes) n'a jamais manqué du nécessaire. Je puis en témoigner. Deux textes seraient ici à relire: Mal 3.8-10 et 2 Cor 8.13-15.

Le peuple d'Israël exécuta exactement l'ordre de Josué. Jéricho devait dès lors rester ouverte à tout venant, en témoignage de l'ennemi vaincu. Aussi une malédiction est-elle prononcée contre quiconque rebâtirait Jéricho (6.26), malédiction qui se réalisa 500 ans plus tard contre Hiel (1 Rois 16.34).

Jéricho est vaincue, le bastion le plus formidable de l'ennemi est anéanti, le pays peut être conquis. Tout est bien! Et pourtant...

Jean-Pierre SCHNEIDER

© Promesses 1986 – 3 / No 77


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JOSUÉ: AÏ – LA DÉFAITE


Josué 7

Jéricho a été prise. Josué doit continuer la conquête du pays. Pour prendre pied au-delà de la vallée du Jourdain et avoir accès à la pleine du Saron, il faut prendre le point stratégique d'Aï, situé dans le massif central de la Palestine, accessible par le Wadi Madja, une des vallées transversales partant de la plaine du Jourdain. Cette bourgade fortifiée de douze mille habitants se trouvait alors à quatre heures de marche de Jéricho. Aï signifie «monceau de pierres»; c'est tout ce qui en reste aujourd'hui.

Les scouts qui ont inspecté les lieux sont persuadés que trois mille hommes n'en feront qu'une bouchée. Pas la peine de se fatiguer pour si peu. Pas la peine non plus de consulter Dieu. Après tout, n'a-t-on pas gagné une victoire éclatante en prenant Jéricho, forteresse autrement impressionnante qu'Aï?


Interdit

C'est l'échec, la fuite honteuse des trois mille Israélites devant une poignée de païens. Comment est-ce possible? Dieu n'a-t-il pas agi par sa puissance surnaturelle à Jéricho? Et puis, n'a-t-on pas le même général Josué, approuvé par Dieu? N'a-t-on pas l'arche de Dieu, donc sa présence garantie? N'a-t-on pas fêté la première Pâque au pays promis? Les hommes et les garçons ne sont-ils pas tous circoncis en signe de l'alliance établie par Dieu?

Malgré tous ces atouts, c'est la défaite, la honte, l'humiliation. On comprend le désarroi de Josué, car cela ne peut signifier qu'une chose: Dieu n'est plus avec eux! Et Josué de se lamenter: Si seulement nous étions restés en Transjordanie! Que vont dire les Cananéens? Et que feras-tu pour l'honneur de ton grand nom, ô Éternel?

La réponse de Dieu est brusque: Ne comprends-tu pas? Il n'y a qu'une raison qui puisse expliquer la défaite le péché est entré en Israël. Ne reste pas prostré. Lève-toi, agis! Le péché est un interdit: il empêche la victoire. Tant que les mesures nécessaires n'ont pas été prises, l'interdit reste. C'est Dieu qui fixe les mesures à prendre, étant le premier offensé par le péché.

Akan croit être le seul à connaître le péché qui a causé la défaite. Il n'a pas compté avec Dieu dont rien ne peut être caché. Mais pourquoi Dieu accuse-t-il le peuple entier? Sous l'ancienne alliance, le peuple entier était consacré en tant que collectivité, de sorte que la faute d'un seul impliquait tout Israël, par solidarité. Avec la nouvelle alliance, cela a changé, car on devient membre du corps du Christ, l'Église, par une décision personnelle. On naît Israélite; on ne naît pas chrétien.

Autre question: pourquoi Dieu dit-il que le peuple a volé? Volé qui? et quoi? Il a volé les prémices à Dieu. Jéricho étant les prémices de la conquête de Canaan, le peuple n'avait aucun droit au butin, ce qui ne sera plus le cas pour Aï, où le peuple pourra s'approprier le butin. À cause de l'impatience d'Akan, lui et le peuple entier ont été plongés dans la défaite. Si Akan avait attendu dans l'obéissance, il aurait eu son butin avec la bénédiction de Dieu!


Levée de l'interdit

Dieu indique le chemin pour retourner à lui: se sanctifier – c'était déjà la condition pour entrer dans le pays. Le peuple doit se désolidariser du coupable, se séparer de lui. C'est là le sens de toute sanctification: se séparer du mal sous toutes ses formes.

Quand Akan est désigné comme coupable, Josué est rempli de commisération pour lui: Donne gloire à Dieu – reconnaît que Dieu a dit vrai en te désignant. La réponse d'Akan est instructive: J'ai vu, j'ai convoité, j'ai pris et j'ai caché. Voilà la raison de la défaite: un péché caché Akan illustre parfaitement ce qui caractérise le monde selon 1 Jean 2.16: la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie. Le manteau de Chinéar, d'origine babylonienne, faisait chic, donnait du prestige, faisait d'Akan un homme du monde...

Voulons-nous paraître ce que nous ne sommes pas? Quel est notre manteau de Chinéar? Celui d'Ananias et Saphira consistait à être classés parmi les plus consacrés, généreux et spirituels. IIs ne voulaient pas être généreux, ils voulaient paraître généreux. Même une action louable, si elle est faite pour paraître devant les autres, est un péché.

Sous l'alliance de la loi, le péché devait être expié par une victime de substitution ou par le pécheur lui-même. Akan et sa famille sont exécutés: Tout Israël lui jeta des pierres. Comme tout le peuple était solidaire de la faute d'Akan, de même toute sa famille était impliquée dans le châtiment. C'était la pédagogie divine sous l'Ancienne Alliance: inculquer l'horreur du péché par la destruction de tout ce qui y a participé. Pourtant – et c'est un point capital – la peine de mort du clan d'Akan ne signifiait pas sa perdition éternelle; c'était un châtiment temporel.


Victoire différente.

À présent, le chemin de la victoire est ouvert. Pourquoi Dieu envoie-t-il trente mille guerriers contre Aï? Pour la même raison pour laquelle il envoya seulement trois cents avec Gédéon: Pour que l'homme ne puisse se vanter. Les Israélites avaient dit: Trois mille suffiront Dieu leur dit: Vous aurez besoin de tous vos guerriers pour prendre Aï:

La prise d'Aï diffère totalement de celle de Jéricho. Point de miracle à Aï, que les Israélites doivent prendre en utilisant la méthode de guerre traditionnelle. La victoire n'est pas une affaire de routine. On ne peut pas établir un schéma qui garantirait la victoire. À Jéricho, il y eut un miracle; à Aï, non.

Ne nous étonnons pas si l'Esprit de Dieu nous mène autrement aujourd'hui qu'hier. Jamais il n'agira contrairement au caractère de Dieu tel que les Écritures nous le révèlent. Jamais, par exemple, il ne parlera d'une manière inintelligible. Mais il appliquera des méthodes différentes d'une fois à l'autre, non seulement parce qu'il est souverain, mais parce qu'il est une personne, la Personne qui est à l'origine de l'homme qui, ayant été créé à l'image de Dieu, est aussi une personne. Ce qui caractérise une personne, c'est sa liberté d'action. L'animal n'est pas une personne, son comportement étant conditionné par ses instincts. Pourquoi la Personne souveraine de Dieu se conformerait-elle à un quelconque schéma?


Déductions.

Gardons-nous du légalisme en ce qui concerne soit l'acquisition du salut, soit la marche dans la sanctification. Mais gardons-nous également de l'idée que, puisque nous devons tout à la grâce de Dieu, le péché n'aurait pas tellement d'importance.

D'autre part, ne pensons pas que toute défaite, toute faiblesse doit être due à un péché. J'en prends à témoin notre Seigneur Jésus-Christ lui-même. À vues humaines, il a essuyé de nombreux échecs; à Nazareth, il a été méprisé à Jérusalem, on n'a pas voulu de lui; malgré les miracles, les foules ne croyaient pas en lui; ses propres frères n'ont pas cru en lui; un des douze disciples l'a trahi et s'est suicidé ensuite, alors qu'un autre l'a renié; le miracle spectaculaire de la résurrection de Lazare a décidé les Pharisiens de faire mourir Jésus; malgré son innocence constatée par le pouvoir politique, Jésus a été condamné à mort et crucifié. En voici les références: Mat 13.53-58; 23-37; Jean 12.37; 7.5; Mat 26.14-16; 69-75; Jean 11.53; 18.38; 19.4,6,16. La victoire n'est pas toujours là où l'on croit.


L'enseignement qui se dégage de la victoire à Jéricho et de la défaite à Aï peut se résumer en quatre points:

1. Quand nous péchons, Dieu le sait, même si personne d'autre ne le sait.

2. Quand nous péchons, la bénédiction diminue ou s'arrête; elle peut même s'arrêter pour toute une église à cause du péché d'un ou de plusieurs membres.

3. Il y aura jugement, soit par nous-mêmes en confessant notre péché, soit par Dieu lui-même.

4. Si nous mettons la chose en ordre, la voie est rouverte pour la bénédiction.

Jean-Pierre SCHNEIDER.

© Promesses 1986 – 4 / No 78


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