Les chapitres 40 à 55 constituent dans le recueil d'Isaïe une sorte de «livre» dans le livre. On le dit «de consolation» parce qu'il commence par les mots: «Console-toi, console-toi, mon peuple» et parce que l'ensemble est orienté vers la joie du retour en Palestine. Malgré le rattachement très ancien de ces chapitres aux précédents, le vocabulaire, le style, les idées exprimées ont conduit la presque totalité des exégètes à attribuer les oracles qu'ils renferment à un prophète anonyme vivant à l'époque de l'Exil (VIe s. av. J.-C.). Il S'agit toutefois d'un lointain disciple d'Isaïe: l'utilisation de l'expression «le Saint d'Israël» et la reprise de la philosophie de l'histoire du grand prophète du VIIIe s. indiquent bien le même courant de pensée. Mais on trouve ici, en particulier, une profession de foi monothéiste d'une netteté encore inégalée. La proclamation du Dieu unique s'accompagne d'une triple preuve: Yahvé est le seul vrai Dieu car il a manifesté sa puissance unique dans la création, dans la prédiction de l'avenir et dans sa maîtrise sur l'histoire du monde. L'aspect négatif ne manque pas: l'idole n'est rien. Feignant de croire que le dieu païen se confond avec la statue qui le représente, le prophète ironise: c'est le même cèdre, avec lequel on se chauffe, avec lequel on fait rôtir sa viande, qui servira à fabriquer une idole devant laquelle on se prosternera! On trouve encore dans ces oracles une vue universaliste extraordinaire 1: le Livre de la Consolation oriente la piété du retour vers une conception très large du salut: un jour, Jérusalem verra autour d'elle des fils qu'elle n'a pas enfantés. Il faut ajouter qu'il est à peine question du Temple; l'Israël qui est envisagé pour l'avenir n'est pas constitué par tous les descendants d'Abraham, mais seulement par ceux qui auront une foi vive et une espérance profonde, en un mot par ceux qu'Amos appelait le «Reste», désigné dans ces chapitres par le terme «pauvres de Yahvé». Par ailleurs les chants du Serviteur, présentés dans les pages précédentes, conduisent la révélation vers un sommet qui ne sera plus atteint avant l'ère chrétienne. À l'approche du retour en Terre sainte les souvenirs anciens se ravivent. Comme à l'époque de Moïse, Dieu va prendre la tête de son peuple et renouveler les prodiges de jadis. Il fera jaillir à nouveau l'eau du rocher, mais non plus seulement pour désaltérer ceux dont la langue est desséchée. Le prophète oblige à désirer cette source jaillissante de vie éternelle dont parlera Jésus à la Samaritaine: «0 vous tous qui avez soif, venez vers les eaux!» Une tâche immense attend les rapatriés, mais Dieu les aidera-t-il? L'Exil était la punition qu'il infligeait à son peuple, mais aurait-il rompu l'Alliance? Le prophète répond en reprenant le thème de l'amour conjugal, cher à Osée: certes l'épouse (Israël) a été infidèle, mais l'alliance demeure et l'amour de Dieu est sans repentance: «Les montagnes seront ébranlées et les collines trembleront, mais ma miséricorde ne se retirera pas...» J. DHEILLY Professeur à l'Institut catholique de Paris © En ce temps-là, la BibleNo 58 page IV. Retour----------------------------------------------------------- |
L'apparition de l'Emmanuel, «Dieu avec nous» (Isaïe, chap. 7, vers. 14), né d'une jeune mère spécialement choisie, signifie l'ouverture d'une ère de félicité. On sait que la tradition chrétienne, à la suite de saint Matthieu (chap. 1, vers. 23), a vu dans ce passage l'annonce explicite de la naissance virginale de Jésus (voir No 56) Le poème qui, au chapitre 9, chante l'avènement de l'enfant messianique, insiste surtout sur la paix que celui-ci apporte au monde. Comme au premier chapitre de la Genèse la lumière fait soudain place aux ténèbres. Certains pensent que la mention des habitants du pays «des ombres de la mort» (vers. 2) pourrait signifier que la joie résultant de cette naissance s'étend jusqu'au séjour souterrain des défunts. Le prophète accumule les images pour donner une idée de cette allégresse sans précédent qui a pour raison d'être le passage de la servitude à la liberté et de la guerre à la paix parfaite: on brûle même les «vêtements maculés de sang» des soldats, parce que c'en est fait désormais de toute guerre. Nulle part l'accent n'est mis sur la toute-puissance politique du Messie. Toute idée de vengeance est exclue, puisqu'il n'y a plus ni tyrans ni violences. Au chapitre 11, le royaume annoncé n'est déjà plus guère «de ce monde» jugeons plutôt: son roi est doué d'une force d'En-Haut. Il n'aura pas à combattre les méchants, il lui suffira d'un souffle de sa bouche pour les faire disparaître (vers. 4). Ce n'est pas une épée, comme chez les princes de la terre, qui ceint ses reins, mais la justice et la fidélité (vers. 5). Il jouit d'une intuition qui l'affranchit des écueils de l'apparence et rend ses sentences tout à la fois infaillibles et impartiales (vers. 3). Son règne amènera la conversion morale de l'humanité qui ne fera plus le mal et ne détruira plus (vers. 9). Cette transformation atteindra même les animaux qui se réconcilieront entre eux et avec l'homme (vers. 6-8). Tout cela sera accompli sous l'action de l'esprit de Dieu qui repose sur Lui (vers. 1 ). Ce dernier verset est revêtu d’une double importance pour la tradition chrétienne. D'une part le fait que l'Esprit de Dieu «repose sur lui» est le grand signe grâce auquel Jean le précurseur a identifié Jésus de Nazareth avec le Messie d'Isaïe (JEAN, chap. 1, 33-34); d'autre part l'énumération des différentes qualités de l'esprit divin telle qu'elle figure en Isaïe est à l'origine de la doctrine chrétienne sur les sept dons du Saint-Esprit. En réunissant ces passages messianiques aux «chants du serviteur» nous nous trouvons certainement devant l'évocation la plus riche et la plus compacte de la personne, de l'action et du mystère du Messie attendu. P. CRISOLIT © En ce temps-là, la Bible No 58 page IV. ----------------------------------------------------------- |
LE
MESSIANISME DU «FILS DE DAVID» DES
LIVRES ANCIENS À L'EMMANUEL DU PROPHÈTE ÉSAÏE
On donne le nom de «Messianisme» au mouvement d'espérance qui emporte peu à peu le judaïsme comme au-devant de l'Évangile et qui se concentre sur la figure que nous appelons «le Messie». Ce terme n'est qu'une forme francisée d'un mot hébreu qui signifie «l'Oint», c'est-à-dire celui sur lequel a été versée l'huile, symbole de consécration divine. Le mot «Christ» n'est, de même, qu'une adaptation à notre langue du mot grec correspondant. Dans les plus anciens textes bibliques comme celui que nous venons de citer, l'oint du Seigneur est simplement le roi israélite, mais en tant qu'il représente, et est supposé réaliser, la royauté de Dieu lui-même sur son peuple. À Saül, qui ne s'est pas prêté à n'être qu'un instrument docile du règne divin, David sera substitué. Lui, au contraire, restera comme l'image de l'Oint du Seigneur fidèle à sa vocation et à sa consécration: non qu'il nous soit présenté comme un «saint» exempt de reproches, mais plutôt parce qu'il sera prêt à reconnaître ses péchés et à s'en repentir à la voix du prophète (voir 2e SAMUEL, chap. 12). C'est ainsi que David s'étant montré le roi selon le coeur de son Dieu, l'établissement d'un règne de Dieu sur la terre apparaîtra naturellement comme lié à l'avènement d'un «fils de David», qui ne le serait pas seulement selon la chair mais selon l'Esprit: en d'autres termes, un autre David, qui accomplirait en sa personne, d'une façon parfaite et définitive, ce dont son ancêtre avait été comme l'esquisse et le présage. L'espoir d'un roi puissant et glorieux À travers les chapitres 7, 9 et 11 d'Isaïe, nous voyons comment l'espoir d'un roi futur qui réaliserait ainsi dans sa plénitude la signification de la royauté israélite va grandissant et s'approfondit. D'une survivance de la lignée de David, on passe ainsi à l'attente d'un «plus grand que David», et finalement d'un réalisateur définitif des espoirs que David avait fait naître. De même, un psaume comme le 44e (45e de l'hébreu), nous montre les épousailles d'un roi de Juda avec une princesse étrangère évoquant pour l'esprit prophétique des chantres d'Israël, l'attente d'un roi parfait qui étendrait aux nations païennes le règne de Dieu. Un autre psaume, le 71e (hébreu. 72e), décrira le règne éternel d'un roi qui le serait de la justice et de la paix. Par dessus tout, peut-être le 109e psaume (hébreu: 110e) chante l'intronisation du roi-prêtre «selon l'ordre de Melkisédek» (voir GENÈSE, chap.14, vers. 18), «fils de Dieu» par excellence, qui anéantira pour jamais tout pouvoir d'inimitié. Le peuple opprimé avait cru, après l'exil et le retour de Babylone, en une restauration définitive, matérielle et morale, dans sa déception cette attente du «Messie» va s'exciter de plus en plus. Mais alors que les espoirs de la masse du peuple et l'impatience des «zélotes» confondront ce Roi attendu avec les images de guerriers vainqueurs du plus ancien passé d'Israël, l'inspiration des derniers prophètes, se prolongeant à travers les livres apocalyptiques, élèvera les pensées vers un règne de Dieu qu'aucun règne simplement humain ne pourrait réaliser. C'est bien pourtant, comme on le verra au chapitre 7 de Daniel, d'une figure humaine (d'un «Fils d'homme») qu'on en attend l'avènement, mais d'un homme surnaturel: d'un «Fils d'homme venant sur les nuées du ciel». Et côte à côte avec cette énigmatique figure, une autre plus mystérieuse encore, sollicite l'attention c'est celle du serviteur souffrant d'Isaïe (chap. 53), dont la souffrance innocente pourra seule anéantir cette puissance du mal dont l'homme n'est pas seulement la victime mais le complice, sollicite l'attention. Les plus hardis visionnaires tentent, dirait-on, sans y parvenir, de rapprocher gauchement ces images complémentaires, mais si vivement contrastées, du salut et du Sauveur qu'on attend. Fils de l'homme et serviteur souffrant Il faudra néanmoins l'enseignement de Jésus aux siens, leur parlant du «Fils de l'homme venu pour servir et non pour être servi», quand eux le pressent de s'avouer comme le Messie, pour les préparer à conjoindre sur son oeuvre et sa personne des clartés si contrastées, mais ce n'est qu'après sa mort, illuminée par sa résurrection, que Pierre (voir ses discours rapportés aux premiers chapitres des Actes des Apôtres) saluera en Lui, le premier semble-t-il (alors que Jésus avait eu tant de peine à le détourner d'espérances messianiques toutes terrestres et charnelles), le Serviteur souffrant que Dieu a consacré comme le Roi promis en l'établissant dans la gloire céleste et l'on attendra désormais son retour final. RP Louis Bouyer de l'Oratoire © En ce temps-là, la Bible No 56 pages I-II. -----------------------------------------------------------
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DANS
LES DEUX LIVRES DES ROIS UNE THÉOLOGIE DE
L'HISTOIRE
Les livres des Rois n'ont pas d'abord pour but de raconter l'histoire politique des deux royaumes d'Israël et de Juda; mais d'expliquer comment il est concevable que l'un et l'autre, et Jérusalem elle-même, soient un jour tombés aux mains des païens; comment le peuple libéré par Dieu de l'esclavage d'Égypte a pu être emmené à nouveau en captivité. Explication dont chacun a besoin en voyant le pays de la Promesse envahi, dévasté, asservi. C'est dans le contexte des sombres années de 721, ruine de Samarie et disparition du royaume du nord, celui d'Israël, et de 586, ruine de Jérusalem et disparition du royaume du sud, celui de Juda, que ces livres furent rédigés, d'après des documents antérieurs. L'auteur incite, semble-t-il, à penser que l'issue fatale pour le peuple d'Israël fut déterminée par l'attitude des rois responsables de leurs peuples: tout est arrivé parce que leur coeur n'était pas «parfait avec Yahvé, notre Dieu» (1e, Rois, chap. 8, vers. 61; chap. 11, vers. 4; chap. 1 5, vers. 3 et 14). Les rois ont-ils connu et suivi la volonté de Dieu transmise par Moïse? Telle est en effet la question sous-jacente tout au long de chaque chapitre, et la réponse, notoirement négative, justifie la catastrophe nationale et la ruine de Jérusalem. Les décisions des rois ont été le plus souvent à l'encontre de la volonté de Dieu; ce fut leur perte, ainsi que celle de leur nation. Le cas où Israël s'obstinerait dans la désobéissance était prévu par la Loi: le Deutéronome contenait de terribles menaces et malédictions (Deutéronome, chap. 28, vers. 1 559). Ainsi, dans les malheurs qui l'accablent, Israël est-il jugé par la parole de Yahvé lui-même, qui n'est pas une «parole vaine» (Deutéronome, chap. 32, vers. 47). L'effondrement successif des deux royaumes en porte cruellement témoignage. Dans l'ensemble, les récits qui sont faits ici tendent à démontrer la correspondance entre la parole prononcée et l'accomplissement historique: la prophétie devient histoire. Une volonté de tout comprendre et de tout expliquer Pour le royaume du Nord, tout est relativement simple pour le rédacteur. Le destin du royaume d'Israël, qui a Samarie pour capitale, était déjà décidé par le péché du premier de ses rois: Jéroboam (1er Rois, chap. 14, vers. 16 et 2e Rois, chap. 17, vers. 21-23), d'autant que tous ses successeurs ont tôt ou tard marché «dans la voie de Jéroboam». Mais comment expliquer que le grand désastre de 586 survint presque immédiatement après le règne de Josias, le meilleur parmi les descendants de David? En fait, suggère l'auteur, Yahvé avait décrété ce jugement contre le royaume du sud à cause du péché de Manassé qui dépassait tout ce qu'on avait jusqu'alors imaginé. Sur le royaume de Juda et Jérusalem sa capitale, la patience de Yahvé s'était longuement exercée en raison du plan divin établi sur la maison de David. Mais Josias, malgré ses vertus et ses mérites, n'avait pu cette fois retarder de beaucoup le châtiment (2e Rois, chap. 21, vers. 10; chap. 23, vers. 26; chap. 24, vers. 2). En somme, Dieu n'a manqué en rien à son peuple, mais son peuple, lui, principalement en la personne de ses rois, a gravement manqué à son Dieu. Par ses fautes il a détruit de ses propres mains son salut. Le jugement de Yahvé, quelle que soit sa rigueur, est donc parfaitement juste. Telle est la leçon qu'il faut tirer de ces pages. L'ensemble est un chant à la gloire du Dieu qui exerce une justice à laquelle rien ni personne n'échappe; ce chant est seulement transposé dans le langage de la littérature historique. Mais l'auteur ne s'est pas contenté d'un bilan général; il s'est assigné la tâche d'expliquer en détail, théologiquement, le débouché de l'histoire du salut sur les stupéfiantes catastrophes de 721 et de 586. Il s'en sentait capable parce qu'il comprenait toute cette histoire à la lumière des menaces et des exhortations du Deutéronome. C'est cette volonté passionnée de mettre en évidence l'efficacité de la parole de Dieu à travers les événements historiques, cette résolution de tout comprendre de ce qui arrivait à Israël en se référant à cette seule parole, qui fait la grandeur de l'ouvrage. Ce n'est pas ce qui remplit de vacarme les annales profanes qui est décisif pour le peuple de Yahvé, seul compte le message divin que contient la Loi, l'Écriture. David est la jauge où se mesurent les rois On peut légitimement penser que cette théologie de l'histoire n'a pu se développer sans certains «ajustements» des faits. Les livres des Rois schématisent incontestablement les données positives que nos modernes historiens scientifiques envisageraient dans une pure objectivité et sans doute la situation de l'Exil, pendant lequel l'élite d'Israël était dans une certaine mesure séparée du monde extérieur, était-elle assez favorable à une telle construction d'exposés théoriques. L'enseignement reste pourtant entier; et c'est ce qui importe à l'auteur sacré. Au demeurant, rien n'empêche de remarquer que tous les rois judéens sont jaugés à la mesure du roi idéal: David; le seul dont le coeur fut «parfaitement avec Yahvé» (1e, Rois, chap. 9, vers. 4; chap. 11, vers. 6 et 38). Cette image de David, norme suprême du monarque selon le coeur de Dieu, n'est évidemment pas l'image réaliste du David de l'histoire rapportée par les deux livres de Samuel qui permettent d'ailleurs au lecteur de la Bible d'ajuster sa propre appréciation. Une question reste enfin en suspens: la promesse apportée par la prophétie de Nathan à David va-t-elle prouver son efficacité au-delà de la ruine du temple et de l'exil d'Israël en Babylonie?... Notons que la grâce accordée à Joakin (20 Rois, chap. 25, vers. 27), laisse entrevoir la possibilité d'une issue: Yahvé pourra reprendre son oeuvre de salut, car la dynastie davidique n'a pas complètement sombré. P. CRISOLIT © En ce temps-là la Bible No 28 page IV. -----------------------------------------------------------
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LES LIVRES DES ROIS: SUITE DES LIVRES DE SAMUEL, MAIS D’UN TOUT AUTRE STYLE Ce nouveau recueil conduit le lecteur jusqu'à la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor en 586. La première édition, qui comprenait déjà les vingt-trois premiers chapitres, daterait des alentours de 610. Durant l'exil, un rédacteur aurait ajouté les chapitres 24 et 25, et fait quelques retouches à l'ensemble. Dans leur forme actuelle, les «Rois» dateraient de 550 environ. Bien qu'ils ne soient rien autre qu'une «suite» par rapport à ceux de Samuel, ils sont écrits d'une main très différente. Tandis que trois personnages (Samuel, Saül et David) occupaient à eux seuls les livres de Samuel, ceux des Rois traiteront d'une quarantaine de souverains; aussi les récits concernant chacun de ceux-ci seront-ils généralement très courts. Tandis que les biographies précédentes étaient riches de détails et éclatantes de coloris, celles-ci sont généralement dépouillées; dans les premières, l'appréciation morale ressortait tout naturellement des événements, dans les secondes c'est un jugement ritualiste, légaliste même, qui est porté sur chacun des rois: il est bon ou mauvais suivant qu'il a respecté ou non l'unité du sanctuaire (Temple de Jérusalem). Une histoire avant tout religieuse Si l'appréciation relève uniquement du culte, et si la politique a si peu de place dans l'ouvrage, c'est qu'il s'agit avant tout d'une histoire religieuse. On saisit notamment ce caractère dans la mention fréquente qui est faite du Temple. Que Salomon l'ait construit constitue son principal litre de gloire; l'entretien du sanctuaire manifeste le rôle important du sacerdoce israélite; enfin on sent la tristesse ou l'indignation lorsque l'auteur rapporte les pillages et la profanation que subit la sainte Demeure. C'est que cette histoire est tout imprégnée de l'enseignement du Deutéronome. découvert dans le temple en 621. Il devint ainsi l'occasion d'une réforme religieuse, menée par le roi Josias. Le livre des Rois ne fait que fixer l'enseignement deutéronomiste: si le peuple d'Israël se refuse à toute idolâtrie, et adore le Seigneur dans son Temple, alors ce sera la prospérité, sinon Dieu enverra le malheur sur son peuple. Bien que l'orientation soit nettement religieuse, peut-on se fier, du point de vue de la science historique, aux renseignements donnés par l'auteur? Oui, car les sources (citées ou non) Annales des rois de Juda et d'Israël, cycles d'Élie et d'Élisée semblent offrir toutes garanties; les découvertes modernes confirment cette impression. Dans l'ensemble le récit appartient à l'histoire au sens fort du terme; toutefois certains passages du cycle d'Élisée ressortissent au genre de l'histoire populaire et folklorique: ils devront être interprétés avec prudence. Reste la chronologie, qui pose parfois des problèmes insolubles; du moins peut-on dire que l'auteur, utilisant des sources variées, n'a pas cherché une harmonisation artificielle. J.
DHEILLY © En ce temps-là, la Bible No 25 page VI.
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AUX
BIEN-AIMÉS DE DIEU QUI SONT À ROME
La première épître recensée au Canon romain n'est pas la première en date que Paul ait écrite, ou plus exactement dictée ainsi que l'usage en était pour toute correspondance quelque pou solennelle. Toutes n'ont pas été conservées. Mais parmi celles qui sont parvenues jusqu'à nous, cinq au moins ont sûrement précédé celle-ci: les deux épîtres aux Thessaloniciens, l'épître aux Galates, et les deux épîtres aux Corinthiens. L'Apôtre se trouvait à Corinthe à la fin de l'année 57 ou au début de 58 lorsqu'il s'adressa sans les avoir encore jamais visités aux chrétiens romains. La majorité de ceux-ci était faite de païens convertis; cependant la communauté comprenait aussi quelques fidèles d'origine juive. Paul souhaite leur exposer son «évangile», c'est-à-dire l'importance de la personne du Christ pour le salut de l'homme; et, d'une façon plus précise, la question de la Loi juive et de la foi au Christ. L'année précédente, il était en pleine querelle à ce sujet; à présent la polémique s'est apaisée et son exposé est beaucoup plus calme que celui de l'épître aux Galates qu'on lira ultérieurement, selon l'ordre traditionnel. L'adresse, commune aux lettres de l'époque, développe ce qui concerne l'expéditeur: «Paul , serviteur du Christ Jésus».... qui a «reçu grâce et apostolat pour que tous les Gentils parviennent à l'obéissance de la foi» et il mentionne comme destinataires: «Vous tous qui êtes à Rome,... bien-aimés de Dieu.» La justification par la foi Une première partie, comportant les chapitres 1-11 de l'épître, fournit un exposé dogmatique sur la justification de l'homme par la foi au Christ. À ce propos vient sous la plume de Paul l'évocation de nombreux problèmes: celui des païens dans la découverte de Dieu, de la loi juive et de son incapacité à donner la force de pratiquer ses observances, de l'antithèse vigoureuse entre Adam qui a déterminé l'entrée du péché dans le monde et Jésus qui apporte la vie aux hommes qui croient en lui, de l'influence de l'Esprit Saint dans la vie du chrétien, enfin le problème douloureux de l'infidélité des Juifs. La seconde partie, beaucoup plus courte, envisage les conséquences morales des principes posés, sous forme de conseils donnés en de multiples domaines de la vie pratique: charité dans la communauté, surtout envers ceux qui ont une foi encore fragile: mais aussi soumission au pouvoir civil, dont l'Apôtre affirme l'origine divine.
Une «charte» de la théologie protestante La lettre s'achève non par la salutation habituelle – en grec «Soyez dans la joie» en latin «Portez-vous bien» –, mais par une formule très développée. Elle présente d'ailleurs une composition assez curieuse: les salutations multiples sont interrompues par la recommandation de se garder des fauteurs de troubles. La «doxologie», ou louange de Dieu, qui l'achève (chap. 16, vers. 25-27) trouvait peut-être primitivement sa place à la fin du chapitre 15. Tel est cet écrit particulièrement dense. Luther l'a commenté solidement, et il constitue la charte de la théologie protestante de la foi. C'est par ce texte que catholiques, protestants et orthodoxes ont commencé en France la traduction oecuménique de la Bible. Et c'est certainement par son étude toujours plus approfondie qu'un rapprochement doctrinal s'opérera peu à peu. J. DHEILLY Professeur à l'Institut catholique de Paris © En ce temps-là, la Bible No 87 -----------------------------------------------------------
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HISTOIRE
«MODERNE» DANS LE TEXTE ANTIQUE: LES LIVRES DE
SAMUEL (dits, eux aussi, «livres des Rois» dans les anciennes versions)
Quatre livres nous racontent ce que fut la royauté à l'intérieur du peuple d'Israël, depuis son institution jusqu'à sa disparition (de 1030 environ à 586 av. J.-C.). Ce sont les livres de Samuel et des Rois. De deux qu'ils étaient à l'origine dans la Bible hébraïque, ils devinrent quatre par dédoublement, du fait de la traduction grecque dite des «Septante», qui leur donna une dénomination identique, transmise par la Vulgate: «Les quatre livres des ROIS». Les éditions modernes de la Bible, dont celle que nous proposons ici, suivent le dédoublement des Septante, mais gardent les titres de l'hébreu; on trouvera donc les le, et lie livres de Samuel, dont la publication commence avec le présent numéro, puis les 1er, et 2e, livres des Rois.
Avec ces nouveaux recueils du texte biblique, voici un tout autre climat que dans les ouvrages qui les précèdent, livres de Josué, des Juges, de Ruth, au caractère épique ou populaire. Nous avons ici l'impression d'un récit qui «fait» plus sérieux, d'une histoire qui ressemble davantage à celle que nous écrivons aujourd'hui. Il est vrai que la matière en est précieuse: souvent il s'agit du rapport de témoins oculaires, ainsi qu'il en va dans l'ensemble de la seconde partie, ou au minimum de récits qu'ont rapportés des hommes encore proches des événements. Sympathies et antipathies n'ont-elles pas orienté l'interprétation des faits? On découvrira par exemple les deux versions – monarchiste et antimonarchiste – de l'institution de la royauté! À lire le texte, souvent passionnant, on assiste à la mutation politique qui s'achève: Saül apparaît comme le dernier des juges, mais aussi le plus puissant, car il est capable de mobiliser derrière lui l'ensemble des tribus, et de mener contre les Philistins une véritable guerre de libération, que son successeur achèvera victorieusement, et par là, il est le premier roi d'Israël. En outre il réalise l'unité de son peuple. Unité fragile, que paradoxalement David va détruire avant de l'accomplir une seconde fois et à son profit. Mais à cette royauté les tribus du nord posent leurs conditions: les chefs de clans tiennent à garder une certaine indépendance, et David sera seulement le «roi de Juda et d'Israël». David personnifie l'espérance messianique Autour de l'institution royale, toute une frange religieuse apparaît. Le roi est le consacré de Dieu et l'on ne saurait impunément porter la main sur lui. David réalise ce qu'on appelle une royauté théocratique, ou le royaume de Dieu sur la terre. Certes le politique habile se laisse deviner à toutes les pages, mais sa piété est sincère; non moins que son désir de donner à Dieu ce à quoi il a droit. Mais avant tout on se souviendra qu'il fut l'objet de l'oracle de Nathan (20 Samuel, chap. 7) et que, à ce titre, il personnifie les débuts de l'espérance messianique dans le peuple de la Bible. Nathan: porte-parole de Yahvé auprès du roi C'est aussi dans ces livres que nous voyons surgir pour la première fois le prophétisme institutionnel. L'ami de David, Nathan, n'en est pas le seul représentant; on y trouve également les «fils de prophètes», expression curieuse qui veut désigner les membres de confréries pieuses, qui connaissaient sans doute des états extatiques, et ne semblent pourtant pas avoir été vraiment appelés à la mission prophétique. Ainsi les livres de Samuel achèvent-ils la période archaïque d'Israël et nous mèneront jusqu'au règne glorieux de Salomon. J. DHEILLY Professeur à l'Institut catholique de Paris © En ce temps-là, la Bible No 2 1 page IV. Retour-----------------------------------------------------------
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Salomon, selon le Premier livre des Rois (chap. 4, vers. 26). dans les textes hébreu, grec et latin, aurait eu 40 000 écuries pour les chevaux de ses chars. La Vulgate, dans le second livre des Chroniques (chap. 9, vers. 25), lui attribue 40 000 chevaux. Nous accordons les deux textes en traduisant «écuries» par «stalles», chaque cheval ayant sa stalle particulière. Le texte grec du second livre des Chroniques (chap. 9, vers. 26) indique, selon les éditions, 40 000 (4 myriades = 40 000) ou 4 000. Le texte hébreu actuels , en tient, lui, au nombre de 4 000... La plupart des exégètes également, en le jugeant seul vraisemblable. Qu'on admette ou non les «40 000 chevaux», on a peine à imaginer l'importance, la richesse des civilisations disparues. Le règne de Salomon est l'apogée agricole et commercial d'Israël, enfin en paix avec ses voisins; la Population paraît dense, même si le chiffre du recensement de David vaut ce que valent ceux des précédents; on sacrifie sur le territoire d'Israël, lors de la dédicace du Temple, 22 000 boeufs et 120 000 moutons, ce qui veut dire au moins un nombre jusque-là incroyable. L'or ruisselle à Jérusalem; les recettes de l'État, selon le premier livre des Rois (chap. 10, vers. 14) font entrer chaque année dans le Trésor 666 talents d'or (23 tonnes). 666: ce chiffre, évidemment «arrondi» de façon symbolique, signifie sans doute la plénitude de richesse et de puissance temporelle. Nous ne le retrouverons que dans l'Apocalypse (chap. 13, vers. 18)... C'est le chiffre de la Bête qu'adorent les hommes, image inversés de l'Agneau divin. Et voici qu'en effet les richesses, la puissance politique (et les femmes: les nations païennes) pourrissent le coeur de Salomon. La gloire, l'argent, la chair détournent de Dieu l'homme le plus sage. Les dons de Dieu cachent Dieu lui-même. La royauté triomphante d'Israël, hélas! n'est pas loin de sa décadence. Noël BOMPOIS
© En ce temps-là la Bible No 25 Retour-----------------------------------------------------------
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LA
SURPRENANTE LOI DE L'ANATHÈME
L'anathème est présenté à plusieurs reprises comme une consécration totale à Dieu de tout le butin saisi dans la victoire (NOMBRES, chap. 21, vers. 1-3: JOSUÉ, chap. 6: JUGES, chap. l, vers. 17: ter SAMUEL, chap. 15): le vainqueur doit massacrer la population, raser les villes, détruire tout butin possible, de façon à rentrer chez lui les mains vides. Ce qui n'était pas toujours facile à obtenir, nous le verrons. Le texte biblique montre Dieu intraitable lorsqu'on transige et qu'on épargne ce ou ceux qu'on devrait anéantir. Saul, le premier roi d'Israël, semble avoir été rapidement rejeté pour la seule raison qu'il avait épargné Agag, roi des Amalécites. Les sacrifices généreux qu'il offre en compensation ne servent à rien, et c'est dans ce curieux contexte que se situe la parole si souvent citée: «Mieux vaut obéir à Dieu qu'offrir des sacrifices» (1er Samuel, chap. 15, vers. 22). En vain Saul implorera son pardon. Il est évident que, dans l'exemple choisi, le but de l'auteur n'est pas de condamner la clémence de Saul à l'égard du roi vaincu. C'est condamner de sa désobéissance à une volonté divine clairement exprimée. Les desseins de Dieu sont insondables pour le jugement de l'homme on peut cependant imaginer les opérations en vue desquelles est prescrit l'anathème comme des interventions chirurgicales où il convient de supprimer sans en rien laisser tout ce qui pourrait à l'avenir faire renaître le mal. Or le mal, autant que l'opposition à l'installation d'Israël en Canaan, c'est l'idolâtrie et les moeurs païennes dans le cas des Amalécites. Le Deutéronome (chap. 7, vers. 1-5; chap. 20, vers. 16-18) précise bien que cette loi de l'anathème voue à l'extermination tous les peuples de Canaan pour éviter au peuple élu les risques d'une corruption de cette nature. Pas de profit personnel pour le combattant Malgré sa cruauté, reflet des usages religieux et guerriers d'une haute époque et qu'on voit malheureusement renaître parfois après vingt siècles de «civilisation chrétienne» greffée sur le meilleur des sagesses antiques, l'anathème avait un autre effet: celui de frustrer les combattants de tout avantage personnel en cas de victoire. On se battait alors parce qu'il le fallait pour le bien de la communauté à laquelle on appartenait. Pas pour s'enrichir du bien des autres. Quoi qu'il en soit, il semble que le sacrifice absolu de tout ce qui est ou touche l'ennemi ait disparu, au moins comme pratique systématique, avec l'affinement progressif de la conscience morale: après l'épisode de Saul un seul cas se rencontre, au 1er Livre des Rois (chap. 20, vers. 42), où un prophète anonyme exige l'application de l'anathème et condamne Achab pour y avoir manqué. Une justification a posteriori Rien n'empêche d'ailleurs de penser que les massacres ayant été... ce que les avaient faits les guerres menées à la manière du temps, ils aient reçu après coup une justification théologique. Elle était utile pour tirer, même de ces sanglants récits, des enseignements sur la soumission à Dieu, et le danger des mauvaises fréquentations; mais maintenant elle nous satisfait mal, parce que nous jugeons le tout en référence à la morale idéale de l'homme civilisé du XXe siècle à qui a été prêchée la bonté du Père du ciel «qui fait tomber sa pluie sur les bons et les mauvais». © En ce temps-là, la Bible No 13 page IV. -----------------------------------------------------------
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COSMOS ET L'HOMME BIBLIQUE «Et pourtant, elle se meut!» La tradition attribue ce mot à l'astronome Galilée en 1633, devant le tribunal de l'Inquisition qui lui fit prononcer l'abjuration de sa doctrine; une doctrine ralliée à celle de Copernic qui démontra en 1515 que, contrairement aux idées admises jusqu'alors, la terre n'occupe pas le centre de l'univers, mais qu'elle tourne autour du soleil. Déjà, bien avant, au début de l'ère chrétienne, les savants grecs avaient démontré la sphéricité de la terre, à l'encontre des théories d'Aristote qui avaient fait autorité. Et avant? Une conception sensiblement la même dans tout l'Orient ancien s'imposait; conception proche de celle que l'homme biblique se faisait de l'univers. Cette représentation est empruntée à la cosmologie babylonienne. D'elle dépend le récit de la Création tel que nous le trouvons au début de la GENÈSE. L'homme d'alors divise l'univers dans le sens vertical: au centre, la terre; au-dessus, le firmament; au-dessous, le shéol. La terre est conçue comme une immense galette plate, reposant au milieu des eaux et soutenue par des «colonnes» que Dieu «ébranle» lors des tremblements de terre (EXODE, chap. 20, v. 4; PSAUMES, chap. 136, v. 6; JOB, chap. 9, vers. 6). C'est le domaine de l'homme et des animaux, à qui Dieu a donné le souffle de vie; là aussi se trouvent les arbres et les plantes qui portent en eux leur semence. Autour de la terre voici la mer: c'est une puissance mauvaise maîtrisée par Dieu aux origines du monde. Les «praticables» de la terre Au-dessus de la terre et la recouvrant comme une calotte sphérique se trouve le firmament. Pour le Sémite, c'est une masse solide qui repose sur les bords de la terre, et est soutenue par des assises énormes qui s'enfoncent dans la mer (JOB, chap. 26, vers. 11). Sont accrochées au firmament, cette grande dalle qui «sépare les eaux d'avec les eaux» (GENÈSE, chap. 1. vers. B-S), les étoiles (EXODE, chap. 24. vers 10). Quant au soleil et à la lune, ils poursuivent leur «course», sortant de leur «tente» aménagée dans les montagnes (PSAUMES, chap. 19, vers. 5-7). Là aussi se trouvent «les dépôts de neige». «les réserves de grêle» (JOB. chap. 38. v. 22). Au-dessus de ce firmament, et retenue par lui, la mer céleste (PSAUMES, chap. 148, vers. 4) qui ne s'échappe que lorsque «les écluses du ciel s'ouvrent» (GENÈSE. chap. 7, vers.11); alors «la pluie tombe», pour arroser et féconder la terre. Mais Dieu seul peut réaliser cela; aussi le firmament est-il son domaine et le Christ lui-même, dans la prière qu'il enseignera à ses disciples, leur fera dire: «Notre Père, qui es aux cieux.» C'est là, au-dessus de la mer céleste, que Yahvé demeure (PSAUMES. chap. 33, vers 1314). Une vaste coupole, «le ciel du ciel» (DEUTÉRONOME chap. 10, vers. 34) recouvre l'édifice cosmique en prenant appui sur le sommet des montagnes (AMOS. chap. 9. v. 6). Enfin, bien loin sous la terre, se trouve un lieu obscur et mystérieux: le shéol, mot que les traducteurs latins ont rendu par «les enfers» et les traducteurs grecs de la Bible par «l'hadès». C'est le séjour des morts, où ceux-ci mènent une existence ralentie. © En ce temps-là, la Bible No 9 pages II-III. -----------------------------------------------------------
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