Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Etudes bibliques

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PLUS QU'UN LIVRE: «UN ÊTRE VIVANT»


Et depuis bientôt deux millénaires les couvents et les ghettos se rencontrent mystérieusement en cette garde d'amour, pour psalmodier, ici en latin, là en hébreu, les hymnes de pâtres d'Israël.

Quelle saveur, quel pur diamant en l'âme de ceux qui ne renoncèrent jamais aux paroles reprises des lèvres mêmes de David, pour qu'ils aient ainsi traversé toutes les nuits, toutes les guerres, mus par le fol espoir de voir un jour, au bout des ténèbres, sur les saintes collines, un enfant se lever et chanter devant l'Arche. Ils avaient emporté ce livre dans leurs exils: ils vécurent dans leur chair, dans leur sang, chacun de ses versets. C'était écrit: ils le vivaient comme ils le lisaient, et c’était aussi nécessaire de le vivre que de le lire. Il était leur drame et leur espérance, il les assumait. En même temps qu'il les crucifiait, car il détenait la clé de leur mystère: ils lui étaient attachés comme l'ombre à la lumière, comme la voix au chant; il chantait la promesse qu'ils allaient accomplir. Pour ce petit nombre, le Psautier vivait dans sa vraie langue. Une langue pleine de pouvoirs. Elle dit toujours davantage qu'elle ne dit; elle atteint et dépasse les limites de l'expression; elle aspire sans cesse à l'inexprimable. Nous sommes livrés ici à l'impératif de la pensée sémitique: elle nous assaille par des faits, provoque dans notre conscience l'incendie du verbe et son triomphe. Où sont nos placides barrières? Le torrent emporte bientôt toute notre adhésion; une dialectique non discursive a raison de notre nuit qu'elle peuple d'une présence; le poème tend à libérer des choses qui passent: il embrasse la plénitude du concret et nous impose l'universalité du réel sans le support d'aucun ordre logique formel.

Une toute-puissante lucidité devant le fait érigé en symbole, une austère soumission à la vérité du verbe, un refus de l'ornement sollicitent inlassablement la fulguration de l'esprit: un livre dont chaque lettre vit et danse comme un feu de joie...

Ce livre, introduit dans les liturgies de l'Église comme dans celle de la Synagogue, est si riche, si dense, que l'esprit désespère d'en saisir la dimension réelle, de trouver la clé qui en ouvre toutes les portes.


Un rendez-vous d'éternité

L'exégèse hébraïque, la méditation des rabbis d'Israël, donne peut-être l'instrument d'une approche nouvelle des textes de la Bible.

Dans la lumière de cette méditation, le chatoiement des mille versets du Psautier, cette richesse trop lourde pour être portée, ces perspectives soudaines, ouvertes sur la misère de l'homme ou sur sa gloire, ou sur sa terreur ou sur son amour, cette poésie souveraine qui embrasse les cieux et la terre et l'enfer, qui parle au soleil, au serpent, à l'oiseau, à l'enfer et tutoie Dieu, ce déferlement de mots dont l'assaut nous surprend et nous bouleverse, les images sans nombre, tout s'harmonise en une construction d'une rigueur classique: la poésie se métamorphose en doctrine; le lyrisme se mue en architectures profondes des hiérarchies de la création, les mots perdent leur liberté désordonnée pour s'éclairer, s'appeler l'un l'autre comme les pierres d'un édifice.

Le psalmiste sait ce qu'il dit l'exprime avec une maîtrise et une économie de mots qui font de ce recueil un monument unique dans l'histoire de l'esprit, un rendez-vous d'éternité.

André Chouraqui

© En ce temps-là, la BibleNo 47 pages I- II.

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UNE RECHERCHE DE FORME ENCORE TRÈS APPRÉCIÉE EN ORIENT: LE POÈME ALPHABÉTIQUE


Encore que quelques-uns de nos grands poètes aient parfois démontré leur maîtrise de la langue et l'alacrité de leur talent par de tels exercices, l'acrostiche n'a jamais été chez nous un genre particulièrement prisé dans les oeuvres poétiques de style noble. Il en fut autrement dans les littératures antiques, surtout en orient où l'on rencontre des poèmes de ce type un akkadien, la plus ancienne langue sémitique connue, et certainement très antérieure au Vlle siècle av. J.-C. Nombre d'auteurs arabes ou syriaques d'époques relativement récentes se sont d'ailleurs encore plu è composer des chants d'inspiration fort élevée en commençant eux aussi chaque vers ou chaque strophe par une lettre imposée.

Depuis toujours la poésie s'exprime selon des règles qui servent d'abord la mélodie et le rythme mais tendent également, avec plus ou moins de rigueur, à rendre l'oeuvre plus précieuse en lui donnant une forme plus recherchée, plus digne, plus riche que celle du langage banal.

Dans la tradition d'Israël, l'alphabet en lui-même, la lettre en elle-même, sont considérés très justement comme une richesse qu'ont exploitée sages et docteurs aussi bien que les conteurs ou les artistes, ainsi que le montre encore par exemple la planche qui figure sur la page ci-contre. Rien de plus naturel que de mettre ce trésor au service de la poésie sacrée.

Il arrive donc que les vingt-deux lettres de l'alphabet hébraïque, dans leur ordre habituel, commencent chacune, dans le texte hébreu bien sûr, un verset, un demi-verset ou une strophe d'un poème biblique, dit alors «alphabétique». Ainsi en va-t-il notamment des psaumes 24, 33 et 144 (c'est-à-dire 25, 34 et 145 selon la numérotation de l'hébreu) où chaque verset débute par une lettre différente. C'est même chaque demi-verset qui se trouve ainsi traité dans les psaumes 110 et 11, (11, et 112 de l'hébreu).

Certains autres, tels les psaumes 9 (9-10 de l'hébreu; dont le texte est altéré) et 37 (36 de l'hébreu) n'ont plus qu'un groupe de quelques versets dotés de l'acrostiche alphabétique. Mais de tous, le plus célèbre sans doute est le psaume 118 (119 de l'hébreu) où les huit versets de chacune des vingt-deux strophes commencent tous par la même lettre.

On ne peut qu'admirer l'ingéniosité du procédé, même si la difficulté dont l'auteur tient à faire hommage au sujet qu'il traite met parfois la pensée à l'étroit. On discerne assez bien cette gêne dans le psaume 118, précisément, qui amène répétitions ou synonymes.

Ainsi tous les versets de la strophe vouée à la lettre waw, qui signifie et, débutent par cette conjonction. La préposition dans, à une exception près, s'offre dans les mêmes conditions aux versets de la strophe bâth. Et vers, rendu par lamed, à plusieurs versets de la strophe correspondante. D'autres strophes, sans avoir recours à une telle simplification, appellent un mot «majoritaire»: c'est le cas pour celles dont les versets commencent par la lettre daleth, qui amène le mot derek, «chemin», «voie», ou par la lettre têth, un des deux T hébreux, qui amène le mot Tov, «bon».

De telles recherches peuvent nous paraître bizarres, et le résultat bien artificiel. Voilà qui facilitait pourtant à coup sûr l'effort de mémoire à ceux qui chantaient ces textes sans avoir nécessairement le «rouleau» sous les yeux, et qui finalement servait l'enchantement où introduit la psalmodie.

Remarquons que l'Ancien Testament contient, ailleurs que dans le livre des psaumes, quelques autres poèmes alphabétiques. Citons les quatre premières «Lamentations», dites de Jérémie (les lettres hébraïques elles-mêmes en étaient psalmodiées en un rythme musical grégorien, durant l'office de nuit de la semaine sainte dans la liturgie romaine), tel passage de l'Ecclésiastique (chap. 51, vers. 13-30) et le chapitre 31 des Proverbes, à partir du verset 10. Il est même probable que les livres anciens comportaient beaucoup d'autres textes de ce genre, auxquels les transcriptions successives ont fait perdre ce caractère original.

L'importance accordée aux lettres a fortement influencé certains courants de la tradition juive, spécialement chez les cabalistes, sans qu'il soit toujours possible de discerner dans les travaux de ces derniers la part de la science, celle des connaissances traditionnelles antiques et celle de la fantaisie.

Dom J. GOLDSTAIN

© En ce temps-là, la Bible No 47 pages II-III.


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LES POÈMES SACRÉS DONT CENT GÉNÉRATIONS ONT FAIT LA PRIÈRE UNIVERSELLE


Les psaumes sont des poèmes. On ne saurait les aborder,avec cet «esprit de géométrie» qui tente si fort les raisonneurs, soucieux seulement de découvrir le moyen de démontrer les vérités qu'ils possèdent déjà. Ce ne sont pas des arguments logiques que propose la poésie, fût-elle sacrée, mais des évocations, des suggestions, des impressions, des émotions: la vie dans toute sa complexité, sa richesse et sa puissance. On ne raisonne pas avec la vie, pas même la vie spirituelle, on l'accueille et on la ressent au plus profond de soi-même. Aussi saint Augustin donne-t-il ce conseil: «Si le psaume prie, priez; s'il gémit, gémissez; s'il rend grâces, rendez grâces; s'il espère, espérez; s'il craint, craignez; car tout ce qui se trouve écrit là est comme notre miroir.»

Quand le croyant veut s'instruire, il ouvre les autres livres de la Bible. Mais quand il veut simplement épancher son coeur devant Dieu, c'est aux psaumes qu'il demande ses formules.


Miroir de la foi

Comme ils l'avaient fait au cours des siècles précédents pour les croyants d'Israël, les psaumes ont animé et exprimé d'emblée la vie spirituelle des chrétiens: «Chantez à Dieu votre reconnaissance dans vos coeurs, par des psaumes» (Colossiens, chap. 3, vers. 16). «Soyez remplis de l'Esprit-Saint, récitez entre vous les psaumes, chantez et célébrez le Seigneur de tout votre Coeur» (Éphésiens, chap. 5, vers. 19). Telles sont les invitations qui reviennent sans cesse sous la plume de saint Paul. Ce qui nous permet de penser que ce furent des psaumes, que Paul et Silas chantèrent dans leur prison, après avoir été passés par les verges et enchaînés (Actes des Apôtres, chap. 16, vers. 25). Durant tout le temps des persécutions, les cachots et les arènes retentirent de ces chants qui soutenaient et fortifiaient les témoins du Christ au milieu de leurs supplices.

Lorsque la persécution cessa, et que les déserts commencèrent à se remplir de ces nouveaux témoins du Dieu vivant que furent les moines, les solitudes entendirent à leur tour les mêmes psalmodies. La prière continuelle, à laquelle les solitaires de Judée ou d'Égypte ambitionnaient de parvenir, n'était autre que celle des psaumes.

Dans l'antiquité chrétienne et durant tout le haut Moyen Âge, la connaissance approfondie du psautier fut considérée comme l'indice d'une maturité spirituelle, indispensable aux responsabilités de l'Église. Aussi exigeait-on souvent des futurs prêtres ou des nouveaux évêques la connaissance parfaite de tout le psautier. De nos jours encore les moines éthiopiens, fidèles en cela à la plus antique tradition monastique, l'apprennent entièrement par coeur, assure un moine français qui les a récemment visités.

Depuis que l'homme sait exprimer ses sentiments et sa Pensée par le chant et la poésie, il n'est certainement pas d'oeuvre qui ait connu pareille destinée. À travers le temps et l'espace, les psaumes ont su parler dans toutes les langues, à tous les hommes, chaque jour, dans toutes les circonstances de leur vie. Le psautier s'est insinué partout, à tous les baptêmes, à tous les mariages, à tous les enterrements, dans toutes les assemblées que.tiennent les «hommes du Livre». Il est de toutes les fêtes religieuses et de tous les deuils, de presque toutes les nations. Et après des millénaires, il continue à être lu, d'un pôle à l'autre, à toute heure du jour et de la nuit par des hommes de toute couleur, de toute race et, Pourrait-on dire, de toute religion, au moins de celles qui sont issues de la Révélation: judaïsme, protestantisme, catholicisme, orthodoxie.

Voilà qui donne aux psaumes une singulière actualité, à l'heure où tous recherchent l'unité des croyants. En dépit des divisions et des séparations qui subsistent, le Psautier assure entre tous une prière commune. Là où l'unité est encore impossible dans le sens horizontal, il la permet en «vertical».


Miroir de la Bible

Ces Poèmes reflètent presque tout le reste de l'Écriture. Derrière chacun d'eux se dessine un livre précis de l'Ancien Testament, dont le psalmiste reprend les données essentielles, et les transforme en prière vécue.

À travers les psaumes, qu'on pourrait appeler «cosmiques»: 1, 18, 92, 94 à 98, 103, 148, ce sont les données du récit de la Création, au livre de la Genèse, qui sont utilisées, développées, amplifiées, sur le mode lyrique. Ils invitent l'homme à s'unir au concert des créatures pour louer le Créateur, en donnant une voix consciente au cosmos.

Les psaumes «historiques» 67, 73, 77, 78, 79, 104, 105, 106, 113, 131, 134, 135, 147, font revivre les grands moments de la «geste» de Dieu, et tirent de tous les livres historiques de la Bible, de l'Exode aux Maccabées, des thèmes à louanges, action de grâces, rappels, exhortations, reviviscence.

Avec les psaumes «moraux», ce sont les livres sapientiaux: Sagesse, Ecclésiaste, Ecclésiastique, Proverbes et surtout le livre de Job, qu'il est bon d'avoir au moins confusément en mémoire. Ils agitent le grave et terrible problème, ou plus exactement mystère, de la Providence et de la rétribution. On y entend les lamentations du pauvre, de l'orphelin, de la veuve, du malade, du prisonnier, tous victimes innocentes, d'un sort injuste, et qui en appellent au Dieu Juste. Ce sont ceux aussi à travers lesquels les chrétiens voient se dessiner la Passion du Christ, qui est finalement le cas typique de cette injustice, de cette méchanceté déchaînée qui oppressent les psalmistes.


Le «rosaire de la Loi»

Deux bons exemples illustrent le dernier groupe de psaumes que l'on peut appeler «légalistes», inspirés de l'esprit du Lévitique et du Deutéronome: 18 et 118; ce dernier, extrêmement long, a été appelé le «rosaire» de la Loi. L'importance donnée à cette Loi déroute presque autant que les malédictions qui parsèment les psaumes du groupe précédent. Voilà qui semble si loin de la «liberté» de l'Évangile tant proclamée par saint Paul. Et cependant c'est à ces psaumes, par un curieux paradoxe, qu'il faut demander le secret de la religion d'Israël, dans ce qu'elle a de moins formelle. L'auteur du Ps. 118 en particulier exprime des sentiments qui constituent d'authentiques actes de charité parfaite.

Ces textes étonnants offrent la preuve péremptoire de l'inexactitude de l'opinion si largement répandue, selon laquelle la religion d'Israël eut consisté en un système de rites et de cérémonies extérieures. Les psaumes esquissaient déjà «le culte en esprit et en vérité» qui serait un jour solennellement instauré.

À l'instar de ce que prévoyait la liturgie davidique au Temple de Jérusalem, le «sacrifice de louanges» prolonge toujours chez les chrétiens le «sacrifice de l'autel». Tous ne participent pas à la «laus perennis», la «louange incessante» qu'assurent dans l'office divin, prêtres, moines, religieux ou religieuses. Mais la fréquentation de psautier donne à chaque croyant la possibilité de se mettre à l'unisson de la prière universelle. Et ceux qui ne croient pas découvriront avec étonnement ce trésor poétique somptueux et toujours neuf qui depuis près de 3000 ans, enrichit, console, émerveille.

Don J. GOLDSTAIN


© En ce temps-là, la Bible No 44 pages I-II.

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LES PSAUMES DU RÈGNE


Certains chants du psautier résonnent de l'écho d'une action grandiose, résultat d'une intervention toute-puissante de Dieu dans une entreprise neuve. On les dit «Psaumes du Règne» ( Ps. 46, 92, 94, 95, 96, 97 et 98 (47, 93, 95, 96, 97, 98 et 99 de l'hébreu). La plupart figurent parmi ceux qu'on va lire dans les pages qui suivent. On peut les dater, dans l'ensemble, du retour de l'Exil, et plus précisément du VIe siècle avant notre ère.

Le nom donné à ces hymnes de louange tient à leur contenu, nettement orienté par l'idée du Règne de Dieu. « Le Seigneur règne», telle est la proclamation par laquelle débutent les psaumes 92, 96 et 96. «La Seigneur est un grand roi sur toute la terre», dit encore le psaume 46. Comment comprendre pareille expression? Habituellement, nous aurons encore l'occasion de le constater, les écrivains bibliques, depuis le prophète Isaïe (VIII, s. av. J.-C.), parlaient plutôt du règne du Messie. Le changement est dû en partie à des raisons politiques: à l'époque de la domination Persane, on met en veilleuse l'idée et le mot de Messie, aux harmoniques trop nationalistes, que la puissance occupante ne saurait tolérer. On supprime donc la mention de l'intermédiaire et l'on parle seulement du Seigneur.

L'affirmation du «Règne de Dieu» ne vise pas une réalité présente; c'est une certitude d'avenir: à une époque non précisée s'établira le règne universel du Dieu d'Israël. Les psaumes qui le célèbrent sont imprégnés de la doctrine du grand prophète de l'Exil, auteur du livre de la Consolation (Isaïe, chap. 40-55). Ils expriment d'abord vigoureusement la croyance au Dieu unique; les idoles sont l'objet d'un mépris ardent: «Ils se sont couverts de confusion, tous ceux qui ont mis leur gloire dans les idoles! Que tous les dieux l'adorent (le Seigneur)! (Ps. 96, vers. 7). D'ailleurs seul «le Seigneur», le Dieu vivant, existe, car «tous les dieux des peuples ne sont qu'objets sculptés» (Ps. 95, vers. 5).

On retrouve alors le grand décor des apparitions divines, tel qu'on l'a découvert dans les premiers livres de la Bible: la nuée et les ténèbres, le feu, les éclairs; on parle de la terre qui tremble et des montagnes qui fondent comme de la cire (Ps. 96, vers. 2-5). Qu'on relise ici les passages de l'Exode racontant la manifestation de Yahvé au Sinaï (Exode, chap, 19, vers. 16-20; chap. 20, vers. 18). il s'agit maintenant de la venue de Dieu qui s'avance en triomphateur. Il vient pour juger la terre (Ps. 97, vers. 9), faire disparaître le péché, surtout l'idolâtrie, faire régner la droiture: la justice et la fidélité (Ps. 95, vers. 13).

Le voeu que formule le «Pater»

Cette action triomphante du Seigneur s'accompagne de joie. Joie de Sion (Ps. 96, vers. 8), mais aussi de tous les peuples (Ps. 46, vers. 2). Le psalmiste invite aussi l'univers à s'associer à l'homme: «Cieux, réjouissez-vous, que la terre exulte!» (Ps. 95, vers. 11). Et ce sont les images extraordinaires que le poète utilise afin de mieux faire comprendre cette action cosmique: tressaillement de la campagne, cris poussés par les arbres de la forêt, mugissement de la mer, allégresse des montagnes. On lit même «Que les fleuves applaudissent! (Ps. 97, vers. 8).

Certitude de la foi, joie de l'espérance est-ce autre chose que le Christ enseignera aux hommes lorsqu'il les fera prier: «Que ton Règne vienne!» (Matthieu, chap. 6, vers. 10)?

J. DHEILLY

Professeur à l'Institut catholique de Paris

© En ce temps-là, la Bible No 47 page IV.


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LES PSAUMES: PRIÈRES COMMUNES D'ISRAËL ET DE L'ÉGLISE


Les psaumes et autres cantiques de l'Ancien Testament, par le simple fait que l'Église les utilise comme un des éléments les plus essentiels de sa prière, posent avec acuité certains des problèmes majeurs de l'interprétation de l'Ancien Testament à la lumière du Nouveau, et plus particulièrement celui de savoir dans quel sens le Nouveau Testament accomplit l'Ancien sans toutefois l'abolir pour autant.

Il est évident que bien des circonstances auxquelles se réfère la prière des psaumes, par exemple son intérêt constant pour Jérusalem, ou pour le roi israélite, ou encore pour le rituel du Temple, et plus clairement encore certains des sentiments où s'y expriment, comme le dis, d'une vengeance définitive sur les oppresseurs du peuple de Dieu, ou d'un salut qui ne soit pas seulement spirituel, mais comme incorporé à la vie présente, pourraient tendre à nous faire considérer la prière des psaumes comme une prière simplement dépassée pour les chrétiens. Cette dernière conclusion ne s'imposerait que si on s'enfermait, bien à tort, dans une interprétation étroitement littéraliste, à laquelle l'Église s'est toujours fermement opposée. Elle suit d'ailleurs en cela la tradition constante de la synagogue, et, avant elle, l'usage fait, dans l'Ancien Testament lui-même, des expressions les plus anciennes pour désigner les réalités les plus neuves.

Deux points sont en effet capitaux pour garder des Saintes Écritures l'interprétation qui est celle de l'Église, et fut, en tout temps, celle de ce peuple de Dieu à qui sa Parole s'est toujours adressée comme une parole vivante.


La parole du même Dieu

Le premier point est que c'est le même Dieu qui nous parle, pour nous annoncer le même dessein, de la première à la dernière page de la Bible. Le second est que cette révélation est progressive, en ce sens que toute la profondeur du dessein divin, aussi bien que les détails concrets de sa réalisation, ne se révèlent que progressivement.

Ce progrès, comme celui d'une sage pédagogie, est à la fois un progrès dans la révélation et un progrès dans l'esprit même de ceux auxquels elle se destine. Par suite, la continuité dans l'usage des prières inspirées s'explique par la continuité d'un même dessein fondamental et la nécessité de ne jamais le perdre de vue; faute de quoi les progrès de détails réalisés ou l'approfondissement corrélatif resteraient comme en l'air et deviendraient incompréhensibles.

Il faudra, cependant, reconnaître, en retour, la nécessité de transposer, en fonction des révélations les plus récentes, nombre de détails concrets et comme datés de la première expression. C'est ainsi que, pour les chrétiens, Jérusalem apparaîtra comme la figure de l'Église, le roi comme celle du Messie, les sacrifices du Temple comme l'image du sacrifice de la Croix.

Mais également la lutte contre les forces du mal, pour la victoire finale et définitive de la puissance de Dieu, entraînant le salut total des siens inspirera la transposition des expressions qui ne saisissaient d'abord cette lutte que sous l'aspect d'un conflit terrestre, mais dont on percevait déjà pourtant l'arrière-fond supra-terrestre.

De la sorte, l'attente de la béatitude finale ne verra plus que des images imparfaites et provisoires dans certaines des premières expressions du salut espéré. On céderait à un faux spiritualisme en voulant rejeter ces traces, conservées de façon bien significative dans les psaumes notamment, des stades dépassés de la révélation.

Des vérités aussi fondamentales que le caractère inexpiable du conflit entre le royaume de Satan et le règne de Dieu, ou que l'incarnation de la béatitude finale des élus dans un cosmos tout entier régénéré, seraient simplement volatilisées par cet effacement des liens continus qui rattachent l'épanouissement d'une révélation foncièrement historique à ses premières racines.

Garder ces liens, au contraire, échappe à tout artifice dès qu'on a compris que la révélation évangélique n'a pas simplement succédé à la révélation préparatoire, mais qu'elle en est sortie: c'est à partir du patriotisme Jérusalémite que la notion de l’Église a pu naître, des spéculations sur la royauté ou le Temple que toute la christologie et toute la théologie de la rédemption ont pu se formuler, et des guerres de Juda que s'est dégagée la vérité essentielle du combat spirituel.

L. B.

© En ce temps-là, la BibleNo 45 page I.


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DU LIVRE DES LOUANGES À L'ACTUEL PSAUTIER


Le psautier comprend 150 psaumes aussi bien dans le recueil de la Bible hébraïque, appelé «livre des louanges», que dans les textes grecs (Septante) et latin (Vulgate). Mais la séparation entre les différents psaumes n'étant pas apparente dans les anciens manuscrits hébreux, les coupures de l'un à l'autre ont été faites parfois de manière arbitraire: l'absence de titre en bien des cas laissait place à l'initiative des copistes. En sorte que l'hébreu d'une part, la Septante et la Vulgate de l'autre ont adopté des coupes différentes, ce qui entraîne des numérotations différentes elles aussi –  seuls les huit premiers psaumes et les trois derniers portent les mêmes numéros d'ordre dans l'hébreu et dans les versions grecque et latine. Nos lecteurs trouveront donc, en tête des autres, à la fois la numéro qu'a retenu la Vulgate et le numéro que l'hébreu lui attribue; retenons qu'en général, celui-ci l'emporte d'une unité sur celui-là.

 

Une tradition ancienne a divisé l'ensemble du recueil en cinq «livres» soif, selon la numérotation de la Vulgate: 1-40, 41-71, 72-88, 89-105 et 106-150. Pourquoi cette division? A limitation du Pentateuque, pensent certains; en raison de la différence des noms divins employés (Yahvé ou Elohim), estimant d’autres, mieux vaut avouer une certaine ignorance. De toute façon elle ne semble pas appartenir au texte primitif, et nous ne l'avons pas retenue dans le psautier qu'on va lire.


Saint Jérôme a traduit trois fois les psaumes

Comme pour le reste de la Bible, nous possédons d'abord un texte hébreu ou massorétique. Il faut dire qu'en raison de son utilisation fréquente par la piété du peuple juif, les psaumes ont été souvent recopiés, et parfois par des scribes malhabiles; d'où des altérations nombreuses: on relève en effet des passages absolument incompréhensibles, tandis que d'autres présentent un sens tout à fait différent de celui des anciennes versions. Nous disposons encore de la vieille traduction grecque des Septante. Faite à Alexandrie, elle daterait du 11, siècle avant notre ère, époque de la persécution des juifs de Palestine par Antiochus IV Épiphane. Elle est très inégale: si elle permet parfois d'améliorer certains passages du texte massorétique, elle comporte par contre bien des erreurs dues soit à une mauvaise lecture du texte hébreu, soit à une incompréhension de certains termes. La Vulgate en fut cependant héritière.

C'est en effet du texte des Septante que sont issues les anciennes versions latines. Les premières parurent en Afrique et sans doute en Italie, dès le II ème siècle de notre ère. Ce sont celles que connut saint Jérôme et qu'il révisa en 383; son travail s'appelle le «psautier romain», et jadis le missel latin l'utilisait. Il s'agit d'une traduction rapide, où, de toute évidence, l'autour n'a pas voulu trop dérouter son lecteur, laissant volontairement subsister de grosses erreurs. Un peu avant 390, il entreprit une deuxième traduction, beaucoup plus critique, mais toujours faite sur le grec des Septante elle a donné le «psautier gallican» ainsi dénommé à cause de son utilisation par les églises de Gaule. C'est le psautier de la Vulgate actuelle.

Enfin, vers 390, saint Jérôme fil une troisième traduction, mais cette fois directement sur l'hébreu; d'où son nom: «psautier traduit d'après l'hébreu». C'est naturellement cet ouvrage que nous avons choisi comme base, de préférence aux deux précédents, pour présenter en français les psaumes à nos lecteurs.

J. DHEILLY

Professeur à l'Institut catholique de Paris

© En ce temps-là, la BibleNo 44 page IV


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LA COMMUNAUTÉ D'ISRAËL VIT DANS L’OEUVRE DE SES PSALMISTES


Le Psautier n'est pas un recueil de prières abstraites, coupées de l'existence quotidienne. Les auteurs sacrés font partie d'une communauté, et en épousent les préoccupations. On discerne en filigrane, dans leurs poèmes, la situation politique, sociale et économique du peuple juif, en même temps que les grands traits de sa vie spirituelle et religieuse. Quelques exemples glanés à travers tout le recueil, dont ce numéro présente les dernières pages, fourniront les repères utiles à une vue d'ensemble sur l'Israël des psalmistes.

Les événements politiques fournissent assez fréquemment aux chants de triomphe ou de détresse, qui deviendront prières de louange ou de supplication, le tremplin ou la forme de leur inspiration. Ainsi le psaume 44 (45 de l'hébreu) qu'on devait interpréter plus tard dans un sens messianique, fait sans doute allusion d'abord au mariage d'un roi – Jéroboam II ou Achab? – avec une princesse de Tyr. Les détails donnés sont ceux du cérémonial de cour usité en pareille circonstance. Les psaumes 13 (héb. 14) et 105 (héb. 106) parlent du rapatriement des captifs:

«Sauve-nous, Seigneur, notre Dieu, rassemble-nous du milieu des nations.» Ici et là, on entend le peuple juif formuler le voeu ardent de retrouver son unité. Tandis que l'ensemble du psaume 50 (héb. 51) semble avoir été composé à l'époque d'Ézéchiel, le verset 20 demande à Dieu la reconstruction des murailles de Jérusalem: il s'agit donc d'une addition faite lors du retour de l'Exil, avant la venue de Néhémie.

On touche ici du doigt la mentalité et les méthodes des contemporains. Pour eux, le chant sacré est l'expression actuelle des sentiments et des désirs de la communauté. Lorsque ceux-ci se trouvent modifiés par les circonstances, la communauté introduit des changements dans le texte afin d'en faire à nouveau une prière actualisée, c'est ce qu'on appelle une «relecture du texte».

On décèle ce même procédé dans le psaume 21 (héb. 22):

composé sans doute à l'époque de Jérémie, il est originellement la prière d'un Israélite persécuté, puis délivré d'une épreuve terrible. La communauté du retour, songeant à la destruction de la cité de David et à l'exil babylonien, suivis du décret libérateur de Cyrus, fait sienne cette prière; mais en même temps elle en élargit les perspectives d'avenir: les versets 28-32, ajoutés alors, visent la conversion des païens et le règne universel du Dieu d'Israël.

Quant au psaume 82 (héb. 83), il envisage une opposition généralisée des païens à l'encontre de Jérusalem. L'état de choses semble bien être celui qui a été défini au temps de Néhémie(1), et où tous les voisins de la communauté du retour s'opposent violemment aux projets du réformateur.


Les soucis de la paix

C'est surtout à propos des fonctionnaires ou notables siégeant au tribunal que se trouvent évoqués les faiblesses ou les vices de la vie sociale. Les prophètes ont souvent fulminé contre l'injustice des sentences rendues – les psalmistes n'agissent pas autrement «Jusqu'à quand jugerez-vous avec iniquité?» Psaume 81 (héb. 82). Sans doute les cris de vengeance du psaume 57 (héb. 58) ne doivent-ils pas être pris à la lettre: ce même thème littéraire est connu par la littérature syro-phénicienne – cependant, voilà qui confirme l'existence trop fréquente de juges aux procédés indignes. On trouve même parfois un reflet de la situation économique. C'est le cas notamment dans le psaume 64 (héb. 65): il fait penser à une année qui s'annonce particulièrement fertile, aux pluies abondantes; elle permettra une magnifique récolte de blé et donnera aux troupeaux des prés verdoyants.

Le psaume 14 (héb. 15), de son côté, fait allusion au prêt à intérêt. Rappelons que le Deutéronome (chap. 23, vers. 20-21 ) précisait qu'entre Israélites il ne devait pas exister. Hélas! il n'en allait pas toujours ainsi. Et le psalmiste de faire une condition du respect de la Loi sur ce point précis, pour habiter sur la sainte colline de Sion.


Les hasards de la guerre

Les vicissitudes de la guerre font l'objet de nombreuses mentions: victoires et défaites ont une importance considérable pour la collectivité et déterminent remerciements ou supplications. La crainte d'une coalition étrangère s'exprime par exemple dans le psaume 2; probablement peu après le schisme. Les victoires royales sont l'objet d'actions de grâces dans les psaumes 17, 47, 75 (héb. 1 8, 48, 76). Le psaume 17 (héb. 18) garde peut-être l'écho du règne heureux du roi Josias (Vlle S. av. J.-C.); le psaume 47 (héb. 48) celui de l'échec de la coalition de Damas et de Samarie contre le roi Achaz; le psaume 75 (héb. 76) de l'aventure malheureuse de Sennakérib venu assiéger Jérusalem en 701.

Le souvenir des désastres est beaucoup plus fréquent; il semble toutefois que le motif général soit celui de la ruine de Jérusalem en 586: ainsi des psaumes 43, 59, 77 et 79 (héb. 44, 60, 74 . 79 et 80).

«Dieu, les nations ont envahi ton héritage... ils ont fait de Jérusalem un amas de ruines.»

Le célèbre psaume 136 (héb. 137) est un chant d'exil:

«Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis, pleurant, en nous souvenant de Sion.»


Les mystères de la foi

Mais ce sont bien sûr avant tout les problèmes religieux qui tiennent la vedette. Si le transfert de l'Arche, dans les psaumes 23 (héb. 24) et 67 (héb. 68), n'est guère que la description d'une procession d'anniversaire, par contre les relations avec les païens constituent une question toujours actuelle (psaume 9).

Les rapports de la liturgie avec les sentiments intérieurs sont passés des oracles d'Ézéchiel dans le psaume 50: «Le sacrifice selon Dieu est une âme brisée.»

Le bonheur des méchants et le malheur des justes posent durant toute l'histoire d'Israël le point d'interrogation majeur (Ps. 36, 48, 72; 37, 49, 73 de l'hébreu) et ménagent à beaucoup une tentation: «Pour un peu je perdais l'équilibre!» On constate encore qu'à partir de l'Exil surtout, la création est un sujet de recherche très préoccupant: psaumes 8, 32 (héb. 33), 103 (héb, 104), et que, pendant les derniers siècles de l'ère ancienne, l'étude minutieuse de la Loi est à l'honneur: psaumes 1 8 (héb. 19), 118 (héb. 119). «Le commandement du Seigneur est lumière, il éclaire les yeux.»

Il va de soi que l'espérance messianique enfin se manifeste dès les chants les plus anciens attribués à David jusqu'à ceux «du règne universel» composés après l'exil.

Faut-il ajouter qu'aujourd'hui les chrétiens lisent dans ces psaumes, à l'arrière-plan, l'annonce de la personne et du mystère du Christ, «fondateur de l'Église»?

par Joseph DHEILLY
professeur à l'institut catholique de Paris

 

© En ce temps-là, la Bible No 48 pages I-II.


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LA GÉNÉRATION ÉTERNELLE DE LA SAGESSE


L'idée que la sagesse appartient à Dieu seul est très ancienne en Israël. Dès les premières pages de la Bible, «la science du bien et du mal» apparaît comme une prérogative que Yahvé se réserve, et qu'il n'accepte pas de laisser dérober impunément par les hommes (GENÈSE, chap. 2, vers. 17; chap. 3, vers. 22). Prétendre s'approprier cette science de son propre chef, sans l'attendre et la tenir de Dieu, c'est attenter à la majesté divine (JOB, chap. 15, vers. 8). Ézéchiel encore (chap. 28, vers. 1) reprochera plus tard au roi de Tyr de s'être enorgueilli d'une sagesse qui lui aura sans doute valu puissance et richesse mais qui l'a aussi entraîné à «se faire un cour comme celui d'un dieu», c'est-à-dire à se croire sage, alors qu'il n'est qu'un homme, Mais voici qu'à son heure l'inspiration d'En-Haut visite «les sages d'Israël»: Ils apprennent que le don est accordé aux hommes; la sagesse réside parmi eux. Elle est alors pensée comme un être divin qui subsiste près de Dieu et en lui. Et cette personnification permet de concevoir que l'Éternel demeure dans la transcendance de son unité, tout en devenant immanent, tout proche de cette humanité à qui il a donné cette «compagne» de toutes ses oeuvres.

Par le canal des écrivains sacrés, la Sagesse se révèle elle-même. Deux textes principaux nous informent de son «identité»: le chapitre 8 des Proverbes et le chapitre 24 de l'Ecclésiastique, qu'on trouvera dans les pages suivantes. Le premier éclaire le second. Le terme hébreu «kana» qui exprime comment Yahvé a «possédé », acquis la Sagesse «dès le commencement» (PROVERBES, chap. 8, vers, 22), signifie, par référence aux coutumes de l'époque, qu'après l'avoir engendrée, il l'a reconnue pour sa fille. «Dès l'éternité, poursuit le verset 23, j'étais «formée» (littéralement «coulée», comme une statue) ; «conçue» «enfantée», précisent les versets 24 et 25. Ainsi la Sagesse se présente-t-elle dans une dépendance immédiate d'existence par rapport à Dieu et sa force créatrice. Elle est «sa toute première oeuvre», celle qui va l'assister dans son action comme sa puissance active (vers. 27-30).

Sa dignité est de toujours. Il n'est pas de moment où elle l'acquiert; elle la possède par nature, comme Dieu. Et sa naissance non plus n'appartient pas au temps: tous les termes possibles exprimant son antériorité à toute création.


Conseillère du Créateur puis de sa créature

Ainsi préexistante, la Sagesse ne s'est manifestée pour la première fois qu'à l'occasion de l'organisation du monde créé. Or ce que l'Écriture dit de celui-ci le montre tout entier orienté vers l'homme. Voilà qui amène à considérer le rôle que joue la Sagesse auprès des «enfants des hommes» avec lesquels elle trouve «ses délices» (vers. 31).

Son jeu n'a pas pris fin avec le repos du septième jour. Il s'est porté simplement sur un nouveau théâtre, il s'est assigné un nouveau but. Les mêmes mots qui caractérisent son activité joyeuse auprès de Dieu vont évoquer celle qu'elle exerce ici-bas. Naguère conseillère, associée au Créateur, elle remplit maintenant la même charge auprès de sa créature: ici comme là, elle organise, instaure l'ordre et la beauté.

Dieu a remis en quelque sorte l'avenir de sa création entre les mains des hommes. La Sagesse agira auprès d'eux avec la même allégresse et la même facilité, le même entrain et la même joie que devant l'Éternel. Rien n'est changé à son activité puisqu'à travers l'humanité c'est l'accomplissement de la même oeuvre divine qu'elle va poursuivre et promouvoir. On peut être surpris par le langage employé c'est qu'il tend à l'extrême limite de l'inexprimable. Dans ce passage, Israël a dit ce qu'il pouvait concevoir de plus élevé sur la vie même de Dieu et les perfections insoupçonnées de son action. La vision que les sages s'efforcent de nous faire partager est celle d’une Sagesse entrevue sur le trône céleste, participant à la toute-puissance divine.

Pour évoquer ces mêmes mystères, Jésus ben Sira utilise des comparaisons plus subtiles encore. Il fait dire à la Sagesse: «Je suis sortie de la bouche du Très-Haut... j'ai couvert la terre entière comme une nuée» (ECCLÉSIASTIQUE, chap. 24, vers. 5). Ainsi ajoute-t-il une image qui orienterait vers l'idée qu'elle «procède» du «Très-Haut», à celle des Proverbes, suggérant qu'elle fut «engendrée» ces termes prennent un sens si l'on tente un rapprochement avec la théologie trinitaire. Mais les mêmes données fondamentales seront énoncées en termes presque identiques: «Dès le commencement, avant tous les siècles, je fus créée jusqu'à la fin des siècles je ne cesserai pas d'exister» (chap. 24, vers. 14). «Avant toutes choses fut créée la Sagesse» (chap. 1, vers. 4) ; sa résidence est sublime «dans les hauteurs» (chap. 24, vers. 7), et sa présence étendue au monde créé (chap. 24, vers. 8-9).

Le livre même de la Sagesse complétera cette révélation par une symphonie de concepts empruntés au cadre de pensée hellénistique qui est le sien: La Sagesse est plus mobile que tout ce qui se meut, elle atteint et s'empare de tout, grâce à sa pureté elle est une vapeur de la puissance de Dieu, une émanation très pure de la gloire du Dieu tout-puissant.

Aussi nulle impureté ne pénètre en elle. Elle est le rayonnement de la lumière éternelle, le miroir sans tache du Dieu de majesté, le reflet de sa bonté» (SAGESSE, chap. 7, vers. 24-26).

Ce qui a été dit par les sages de l'Ancien Testament sur la préexistence de la Sagesse auprès de Dieu, avant sa venue «en Israël», servira de schéma littéraire à l'auteur de l'épître aux Hébreux et à Jean l'évangéliste pour parler, l'un, du «rayonnement de la gloire du Père et de l'effigie de sa substance» (HÉBREUX, chap. 1, vers. 3; cf. SAGESSE, chap. 7, vers. 25-26) ; l'autre, du «Verbe» qui, après avoir tout créé comme instrumentale l'action divine (JEAN chap. 1, vers. 3: cf. PROVERBES, chap. 8, vers. 27-30), est venu lui aussi «habiter en Jacob» sur l'ordre de Dieu (ECCLÉSIASTIQUE, chap. 24, vers. 13) en se «faisant chair» et en «habitant parmi nous» (JEAN, chap. 1, vers. 14).


Sous les mêmes images: le Verbe et la Sagesse

Le plus remarquable est l'identité d'image employée de part et d'autre pour exprimer la présence parmi les hommes: ici du Verbe et là de la Sagesse. Et l'Apocalypse (chap. 21, vers. 3) parlera aussi de «la demeure de Dieu au milieu d'eux: Il demeurera parmi eux et ils seront son peuple». Alors qu'il s'agit seulement d'un emprunt textuel de vocabulaire dans le prologue de l'épître aux Hébreux, c'est un véritable décalque des chapitres 8 des Proverbes et 24 de l'Ecclésiastique que l'on trouve dans les écrits où l'apôtre bien-aimé transmet ce qu'il a «vu de ses yeux» et «touché de ses mains».

Dom J. GOLDSTAIN

©

 En ce temps-là, la Bible No 54 page IV.

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L'INVENTAIRE DE LA MAISON OÙ S'EXPRIME LA SAGESSE 


Le terme de «Proverbes» (mashal, en hébreu) recouvre une réalité fort complexe: on trouvera certes, dans le livre qu'on va lire, des proverbes au sens français du terme, mais aussi des formules où l'auteur recourt à des comparaisons qui orientent vers la parabole. Qu'on lise, au chapitre 6, le petit passage plein d'humour sur «la fourmi et le paresseux»! Ajoutons enfin, au genre ici cultivé, l'allégorie et l'énigme.

 

Ce sont les parties les plus anciennes (chap. 10-22 et 25-29) qui présentent des sentences courtes et bien frappées. Dans les parties plus récentes, on rencontre des développements plus amples qui sont parfois de véritables exhortations. Le prologue (chap.1-9) expose les avantages de la sagesse et les moyens de l'acquérir. Vers la fin de l'ouvrage on trouve enfin des proverbes numériques («Il y a trois choses qui me dépassent et une quatrième dont je ne sais rien»), mélange d'allégorie et d'énigme, et un poème acrostiche ou alphabétique, comme le sont certains psaumes (la première lettre de chaque vers est choisie dans l'ordre de l'alphabet), sur la femme idéale. Pour les poètes que nous sommes tous dans nos bonnes heures, le livre des Proverbes est bien cette «maison» bâtie par la Sagesse (chap. 9, vers. 1) qui comporte un portique d'entrée (les neuf premiers chapitres) et sept colonnes:

les sept recueils de sentences, deux «salomoniens» (chap. 10 à 22, vers. 16 et chap. 25 à 29), deux collections des «Paroles des sages» (chap. 22, vers. 17 au chap. 24, vers. 22), les «Paroles d'Agur» (chap. 30), les «Paroles du roi Lemuel» (chap. 31, vers. 1-9) et l'annexe sur «la femme forte» (chap. 31, vers. 10-31).


Dans «la tradition» de Salomon

Le titre traditionnel du livre, «Proverbes de Salomon», dit assez que ce roi fut l'initiateur du genre sapientiel en Israël, on lui attribua non seulement les Proverbes, mais l'Ecclésiaste, le Cantique et la Sagesse. S'il ne faut pas prendre cette attribution à la lettre, il est incontestable que beaucoup des adages consignés dans le premier ouvrage remontent à l'époque qu'il a marquée. Ce sont notamment ceux qui ont été recueillis par les «gens d'Ézéchias» (chap. 25). D'autres sont donnés comme l'oeuvre de «sages», ou bien anonymes (chap. 22, vers. 17 suiv.) ou bien dont on a retenu les noms (peut-être fictifs): comme Agur et Lemuel, aux chapitres 30 et 31.

Les derniers textes intégrés dans les Proverbes (chap. 1-9; 23-24; 30-31) sont sans doute de la fin de la monarchie et du retour de l'exil. La rédaction finale pourrait être datée des alentours de 480. Cette diversité dans le temps ne se remarque pas seulement dans l'évolution de la forme, mais aussi dans le progrès de la doctrine, qui culmine au chapitre 8, avec la description de l'action créatrice de la Sagesse. Celle-ci s'adresse à tous les hommes sages ou insensés, pour les faire participer à son intelligence, les écarter du mal et leur donner la joie.

Cette doctrine sera reprise par les auteurs de l'Ecclésiastique et du livre de la Sagesse avant que ceux du Nouveau Testament y puisent à leur tour la théologie du «Verbe», dont nous entretiendrons nos lecteurs en temps utile.

Dans la section qui va du chapitre 22 vers. 17 au chapitre 24, vers. 22, des Proverbes, les spécialistes notent enfin, nous le verrons, une parenté très nette avec un recueil égyptien sûrement plus ancien. «La sagesse d'Amen-em-opé». Mais si l'inspiration est nette, l'adaptation est faite à la théologie d'Israël. Une fois encore on a l'occasion de constater la puissance de la Révélation, qui utilise les emprunts extérieurs, et les brasse à l'intérieur du dépôt de la foi d'Israël.

J. DHEILLY

Professeur à l'Institut catholique de Paris

© En ce temps-là, la Bible No 49 page IV.


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LE LIVRE SACRÉ DE LA VIE QUOTIDIENNE


«Celui amasse au moment de la récolte est un garçon avisé celui qui dort à la belle saison est fils du désordre» (chap. 1 0, vers. 5). «Un anneau d'or au groin d'un pourceau, telle est une jolie femme dépourvue de raison» (chap. 11, vers. 22). «Mauvais, mauvais! dit tout acheteur, mais une fois parti, il se félicite» (chap. 20, vers. 14). Il est ainsi près d'un millier de sentences, enfilées comme les perles d'un collier, qui remplissent le livre des Proverbes. Dans cette masse, moins de soixante-dix citent le nom même de Dieu. Que cette étonnante et malicieuse littérature, souvent terre-à-terre, ait trouvé place dans le recueil des Écritures tenues pour inspirées par juifs et chrétiens (elles sont admises au «canon»), voilà qui peut surprendre. Mais le sage vit, quoi qu'il fasse, sous le regard de Dieu, et les maximes du bon sens n'appartiennent-elles pas elles aussi aux vérités éternelles?


C'est au séculaire bon sens populaire et paysan qu'il faut demander le plus ancien fond du livre des Proverbes. Sagesse qui vient de la terre et y découvre des règles de vie: la manière de tracer un sillon, le triste épilogue de la fainéantise, les moeurs des animaux, l'importance des bornes qui délimitent le champ, rien de tout cela n'échappe à l'oeil perspicace de ces La Fontaine de l'Antiquité biblique. La sagesse du marchand n'a rien à envier à celle du meilleur observateur et du plus fin psychologue: elle connaît les tics du client, l'obséquiosité du collègue ou le trafic des poids opéré par le concurrent. Celle du père de famille, de «l'homme quelconque» l'amène, jour après jour, à s'interroger sur le travail, l'éducation de sa progéniture ou l'ambivalence de la femme, toujours aimée, mais souvent tentatrice. Au total, à la grande différence des autres livres de la Bible qui plus souvent trouvent leur inspiration dans la méditation de l'histoire passée et présente, les Proverbes partent de l'expérience du vécu quotidien; c'est pourquoi sans doute ses observations, même les vertus de son royaume et les conditions de la citoyenneté.


La théologie des «dicte du roy»

Il reste qu'à première vue la théologie, la foi et la religion ne semblent guère avoir affaire en tout ceci. Il est vrai que les Proverbes sont sans doute le premier produit de la sécularisation, l'entrée du «sacré» dans le siècle, phénomène que l'on croit neuf aujourd'hui. Les sages ne pensent pas que leur foi en un Dieu unique ne trouve à s'exprimer qu'au Temple ou dans les sacrifices à Yahvé. Le monde et l'existence sont tout entiers remplis de Dieu.

Au reste, le monde est pour eux la création; nos «choses» sont des créatures; et il n'y a pas d'«animal raisonnable», mais un couple créé par Dieu et promis à son amour. Dès lors, le marchand qui vérifie la justesse de sa balance, le laboureur qui trace droit son sillon ou le scribe qui copie avec agilité contribuent à rendre la création plus belle, plus conforme au dessein du Créateur, plus habitable pour les hommes qui la peuplent.

N'est-ce pas là une part importante du programme de Moïse, du yahvisme... et des chrétiens?

Jean-Pierre Charlier o.p.

© En ce temps-là, la BibleNo 49 page I.


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SAGESSE DE SCRIBE, SAGESSE ROYALE, SAGESSE BIBLIQUE


Qu'est-ce que la Sagesse? Si la Bible nous donne une doctrine de sagesse élaborée au cours de la vie d'Israël par des hommes de réflexion attentifs à la vie de leur peuple et à la vie de l'homme, il s'en faut que cette doctrine recouvre toute cette sagesse de l'Orient à laquelle, aux dires du livre des Rois (chap. 5, vers. 10), Salomon fit concurrence. Avant d'être une doctrine, la sagesse fut une terminologie, la sagesse fut une littérature. Ce fut même une littérature d'école. Ce qu'on appelle écrits de sagesse égyptiens avait alors pour titre «enseignement» d'un tel à un tel. Un certain Ptah-hotep qui fut vizir du pharaon Isési vers 2400 av. J. C. raconte comment, devenu âgé et souffreteux, il demanda «un bâton de vieillesse» et souhaita transmettre ses fonctions à son fils. Le pharaon accepta à la condition qu'il couche par écrit au profit de ce fils le résultat de son expérience.



La clef du succès écouter et obéir

Nous savons ainsi comment on devait se conduire pour réussir dans la carrière et éviter les faux pas. Il faut être modeste, ne pas se glorifier de sa rhétorique. À la table d'un grand il est bon de regarder ce qu'il y a devant soi sans loucher sur les bons mets offerts à l'autre; il ne faut parler que si le grand vous parle et ne rire que s'il a ri. Dans, les relations entre égaux il est prudent de ne pas trop approcher les femmes. Envers ceux que l'un administre il est nécessaire d'être juste et de savoir prêter attention aux demandes. Le même verbe signifie à la fois écouter et obéir; c'est la clé du succès et du discernement. Le sage est celui qui sait, et celui qui a du discernement entre le bon et le mauvais, l'utile et le dangereux.

Ce texte sera souvent copié par les générations de scribes qui, appelés à administrer l'Égypte et les Égyptiens, n'apprenaient pas seulement à écrire et à compter dans l'école attenant au temple, école appelée «la maison de vie», mais aussi à savoir se comporter vis-à-vis des hommes sans créer trop d'ennuis à leurs chefs. D'autres textes le seront encore davantage, et les sables d'Égypte nous ont restitué ces fragments de pots, ces tablettes de stuc sur lesquelles on écrivait avec du charbon qu'on pouvait effacer, et ces papyrus, matériel cher qu'on ne donnait qu'aux élèves plus avancés. On a des copies corrigées par le maître et d'autres qui, non corrigées, ne sont que de mauvaises copies que les modernes égyptologues s'évertuent à comprendre et à rectifier. Un des textes les plus souvent copiés était la «satire des métiers» montrant à l'élève que seule la carrière de scribe valait la peine d'être vécue.

Un des plus délaissés, qui paraît être sorti rapidement des programmes, comportait neuf discours d'un paysan: il se plaignait des abus de l'administration et des malversations d'un sous-préfet qui lui avait pris son âne et que semblaient couvrir ses supérieurs.

Cette sagesse de scribe devint sagesse royale aux mauvais temps qui suivirent l'Ancien Empire, le pillage des pyramides et l'affaiblissement du pouvoir. Vers 2000, le roi Akhtoès, d'une petite dynastie dans la fragmentation de l'Empire, rédige pour son fils Merikaré un enseignement où l'on voit le roi aux prises avec la contestation, obligé de savoir haranguer pour dominer les beaux parleurs qui sèment la discorde et troublent la jeunesse.

Le roi doit savoir garder la justice, protéger la veuve et l'orphelin mais, si beau qu'il soit, le métier est difficile: comment gouverner sans massacrer trop de monde?

En Babylonie aussi, au cours du 2e millénaire, on donne des conseils aux princes tandis que l'homme ordinaire se contente de collections de Proverbes sur l'observation de la vie, des moeurs et des caractères.

Il faut que le prince sache choisir ses conseillers et qu'il garde un esprit clair. Aussi lorsque l'éclat des grands empires babylonien et égyptien va pâlir, la sagesse des petits royaumes sémitiques de Syrie, de Phénicie et d'Israël sera-t-elle une sagesse royale. Le roi sera sage car il saura s'entourer de sages conseillers qui lui indiqueront les bonnes solutions pour éliminer ses adversaires et donner bonne vie et prospérité à son peuple. «Chaque roi me choisissait pour père à cause de ma sagesse, de ma justice et de la bonté de mon coeur», dit un roitelet phénicien de Cilicie du nom d'Azitawadda (VIll ème s. av. J.-C.).

Quand Israël se constitua en État monarchique, il fallut bien que David et surtout Salomon se mettent à l'unisson et fondent des écoles pour les administrateurs du royaume. Il fallait noter les entrées et les sorties des produits dont vivait le palais, entretenu chaque mois par une des douze provinces. Il fallait faire des listes de recrutement. Il fallait faire des rapports au roi pour chaque mission à l'intérieur ou à l'extérieur. Il fallait rédiger les jugements que rendaient le roi, ses ministres ou ses délégués pour contrôler les justices locales.

Or on n'apprend pas à compter, à écrire et à parler sans des écoles qui l'apprennent aux futurs administrateurs. C'est ce que fit Salomon, initiateur de la «sagesse» en Israël. Pour décrire le bon conseiller qui sait trouver la solution dans les imbroglios de la cour, on eut recours à un vieux terme phénicien, hâkâm, que nous traduisons par sage; ce terme désignait alors la qualité du dieu suprême dont la décision était capable de donner une vie éternelle de bonheur. À côté de cette «sagesse», il y avait le discernement, cette science du bonheur et de malheur que le couple primordial avait bien cru saisir; il y avait l'habileté, et il y avait la finesse astucieuse, qualité qui avait bien failli donner la suprématie définitive au serpent, si Yahvé n'était intervenu.

Mais cette sagesse politique et royale tourna court. On peut lire dans les livres de Samuel comment la «sagesse» des conseillers et conseillères de David, au lieu d'assurer un bonheur perpétuel, entraînèrent les conflits inexpiables qui assombrirent la vieillesse du monarque. Si la sagesse de Salomon lui donna le trône, elle ne le conservera pas à ses descendants,


Le livre des Proverbes sauve l'héritage des scribes

Devant la carence royale, les prophètes prirent la relève et se montrèrent fort sévères pour les «sages» de leur temps. Même un Isaïe, qui fut certainement éduqué comme un sage, et sut manier leur rhétorique, leurs images et leur langage avec une rare maîtrise, fut un des plus durs pour la corporation. Il intervient contre un ministre du nom de Shebna, qui s'occupait un peu trop de son tombeau et de ses intérêts personnels. «Malheur a ceux qui sont sages à leurs propres yeux... Malheur à ceux qui se cachent de Yahvé pour dissimuler leurs projets, qui trament leurs desseins dans l'ombre... La sagesse des sages périra et le discernement des intelligents s'obscurcira» (Isaïe, chap. 5, vers. 21; chap. 29, vers. 14).

Un seul partagera la sagesse de Dieu et l'apprendra aux autres: le rejeton de Jessé, héritier de David, aux derniers temps; car il recevra l'Esprit de Dieu, Esprit de sagesse et d'intelligence, et il aura la crainte de Dieu. C'est ainsi que le livre des Proverbes sauvera l'héritage de sagesse des scribes d'Israël et de leurs écoles: la crainte du Seigneur est le principe, le commencement de la sagesse. Les collections de proverbes polariseront le discernement sur le juste et l'impie, tous deux relevant du jugement du Dieu d'Israël qui a révélé ses commandements. L'Ecclésiaste proclamera la faillite définitive d'une sagesse politique qui laisse les sociétés dans l'injustice, tandis que le livre de la Sagesse (chap. 7, vers. 22-26) célébrera la sagesse «spirituelle» qui pénètre tout; souffle de la puissance divine, miroir sans tache de l'activité de Dieu.

Henry CAZELLES, p.s.s.

© En ce temps-là, la Bible No 50 pages I-II.


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LE TEMPS DE LA MATURITÉ


Les neuf premiers chapitres du livre des Proverbes sont, de toute évidence, d'une autre veine que les maximes recueillies sans ordre dans la suite de l'ouvrage. Ils datent de l'époque de la maturité des Sages, après le retour d'Exil, vers le Ve siècle finissant. Pour aborder cette littérature nouvelle, qui prélude en fait à des oeuvres telles que Job, l'Ecclésiastique (dit aussi «le Siracide», du nom de son auteur) ou la Sagesse, un bref rappel du contexte historique est utile.

Les 50 années d'exil en Babylone ont apparemment tout ruiné. Le Temple est détruit, la liturgie a cessé, la dynastie de David en laquelle reposait l'espérance messianique a disparu, du moins de la scène officielle. Mais l'épreuve est purificatrice. Les prophètes l'ont interprétée comme un nouvel Exode préparant une Terre promise réduite, certes, mais plus sainte. Le temps fut propice à la méditation des Écritures qui se sont gonflées de gloses nuançant l'expression de la foi d'Israël. Le retour s'est enfin opéré, dans l'allégresse d'abord, la mise à l'ouvrage, souvent pénible, ensuite. Puis, le Temple rebâti, la vie a repris.


Cléricalisation des sages

Les scribes de jadis, auteurs des vieux proverbes, sont en voie de disparition ou de transformation. Le roi s'en est allé et le grand-prêtre a pris sa place à Jérusalem: le palais royal est devenu résidence pontificale et l'antique clerc de la cour royale se mue en clerc d'Église. Sans perdre toute attache avec son passé original, ni renoncer à l'enseignement antérieur, fruit de la «sécularisation» dont nous avons parlé, la Sagesse tend alors à se «cléricaliser». Bientôt elle sera quasiment l'apanage des prêtres, des docteurs de la Loi. Il est aisé de saisir qu'elle tend désormais à devenir explicitement une discipline théologique.


Et la Sagesse devint femme

Les anciens dictons se préoccupaient de relever les innombrables caractéristiques de l'homme qui passait pour sage à leurs yeux. La nouvelle génération des scribes théologiens s'interroge à présent sur la Sagesse elle-même: mais qu'est donc cette Sagesse qui conduit l'homme vers la conversion de son coeur? L'expression toujours poétique de leur foi les amène à personnaliser la Sagesse sous des traits féminins que l'on découvre dans trois grands discours du livre des Proverbes: chapitre 1, versets 20 à 33: tout le chapitre 8: chapitre 9, versets 1 à 6. Avec ces textes, Dame Sagesse entre dans la longue histoire de l'espérance d'Israël.

Sa façon d'être, de parler, de se présenter, rappelle étrangement les manières des prophètes, pratiquement disparus. Les appels des hommes, si vigoureux qu'ils aient été, n'ont pas réussi la transformation profonde des pécheurs; le croyant comprend maintenant qu'il faut obéir à des voix plus intérieures pour marcher à la découverte de Dieu. Par ailleurs, la Sagesse se voit ornée de qualités diverses qu'autrefois on avait prêtées au Messie à venir, comme si Israël renonçait désormais à n'attendre qu'un homme, si parfait soit-il, pour lui révéler l'absolution de son péché et sa destinée de gloire. Et il est bien vrai que l'auteur de ces poèmes extraordinaires, scrutant dans sa foi le lieu d'apparition de la Sagesse, ne le trouve nulle part en dehors de Dieu même. La Sagesse est née de Dieu, engendrée par lui dès avant la création du monde, blottie sur les genoux de son Père, mais trouvant sa joie à s'ébattre sur la terre parmi les enfants des hommes (chap. 8, vers. 22 à 31)


Du poème à la réalité

Ces approches poétiques demandent à être traduites en valeurs de vie. Longtemps, les sages s'y sont employés. La Sagesse a été comprise comme l'équivalence poétique de la Parole de Dieu, créatrice du monde et de notre monde personnel. Mais c'est finalement l'Évangile qui aura le dernier moi lorsqu'il fera de Jésus de Nazareth le véritable maître de sagesse, la Sagesse incarnée, venue dévoiler hommes le sens de leur quotidien et le terme de leur marche

J.-P. C

© En ce temps-là, la Bible No 49 page II.


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