SAMARIE,
LUXUEUSE CAPITALE DU ROYAUME DU NORD
Capitale
du royaume d'Israël, de 880 environ à 721 av. J.-C., Samarie
fut construite par Omri, sixième roi d'Israël depuis le
schisme. C'est une des rares villes entièrement construites
par les Israélites eux-mêmes. Là se rencontrèrent au cours
des âges les cultes les plus étranges. Mais d'abord la
Samarie biblique fut le théâtre d'un affrontement
spectaculaire entre l'idolâtrie et la foi au Dieu unique.
On ne peut manquer d'être impressionné par le site, colline majestueuse d'où l'on domine toute la région alentour. Acquise à bas prix (1er Rois, chap. 16, vers. 24) par le roi-soldat Omri, cette position fut aussitôt fortifiée: un mur intérieur de 1,50 mètre de large la cerna au plus près. Il fut lui-même doublé par une ligne extérieure à casemate, large de plus de 10 mètres, et garnie de tours et de bastions. À ces deux murailles, on ajouta une troisième enceinte, construite, très au large, pour protéger le tour et abriter en outre plus d'une dizaine d'hectares de champs et de terres cultivées. Ainsi, même cernés de toutes parts, les Samaritains pouvaient-ils résister plus longuement. Il fallut des sièges de plusieurs années pour les réduire à la famine (20 Rois, chap. 6, vers. 4,- 25; chap. 17, vers. 5). Le climat y était relativement rude. Aussi Achab et Jézabel lui donnèrent-ils une sorte de dépendance d'été sous un micro-climat plus clément en transformant un village de la vallée du Gishon, Yizréel, en résidence secondaire. Yirzéel jouera un peu, par rapport à Samarie, le rôle que jouera Versailles par rapport au Paris du grand siècle. Au coeur de la toute neuve Samarie elle-même, au sommet de la colline, se dressait le palais. Achab y adjoignit entrepôts et magasins. Jéroboam Il (787-743 av. J.-C.) qui régna quarante ans à Samarie, restaura et embellit encore cette résidence royale. Il fit construire des meubles d'un luxe inouï, des lits, des trônes incrustés de plaquettes d'ivoire gravées, sculptées, rehaussées de pierres précieuses, si bien que le palais fut baptisé «la maison d'ivoire». Les prophètes se déchaîneront contre ces demeures trop somptueuses: «Je frapperai la maison d'hiver et la maison d'été les demeures d'ivoire seront détruites et les maisons d'ébène disparaîtront, oracle de Yahvé» (Amos, chap. 3, vers. 1 5). Osée (732-724 av. J.-C.) fut le dernier roi d'Israël qui régna à Samarie. Allié de l'Assyrie, on sait qu'il voulut jouer double jeu, mais Salmanasar V le réduisit à merci et déporta vers le Tigre vingt-sept mille Israélites (20 Rois, chap. 17, vers. 6). S'installent à leur place des colons venus de Mésopotamie; et, avec ce mélange ethnique, commence une extraordinaire prolifération de cultes dont beaucoup subsisteront désormais dans cette région (2e Rois, chap. 17, vers. 29). Au IVe a. av. J.-C., lors du retour en Palestine des exilés et, dès que ceux-ci eurent décidé la reconstruction du Temple de Jérusalem, les Samaritains proposèrent leur aide. Mais les chefs judéens rigoristes la refusèrent catégoriquement. L'instauration d'un culte schismatique Furieux, les Samaritains décidèrent d'une rupture définitive avec Juda en édifiant sur le mont Garizim, la montagne sacrée, un sanctuaire «semblable au Temple de Jérusalem»: le nouveau culte samaritain schismatique était né. Avec l'arrivée d'Alexandre le Grand, vers 332 av. J.-C., les Samaritains s'adaptent sans tarder à l'hellénisme triomphant. En 166 av. J.-C., ils consacrent leur sanctuaire du Garizim à Zeus Xénios et se dotent d'impressionnants monuments défensifs: une magnifique tour très bien conservée et, sur la colline elle-même, une solide forteresse. Malgré ces précautions, Samarie n'échappa pas à la destruction des Maccabées. Probablement en 108 av. J.-C. Jean Hycran détruisit le temple et saccagea l'ancienne capitale qui ne retrouva quelque éclat qu'en 57 av. J.-C. avec l'arrivée des Romains. La restauration fut entreprise par le proconsul Gabinius. Hérode le Grand, en 26 av. J.-C., puis Septime Sévère, au IIe siècle de notre ère, poursuivront son oeuvre et feront de l'ancienne capitale d'Israël une luxueuse ville romaine. Samarie est alors dédiée à Auguste et prend le nom de Sébaste (traduction grecque d'Augustus); un temple à lui dédié occupera désormais la place de l'ancien palais royal. Après avoir adopté les cultes helléniques, les Samaritains n'ont guère hésité à honorer les empereurs romains. Mais quelques décennies plus tard ils adopteront le christianisme. Peut-être Jésus de Nazareth n'est-il jamais entré à Samarie. On ne peut cependant pas oublier en visitant ces lieux sa rencontre, non loin de là, avec la Samaritaine, et la parabole du bon Samaritain. Et c'est encore à Samarie que.la tradition situe la tombe de saint Jean Baptiste. La ville reste ensuite jusqu'au Moyen Âge, un centre influent où prolifèrent, en un syncrétisme complexe, religions venues d'Orient et cultes occidentaux. De nos jours, les Samaritains animent toujours une petite, mais active communauté religieuse à Naplouse, au pied du Garizim, et immolent encore chaque année l'agneau pascal au sommet de la montagne sainte. M.-C. HALPERN © En ce temps-là, la Bible No 28 pages II-III. Retour ------------------------------------------------------------ |
SICHEM: LIEU SAINT DES PATRIARCHES - cité de l'alliance sous Josué, du schisme sous Jéroboam
Si une cité est étroitement liée à toutes les grandes époques de la Bible, c'est bien Sichem. Depuis Abraham jusqu'aux premiers siècles de la chrétienté, la ville ou le haut lieu voisin ont été le siège d'événements importants de l'histoire sacrée. Le tell de Sichem fut identifié en 1903. Les Allemands y commencèrent les fouilles, poursuivies par les Américains qui ont publié récemment d'importants résultats. Vers 4000 av. J.-C., une peuplade semi-nomade se fixa dans cette plaine riante, de sévères montagnes. Ces «campeurs» étaient attirés par la source abondante qui alimente, aujourd'hui encore, le village voisin de Ballata. Ils creusèrent, en guise d'habitations, des fosses peu profondes aux parois enduites de chaux, probablement recouvertes de peaux d'animaux. Puis ils abandonnèrent les fosses pour habiter des tentes ou des cabanes au sol de terre battue. Mais c'est avec Abraham que Sichem entre dans l'histoire, puisque c'est là qu'Abraham rencontre pour la première fois les habitants de Canaan, et que Yahvé promet le pays à sa descendance. Et, plus tard, c'est Jacob qui y fonde un sanctuaire. Toute l'histoire des patriarches montre bien qu'aux XVIlle S. et XVIle s. av. J.-C., Sichem était un important centre cananéen de vie politique et religieuse cananéenne. Les Hyksos (1) en firent une véritable ville, dotée d'un énorme mur d'enceinte en pierres, et de trois palais dont le second, très bien préservé, comprenait neuf pièces; trois, en bordure de rue, servaient d'ateliers. Sous le dallage de cette spacieuse demeure, on a retrouvé la terrible dédicace de chair exigée par les rites traditionnels: un petit enfant sacrifié, enseveli dans une jarre. Détruite, la ville fut rebâtie vers 1650 par d'ambitieux architectes. On construisit un sanctuaire énorme, conçu de façon à servir aussi bien de forteresse que de lieu de culte. C'était un rectangle de 20 mètres sur 25, dont les fondations avaient 5 mètres d'épaisseur. Comme le Temple de Jérusalem, le temple de Sichem était orienté vers l'est, dans la direction du soleil levant au jour du solstice. Seule une grande cité était digne d'un temple aussi important. Aussi voulut-on agrandir la ville, mais comme, au nord, le tell se confondait avec la pente du mont Ébal qui n'offrait pas d'éminence propice à la construction de murailles, on éleva un tertre artificiel adossé à la pente sud, en entassant six mètres de terre rapportée, maintenue par un énorme mur de soutènement. À l'intérieur, on dressa un mur moins important, parallèle au premier, les deux murailles étant reliées de place en place par des murs perpendiculaires pour former une formidable casemate, un mur «cyclopéen». Quatre squelettes sur les marches On pénétrait dans la place ainsi protégée par une porte gigantesque flanquée de deux énormes tours rectangulaires, chacune de 7 mètres sur 12 mètres 50, qui ménageaient de vastes salles de garde. Cet ouvrage de l'âge du Moyen Bronze fut détruit trois fois en l'espace de 50 ans. Les briques crues sont désagrégées, les poutres calcinées, et quatre squelettes humains ensevelis sous les cendres, gisent sur les marches. C'est là probablement l'oeuvre des Égyptiens qui, après avoir expulsé les Hyksos d'Égypte, envahirent, vers 1550, la Palestine. Ensuite, durant la période dite du Bronze Récent, les habitants ne font rien pour restaurer les murs cyclopéens qui gisent à leurs pieds. Ils bâtissent, en conservant le même plan, des défenses plus légères. Deux nouvelles tours sont érigées, avec des salles de garde qui demeureront en usage jusqu'à la période israélite. Aucune destruction n'apparaît entre-temps. Faut-il conclure que Josué fit ici une entrée pacifique? Il se peut: Sichem n'est pas citée dans ses conquêtes guerrières. Première «capitale» du royaume du nord Or très vite elle fut pour Israël une ville sainte: celle à proximité de laquelle Josué lui-même rassembla toutes les tribus pour le renouvellement de l'alliance et déposa les ossements de Joseph. Plus tard, c'est encore à Sichem qu'Abimélek tenta de se faire roi. On sait qu'il se vengea de son échec sur la ville. L'archéologie en témoigne: les murs du temple furent alors détruits. La cité reconstruite une nouvelle fois prospéra. Jéroboam le premier monarque du nord, en fit sa première capitale et la fortifia. On a retrouvé peu de traces de son oeuvre, mais les maisons israélites un peu postérieures à son règne apparaissent nombreuses: ce sont de belles demeures composées, en général d'une pièce centrale et de pièces plus petites, entourées sur trois côtés d'un étroit corridor. D'autres maisons, dans les quartiers pauvres, sont infiniment moins spacieuses: les fouilles montrent bien que le fossé entre riches et pauvres, dont se plaignent amèrement les prophètes, s'était élargi de façon dramatique. Un vaste silo de 15 mètres sur 18 a été retrouvé au-dessus du temple. Ses dimensions imposantes signifient sans doute qu'on avait là un grenier gouvernemental, pouvant alimenter la région; Sichem était depuis Salomon chef-lieu du district administratif d'Éphraïm. Cette belle prospérité dura jusqu'en 724, année où la ville fut détruite par les Assyriens de Salmanasar. Elle fut alors presque abandonnée pendant plusieurs siècles. Au IVe s. av. J.-C., la cité renaît car Samarie sa voisine, profanée par Alexandre le Grand (Il avait converti la ville en camp de repos pour ses vétérans), se dépeuple, et les Samaritains, recherchant la proximité de leur montagne sacrée, le Garizim, s'installent à Sichem. Ils se construisent un temple sur les flancs du mont avec l'autorisation du conquérant macédonien, et vivront là dans une paix relative. Mais en 128 av. J.-C., Jean Hycran, un des plus farouches Maccabées, ruinera et la ville, et le temple de fond en comble. Pendant l'occupation romaine, le tell ne fut plus habité: une nouvelle cité fut fondée tout près; c'est Néapolis (l'actuelle Naplouse). Sur l'emplacement du temple samaritain, l’empereur Hadrien construisit un temple à Zeus, relié à la cité par un escalier monumental récemment retrouvé il est reproduit sur les pièces de monnaie des lie et Ille s. de notre ère. L'antique Sichem se perpétua donc encore dans Naplouse, ville moderne à l'activité intense, vivant trait d'union tracé par l'histoire entre un passé glorieux et un avenir encore incertain. M.-C. HALPERN -------------- 1. – Peuple d'origine raciale mêlée, mais comprenant d'importants éléments sémitiques, il occupa la Palestine et domina l'Égypte entre 1730 et 1580 av. J. © En ce temps-là, la Bible No 26 pages II-III.
|
LA
«SOURCE DU TEMPLE» JAILLIT DANS LES DEUX TESTAMENTS
Le texte d'Ézéchiel sur la «source du Temple» rassemble un certain nombre de thèmes qu'il faut d'abord préciser. Le premier est celui du rocher où est construit le sanctuaire. Il a, quant à lui, une réalité géographique certaine. Lorsque David se fut emparé de Jérusalem, il y introduisit l'Arche d'Alliance, à laquelle était attachée la Présence de Dieu, et il dressa le tabernacle dans lequel elle était conservée, sur une aire rocheuse. Salomon y fit construire le Saint des Saints du Temple de Jérusalem. Aujourd'hui encore, quand on entre dans la mosquée d'Omar, cet édifice circulaire qui se trouve dans l'enceinte du Temple, on peut voir la plaque de roc, qui est à la fois un des lieux les plus historiquement certains et les plus religieusement sacrés de l'histoire humaine. Autour de ce rocher, la spéculation juive ultérieure développera des thèmes divers. Elle verra en lui le milieu du monde, le centre de l'univers. Il sera considéré comme le pilier cosmique sur lequel repose la terre, et qui plonge dans les eaux inférieures. Dans le texte d'Ézéchiel, c'est là que, «sous le seuil de la Demeure vers l'Orient», jaillissent les eaux. Il ne paraît pas que cette donnée soit liée à une réalité géologique. Les tentatives pour trouver une source sous le rocher du Temple ont échoué. Mais il s'agit d'une donnée symbolique. Elle peut se rattacher d'abord à la représentation du rocher du Temple comme plongeant dans les eaux inférieures. Par ailleurs, le récit de la sortie d'Égypte contient l'épisode du rocher frappé par Moïse et d'où jaillit l'eau vive. Il est très vraisemblable que ce thème ait été transposé au rocher de Jérusalem. De même que Yahvé avait fait jaillir l'eau vive du rocher au moment de l'Exode, de même il fera jaillir l'eau vive du rocher du Temple à la fin des temps. Dans les deux cas, il s'agit d'une merveille de Dieu. Le Sinaï est la préfiguration de la Sion eschatologique.
La liturgie juive de la fête des Tabernacles, au milieu du mois de septembre, comprenait des libations d'eau dans le Temple, qui étaient comme une prophétie en action. Aussi bien voyons-nous Ézéchiel lui-même prophétiser cette effusion d'eau à Jérusalem et lui donner déjà son sens spirituel: «Je vous rassemblerai de tous les pays et je vous ramènerai sur voire terre. Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos souillures» (chap. 36, vers. 24-25).
L'eau vive est donc d'abord en relation avec le rocher du Temple, comme avec son origine. Mais elle est d'autre part mise en relation avec un autre thème, celui des arbres de vie, comme avec son terme. La vision du prophète est ici celle du désert de Juda, à l'orient de Jérusalem, devenant un paradis, c'est-à-dire un jardin planté d'arbres de vie: «Le long du torrent, pousseront toutes sortes d'arbres dont le feuillage ne se flétrira pas, dont les fruits ne cesseront pas: ils porteront de nouveaux fruits tous les mois car l'eau qui les arrosera jaillira du sanctuaire, leurs fruits serviront de nourriture et leur feuillage de remède» (chap. 47, vers. 12). Ici, nous retrouvons un autre thème biblique fondamental, celui du Paradis. Le chapitre 2 de la Genèse décrivait le jardin d'Éden, au centre duquel se trouvait l'arbre de vie et qui était arrosé par une source d'eau vive. Ainsi était signifié le milieu vivifié par l'Esprit où l'homme était appelé à vivre. C'est ce Paradis qu'Ézéchiel montre réalisé à la fin des temps.
Mais le texte d'Ézéchiel contient un dernier thème qui paraît unique dans l'Ancien Testament. Non seulement la source d'eau vive suscite des arbres de vie dans le désert aride, mais elle suscite des vivants dans les eaux mortes: «Ces eaux (vives) qui s'en vont vers les dunes de l'orient, et descendent vers les étendues du désert, elles iront dans la mer et en ressortiront, et les eaux de la mer seront assainies... Où viendra le torrent, tout recevra la vie... Des pécheurs viendront vivre sur les rives depuis Engaddi à Engallim...» (chap. 47, vers. 8-10). Ce texte est évidemment en relation avec la géographie palestinienne, où, à l'orient de Jérusalem, se trouve la mer Morte, c'est-à-dire une mer où aucun poisson ne peut vivre à cause de la contamination des eaux par le bitume.
On voit le parallélisme de cette vision et de celle des ossements desséchés. Dans cette dernière, il s'agissait de la puissance créatrice de Dieu, capable de revivifier des squelettes éparpillés. Ici, il s'agit à nouveau de la puissance créatrice de Dieu, capable de susciter des paradis dans les déserts et des vivants dans les eaux mortes. De même que la vision des ossements rappelait le récit de la création de l'homme dans la Genèse, de même la vision de la source rappelle celle de l'introduction de l'homme dans le Paradis de cette même Genèse. Le radicalisme d'Ézéchiel remonte au-delà de David et du Temple, au-delà de Moïse et de la Pâque, au-delà d'Abraham et de l'Alliance, jusqu'aux origines de l'histoire sainte; c'est-à-dire à Adam et à la création. Pour lui, il n'y a plus aucun espoir que les choses puissent s'arranger pour une humanité qui a fait définitivement la preuve de sa radicale impuissance. Il n'y a d'espérance que dans une initiative divine qui reprenne le geste originel de la création et recrée ce qui avait été une première fois créé. Les eaux vives dans les écrits de Jean Une chose est donc claire, dans la pensée du prophète, c'est que l'événement qu'il annonce est une intervention divine qui inaugure un monde nouveau. Or, il est remarquable que dans le Nouveau Testament une catégorie d'écrits va se référer à sa vision de «la source» pour affirmer qu'avec l'incarnation et la résurrection du Verbe un monde nouveau est inauguré. Ces écrits sont les écrits johanniques. Les références à Ézéchiel y sont nombreuses et décisives. La chose est d'autant plus intéressante que ce chapitre d'Ézéchiel tient une place importance dans le judaïsme contemporain du Christ. Ceci paraît indiquer que Jean s'est trouvé en contact avec ces milieux et qu'il a d'autant plus volontiers exprimé l'événement du Christ à travers ces représentations qu'elles étaient plus familières à ses contemporains. Ainsi s'explique, en référence au chapitre 47 d'Ézéchiel, un passage mystérieux de l'Évangile de Jean. Il s'agit de la parole prononcée par Jésus le dernier jour de la fête des tabernacles «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive, celui qui croit en moi.» Comme dit l'Écriture – «Des fleuves d'eau vive jailliront de son sein» (JEAN, chap. 7, vers. 37-38). Tous les exégètes ont remarqué qu'on ne trouve nulle part dans l'Écriture cette citation textuelle. Mais on sait par ailleurs qu'il était fréquent, dans la communauté primitive, que des textes de l'Ancien Testament soient modifiés, fusionnés, abrégés dans la prédication et la catéchèse. C'est évidemment le cas. Notons en outre que cette parole a été prononcée dans le Temple, le jour de la fête des Tabernacles, où le rite de la libation d'eau évoquait la prophétie d'Ézéchiel. Par là, le Christ se présente comme accomplissant dans sa personne ce que le prophète avait annoncé du Temple eschatologique. C'est lui qui est ce Temple, c'est-à-dire le lieu où désormais Dieu demeure.
© En ce temps-là, la Bible No 67 Retour |
À 7 églises d'Asie Mineure du 1er siècle de notre ère, le Chef de l'Église a fait adresser par Jean des messages en rapport avec l'état et la situation de chacune d'elles (Apoc 2-3). À chacune il se présente sous l'aspect convenant au message qu'il lui destine. À toutes il affirme d'entrée sa parfaite connaissance de ses circonstances. Louanges, reproches, avertissements, appels à la repentance ou à la persévérance précèdent une promesse et un renvoi à ce que l'Esprit dit aux églises. Outre ces lettres particulières, propres à chaque église destinataire, une 8e leur est commune; il en émane un message général, valable pour l'ensemble de toutes les églises aussi bien que pour l'Église de Christ dans tous les temps et tous les lieux (Apoc 1. 4-6). Toute lettre comporte 4 éléments: un auteur, un destinataire, un message et un but. Nous les trouvons réunis dans celle qui va nous occuper. 1. L'AUTEUR Il se présente comme Jean: – serviteur (ou esclave) de Jésus-Christ (Apoc 1.1), – frère des destinataires (1.9), – parmi les prophètes (22.9), sans se désigner plus précisément. Aussi la tradition apostolique unanime a-t-elle reconnu en lui l'apôtre Jean, celui qui, dans son évangile, se fait connaître seulement comme le disciple que Jésus aimait. Mais Jean n'apparaît que dans le rôle d'un rédacteur sur ordre (Apoc 1.11,19) et non comme l'auteur véritable de cette extraordinaire révélation. Celui-ci n'est autre que le vivant aux siècles des siècles (1. 18), le ressuscité, Jésus-Christ. Cette révélation (ou dévoilement) de lui-même lui a été donnée par Dieu (1. 1), dont les paroles sont rapportées en Apoc 19.9. Le livre de l'Apocalypse, ou «Révélation de Jésus-Christ» est ainsi attesté, dès le 1er verset, par 4 autorités: Jésus-Christ, Dieu, l'ange et Jean. Il s'agit donc d'une portion de l'Écriture particulièrement digne d'être reçue comme parole de Dieu, par les croyants (ses serviteurs ou «esclaves»); de plus, il s'agit d'un livre ouvert (Apoc 22. 10) et non fermé ou obscur, comme Satan essaie de le faire croire pour en décourager la lecture, car son jugement et sa fin y sont annoncés et décrits. Il convient de considérer séparément la personne et les attributs de Jésus-Christ présentés dans ce chapitre (Apoc 1). a) La personne de Jésus-christ Aux versets 13 à 16 apparaissent 10 aspects de Jésus-Christ qui sont autant de caractères significatifs de sa personne. 1. Fils d'homme. L'humanité de Jésus rappelle son abaissement (Phil 2.7-8). Pour entrer dans sa création, il lui fallut un corps (Héb 10.5). Dieu a été manifesté en chair (1 Tim 3.16) pour rejoindre les hommes, chez eux, comme eux dans la vie de chaque jour. Jésus fut l'homme selon le coeur de Dieu. Il a connu les peines et les joies de cette vie; aussi est-ce comme Homme qu'il jugera un jour les vivants et les morts (Act 10.42; 17.31). 2. La robe évoque le sacrificateur revêtu de fin lin pour le sacrifice d'expiation (Lév 16.4), après avoir ôté sa robe glorieuse, pour la revêtir après le sacrifice. Christ aussi s'est dépouillé en venant sur la terre (Phil 2.7-8); mais il a revêtu la gloire céleste antérieure à la création (Jean 17.5), après la résurrection. Il fut le sacrifice sur la croix; il est maintenant notre grand souverain sacrificateur au ciel (Héb 4.14), pour plaider devant Dieu la valeur de son sang, en faveur de tous ceux qui s'approchent de Dieu par lui. 3. La ceinture d'or parle aussi du sacrificateur. À la hauteur de la poitrine, elle souligne la pureté glorieuse des affections du Fils pour son Père et pour les siens, jusqu'à la mort. 4. La tête et les cheveux blancs sont ceux du roi de justice (Pr 16.31) qui a souffert et, par cette voie, a atteint l'âge et le niveau de la sagesse et de l'autorité. 5. Les yeux font penser au prophète (appelé aussi «voyant» en 1 Sam 9.9). Ils sont le siège de la connaissance, de l'intelligence et du discernement (Apoc 5.6). Environ 80 % de nos perceptions sensorielles nous parviennent par les yeux. 6. Les pieds et l'airain brillant évoquent encore le sacrificateur et le feu du jugement. Le serpent au désert et la cuve du tabernacle étaient d'airain. Quand le Seigneur posera ses pieds sur la terre, ce sera pour le jugement des nations. Auparavant, pour enlever les siens, il se tiendra dans les nuées; la rencontre avec lui aura lieu en l'air (1 Thes 4.17). 7. La voix est bien caractéristique du prophète; il parle pour Dieu aux hommes. Jésus fut la Parole faite chair (Jean 1. 14). Auprès des chutes du Niagara, toute voix humaine est couverte. Après tous les discours tonitruants de ce monde, un jour Dieu parlera plus fort que tous ceux assemblés qui l'auront blasphémé parmi les nations. Il leur parlera dans sa colère et, dans sa fureur, il les épouvantera (Ps 2.5). 8. La main droite est forte et active. Par elle s'exercent la direction et l'autorité du roi qui conduit à la sécurité. Personne ne pourra ravir les rachetés de la main qui fut percée pour eux. 9. La bouche assortie de l'épée aiguë (longue) évoque la parole du prophète. C'est cette parole de Dieu qui discerne les pensées et les intentions du coeur, dans l'Église (Héb 4.12); c'est elle aussi qui jugera le monde (Apoc 19.13). 10. Le visage d'un éclat insoutenable rappelle celui du grand roi qu'Ésaïe vit sur son trône (Es 6.1-5). Plus tard, Paul en fut aveuglé 3 jours (Act 9.9). Le Seigneur habite la lumière inaccessible (1 Tim 6.12). On ne peut le voir et vivre. On comprend donc la fuite des hommes à l'approche du jugement divin (Apoc 6.16-17).
Cette description fait usage de maintes notions et images de l'Ancien Testament. Sur les 405 versets de l'Apocalypse, 285 s'y rapportent dans cette apparition, le Ressuscité se tient au milieu des 7 lampes représentant les 7 églises. Il est personnellement leur seul lien intercommunautaire. Aucune organisation humaine ne peut se substituer à l'autorité du seul Chef de l'Église sur chaque assemblée locale. Il ne s'agit plus du chandelier à 7 branches du tabernacle d'Israël, formé d'une seule pièce. La nuance souligne l'importance du changement intervenu. La lumière du témoignage dû à Dieu n'est plus le fait d'un peuple dans un pays; elle est portée dans le monde entier par une multitude d'églises locales dispersées. L'apparition du vivant laisse Jean comme mort. En revanche, près de la croix, le disciple vivant avait vu le Maître mort. La résurrection a bouleversé toute ancienne relation avec Jésus (2 Cor 5.16). Une autre cause de stupeur pour Jean est de voir réunis en un seul homme les attributs du prophète, roi et sacrificateur, parfaitement équilibrés (3 fois chacun). Les deux dernières fonctions s'excluaient mutuellement en Israël (Héb 7.13-14). Pour pouvoir tenir les trois rôles à la fois, il fallait que le Fils de Dieu devienne homme (fils d'homme est le caractère en tête de la liste). La notion de roi n'est pas familière dans l'Église. En fait, le chrétien n'y est pas roi lui-même; il est membre d'un royaume (Apoc 1.6,9) sous l'autorité de Christ, qui n'est jamais appelé le roi de l'Église, ni son Seigneur non plus, mais le Chef de l'Église, la tête du corps (Col. 1. 18). Il est le Seigneur du croyant individuellement. b) Les 7 attributs de Jésus-Christ Il suffit ici de les citer (versets 5 et 8) 1. Le témoin fidèle (ce qu'il fut sur la terre) 2. Le premier-né des morts (ce qu'il est au ciel) 3. Le prince des rois de la terre (ce qu'il sera sur terre) 4. L'alpha (le commencement) 5. L'oméga (la fin) 6. Seigneur Dieu (comp. Jean 20.28!) 7. Tout-puissant (Mat 28.18)
2. LE DESTINATAIRE L'Apocalypse s'adresse en premier lieu aux 7 églises qui sont en Asie (1.4), à la fin du 1er siècle: Éphèse, Smyrne Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie, Laodicée. À travers elles se présentent 7 types d'églises susceptibles de correspondre à une église actuelle, la vôtre peut-être. On a vu aussi, dans la succession de ces 7 églises, une vaste fresque de l'église chrétienne, des temps apostoliques à l'enlèvement des croyants. L'Écriture associe le chiffre 7 à l'idée de plénitude, de perfection aussi. Ainsi, cette 8e lettre adressée en commun aux 7 églises, vaut pour chacune d'elles. On peut l'envisager aussi comme un saisissant condensé, enfermant la plénitude du message de Dieu à l'Église universelle, de tous les temps et en tout lieu. À ce titre, la lettre nous concerne encore aujourd'hui, aussi vraie et vivante qu'au temps de son envoi initial en Asie. 3. LE MESSAGE Le contenu de la lettre comprend deux parties. a) Versets 4-5a: un message appuyé par 3 signatures 1. Le message est sobre et net: «grâce et paix» La première fois qu'apparaissent ensemble les deux termes se situe dans le livre des Nombres (6.25-27), avec la formule de la salutation-bénédiction au peuple de Dieu. La grâce est bien le seul terrain de rencontre entre le Dieu trois fois saint et le pécheur. Ne l'oublions jamais. Jusqu'au bout, nous dépendrons de la grâce miséricordieuse de Dieu. La paix est la conséquence directe de la grâce accordée par la justice de Dieu accomplie à la croix. Étant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ (Rom 5.1). Ce fut aussi le message du soir de Pâques, dans la chambre haute (Jean 20.19). Jésus ressuscité (la grâce en personne) apporte la paix à ses disciples apeurés. «Grâce et paix», c'est enfin la salutation apostolique en tête des épîtres de Paul et de Pierre. 2. Les 3 signatures ne sont en rien inférieurs au message qu'elles attestent. Ce sont: – l'Être absolu en soi-même, par nature; hors du temps et de toute création, mais aussi dans le temps qui enferme notre condition présente; souverain universel dont le trône est inébranlable et la domination éternelle (Ex 3.14, Jean 8.58). – l'Esprit dans sa plénitude absolue (voir 3.1; 4.5; 5.6); on relève le chiffre 7, dans l'Apocalypse, 49 fois (7 X 7) ! – Jésus-Christ, sous trois aspects dans le temps, en rapport avec son incarnation. L'autorité suprême de la trinité divine suffit-elle à accréditer le message de grâce et de paix à votre conscience et à votre coeur? Versets 5b-6: une réponse en 2 mots pour 3 raisons Cette 8e lettre, en effet, est une lettre avec réponse payée par le précieux sang de Christ. Aussi est-ce à lui que monte la reconnaissance de l'Église. – Celui qui nous aime = un présent permanent, à tout âge de la vie, dans toutes les circonstances, pour tous les temps et sous tous les cieux. – Il nous a délivré de nos péchés = un passé accompli à la croix une fois pour toute, mais qui prolonge ses effets dans notre présent vécu et jusque dans l'avenir sans fin (notez les 3 temps en vue dans 2 Cor 1. 10). – Il a fait de nous un royaume, des sacrificateurs. À la sortie d'Égypte, Dieu voulait pour lui un peuple entier de rachetés, qui soit un royaume formé de sacrificateurs (Ex 19.6). Mais seul la tribu de Lévi tint ce rôle. Or, dans l'Église, ce peuple des rachetés de la nouvelle alliance, ce nouveau royaume, tous sont sacrificateurs (1 Pi 2.9), appelés à offrir des sacrifices spirituels (Héb 13.15) et matériels (Héb 13.16). Pensons-y en pratique, aussi bien pour la louange que pour la bienfaisance. À Celui en qui nous avons tout pleinement, l'Église apporte la gloire et la force pour l'éternité ! Deux simples mots aussi, mais qui enferment l'expression de la reconnaissance, en retour d'un si grand salut offert à tout pécheur qui se repent et qui croit. Cette louange commence déjà sur la terre, mais elle se prolongera aux siècles des siècles, sans jamais s'épuiser. Cette note finale de la réponse rejoint ainsi la révélation du premier signataire du message: l'Éternel en personne. Quel admirable message et quelle admirable réponse ! Dieu à son Église: «grâce et paix à vous» L'Église à son Chef: «à lui gloire et force» 4. LE BUT L'Apocalypse est devenue synonyme de frayeur et d'épouvante. C'est vrai pour ceux qui n'ont pas la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ. C'est le livre des trois malheurs (Apoc 8.13; 9.12; 11.14). Mais la «révélation de Jésus-Christ», c'est aussi le livre des sept bonheurs (Apoc 1.3; 14.13; 16.15; 19.9; 20.6; 22.7; 22.14). Lire, comprendre, garder le message de cette 8e lettre, et du livre entier, n'est-ce pas se préparer sagement au temps de l'accomplissement prochain des choses annoncées? Ce temps approche rapidement. Le Seigneur est proche. Plus le monde dérive vers le jugement de Dieu, plus aussi se fait pressant l'appel du verset 7: Voici, il vient avec les nuées. Plus aussi le but du message est de préparer son peuple au retour du Seigneur. Oui, dans cette attente patiente, confiante et active, la 8e lettre ouvre magistralement le dernier livre de la Bible, dans lequel on a pu voir la campagne électorale du Roi des rois! AMEN;
VIENS, SEIGNEUR JÉSUS (Apoc 22.20) Jean CHOPARD © Promesses 1987 – 4 / No 82 Retour------------------------------------------------------------ |
LE
«LIVRE PROPHÉTIQUE» DU NOUVEAU TESTAMENT L'Apocalypse est le dernier livre du Nouveau Testament, et donc de la Bible entière. Livre prophétique, il «révèle» plus qu'il ne «prédit». L'auteur donne son nom: Jean. Ce prophète est généralement identifié avec l'évangéliste. Mais la constatation de certaines différences de style et de pensée a amené quelques modernes à refuser cette solution et à attribuer la composition de l'Apocalypse à un autre Jean, qui ne serait pas l'apôtre, mais un disciple de celui-ci. La question demeure ouverte, mais ne met pas en cause le caractère inspiré du texte. L'unité même de l'ouvrage reste discutée, ce qui entraîne diverses hypothèses sur la date de sa parution. Y a-t-il à la base un seul livret, ou faut-il en admettre deux? S'il n'en est qu'un seul, il faudra dire qu'il fut composé sous Domitien, vers 95, mais avec une sorte de rétrospective, sous forme de vision, qui daterait de l'époque de Néron. Bien que le procédé ne soit pas inconnu des apocalypses, on se trouve alors en présence de doublets, voire de contradictions difficiles à admettre. Peut-être vaudrait-il donc mieux s'orienter vers une double composition: l'une du temps de Néron (64), l'autre de l'époque de Domitien. Un rédacteur aurait fusionné l'ensemble, avec quelques retouches de détail. Comme le nom l'indique, l'ouvrage ressortit à un genre littéraire très particulier, fort connu du judaïsme au 1er S. de notre ère. On en trouve quelques traits déjà dans l'Ancien Testament, mais seulement à partir de l'exil: Isaïe, chap. 24-27 et 34-35; Ézéchiel, chap. 38-39. La deuxième partie du livre de Zacharie développe le genre, mais l'épanouissement s'accomplit avec Daniel (chap. 7-12). C'est d'ailleurs aux livres d'Ézéchiel et de Daniel que l'auteur a emprunté beaucoup de ses images et de ses expressions. Le genre apocalytique fournit à l'ouvrage l'abondance des visions et des songes, et surtout le symbolisme, qui est constant: couleurs et nombres jouent un rôle considérable. Il prête enfin à la révélation de secrets visant la fin du monde, et susceptibles de ranimer l'espérance des lecteurs. La question ne pose: pourquoi avoir rédigé pareil écrit? Comme toujours Il faut placer l'ouvrage dans la situation historique du moment. Les persécutions de Néron, de Domitien, avec le martyre de Pierre et de Paul, ont décontenancé les premiers chrétiens: ils ont l'impression que le Christ abandonne son Église, et ils l'interpellent: «Jusqu'à quand, Maître saint et véridique, t'abstiendras-tu de juger et de venger notre sang sur les habitants de la terre?» (chap. 6, vers. 10). La réponse de Jean est très nuancée. Elle est faite d'abord de certitude: le Christ a déjà vaincu. L'agneau immolé est maître du destin du monde: il brise les sceaux (chap. 5, vers. 5); et il unit à son triomphe céleste les chrétiens qui sont morts dans la fidélité à sa personne: la foule immense des élus (chap. 7, vers. 9). Mais cette certitude s'accompagne d'une vue de foi: l'Église ne saurait connaître le triomphe sur la terre; elle y demeurera toujours en butte aux persécutions de Satan et de ses ministres, alors représentés par l'Empire Romain. Ainsi le chrétien ne saurait connaître ici-bas ni le repos ni la gloire: la lutte est l'attitude normale de la communauté chrétienne: «... et on leur demande de prendre patience encore un peu dl temps, jusqu'à ce que soit complété le nombre de ceux qui servaient avec eux, leurs frères qui avaient à mourir comme eux» (chap. 6, vers. 11). Certitude et foi constituent le message d'espérance de l'Apocalypse. Mais ce message ne saurait être réservé à une époque particulière; par le fait qu'il exprime en profondeur la réalisation du dessein de salut de Dieu – le «mystère de Dieu» (chap. 10, vers. 7) – avec ses soubresauts et les réactions des puissances mauvaises, il est valable jusqu'à la fin du monde et peut s'appliquer à n'importe quel moment du «temps de l'Église». J. DHEILLY Professeur à l'Institut catholique de Paris © En ce temps-là, la Bible No 94
------------------------------------------------------------ |
LE
CHANT DE L'AMOUR ABSOLU ENTRE DIEU ET SON PEUPLE
En présentant son psaume 110 (111 de l'hébreu; voir No 47, page VII), nous avions signalé que la nouvelle édition du psautier traduit par André Chouraqui était accompagnée de celle du Cantique des cantiques. L'excellent exégète, fidèle à la tradition juive, et à qui sont familières celles de la chrétienté, ne s'est pas contenté de rendre en français le texte hébraïque; il a bien voulu livrer ici à nos lecteurs le sens de l'admirable commentaire qu'il fait de ce chant d'amour ainsi réuni aux chants de prière, pour les «hommes du Livre». Je suis né dans une famille juive fidèle aux traditions d'Israël: dès ma naissance, j'ai entendu chanter le Cantique des cantiques, sur les rythmes antiques qui ont inspiré le chant grégorien. Enfant, chaque vendredi, j'étais pénétré par la ferveur qui emplissait notre belle synagogue d'Aïn-Témouchent, à l'office du soir, lorsqu'il débouchait sur la récitation du Cantique, introductive des liturgies du Sabbat. Les hommes, les femmes, les enfants chantaient ce texte ou l'écoutaient comme dans une extase. Les fidèles étaient des âmes simples, des artisans, des commerçants, des ouvriers, des agriculteurs, auxquels se mêlaient quelques «intellectuels» frais émoulus des Universités françaises. Tous chantaient avec amour ce poème d'amour, sans que personne ait jamais pensé à le censurer ou à l'expurger. Il s'agissait pour nous tous d'un texte saint, à la lumière duquel nous devions nous éclairer et nous purifier. Transparent, il était accueilli dans la transparence des coeurs purs. Il était compris par référence à la Bible, à l'amour d'Adonaï pour la création, pour son peuple, pour chacune de ses créatures. Nous étions trop engagés dans le grand et puissant courant de la pensée hébraïque pour voir dans le Cantique autre chose que le chant de l'amour absolu – sur les cimes des plus hautes révélations. C'est étrange, mais c'est ainsi: pendant plus de deux millénaires les Juifs n'ont vu dans la Sulamite qu'un symbole, celui d'Israël, dans le Roi qu'une référence à Dieu: dans l'amour qui les unit, la révélation du mystère de l'amour divin. Pour la tradition juive rien d'autre que l'union mystique Le Targum, le Midrash, les textes rabbiniques, des plus anciens aux plus modernes, ne voient dans le Cantique rien d'autre qu'un exposé de l'histoire d'Israël dans ses trois grands actes: la sortie d'Égypte et la période biblique jusqu'à la destruction du Temple; l'exil; et enfin la rédemption messianique. On peut s'étonner de ce paradoxe. Mais c'est ainsi: pendant des millénaires les Juifs n'ont pas su voir autre chose dans ce Cantique que le chant mystique de l'amour divin, dans ses révélations successives, au coeur de l'histoire d'Israël. Les exégètes autorisés ne s'embarrassent pas du poids de chair et de sang de la Sulamite: il ne s'agit, pour eux, de rien d'autre que de l'union mystique d'Israël et de son Dieu. Les baisers, le visage, les seins, le giron, les cuisses, les jambes de la Sulamite ne sont que des allusions à l'épopée historique d'Israël. Les soins sont les tables de la Loi ou les habits sacerdotaux du grand prêtre. Les parfums sont ceux des vertus. Le vin celui du mystère de la vie mystique en Dieu. La délectation amoureuse est contemplation infinie, infiniment amoureuse du Créateur. Ceci et rien d'autre. Dans cet esprit, les rabbins ne reculent pas devant les inconséquences, les plus folles audaces exégétiques, et bien entendu devant les anachronismes puisque ce livre est à leurs yeux celui de l'Apocalypse, je veux dire des Révélations des ultimes destinées d'Israël et du monde. On n'a que l'embarras du choix pour l'illustration des thèses traditionnelles: l'amante est l'assemblée d'Israël, l'amant, Dieu ou le Messie, les soins semblables à des tours sont les sages. L'offrande d'amour est le triomphe eschatologique du Dieu d'Israël. Le jardin des noyers c'est l'assemblée des sages. Israël est comparé à la colombe au creux du roc, à la fois menacée par l'épervier et par le serpent. Si la voix est douce, c'est en prière; si le visage est beau, c'est en bonnes oeuvres. Et les bijoux que l'amant donne à l’amante représentent le butin pris par Israël en Égypte... L'exégèse chrétienne du Cantique On conçoit que le lecteur moderne soit dérouté par de telles perspectives et de telles méthodes d'interprétation. S'il se tourne vers l'Église, il verra qu'elle aussi a adopté les principes de l'exégèse d'Israël, désormais intégrée et interprétée dans le cadre nouveau de la dogmatique chrétienne. Le Cantique est le chant des noces mystiques du Christ et de l'Église. Origène (185-254), saint Ambroise (333-397), Grégoire de Nysse (335-394), Procope de Gaze (465-528) fondent la tradition de l'exégèse chrétienne du Cantique qui fleurira, en abondants commentaires, pendant tout le Moyen Âge, et spécialement au XIle siècle. Cornélius à Lapide (1567-1637) esquisse une théologie complète du Cantique, connu en tant que chant des noces du Verbe avec l'Église, par la grâce de l'incarnation. Pour lui, la première Épouse du Christ est l'humanité, la deuxième l'Église, la troisième la Sainte Vierge, la quatrième l'âme sainte. Le texte est analysé à la lumière de trois principes d'interprétation 1/ un sens littéral total et adéquat le mariage du Christ et de l'Église, 2/ un sens littéral partiel: l'union du Christ avec l'âme sainte; 3/ un sens partiel: l'union du Christ avec la Sainte Vierge. Plus tard, Bossuet (1693) découvrait dans le Cantique sept chants, correspondant aux sept jours des solennités nuptiales et des sept étapes qui conduisent l'âme sur le chemin de la perfection spirituelle. À partir du XVIlle siècle reparaît en chrétienté une thèse qui avait été proclamée dès le Ve siècle par l'évêque de Mopsueste, Théodore, qui niait l'inspiration du Cantique dans lequel il ne voyait qu'un chant profane, composé par Salomon, pour justifier son mariage avec une fille du Pharaon. Le sens érotique premier du Cantique est reconnu par Grotius (1644), Jacobi (1776), ce dernier donnant au Cantique une interprétation dramatique qui fera fureur au XIXe et au XXe siècles. Nous sommes loin, hélas, de la veine d'inspiration ouverte en chrétienté par le Cantique, et qu'illustrèrent, avec génie, saint Jean de la Croix ou sainte Thérèse d'Avila. Poème mystique, allégorique, drame moralisant, opéra, chant érotique, épithalame, ode, cantate, traité d'histoire, de cosmogonie ou de théologie, mythe, hymne en l'honneur de Tammuz ou d ‘Isthar, du Christ ou du Messie d'Israël, toutes les hypothèses ont été avancées, défendues avec talent, avec génie parfois... Un principe de l'exégèse hébraïque veut que chaque verset biblique ait 70 sens. Là encore la sagesse hébraïque a raison, en face des oeillères de notre logique. Sur un bon métal, chaque coup de marteau arrache des gerbes d'étincelles. Toutes proviennent de la même source qui reste intacte, néanmoins. André CHOURAQUI © En ce temps-là, la Bible No 5 1 pages I-II. Retour------------------------------------------------------------ |
RETRAÇANT
LE CHEMIN PARCOURU DEPUIS L'EXIL DU PREMIER DES
HOMMES JUSQU'À L'EXIL DU DERNIER ROI DE JUDA...
... les Chroniques elles aussi, sont plus proches de la théologie que de l'histoire (les) *
Les deux livres des Chroniques n'en formaient qu'un à l'origine. Ils ont été rédigés vers 300 av. J.-C., donc bien après le retour de l'exil, par un auteur anonyme, Invite appartenant à la classe des chantres et que, faute de mieux, on appelle «le Chroniste». Très brièvement pour la période dont Dieu seul connaît la durée et qui va d'Adam chasse du Paradis terrestre au sacre de Saül, plus complaisamment pour celle des rois, qui se termine par la déportation en Babylonie, l'oeuvre traite de l'histoire entière de l'humanité, du moins dans les rapports qu'elle eut avec Dieu « Chroniques» est un titre curieux dont l'origine remonte à l'hébreu (littéralement: «les événements des jours»). Délibérément les traducteurs grecs des Septante ont utilisé un autre mot: «les Paralipomènes», c'est-à-dire «les choses laissées de côté», comme si l'ouvrage rapportait des faits complémentaires de ceux qui sont déjà connus par les autres livres historiques; ce qui est inexact, c’est cependant sous ce titre injustifié que durant longtemps les bibles éditées par les catholiques ont présenté l'oeuvre du Chroniste. Saint Jérôme, lui, avait saisi la nuance du grec, car s'il maintenait le nom de «Paralipomena», et l'interprétait en parlant de faits omis par les livres des Rois, il voyait dans l'ensemble la «Chronique de toute l'histoire divine». De fait, parmi les sources utilisées par l'auteur, il en est que nous connaissons fort bien par ailleurs: Samuel et les Rois, le Deutéronome, Osée et Jérémie. Certes il en est d'autres, extra-bibliques. Mais, dans l'ensemble, les Chroniques n'apportent pas une histoire tout à fait nouvelle; c'est plutôt une optique différente qui permet, ici encore, de donner un enseignement religieux bien précis. Un des procédés d'exposition dominants sera celui des généalogies. Système schématisé d'ailleurs, car aussitôt après avoir donné l'origine des trois groupes descendant de Noé, le Chroniste passe à Abraham. On notera aussi des divergences, soit avec le texte de la Genèse, soit même d'un passage à l'autre des livres des Chroniques. Ainsi la descendance de tel clan peut être donnée de manière différente en deux endroits, selon l'époque et selon les relations avec des groupes voisins. Les clans du sud, mal sédentarisés en Juda, sont mentionnés selon des traditions que l'auteur ne cherche pas à harmoniser, mais qui renseignent sur une situation fort ancienne, très mal connue. Au centre de l'ouvrage David Quel est l'enseignement de ces livres? Le plus important est clair: Israël constitue une communauté religieuse où Dieu veut réaliser son royaume. Le modèle peut en être trouvé dans le passé: lorsque le roi David jetait les bases d'une théocratie. Ce monarque est en effet la grande figure de l'ouvrage. Dans l'énumération des tribus et de leurs clans, c'est la sienne qui vient la première; tandis que Moïse est à l'origine des institutions antérieures à la royauté, David a la responsabilité de l'organisation religieuse qui suit: la liturgie, le chant, les classes sacerdotales. Mais, depuis le retour de l'exil, toute ambition politique est vouée à l'échec; désormais l'État est remplacé par une communauté religieuse où les prêtres dirigent l'ensemble du peuple choisi pour le faire parvenir à une véritable sainteté qui fasse de lui en toute vérité «un royaume de prêtres et une nation sainte». Nous retrouvons, sous une forme plus nette encore que dans les livres des Rois, cette «théologie de l'histoire», où les faits ne sont apportés qu'à titre de confirmation. Dans cet esprit, pour ne pas choquer son lecteur, le Chroniste, parlant du saint roi David, ne mentionnera pas l'adultère avec Bethsabée; et le schisme s'avérant, dans la perspective envisagée, comme une atteinte fondamentale à l'idéal d'Israël, il ne sera fait que de brèves allusions au royaume du nord.
D'autres détails concernant le sacerdoce, prêtres et lévites seront étudiés ailleurs. Il suffit, pour aborder ces livres, de retenir que le genre littéraire utilisé par l'auteur des Chroniques est plus proche de la théologie que de l'histoire. J. DHEILL Professeur à l'Institut catholique de Paris © En ce temps-là, la BibleNo 29 page IV. Retour------------------------------------------------------------ |
LE
DIEU D'ISRAËL SE FAIT PLUS PROCHE DES HOMMES DE LEURS
LOIS... ET DE LEURS PRÊTRES
La situation historique dans laquelle est élaboré le texte des Chroniques diffère beaucoup de celle au milieu de laquelle vécut l'autour des deux livres des Rois. Celui-ci écrivit sous le coup d'une grande catastrophe. La Chroniste, lui, bénéficie d'une période paisible pendant laquelle les conditions d'existence de la communauté juive sont stabilisées. L'autour prend le temps d'ordonner calmement ses données à l'enseignement qu'il veut laisser et que compléteront les livres d'Esdras et de Néhémie, rédigés dans le même esprit, si ce n'est par le même homme. Dieu ne se complaît pas seulement dans les grands desseins dont l'accomplissement s'apprécie aux mesures de l'éternité, mais sa Providence se manifeste pour favoriser ou châtier chacun selon son mérite. Sa loi n'indique pas seulement l’«esprit» dans lequel il faut vivre; elle a des exigences précises; mais elle incite aussi à l'adoration gratuite. Et les prêtres ou lévites sont chargés de veiller à ce que celles-là soient satisfaites, et celle-ci assurée. Pour l'exposé de l'action de Dieu dans l'histoire des rois, les Chroniques se fondent entièrement sur les «livres des Rois». Mais elles tendent à présenter un rapport étroit entre faute et châtiment: nul malheur sans faute, et nulle faute sans punition. La cinquième année de Roboam, le pharaon Sesonq pille Jérusalem (11, Rois, chap. 14, vers. 25); le Chroniste relève que, dans la quatrième année de son règne, Roboam «avait abandonné la loi de Yahvé». (28 Chroniques, chap. 1 2, vers. 1). Le roi Asa dans sa vieillesse tombe gravement malade (1er Rois, chap. 15, vers. 23); le chroniste ajoute que, dans sa guerre contre Baasha, Asa ne s'est pas confié en Yahvé et qu'il a même jeté en prison le prophète qui le reprenait (28 Chroniques, chap. 16, vers. 10). Josaphat s'était associé avec l'impie Okazias pour équiper une flotte de commerce à Ézion-Gaber (la moderne Élath) (1e Rois, chap. 22, vers. 49); le Chroniste remarque qu'un prophète le lui reproche et prédit l'échec de l'entreprise (21 Chroniques, chap. 20, vers. 37). Ozias doit déposer sa charge à cause de sa lèpre, (2e Rois, chap. 15, vers, 5), la Chroniste dit pourquoi cette maladie: il s'est rendu coupable d'une faute rituelle (21 Chroniques, chap. 26, vers. 16). À l'inverse, Manassé, bien que mécréant, règne plus longtemps que tous les autres rois Judéens; les Chroniques en fournissent une raison: il s'est converti et humilié devant Yahvé de plus il introduit une réforme cultuelle. On pourrait multiplier les exemples. Ils montrent combien se trouvent ici renforcées et durcies les thèses déjà professées par l'auteur des livres des Rois. Alors que ce dernier envisageait parfois à long terme la relation entre le crime et le châtiment, la Chroniste s'efforce de prouver que le jugement ou le salut a toujours atteint les coupables eux-mêmes. Sans doute, sur le plan strictement historique, les fondements d'une telle thèse soulèvent-ils bien des objections. Mais cela ne doit pas faire perdre de vue l'enseignement fondamental: chaque, génération se trouve placée individuellement devant Dieu; chaque génération est responsable dans la personne de son «oint», de son roi. Le Chroniste apporte ainsi sa contribution à l'un des problèmes les plus compliqués qui aient surgi à cette époque tardive: la part de chacun dans les relations avec Dieu. Yahvé est le Dieu de son peuple; cela, on le savait depuis les temps les plus reculés. Mais dans quelle mesure un individu ou du moins une génération avaient-ils part à ces dons? Les livres de Sagesse se préoccuperont du problème dans des temps ultérieurs. Si la contribution du Chroniste à l'élaboration de sa solution n'est pas complètement satisfaisante, il a de toute manière fait progresser la pensée biblique vers une plus grande conscience de l'action immédiate de Dieu et de la responsabilité personnelle de ceux qui appartiennent à son peuple. Pour l'auteur des Rois, la faute essentielle est de ne pas marcher avec Yahvé, de ne pas lui avoir tout donné. Il estime que c'est l'ensemble des actes par lesquels Dieu a manifesté à son peuple sa volonté qui constitue la Tora, la Loi. Le peuple s'égare en refusant cette révélation de la volonté divine exprimée principalement dans le Deutéronome. Certes, le Chroniste ne méconnaît pas cette notion de la Loi, considérée comme une unité à comprendre de façon globale. Mais la plupart du temps celle Loi est par lui envisagée de façon très formelle, en particulier dans les nombreux cas où il est question d'un usage liturgique ou d'une prescription rituelle précise, Cette présentation risquerait même de faire passer la Loi pour une juxtaposition d'exigeantes minuties, si les autres livres, que nous connaissons, ne rectifiaient cette définition abusive. D'autre part, le «choix» que Yahvé fit d'Israël paraît quelque peu confisqué au profit de la seule Jérusalem, siège du sanctuaire unique, et de la tribu des Lévites qui célébraient la gloire de Dieu. Sans doute l'auteur supposait-il suffisamment assimilée la notion d'élection appliquée au peuple tout entier. et voyait-il dans ces élections fragmentaires des compléments, qui n'allaient pas sans impliquer, pour ces favorisés, une complaisance particulière de Dieu, et un certain couronnement de l'élection primordiale. La nouvelle liturgie de la louange divine Un des apports les plus originaux du Chroniste est enfin l'importance accordée à la louange divine qui fait partie intégrante de la vocation d'Israël, comme peuple de Dieu. Ceci vaut aux lévites une certaine métamorphose que favorisent les circonstances: jadis chargés de transporter l'Arche, ils se sont vu confier, par David déjà, la charge de chanter le Dieu d'Israël (1e, Chroniques, chap. 6, vers. 16 et chap. 1 6, vers. 4 et suivants). Depuis le transfert définitif de l'Arche à Jérusalem, ce rôle de «porteurs» est sans objet, et la fonction lévitique de louanges donne à la théologie cultuelle du Chroniste sa caractéristique: elle est orientée vers la joie et l'action de grâces. Il s'agit là, probablement, d'un reflet du courant de pensée prédominant dans le milieu sacerdotal auquel le Chroniste appartient. On comprend que David, l'initiateur de la nouvelle liturgie (1e, Chroniques, chap. 23 et suivants), fasse presque, dans ce texte, figure de second Moïse: comme celui-ci avait été chargé de réaliser le sanctuaire du désert dont Dieu lui avait fait connaître sur le Sinaï l'archétype, ainsi en va-t-il de David pour le Temple de Jérusalem, conçu par lui sous l'inspiration divine, et construit par Salomon. La liturgie davidique s'épanouira d'ailleurs pleinement dans le second Temple, édifié après l'exil: celui où est célébré le culte à l'époque, précisément, où écrit l'auteur des Chroniques. Dom J. GOLDSTAIN © En ce temps-là, la Bible No 32 pages I-II.
------------------------------------------------------------ |
DANIEL:
CINQ GENRES LITTÉRAIRES DIFFÉRENTS DANS LE MÊME OUVRAGE
Bien
qu'il ait été placé à la suite des grands prophètes dans les
versions bibliques grecque, latine ou syriaque, la livre de
Daniel ne relève pas du pur genre oraculaire. D'ailleurs
dans le canon hébraïque, on le trouve ranger non avec les
Prophètes mais parmi les Hagiographes; entre Esther et
Esdras-Néhémie. C'est sans doute en raison de sa rédaction
et de sa publication tardives, au IIe avant J.C.; c'est
aussi qu'il se différencie sensiblement des livres auxquels
Isaïe, Jérémie et Ézéchiel ont laissé leurs noms. L'ouvrage
participe de plusieurs genres littéraires. Les premiers
chapitres tiennent du genre historique au sens large ou du
midrash (histoires édifiantes des chapitres 1 -6 ou 14), non
sans avoir parfois recours au genre psalmique; vient ensuite
le genre apocalyptique (chap. 7-10), puis la prophétie
(chap. 11 -12). On le voit: ce texte présente un mélange
extraordinaire de styles. Il en va de même de la langue:
tandis que certains chapitres sont écrits en hébreu (chap. 1
- chap. 2, vers. 4 et chap. 8-12), d'autres le sont en
araméen (chap. 2, vers. 4 - chap. 7, vers. 28), et certaines
sections ne nous sont parvenues qu'en grec (chap. 3, vers.
24-90 et chap. 13-14). Enfin le texte témoigne de
remaniements nombreux, et certains passages de la traduction
grecque ne se rencontrent pas dans l'hébreu.
Pareille bigarrure fait penser que le livre a été composé à partir de morceaux déjà existants – la section narrative – auxquels l'auteur final a ajouté les sections de style apocalyptique. À quelle époque ce dernier a-t-il écrit?. Les allusions du chapitre 11 aux monarchies hellénistiques d'Égypte et de Syrie orientent vers le IIe siècle avant notre ère, et la mention, précise et détaillée, de la persécution permet de préciser que l'oeuvre fut achevée au temps d'Antiochus IV Épiphane, peu avant sa mort, donc vers 165 av. J.-C. L'auteur veut aider les Juifs fidèles en leur mettant au coeur l'espérance. Pour cela, il jette un regard sur le passé et lit dans l'histoire le dessein de Dieu et la manifestation de sa Toute-Puissance. Bien des empires païens ont existé: babylonien, perse, gréco-macédonien. Ils ont soumis momentanément le peuple juif; mais celui-ci était «sauvé», tandis qu'ils disparaissaient eux-mêmes. Un jour viendra où le Royaume de Dieu, déjà en marche, les remplacera définitivement; bientôt le persécuteur actuel lui aussi disparaîtra (chap. 11). Il suffit d'attendre. Seul importe l'enseignement religieux «Vaut-il de sacrifier ses biens et même sa vie?» se demandent les «maquisards de Dieu» qui ont répondu à l'appel des Maccabées. L'auteur du livre de Daniel répond: «Oui, car les justes ressusciteront, pour faire partie du Royaume des Saints, que le «Fils de l'homme» viendra établir.» Il ne faut pas oublier, en lisant ces pages extraordinaires, qu'il ne s'agit pas là d'une oeuvre d'historien. Certains passages prennent bien sûr prétexte d'une rétrospective historique, mais c'est avec le souci dominant de dégager l'enseignement religieux qui seul importe. En outre, à travers les perspectives anciennes aménagées par l'auteur, c'est l'événement actuel qui est recherché et que le lecteur doit découvrir. Est-il écrit qu'au temps de Nabukodonosor, on voulait faire manger à Daniel et à ses compagnons des aliments défendus par la Loi? C'est que le roi Antiochus exigeait aussi que les Juifs mangent de la viande de porc. La constance de Daniel se manifeste-t-elle dans le refus d'adorer la statue d'or de Nabukodonosor? L'Épiphane ordonnait aussi qu'on rendît un culte à sa propre statue. Ici et là, constance et fidélité sont récompensées: Daniel est préservé du feu et des lions. Le Juif persécuté doit comme lui faire confiance à Dieu. Il a toujours le dernier mot. On se souviendra enfin que le «Fils de l'homme» évoqué par Daniel se situe dans une ligne messianique parallèle à celle de la filiation royale davidique et que le Christ les revendiquera l'une et l'autre, comme celle du Serviteur souffrant et du sacerdoce selon l'ordre de Melkisédek. J. DHEILLY / 68 Professeur à l'institut catholique de Paris © En ce temps-là, la Bible No 68 Retour ------------------------------------------------------------ |
LE
DEUTÉRONOME «DOUBLE DE LA LOI»
Le nom «Deutéronome» donné au dernier livre du Pentateuque par les traducteurs grecs des Septante, vient du grec et signifie «seconde loi». Non pas qu'il s'agisse d'une seconde législation, mais d'une répétition de la Loi unique. C'est un ouvrage où dominent les prescriptions législatives. À l'inverse du livre des Nombres, ces lois ne sont pas ici enchâssées dans des récits se rapportant au séjour au désert. Il y a seulement quelques narrations concernant l'activité d'Israël dans les plaines de Moab et aboutissant à la mort de Moïse. Ce sont des discours qui encadrent les codes et qui précisément donnent ce qu'on pourrait appeler la spiritualité des événements vécus par Israël. Placés sur les lèvres du grand législateur, ils entendent bien donner sa pensée profonde. Littérairement on distingue le code deutéronomique proprement dit, qui couvre les chapitres de 12 à 26, des discours d'introduction qui comprennent les onze premiers chapitres, et des discours de conclusion qui se terminent avec le chapitre 30. Dans une seconde partie, très brève (chapitres 31 à 34), sont rapportés un certain nombre d'événements qui concernent la fin de la vie de Moïse. Devant cette abondance de textes législatifs portant sur des sujets déjà évoqués, on pourrait craindre que la lecture de ce livre soit bien austère et de peu de profit. Bien au contraire, c'est un des plus passionnants de l'Ancien Testament. La «crainte de Dieu» se confond avec «l'amour de Dieu» Elle permettra peut-être de faire notamment justice du slogan: «Ancien Testament = loi de crainte», quand on rencontrera par exemple le passage magnifique du chapitre 6: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur.» On y découvrira aussi la nature des relations que Dieu a nouées avec les siens: l'élection d'Israël pour être le peuple de Dieu; mais élection gratuite où l'amour divin est seul en cause; mais élection exigeante car elle implique que les conditions de l'Alliance soient fidèlement remplies. Dans l'ensemble de ces lois la Parole de Dieu s'adresse au plus intime de l'homme et se rappelle constamment à lui: «Garde-toi d'oublier le Seigneur ton Dieu.» Le Deutéronome livre encore le sens des événements du désert. L'auteur y parle d'une double épreuve. Les Israélites ont mis Dieu à l'épreuve par leurs murmures. Mais Dieu a voulu aussi éprouver son peuple: les quarante années de vie difficile dans la «terre de sécheresse et de ténèbres» étaient destinées à révéler le coeur d'Israël: «Allais-tu ou non garder les commandements (de Dieu)?» Le don de la manne enfin voulait faire comprendre que «l'homme ne vit pas seulement de pain, mais... de tout Reste une dernière question: que penser de tous ces discours attribués à Moïse lui-même? Celui-ci n'en est certainement pas l'auteur au sens le plus serré du terme, d'autant que styles et mentalités sont divers, que l'ouvrage n'a pas été écrit d'un seul jet, et que bien des décisions juridiques s'appliquent à un état économico-social différent de celui du désert. Et cependant on sent partout le désir de sauvegarder la pureté de la religion telle que l'avait voulue le fondateur: c'est dans cette ligne qu'il faut envisager par exemple la loi de l'unité de sanctuaire qui sera réalisée avec l'érection du temple de Jérusalem, et l'attitude ce qui sort de la bouche de Dieu». ... On pourrait donc se représenter ainsi les différents moments de la composition: à la base, des collections de solutions juridiques données par les Lévites dans l'esprit de Moïse, et conservées, après le schisme, dans le royaume du nord. Ces collections, apportées à Jérusalem après la destruction de Samarie (721), auraient été encadrées par les discours attribués à Moïse. L'ensemble (du chapitre 5 au chapitre 29) aurait été retrouvé en 621 dans le temple de Jérusalem. Enfin, durant l'exil, on aurait ajouté les chapitres de 1 à 4 et de 29 à 33. C'est ainsi qu'aurait été obtenu le Deutéronome dans sa teneur actuelle. J. DHEILLY Professeur à l'institut catholique de Paris. © En ce temps-là, la Bible No 14 page IV.
Retour |