Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Archéologie

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L'EVANGILE ET LE SENS DE L'HISTOIRE

LA REVELATION-HISTOIRE

L'apologète Francis A. Schaeffer a publié en 1972 une explication des origines intitulée «Genesis in Space and Time»; le programme de cette lecture du livre de la Genèse allait à contre-courant: lire les débuts dans les catégories de l'espace et du temps, c'était se refuser au doute sur les commencements de l'histoire, écarter la séparation entre l'éternité et le temps, croire que l'oeuvre du Dieu infini peut se manifester dans l'histoire du monde, être prononcée dans notre langage; expliquer la Genèse dans l'espace et dans le temps, voulait dire: réhabiliter l'histoire, rattacher la vérité révélée par Dieu à des faits. Jean Daniélou exprimait une préoccupation voisine dans son traité sur «Le mystère de l'histoire»: la foi chrétienne est un compte-rendu fidèle des oeuvres du salut réalisées dans l'histoire; si le christianisme n'est pas une religion de l'évolution ou du devenir, s'il n'enseigne aucune forme de salut par l'histoire et les oeuvres humaines, si le but des textes de la Révélation transmis demeure un royaume éternel, une cité impérissable (1 Pi 1:25; Hé 12: 27,28), ce qui échappe à l'usure du temps, le christianisme reste solidaire d'une histoire documentaire, il enseigne une histoire du salut qui se présente dans les faits de l'histoire et du temps, accessibles à la conscience de l'historien (Lc1:1-4). La foi du coeur recommandée par l'apôtre des Gentils croise très exactement des faits objectifs: réduire la portée des faits, c'est enlever la foi (1 Co 15: 1 - 19). On a beaucoup insisté en certains milieux, sur le «pro me», le «pour moi» de Luther. Joseph Ratzinger, dans son «Introduction» à la foi catholique, souligne cet aspect: mais Luther et Calvin sont des théologiens de l'histoire car leur foi personnelle ne peut être séparée de l'adhésion à l'Écriture comme texte et celui-ci est un compte-rendu de faits historiques objectifs. Il existe donc une correspondance entre la foi, l'Écriture et l'histoire. Ce que je crois doit être signifié dans la révélation propositionnelle historique, et celle-ci renvoie à l'ordre des faits.

La révélation proposée dans une histoire, devait heurter profondément la mentalité antique qui ne voyait nulle certitude (Lc 1: 4; 1 Ti 1: 15) dans l'historia. Les mythes des anciens annulent toute l'histoire précise.

L'idéalisme considère le monde supérieur comme un intelligible immobile; les lois de l'univers, celles des cités et des peuples, ne sont que des reflets lointains ou des corruptions. L'historiographie des grecs dissout l'histoire dans le multiple, elle refuse tout sens à notre devenir. Aristote opposait la science à l'histoire: les récits de l'historienne procurent aucune connaissance. Il est remarquable que l'Évangéliste Luc introduit le mot certitude dans le prologue de son récit historique (Lc 1:4), là même où les philosophes grecs auraient souligné l'incertitude!

Les conceptions modernes du devenir qui surgissent au XVIIIe siècle – histoire du progrès, salut par les lettres, les sciences et les arts (voir la célèbre lettre de Voltaire à Jean-Jacques Rousseau du 30 août1755), les projets de paix universelle du genre humain, supposent un sens de l'histoire que les anciens ne connaissaient

pas. Ces conceptions du temps sont des histoires chrétiennes déviées et sécularisées, des «hérésies chrétiennes», qui ont remplacé le Christ et l’éternel royaume par un médiateur temporel: classe, parti, nation, peuple éclairé, etc. L’apologétique chrétienne peut aisément démontrer aux théoriciens des sociétés industrielles modernes, que la pensée biblique leur a donné le sens de l'histoire. Karl Marx n'a jamais cessé de voir dans le christianisme la religion absolue, elle seule conjoint le fini à l'infini en Christ, et ce thème ne peut être dépassé dans le cadre de la religion.


L'ÉTERNITÉ ET LE TEMPS

L'Occident, en sa représentation des choses, oppose l'éternité et le temps; or, le système biblique pose le temps comme un aspect de la création et fait donc de notre devenir, une oeuvre de l'Éternel. La Bible adhère donc, au présent, à l'instant! Chaque moment de l'histoire est une occasion donnée à l'homme de rencontrer Dieu, l'instant favorable au salut (Hé 3: 7, 13, 15 ). La Parole biblique peut se prononcer sur la valeur de notre aujourd'hui, présence actuelle du sujet au monde et à l'histoire, car cet aujourd'hui de notre existence est «l'aujourd'hui de Dieu» (voir la forte analyse de Hé 4: 7). Une telle conception du temps adhère à la réalité du fait donné (eph'hapax), une fois pour toutes (Hé 10: 10; Ju 3: Ro 5), mais le déroulement des événements de l'histoire s'opère «dans le projet éternel de Dieu» (Hé 9: 14). Le fait historique donné eph'hapax signifie une unique appropriation du temps par l'Éternel, et le phénomène de la prophétie qui prédit un événement avant qu'il apparaisse (Voir Michée 5) renforce encore ce sentiment de dépendance (Hé 4: 12, 13).

Le temps biblique empêche la dissolution de l'histoire dans le multiple insignifiant, de même que la répétition et le retour du passé; «c'est en vertu de cette volonté (de Dieu) que nous sommes sanctifiés par l'offrande du corps de Jésus-Christ, une fois pour toutes» (Hé 10: 10).


VALEUR DU RÉCIT HISTORIQUE

Un fait historique appartient au passé. Vécu à des degrés divers par les contemporains, l'événement nous parvient par le moyen de témoignages. Il ne peut être transmis aux successeurs que par l'intermédiaire d'un bon récit historiographique. Ainsi notre conscience du monde passé est liée au récit (Lc 1:1-4). Éric Weil a écrit une importante étude sur «Valeur et dignité du récit historiographique», et on peut saisir l'enjeu du sujet traité.

Pendant son ministère, Jésus s'est appuyé constamment sur les textes de l'Ancienne Alliance; il a toujours cru que ces textes étaient historiquement vrais; il les a interprétés comme des récits historiographiques (y compris pour les débuts de l'histoire mondiale, voir Mt 19: 4-6 et pour l'aventure de Jonas, voir Lc 11:29-31). Il est impossible de traiter la question de la valeur de l’histoire et de son sens, hors de la possibilité du compte-rendu historique correct. La révélation-histoire suppose un tel compte-rendu.


L'ASPECT HISTORIQUE

Le temps historique est un prolongement de l'ordre créé. C'est ainsi que notre histoire manifeste les oeuvres de Dieu. La nature visible montre les perfections de la divinité (Ro 1: 19); l'administration des temps atteste également l'action de la Providence de Dieu creator et rector mundi - en dépit des fautes, du péché originel et des péchés historiques; c'est que «toutes choses travaillent ensemble pour le bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son dessein» (Ro 8: 28) - y compris les erreurs, les fautes et les péchés, commentait Saint Augustin.

Cet aspect de l'histoire qui continue l'ordre créé, ne correspond nullement à ce que les modernes appellent «notre histoire» en partant du motif nature-liberté du XVIIIe siècle, ou du marxisme. Les philosophes dressent la liberté historique du sujet contre le monde (voir Sartre) ou l'enlisent dans les contenus matériels (Merleau-Ponty, Lefort, Lévi-Strauss); ils conservent souvent les principes de la philosophie allemande de la fin du XlXe siècle: «l'homme est dans l'histoire», «l'homme est historique», «l'homme est histoire» (voir A. Toynbee, Raymond Aron, Anna Harendt).

Les théologiens qui sont séduits par l'histoire décrivent l'aspiration des humains à une plénitude et parlent en même temps de «l'historicité essentielle de l'homme» (H. De Lubac, Karl Rahner). Ces idées, actuellement très répandues, ne parviennent pas à maintenir le sens biblique du temps, cette relation à vrai dire mystérieuse entre l'Éternel qui veut et l'histoire humaine qui réalise cette volonté au détail près (voir le Christ dans Mt 6: 26-34; Paul en Ac 17).


LA GRÂCE COMMUNE

En raison de la catastrophe originelle (Ge 3; Ro 5), les auteurs chrétiens ont interprété notre devenir dans des notions spéciales. Les Pères, comme Justin et Irénée, voient avant tout en Christ la réalisation de prophéties. Augustin insiste sur le combat des deux cités qui correspondent aux deux esprits qui luttent au cours du temps «jusqu'à la fin». En poursuivant la réflexion de Calvin, le grand hollandais Abraham Kuyper a insisté sur l'existence d'une grâce universelle de Dieu qui parcourt toute l'administration des temps et limite les effets de la chute originelle, en permettant - malgré les drames historiques et les conflits - un développement de l'humanité civilisée. L'action historique est le produit de la chute, elle ne peut que correspondre au programme de Satan en Ge 3: 4,5. La réalisation totale du programme entraînerait une «dé - création» de l'homme, une chute qui situerait celui-ci au-dessous de l'animal; la grâce commune universelle de Dieu est une grâce des temps historiques, qui limite l'intensité du péché; elle permet une vie normale et l'expansion des oeuvres de la culture (Ge 4: 15; 9: 1,8-17; 11: 9 etc).

L'état politique armé, chargé de la protection d’une collectivité contre ceux qui lui veulent du mal (Ro 13: 3,4) représente une institution typique de la grâce commune, et il existe quantité d’autres institutions nationales et internationales qui sont des fruits utiles de cette grâce. Qu'on n'imagine surtout pas que l'oeuvre de civilisation provient d'une prétendue lumière de notre nature (voir Calvin). L'homme historique, corrompu par le péché, est spirituellement mort, incapable du bien (Ge 4:8: 6: 3,11; Ro 3: 9-20; Ep 2: 1). La vision biblique de l'histoire inclut donc la grâce commune comme un principe très important. Cornélius Van Til a intégré logiquement sa théorie de l'histoire dans un ensemble portant sur cette grâce commune (En France, des idées très voisines ont été développées par A. Lecerf).


LES LOIS HISTORIQUES

L'Écriture place notre histoire en dépendance d'une volonté personnelle

- celle de Dieu. Il y a donc une énigme des temps, un mystère de l'histoire (Da 8:26, 27). Mais la Parole contient des formules, des décrets-programmes, qui donnent au devenir mondial des caractères définis. Le sens de l'histoire n'est autre que le développement de l'histoire vers son but conformément à ces décrets.

Il existe, aujourd'hui dans les Églises, une immense illusion: croire que l'homme peut faire l'histoire, «libérer les captifs», etc... accéder par ses forces «au grand signe divin resplendissant dans les nuées» (Ge 3: 15, 1 6).

La Bible enseigne que Dieu ne discute jamais avec l'homme pécheur. Le christianisme est une religion de l'autorité. Les décrets divins déterminent l'histoire fixant son sens, et même l'Antichrist final ne parviendra pas à lever ces décrets, lui dont les jours sont déjà comptés (Da 8: 25; 11: 19,40, 45).

Le devenir humain est placé sous le signe de l'inimitié: autonomie revendiquée dans la révolte initiale (Ge 3: 4,5), irréductible séparation des consciences historiques. Tous les projets utopiques avancés dans l'histoire, les «solutions finales» dignes et indignes imaginées par les hommes s'y heurtent (Lc 2: 34,35). La terrible loi des alternances des époques contraires (Ec 3: 1 - 11 ), l'incertitude de l'ici-bas (Ec 2: 12), balaient les aspirations de l'homme de la volonté historique – «ce qui est tordu ne peut être redressé, et ce qui manque ne peut être compté» (Ec 1: 15). L'histoire n'est pas droite. et seuls peuvent s'étonner ceux qui oublient «que ce sont des insectes morts qui font fermenter l'huile du parfumeur» ( Ec 1 0: 1 ).

Les vents du désert qui vont et viennent, tournent et retournent, et reviennent enfin vers leurs circuits (Ec 1:4-7), montrent au voyageur des temps historiques, qu`il n'est pour lui nulle espérance dans les entreprises humaines (Ps 2: 1-5). Mais ce qui manque sera comblé au coeur même de l'histoire (Ec 1: 15), car du violent sortira le doux, et du monstre qui tue et déchire viendra le miel du salut (Jg 14: 14).


LA PROPHÉTIE DE SAMSON

Une controverse a opposé en France, il y a quelques années, les partisans d'une histoire contradictoire, dialectique (Éric Weil). à ceux du mécanisme historique. Les livres de l'Ecclésiaste et de Daniel témoignent tout à la foi en faveur des deux thèses:

l'histoire n'est pas droite (Ec 3: 10; 5: IX: 7: 29), mais elle a un sens (Ec12: 14; fin de Da 12). Cependant (précision de poids, c'est le grand a-priori des auteurs bibliques!), «le Dieu droit a fait (créé) les hommes droits à l'origine» (Ec 7: 29). Une autre histoire était donc possible, une histoire faite en lieu, une oeuvre des temps réalisée hors de la séparation, de l'inimitié décrétée et de la contradiction.

L'énigme de Samson (Jg 14: 14) énonce une prophétie sur le développement de l'histoire: «De celui qui mange est sorti le manger, et du fort est sorti la douceur». En des circonstances précises (Jg 21: 24), une prophétie annonce la défaite finale du malin. La Bible place l'histoire dans le mouvement d'une dialectique, à vrai dire bien différente de celle des modernes. Ceux-ci sont résignés à la violence, ils croient à l'histoire, et considèrent la violence comme accoucheuse de la société juste. La dialectique divine exige le cadavre du lion (Jg 14: 5,6), et c'est le corps déchiqueté de l'animal séchant au soleil qui recèle le miel de l'abondance (Jg 14: 7-9). Le lion symbolise l'oeuvre de l'homme de la volonté historique; il tue et déchire à l'image même de la tragique histoire du péché et de la mort. La croix de Jésus-Christ est la victoire sur le mal, c'est elle qui écrase la tête du serpent (Ge 3: 15), qui laisse au sommet de la colline le corps du lion mort (Jg 14: 6).

Dieu n'accepte pas l'oeuvre dans l'histoire du péché. Nous qui sommes habitués à (...) de Dieu, et nous ne frémissons pas d'indignation devant le spectacle de la douleur et de la mort (Jn Il: 38). Les théologiens qui pensent libérer les hommes de l'oppression par les luttes, ont oublié que la dialectique divine dirigeant notre histoire, ne s'appuie jamais sur l'oeuvre du lion, elle exige son cadavre.

LES RESSEMBLANCES DU MONDE HISTORIQUE

L'histoire humaine dévoyée par le péché, demeure une oeuvre de Dieu (Ec 3: 11)! Il est donc normal avec les lumières de la foi (Ps 36) de la considérer dans sa dimension Une et plurielle en analogie avec la trinité divine.

Une, histoire délivre des enseignements. Daniel, le prophète du destin des nations, illustre cet aspect du temps. L'auteur, déporté à Babylone en 604 av. J.C., a connu la domination chaldéenne sur l'Orient ancien (2: 37), puis la période Médo-Perse. Il a rédigé ses mémoires d'homme d'État probablement entre 540 et 520, sous les règnes de Cyrus (559-530) et Cambyse (530-522). Le livre de Daniel rassemble des matériaux historiques divers et notamment des observations, des conjectures, des prophéties concernant l'avenir du monde. Il est possible que l'ultime mise en forme du livre ait été l'oeuvre d'un des trois compagnons de Daniel. Daniel a connu les prestiges de Babylone, les contradictions de l'Empire des Perses; il a discerné la montée en puissance des cités maritimes et des grecs, prévu l'inévitable antagonisme du grand Empire continental avec les nations de la mer (avant Mac Kinder!); enfin, Daniel trace les grandes lignes prophétiques de la fin des temps. Cette façon d’explorer le temps ne nous paraît pas très scientifique - car nous avons perdu (hélas!) sous l'influence de la philosophie des lumières ce sens de l'évolution du temps, ces vérités prophétiques qui éclairent notre situation dans le présent. Franchissant les siècles qui le séparent des temps de la fin (Da 7: 22,28; 8: 19,26; 9: 27; 10: 1), l'auteur aperçoit, au delà des conflits qui opposent le peuple de lieu aux païens, la figure du dernier empire de l'histoire humaine. L'auteur croit donc aux ressemblances de l'histoire, et il n'hésite pas à utiliser ses observations pour décrire des événements très lointains qui ferment l'histoire mondiale. On ne peut pas réduire les visions de Daniel à des manipulations d'historien (Da 10: 1), mais on relève son sens remarquable des ressemblances ou des analogies.


L'OBÉISSANCE DU CHRÉTIEN DANS L'HISTOIRE

Notre Dieu, en ses décrets supérieurs, dirige toute l'histoire jusqu'à la moisson (Mt13:30). Ceci suffit à écarter toute peur devant l'histoire, à empêcher une sorte de retrait du monde qui ne tiendrait pas compte de la souveraineté absolue de Dieu sur l'évolution des temps historiques et de déterminisme qui conduit nécessairement l'histoire vers une fin conformément au projet divin (Da 2: 44,45).

Qu'on y prête attention: la prophétie des quatre empires de Daniel (chap. 2) fixe définitivement le cours de toute l'histoire avec des périodes bien marquées, des jours comptés. Du point de vue de la conscience divine, l'histoire est déjà faite, entièrement déployée sous le regard de Dieu (Da 9: 25-27, voir toute l'admirable prière du prophète). La présence de l'homme de

Dieu au monde et à l'histoire se trouve donc, par là même, justifiée. À propos de cette présence, il est indispensable de poser quelques principes. Bien évidemment, le croyant doit respecter les commandements de Dieu, agir dans le monde en fonction des vérités historiques révélées (Jn 17: 15,16). De plus, la question du discernement des temps vécus doit entrer dans les comptes: la grâce ouverte par le Christ en Lc 4: 14-20, représente une dispensation, une administration des temps, qui contraste, avec l'époque des patriarches, celle de la promesse faite à Abraham, du ministère d'Israël. La présence du croyant au monde moderne ne saurait être identifiée à celle des anciens qui vivaient une autre dispensation du temps. L'histoire des alliances qui précédèrent le règne de la grâce, doit «servir d'exemple»: l'auteur de la lettre aux Hébreux fait de nombreuses comparaisons entre la situation des Israélites pendant la période de la foi et la situation des croyants vivant la nouvelle administration de la grâce (Hé 3 et 4). On retrouve une fois encore, sous la lettre de l'auteur inconnu, ce sens des ressemblances qui était déjà très développé dans le livre de Daniel.

L'aventure humaine n'est pas absurde, l'homme n'est pas une «passion inutile» (Sartre), l'histoire ne représente en aucune façon un chaos inintelligible (contre les thèses de «Regard sur le monde actuel» et du «Discours sur l'histoire»).

À chaque époque du monde, Dieu n’est jamais sans témoignage, et la Parole de Dieu est claire, suffisante, perspicace, universelle et parfaite. Un aspect important doit encore être souligné: les nations évangélisées sont tenues de rester fidèles aux traces, aux marques certaines, de l'intervention de Dieu dans le temps. L'une de ces marques s'appelle Israël. Dieu n'a pas rejeté le peuple élu (Ro 11:1); la chute des Juifs méconnaissant en Christ la réalité du Messie promis a été richesse pour les Gentils (Ro 11: 12).

Avant cette plénitude annoncée par l'apôtre (v. 12), c'est-à-dire la conversion d'Israël, les nations doivent faire droit au peuple élu, respecter le dessein de miséricorde qui a donné aux Juifs l'excellence de la révélation des alliances et de la loi (Ps 119; Ro 3: 1,2).

S'imaginer que le Magnificat de la vierge (Lc 1: 46-55) contient un poison mortel pour l'Occident, croire qu'il faut atténuer les enseignements des «turbulentes Écritures orientales», n'est-ce pas s'opposer ouvertement au plan de Dieu, et tomber dans l'apostasie (Hé 6: 4-8; 10: 26-31).

Alain PROBST


Ichthus 1986-3


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LES EVANGELIQUES

Un ami pasteur m'ayant demandé ce que je pouvais lui dire sur l'identité des évangéliques, je veux tenter de cerner un actuel mais vaste problème, au risque de schématiser des aspects importants.

Dans l'AT, le peuple d'Israël est sans cesse exhorté à remémorer les interventions de Dieu dans son histoire. Pour nous aussi, il est essentiel de regarder le passé afin de comprendre le présent. Au travers de toute l'histoire de l'Église, nous voyons la continuité étonnante et parfois paradoxale de l'action de l'Esprit de Dieu dans le monde.

Le mysticisme du moyen-âge trouve une certaine continuité dans le réveil puritain-piétiste apparu dès le 17e siècle, à son tour précédé de la Réforme et des anabaptistes, suite à de nombreux mouvements de retour à la Parole de Dieu à travers l'Europe.


A. Aperçu historique

1. Le réveil piétiste-puritain

Arndt (1555-1621), Spener (1635-1705) et Francke (1663-1722) en ont été les pères en Allemagne. De là le réveil passa dans le monde anglo-saxon, où il y eut un premier réveil en 1734 avec G. Whitefield, puis une deuxième vague en 1780. Whitefield eut un ministère étendu, également en Amérique. Les «pères pélerins», piétistes hollandais et huguenots entre autres, avaient préparé le terrain et produit de nombreux écrits puritains-piétistes.

En Europe, le comte N.L. de Zinzendorf (1700-1760) fut à l'origine du grand réveil morave de 1722. Le mouvement piétiste était marqué par un fort biblicisme, ce qui empêcha qu'il dégénère en humanisme religieux ou simple mysticisme. Un point central fut la «nouvelle naissance», l'expérience d'une relation personnelle avec le Seigneur. La lancée missionnaire moderne commença réellement avec les piétistes. Le piétisme représente un profond réveil spirituel d'évangélisation missionnaire mondial. La préoccupation sociale, celle des principes éthiques et de l'éducation chrétienne en furent les autres traits caractéristiques.

2. Les courants évangélique et oecuménique

Pour ce qui concerne les 19e et 20e siècles, je renvoie au discours inaugural du Congrès de Lausanne: «Pourquoi Lausanne?» de Billy Graham. Parlant des causes de l'affaiblissement des églises, il dit: «L'Église a perdu beaucoup du zèle et de la vision des jours passés (New York 1900, Edinburgh 1910). En voici les trois raisons principales:


1. La perte de l'autorité et du message de l'Évangile.

2. La priorité accordée aux problèmes sociaux et politiques.

3. Une même préoccupation avec une unité organique.

Le premier courant était évangélique; le second était de caractère oecuménique. 

3. La tradition évangélique

Elle a comme base l'inspiration et l'autorité absolue des Saintes Écritures. Elle fait suite aux réveils des trois derniers siècles. Le mouvement évangélique a connu une croissance énorme dans le monde entier, surtout par les «conquêtes missionnaires». L. Drummond écrivait: «La plus grande contribution des piétistes fut d'injecter l'esprit missionnaire dans la Réformation.»

Le réveil évangélique en Suisse romande a été décrit par Paul Perret et Jacques Blandenier. Le mouvement évangélique ne s'est pas forcément superposé aux structures d'églises historiques. Souvent il a provoqué l'éclosion d'églises libres et de communautés largement autonomes, dont plusieurs à tendance baptiste.

4. La tradition libérale

Elle a abouti à ce qu'on appelle «oecuménisme», mot actuellement employé dans des sens très divers. Il présente les trois caractères mentionnés par Billy Graham. Après la Deuxième Guerre mondiale, à la suite de diverses rencontres historiques, le Conseil oecuménique des Églises (COE) fut fondé et structuré en 1948 à Amsterdam. Il a gagné de nombreuses églises comme adeptes. Marqué de libéralisme et de pluralisme, le mouvement oecuménique a provoqué des réactions fortes dans le monde évangélique, et l'a parfois figé.

Dans le monde actuel, et surtout dans le Tiers-Monde, il y a partout deux camps très distincts:

a) les évangéliques nombreux et, en général, conquérants;

b) les oecuméniques, qui progressent surtout dans le sens socio-politique, avec l'idée utopique de l'unité universelle, donc avec un certain syncrétisme (Bangkok).


B. La situation contemporaine

1. Catholiques et protestants

a) Le COE: Depuis sa formation, il y a un effort de rapprochement des deux côtés. Dans la première phase de l'oecuménisme, ce fut surtout la recherche de l'unité de l'Église. Le progrès de l'unité avec orthodoxes, églises de l'Est et de l'Ouest s'est enlisé depuis dix à vingt ans. Il y a près de 300 grandes et petites églises dans le COE. Dans la deuxième phase du COE, les relations entre catholiques et protestants ont été fortement influencées par l'humanisme, le dialogue avec les religions et idéologies de notre temps, et surtout l'évolution socio-politique. À part cela, nous constatons une mutation frappante du côté catholique.

b) Le mouvement de Taizé, surtout en Europe, recherche une unité par une spiritualité catholique dans un vide spirituel protestant

c) Le mouvement charismatique, d'origine piétiste-pentecôtiste, a connu un développement phénoménal, surtout parmi les catholiques, mais aussi chez les protestants. Il a contribué à combler un vide spirituel chez les deux. On peut parler d'un oecuménisme charismatique qui se situe loin du COE à Genève, mais qui met l'accent sur la dimension expérimentale au détriment de la dimension biblique et doctrinale.

2. Évolution actuelle de l'oecuménisme

Il s'agit de la variété de Genève. Son évolution peut être schématisée ainsi années 40: unité – années 50: Église – années 60: théologie du développement et pensée humaniste – années 70: en plus un engagement politique – années 80: appel à la lutte active, voire année, contre les dominations, nuance qu'on peut désigner par le terme «christo-marxisme» (christianisme teinté de marxisme). Cette évolution va de pair avec une diminution de l'effort d'évangélisation.

Tout cela s'est réalisé avec le développement de nouvelles théologies: les» théologies populaires» telles que la théologie de libération, la théologie noire, le féminisme extrémiste. Ces mouvements idéologiques sont basés sur des expériences faites à partir de la situation en Amérique du Sud et ailleurs, et sur un intense travail théologique fait par les oecuménistes radicaux. On parle d'une «nouvelle compréhension contextuelle de la Bible», parfois liée à une «lecture matérialiste de la Bible» faite dans une vision «christo-marxiste» du royaume de Dieu.

On peut dire qu'il y a un abîme entre ce que fut l'oecuménisme en 1948 et ce qu'il est aujourd'hui. Cet abîme se traduit aussi par un discours anti-évangélique plus net (Melbourne, Vancouver), tandis qu'une fraction cherche des contacts avec le monde évangélique.

3. Les évangéliques et les confessions protestantes

Le courant évangélique est entré dans les églises traditionnelles des pays scandinaves (piétisme de Finlande et de Norvège surtout), de la Grande-Bretagne (fraction évangélique dans la «Low Church») et partiellement de l'Allemagne (mouvement «Église confessante», relevant de la déclaration de Barmen, dans les églises luthériennes et réformées). En France, il y a eu division dans l'Église réformée. Nous parlerons de la Suisse plus loin.

Un problème important est celui de la théologie de Karl Barth, qui a combattu à la fois le libéralisme et le piétisme. Ce n'est qu'à la fin de sa vie qu'il modifia sa position par rapport au piétisme. Le barthisme constitua, avant tout en Europe centrale, une barrière contre le courant évangélique, surtout dans les églises réformées. Aujourd'hui, avec la régression du barthisme, il y a un contact plus cordial entre réformés et évangéliques.

Le changement de la situation se révèle toutefois dans le changement du vocabulaire. Dans les pays francophones, on distingue réformés, évangéliques et charismatiques. Dans les pays germanophones, un néologisme fit son apparition: die Evangelikalen; ce mot fut réprouvé au début, mais il est largement utilisé aujourd'hui.

Aux États-Unis, la situation est très différente, à cause de l'absence d'églises de l'État. Cela constitue une différence fondamentale avec les églises d'Europe, particulièrement avec celles de la Grande-Bretagne, où il y a une coexistence entre évangéliques et églises d'État. L'absence de celles-ci aux États-Unis fait que les évangéliques y représentent une force considérable. Les grandes campagnes d'évangélisation qui eurent lieu aux États-Unis dans notre siècle y ont contribué à un renouveau spirituel, de sorte que les évangéliques forment la grande majorité du monde protestant, ce qui se répercute favorablement sur l'effort missionnaire. Il faut aussi mentionner le développement de pointe d'une missiologie évangélique.

4. L'unité évangélique et l'oecuménisme de Genève (COE)

L'évolution décrite dans la première partie de cet exposé, conjointement avec la grâce de Dieu, a fait que les évangéliques sont sortis de leur dispersion. Dès le début du siècle, l'Alliance Évangélique Universelle a préparé une certaine unité. Plus tard, après six ans de prière et de contacts, le premier Congrès évangélique eut lieu à Berlin en 1966(«Congrès mondial de l'évangélisation»).

Depuis cette date, les évangéliques ont continué d'organiser des rassemblements internationaux importants et sont devenus une force considérable par une unification étonnante, non hostile. On peut dès lors parler d'un" oecuménisme évangélique» (oekuméné = univers) qui s'est merveilleusement développé, dans un effort d'enlever des barrières traditionnelles et de mettre Jésus-Christ au centre de cette vision. À ce propos, citons le Congrès de Lausanne de 1974, qui fut le plus grand congrès universel des évangéliques, sous le sigle CIPEM (Congrès international pour l'évangélisation du monde); il en résulta la" Déclaration de Lausanne» qui eut un impact mondial. TEMA (The European Missionary Association) s'est voué à l'organisation de congrès missionnaires de jeunesse sur le plan européen; en Suisse, il y eut les deux «Jours du Christ» en 1980 et 1984. 

Plusieurs facultés de théologie évangélique ont été fondées, ainsi à Vaux-sur-Seine, à Aix-en-Provence et à Bâle (FETA: Freie evangelisch-theologische Akademie). Ces facultés reflètent et stimulent la réflexion évangélique.

L'unification massive des évangéliques dans le Tiers Monde, en Amérique et dans certains pays d'Europe a attiré l'attention du mouvement oecuménique qui, sans changer son cours, fait de gros efforts de relations humaines et de compréhension spirituelle pour se rapprocher des évangéliques.

5. Les zones intermédiaires

Ce qui précède explique la formation de zones intermédiaires entre les courants principaux du protestantisme, d'autant plus que nous vivons dans un monde où domine le mythe de la neutralité et du compromis. Une autre tentation qui caractérise notre temps (temps de la fin?) est celle du relativisme humaniste où l'homme choisit son éthique et croit à l'unité universelle future.

À part les oecuméniques ouverts aux évangéliques, surtout dans les pays à fortes églises d'État, il y a aussi les évangéliques oecuménisants, qui cherchent à gommer l'abîme qui sépare les deux groupes. Dans ce domaine, le côté affectif joue un grand rôle, ce qui n'a rien d'étonnant, vu que la foi chrétienne implique la personne entière du croyant. Et puis, il faut le dire: il y a des oecuméniques sympathiques et des évangéliques parfois rébarbatifs.

6. Les évangéliques en Suisse 

a) Suisse alémanique

La situation des évangéliques (Evangelikale) s'est fortement renforcée dans cette décennie, ce qui a provoqué un accroissement important des églises évangéliques. Cela est dû en grande partie au grand nombre d'églises libres (Freikirchen) et de communautés évangéliques en relation avec les Églises d'État (chaque canton a son église, en général intégrée dans un de ses départements). Ces églises libres sont indépendantes de l'État. Parmi elles, mentionnons: Evangelische Gemeinschaft, Freie Gemeinde, Evangelische Brüderversammlung (Assemblée des Frères), Chrischona. Ces différentes églises se sont muées en une Communauté suisse de travail pour l'évangélisation (SAFE) qui contribue largement à l'unité des évangéliques. En 1984, SAFE admit en son sein les communautés pentecôtisantes qu'avant elle avait tenues à l'écart. Elle prépare une action commune au niveau des médias électroniques. Chaque année, des campagnes d'évangélisation sont organisées en Suisse Alémalique.

b) Suisse romande

Ici la situation des évangéliques est beaucoup plus faible, à cause de leur petit nombre et de leur division en groupuscules. L'influence de l'Église d'État, qui possède quelques leaders évangéliques remarquables, a été négative, d'une part à cause du barthisme antipiétiste qui a fortement influencé les théologiens des années 40 à60, d'autre part à cause du voisinage du COE de Genève, dont l'influence a été en général neutraliste sinon pluraliste.

L'urgente nécessité de l'unité des évangéliques, que les médias traitent comme quantité négligeable, a commencé à se concrétiser en novembre 1983 par la constitution de la FREOE (Fédération romande d'églises et d'oeuvres évangéliques) où siègent des extrêmes tels que l'Action biblique et des églises pentecôtisantes.

L'attitude d'expectative de beaucoup d'Assemblées de Frères, qui forment la majorité des églises évangéliques de Suisse romande rend cette unification difficile et freine la formation d'une entité qui puisse être prise au sérieux par les autorités et les médias. Notre voeu est que nos frères prennent mieux conscience de leur héritage spirituel et de leur identité, que les barrières traditionnelles puissent tomber, afin que le témoignage d'une unité évangélique dans notre région soit plus réel.


C. Le témoignage évangélique

Il s'agit de fixer des buts clairs et de travailler à «l'oecuménisme évangélique» qui s'étend au monde entier, ainsi que de rechercher des contacts réguliers avec le mouvement évangélique dans le monde, mouvement qui n'a pas de siège et qui s'oppose à une structuration rigide.

Le témoignage évangélique doit faire honneur au Seigneur par sa position clairement biblique et doit être rendu dans un esprit d'humilité et de courage. S'il est exempt d'agressivité et d'esprit de confrontation, l'unité des évangéliques sera la meilleure réponse au libéralisme et au pluralisme théologique ambiant. Cela demande du courage dans un monde empreint de préjugés séculiers humanistes où l'on ne distingue souvent qu’«oecuméniques» et «sectaires». Les évangéliques doivent se défendre d'être taxés d'obscurantistes religieux ou culturels, de «fondamentalistes» ou d'autres étiquettes péjoratives que les médias tentent de leur coller.

Si les évangéliques veulent être le sel de la terre, ce qui est le devoir absolu de chrétiens, leur témoignage doit être fidèle à la Bible, sans aucune ambiguïté. Ceci dit, il doit aussi se faire dans le respect des particularités des nombreux groupes qui le composent. C'est un programme de compréhension et d'aide mutuelle dans l'amour du Christ.

La soumission absolue des évangéliques à l'autorité de la Parole inspirée doit non seulement dans la théologie, mais aussi dans le domaine de l'éthique et de la vie sociale. Je ne citerai ici que deux noms qui sont devenus des symboles dans le monde évangélique: Francis Schaeffer des États-Unis et l'historien Pierre Chaunu, membre de l'Institut.

Le témoignage évangélique ne peut ignorer les trois milliards d'hommes sans possibilité d'entendre le message de l'Évangile. Il doit s'inspirer de la vision des anciens piétistes: évangéliser le monde pour que le Roi vienne.

Rodolphe Bréchet

Ndlr: En Août 1985 eut lieu, à Morges, un grand rassemblement pour fêter la fondation de l'Association des Assemblées de Suisse romande, qui réunit en son sein une quarantaine d'Assemblées de Frères antérieurement séparés en deux groupes distincts. Le voeu du Dr. Bréchet, qui rédigea cet article en 1984, s'est ainsi réalisé.

Notice nécrologique

Le Dr. Rodolphe BRECHET, dont nous avons le privilège de publier l'article ci-dessus, est mort tout dernièrement à l'âge de 74 ans. Il servit le Seigneur en Angola, où il fit valoir ses capacités de médecin évangélique pendant 36 ans. Sa foi et sa consécration laisseront un souvenir durable.

Promesses 1987 - 3 / No 81 - 82

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EVIAN 1938

Une initiative courageuse: en juillet 1938, Franklin Roosevelt, président des États-Unis, convoqua des représentants de toutes les nations du «monde libre» à tenir une conférence à Évian-les-Bains, en France. Le but: le sauvetage des Juifs du «Reich» allemand élargi. Pourquoi une telle conférence?

Menaces croissantes: l'année 1938 connut un accroissement effrayant de la persécution des juifs par les Nazis. Le 12 mars, l'Autriche fut annexée par Hitler; les mêmes décrets raciaux touchant les juifs allemands s'appliquèrent désormais aux juifs d'Autriche. À cette époque, la population juive en Allemagne comptait 350000 habitants et celle d'Autriche 220 000. Jusque-là, les juifs pouvaient encore quitter l'Allemagne, car la politique d'Hitler était alors l'expulsion des juifs hors du territoire allemand. Le problème était de savoir quelles nations allaient les recevoir.


Cette Sion dont personne ne se soucie

«Tous ceux qui t'aiment t'oublient, aucun ne prend souci de toi. . . Mais, tous ceux qui te dévorent seront dévorés... ceux qui te dépouillent seront dépouillés. Mais je te guérirai, je panserai tes plaies, dit le Seigneur. Car ils t'appellent la repoussée, cette Sion dont personne ne se soucie...»(Jér. 30,14-16. 17).

La conférence débuta le 6 juillet et devait durer 8 jours. 32 nations furent représentées par des diplomates du plus haut rang ambassadeurs, ministres, chargés de mission spéciaux, etc. Parmi eux se trouvait une femme nommée Golda Meyerson (Meïr), déléguée par les juifs de Palestine. Bien qu'appartenant aux premiers intéressés, on ne lui donna pas le droit de s'adresser à l'assemblée. Plus tard elle devait écrire: «À Évian je me rendis compte que le peuple juif était entièrement seul».


Les excuses 

Le Canada expliqua qu'il ne pouvait recevoir que des agriculteurs expérimentés. Les Juifs allemands et autrichiens avaient tous des professions commerciales ou intellectuelles. Le Brésil venait d'adopter une loi exigeant un certificat de baptême pour toute demande de visa. La Suisse fit savoir que, pour elle, les juifs avaient aussi peu d'utilité que pour l'Allemagne et qu'elle prenait des mesures pour se protéger d'une invasion de juifs. Le délégué d'Australie dit à la conférence: «Sans doute il sera compris que, comme nous n'avons pas de problème racial, nous n'avons aucun désir d'en importer un».

Les seuls pays qui ouvrirent leurs frontières aux juifs furent le Danemark et les Pays-Bas. Trop peu fut fait... et trop tard. Lorsque la guerre éclata en 39, ces portes furent fermées. On proposa une solution simple: chaque nation représentée accueillerait 25 000 juifs. Si seulement la moitié des pays avait été d'accord, tous les juifs du Reich auraient été sauvés. Ils ne l'ont pas été et des millions d'autres ont péri comme eux.

Vers le milieu de la conférence, les journaux rapportèrent que la plupart des délégués avaient perdu tout intérêt et s'adonnaient aux sports nautiques.

Les conséquences de cette conférence furent néfastes. Hitler avait envoyé des observateurs à Évian. À leur retour, ils rapportèrent que personne ne voulait des juifs. Les manchettes d'un journal allemand proclamèrent: À VENDRE... DES JUIFS! QUI LES VEUT? PERSONNE! Aux yeux d'Hitler, la conférence lui donnait carte blanche pour son programme, qui devait aboutir à sa «solution finale du problème juif».


Un demi-siècle plus tard

Maintenant, 50 ans plus tard, nous pouvons mesurer la grave responsabilité des nations qui ont négligé la dernière chance de sauver des centaines de milliers de juifs. L'Église, elle aussi, a sa part de responsabilité, à cause de son silence, de son manque de vigilance et de son attitude passive.

C'est ainsi qu'un petit nombre de chrétiens de différents pays a eu l'idée de marquer le 50e anniversaire de la Conférence d'Evian par un humble pèlerinage de repentance et de prière à Évian-les-Bains. Ils ont voulu représenter leurs nations pour y implorer le pardon de Dieu pour ce qui s'est passé il y a 50 ans et renouveler l'expression de leur dévouement et de leur intercession pour le peuple d'Israël.

(Avec l'aimable autorisation de l'auteur)

 

EVAIN1938 UP2 

Extrait de «Ma vie», autobiographie de Golda Meïr chez Laffont:

«Mais si la Palestine devait être interdite aux Juifs d'Europe, alors... et les autres pays? à l'été de 1938, on me dépêcha à la conférence internationale sur les réfugiés convoquée par Franklin D. Roosevelt à Évian-les-Bains. J'y assistai en qualité (risible) d'observateur juif de Palestine, assise parmi le public et non pas même parmi les délégués, bien que les réfugiés dont on parlait fussent de mon peuple, presque de ma famille et non simplement des colonnes de chiffres gênants qu'il s'agissait de glisser, si possible, dans les quotas officiels. Assise dans cette grande salle splendide, regardant les délégués de trente-deux nations se lever chacun à leur tour, et les écoutant expliquer combien ils eussent aimé pouvoir absorber un nombre substantiel de réfugiés, mais comme il était malheureux que ce fût impossible, j'ai vécu une expérience terrible. Je crois vraiment que quiconque n'a pas vécu cela ne peut comprendre mes sentiments à Évian; ce mélange de chagrin, de rage, de désillusion impuissante et d'horreur. J'aurais voulu me dresser et crier à tous ces gens: Est-ce que, véritablement, vous ne savez pas que ces statistiques cachent des êtres humains? Des gens qui vont peut-être passer le reste de leur vie dans des camps de concentration, ou à errer par le monde comme des lépreux, si vous ne les laissez pas entrer? Bien sûr, j'ignorais alors que ce qui attendait ces réfugiés dont personne ne voulait, c'étaient non pas les camps de concentration, mais les camps de la mort. L'eussé-je su que j'eusse été incapable de rester assise là en silence, heure après heure, sagement disciplinée et polie».

© Nouvelles d'Israël Janvier 1989


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FRERES ORIENTAUX OU LES GALATES Nos ancêtres les Gaulois

Les envahisseurs celtes venus de l'ouest qui, au Ille siècle avant notre ère, déferlèrent sur l'Asie Mineure, étaient des Gaulois: ceux que les Grecs appelaient «les Galates». Par deux fois, Paul rendit visite à ces «barbares»: au cours de ses second et troisième voyages missionnaires (ACTES, chap. 16, vers. 6; chap. 18, vers. 23). C'est à lui surtout, beaucoup plus qu'aux rares historiens de l'Antiquité médiocrement intéressés par leurs versatiles alliances, qu'ils doivent de n'être pas tombés dans l'oubli: selon la plus ancienne tradition, une épître leur est effectivement adressée.

Les origines et l'histoire des Gaulois d'Asie demeurent encore pour une bonne part mystérieuses. On sait qu'au IVe siècle avant J.-C. des tribus venues d'Europe occidentale déferlèrent d'abord sur l'Illyrie (aujourd'hui l'Albanie) et la Macédoine. Elles parvinrent ensuite jusqu'en Asie Mineure et ravagèrent toutes les régions de l'ouest et du centre.

Le premier monarque à leur résister fut Antiochus 1er, roi de Syrie (261-261 avantJ.-C.); il y gagna son surnom de Sôter: «le Sauveur». Les Galates s'attaquèrent ensuite au royaume d'Attale 1er, roi de Pergame (241-197avant J.-C.) qui, lui aussi, les repoussa brillamment et réussit à les confiner dans une région écartée (en Phrygie et en Cappadoce) où ils se fixèrent définitivement, et à laquelle on donna le nom de Galatie, tiré de celui de ses nouveaux habitants.

La Galatie s'étendait sur cent cinquante kilomètres environ du nord au sud, et trois cents d'est en ouest, dans une région qui, à quelques arpents près, est sans doute la plus monotone d'Asie Mineure. Les arbres y sont rares, les hivers longs, les étés brûlants. Seuls d'immenses troupeaux de moutons et de chèvres angoras peuplent ces paysages désolés. À leur arrivée, les Galates trouvèrent là une pacifique population phrygienne dont ils se rendirent rapidement maîtres malgré leur petit nombre, et constituèrent une aristocratie guerrière qui s'installa dans de gros bourgs fortifiés et y vivait entourée d'un luxe rude et barbare.

De fait, Tite-Live et Polybe décrivent ces remuants guerriers comme totalement étrangers aux raffinements de la civilisation grecque: ils combattaient tout nus, sans ordre ni tactique, armés de longues épées et de larges boucliers de bois. Leur mode de vie fruste, loin des grandes villes, préserva longtemps leurs coutumes indigènes. Ainsi saint Jérôme raconte-t-il qu'au IVe siècle de notre ère ils parlaient encore entre eux leur dialecte gaulois, même si la plupart connaissaient le grec.

Un siècle après leur installation en Asie Mineure, ces «barbares» furent défaits par les armées romaines. Ils entrèrent alors dans l'orbite des rois du Pont. Mais lorsque Mithridate VI, dit «le Grand», le plus célèbre de ceux-ci, déclara la guerre à Rome, les Galates se rangèrent aux côtés des Romains. Mithridate, furieux, organisa un raid de représailles en Galatie et massacra beaucoup de ses anciens alliés infidèles (en 86 avant notre ère). Vingt ans plus tard, Mithridate fut à son tour définitivement battu par Pompée, et Rome étendit son empire à toute l'Asie Mineure. Le peuple des Galates étant composé de trois tribus, le Romain nomma à leur tête trois tétrarques (en 64 avant J.-C.). L'un d'eux, Deiotarus, le plus puissant et le plus ambitieux, réussira bientôt par l'intrigue et le meurtre à se faire reconnaître roi par Rome.


Du petit royaume gaulois à la grande province romaine

Après sa mort, en 39, son secrétaire Amyntas lui succéda sur le trône. Bien qu'il fût allié d'Antoine à Actium, Octave-Auguste le confirma dans ses fonctions royales. Mais lorsqu'il mourut (en 25 avant notre ère), son petit royaume devint «province romaine», ainsi qu'il l'avait lui-même souhaité. Or, pour donner à ce territoire exigu une consistance administrative suffisante, Auguste va lui rattacher plusieurs régions avoisinantes: au nord, la Paphlagonie et une partie du Pont; la Phrygie à l'ouest; et au sud, la Pisidie, une partie de la Pamphylie, de la Lycaonie, de l'Isaurie et de la Cilicie. C'est cette «Galatie méridionale», où sont tracées quelques routes, et parsemée de villes d'inégale importance, telles Antioche de Pisidie, Iconium, Lystres, Derbé, où les Juifs se sont installés nombreux; Paul la parcourut dès son premier voyage (ACTES, chap. 13 à 14, vers. 19).

On verra que tous les exégètes ne sont pas d'accord sur les destinataires de la sévère épître de Paul: depuis quelques décennies, certains auteurs pensent aux «Néo-Galates» du sud, de préférence aux véritables Galates: les Celtes de la vraie «Galatie», celle du nord.

Mais si ce problème humain intéresse les historiens, la solution qu'on lui donne ne change rien à l'enseignement de l'Apôtre, «car je vous le déclare, dit-il, l'Évangile qui vous a été prêché par moi n'est pas de l'homme» (AUX GALATES, chap. 1, vers. 11): il est bien le même pour les Juifs, les «Grecs»... et les Gaulois. 

M.-C. HALPERN

© En ce temps-là, la Bible No 89


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Gibraltar

La colonie britannique qu'est Gibraltar, à la pointe sud de l'Espagne, est remarquable tant par sa situation géographique que par son extraordinaire histoire. Ce rocher, éloigné de 15 kilomètres seulement du continent africain, a toujours été l'objet de controverses entre l'Angleterre et l'Espagne. Bien que l'ONU ait reconnu les droits de ce dernier pays sur Gibraltar, les habitants de cette ville se sont unanimement prononcés, lors d'un référendum en 1967, contre leur appartenance à l'État de Franco. Il reste à espérer qu'en raison de l'amélioration des relations hispano-anglaises au sein de l'UE, Gibraltar cesse d'être un point de friction.



Les débuts de la vie juive à Gibraltar

Au 14ème Siècle après Jésus-Christ, des marchands juifs sont venus s'installer sur la péninsule rocheuse pour y établir des relations commerciales avec le Maroc. Plus tard, des immigrés séfarades en provenance d'Angleterre et de Hollande y ont installé une colonie. Un Séfarade du nom de José Cortizos a fourni des troupes à Carlos III; et un autre, Moses Ben Hattar, fut le bras droit du roi du Maroc. La ville avait besoin des Juifs pour activer le commerce; en même temps, ils lui apportèrent un esprit de liberté culturelle. En 1713, les Juifs vivant là-bas étaient au nombre de 150, lequel passa à 300 en 1717. Et ils bâtirent leur première synagogue.

Entre-temps, Gibraltar ne cessait de gagner en importance en tant que centre commercial. Des marchands d'Angleterre et de Gênes acheminaient leurs denrées au Maroc via cette ville.

La péninsule comptait 600 juifs vers le milieu du 18ème siècle: un tiers de l'ensemble de la population. Abraham Israël, un juif de Gibraltar, a écrit un recueil de poésies en langue espagnole s'intitulant «Un voyage de Gibraltar à Londres». Il y avait là deux synagogues: Shaar Hashamayim et Es Hayim. 


Les communautés juives à Gibraltar

Le 19ème siècle a connu, à son début, les guerres napoléoniennes. L'Espagne et l'Angleterre étaient alors alliées. Il y avait, parmi les membres de ladite communauté juive de Gibraltar, le consul Cardazo de Tunisie et d'Algérie, connu pour ses capacités diplomatiques. Il apportait un soutien en argent aux troupes espagnoles sous le commandement du général Ballesteros. Un autre juif de Gibraltar, Judah Benoliel, qui était consul au Maroc et en Autriche, parvint à établir un traité de paix entre le Maroc et la Sardaigne.

La communauté juive de Gibraltar croissait; et l'on construisit la belle synagogue «Nefusol Yehudah». En 1820, les juifs inaugurèrent là aussi leur 4ème synagogue appelée «Abudarham».

À la fin du 19ème siècle, les juifs de Gibraltar étaient si bien installés qu'ils se sentaient capables d'aider leurs frères dans la foi d'Afrique du Nord et de soutenir financièrement ceux d'Eretz Israël.

Au début du 20ème siècle, quelques juifs de Gibraltar allèrent chercher leur bonheur en Amérique du Sud. Pendant la Première Guerre mondiale, bon nombre de juifs combattirent sur les champs de bataille.

Lors de la guerre civile sous Franco, des milliers d'Espagnols des deux camps fuirent à Gibraltar.


La communauté juive de Gibraltar et la direction politique 

Conditionnée par son histoire, la population de Gibraltar a un caractère très particulier. Essentiellement d'origine méditerranéenne et de langue espagnole, elle ne peut dissimuler l'influence de trois siècles de domination britannique et d'un siècle et demi de culture anglaise. Le mot d'ordre politique des citoyens est: rester britannique et, en même temps, entretenir de bonnes relations avec l'Espagne.

700 juifs vivent actuellement à Gibraltar. Leur communauté, en raison de son organisation, peut être proposée comme exemple à tous les autres groupements du monde. Sa marque particulière est due à la chaleur des Séfarades marocains et au talent d'organisation britannique. Les juifs de la ville-rocher disposent de quatre synagogues, d'une école (juive), d'un home pour vieillards, «Hebra-Chadisha» et d'autres organisations d'aide.

Les citoyens juifs de Gibraltar ont, durant ce siècle, nettement marqué l'image politique, économique et culturelle de l'endroit. Ainsi, l'un d'eux, Sir Joshua Hassan, a été le chef de Gibraltar durant 40 ans. Nous citerons quelques autres célèbres personnages de la péninsule: le maire Samuel Serfaty; Samuel Benady, doyen du barreau; Salomon Seruya, à la fois président de la chambre de commerce et ministre du Tourisme et de l'Économie. 

Gibraltar compte aujourd'hui 30.000 habitants, dont 20.000 sont nés là 6.000 sont des immigrés britanniques et le reste est venu principalement du Maroc. Caractéristique de l'endroit: la cohabitation parfaitement harmonieuse des catholiques, des protestants, des musulmans, des Hindous et des juifs sur un petit territoire.

LE PROFESSEUR MARK ZONIS

© Nouvelles d'Israël 05 / 1999


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LES JUIFS A ... Curaçao

En 1492, les rois d'Espagne ordonnèrent l'expulsion des juifs de ce pays. Indescriptible fut l'affliction de ces gens. Certains de ces bannis s'enfuirent au Portugal, d'où ils furent, plus tard, également chassés. D'autres cherchèrent une nouvelle patrie en Afrique du Nord, en Italie ou en Turquie. 

Quand les Caraïbes furent gouvernées par une minorité blanche (Espagnols, Néerlandais, Britanniques, Français et Danois), les premiers juifs arrivèrent en 1651 à Curaçao en provenance d'Amsterdam. 

La vieille communauté sépharade de Curaçao se composait de descendants de ces juifs espagnols et portugais, qui, aux 17ème et 18ème siècles, avaient immigré dans l'île via l'Italie, la Hollande et le Brésil. La libération des esclaves et l'introduction des bateaux à vapeur desservirent l'économie de Curaçao. Des centaines de membres de la vieille communauté sépharade allèrent alors s'installer au Panama, à Caracas, en Colombie et à Costa Rica. À partir du 19ème siècle, l'influence nord-américaine s'étendit, ce qui eut pour conséquence que des juifs askhénase vinrent s'établir là soit via les USA soit directement d'Europe orientale. Ces derniers parlaient et parlent encore le yiddish et le polonais. Après la prise du pouvoir par Hitler, des réfugiés s'amenèrent en provenance de l'Allemagne national-socialiste.



La capitale 

Willemstad est la capitale de l'important archipel néerlandais. Elle compte 250.000habitants: essentiellement des Noirs, des mulâtres, des métis, mais aussi des Européens et des Asiates. La langue utilisée est le néerlandais, mais il est également fait usage du papiamento, un dialecte fait d'éléments linguistiques néerlandais, indiens et africains. 



La synagogue Mikve lsraël-Emanuel et le musée 

La plus ancienne synagogue, servant encore, de l'île de Curaçao se trouve dans la rue Colomb dans le centre de Willemstad. Construite dans les années 1730-1732 par Pieter Rogenburg, elle fut inaugurée en avril 1732. 

On suppose que c'est en 1634 déjà que le premier Juif, Samuel Cohen, est venu à Curaçao. 17 ans plus tard, une communauté juive de 50 personnes y arriva également en provenance d'Amsterdam. Elles organisèrent l'assemblée sur le modèle de la communauté portugaise-israélienne d'Amsterdam. 

Aujourd'hui, la plupart des visiteurs entrent dans la cour intérieure par une quatrième voie d'accès faite de dalles grises et blanches. On accède au choeur et à l'orgue par deux escaliers. 

Remarquables aussi sont les quatre très beaux lustres en cuivre suspendus au plafond, avec leurs 24 bougies. Pendant les jours de fête, ils répandent une fort agréable lumière. Quatre colonnes blanches portent, en hébreu, les noms des quatre fondateurs de la synagogue. Au milieu de cet édifice se trouve la chaire, où les rabbins tiennent leur service religieux et où les chantres se produisent. Il y a, au côté est, un meuble contenant des rouleaux de prières joliment ornés et dans lesquels sont gravés les mots hébreux «Mikve» et «Israël». L'orgue sur le balcon date de 1866. Cet instrument a été fabriqué à Amsterdam. 

À Curaçao, on observe toutes les fêtes juives mentionnées dans la Thora; elles sont célébrées actuellement par le rabbin Yossi Feintuch. La communauté juive de Willemstad compte présentement environ 400 membres. 

À proximité de la synagogue se trouve un musée, où sont exposés bon nombre des plus beaux objets culturels juifs du monde. Il a été ouvert en novembre 1970. Il y a là également une exposition d'objets intéressants et peu communs, qui jettent un éclairage sur la culture et l'histoire de la communauté juive locale. 

Le musée et la synagogue, rénovés récemment, peuvent être visités.



Beth-Haim 

C'est à Curaçao que nous trouvons le plus ancien cimetière juif du monde occidental. Il date de la deuxième moitié du 17ème siècle, et il abrite de nombreux sépulcres en marbre. On peut y voir, datant de 1662, une pierre tombale fort bien entretenue et portant cette inscription «Jud Nunes da Fonseca». Le cimetière appartient à la communauté Mikve Israël; il compte plus de 5000 tombes. 

Les dalles posées sur les tombes sont particulièrement intéressantes. Elles constituent de merveilleux exemples de l'art funéraire sépharade avec des figures bibliques, pour lesquelles l'artiste s'est inspiré du nom du défunt. La fumée d'une raffinerie de pétrole toute proche a cependant altéré plusieurs de ces dalles funéraires. Une institution à Curaçao a fait des reproductions de quelques-unes de ces très belles réalisations; elles peuvent maintenant être admirées à l'entrée du musée juif. 


Curaçao au 20ème siècle 

Ce n'est qu'en 1954 que Curaçao est devenue autonome avec quatre autres îles des Antilles néerlandaises. Une grande partie du commerce se trouve aujourd'hui encore entre les mains juives. Malgré cela, ces dernières décennies, de nombreux jeunes Juifs ont quitté l'île. Curaçao est un creuset de pas moins de quarante groupes de population, qui ont leurs racines dans un passé juif, portugais, néerlandais, africain et sud-américain.


© Nouvelles d'Israël Décembre 1999


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Le Juif a-t-il toujours été commerçant?

En réalité, Eretz-Israël n'a jamais été un paradis. Si prospérité il y a, si le sol produit du blé, de l'orge, du raisin, des olives, des dattes et d'autres fruits pour assurer la nourriture, c'est grâce au dur labeur de la population. La culture du lin était très répandue dans ce pays. Les femmes de Galilée savaient faire le tissage et la confection d'habits en lin, alors que la spécialité des femmes de Judée était les tissus de laine. En 174 ap. J.-C., Pausanias louait encore la qualité et la pureté du Byssus judaïque. La particularité du sable de Galilée permettait la fabrication du verre. Hébron et ses environs formaient un célèbre centre de poterie. La Mer Morte fournissait de l'asphalte et du sel. Cependant le blé, le vin et l'huile constituaient les vraies richesses du pays – telles qu'elles figuraient comme symbole sur certaines pièces de monnaie. L'huile d'olives remplaçait le beurre et la graisse.

Quand l'année était bonne, de grandes quantités de blé et d'orge se trouvaient sur les marches de Sepphoris, Tiberias et Ashkalon. En ce qui concerne l'exportation, elle était mal vue puisque les récoltes déficitaires exigeaient certaines réserves. En outre, la taxe à l'exportation pesait sur les prix. En effet, si l'impôt à l'exportation se limitait à 1/8e, les taux de taxe furent souvent fixés de façon arbitraire. En ce qui concerne l'importation, elle comprenait tous les métaux qui manquaient au pays: or, argent, fer, plomb et zinc.

Malgré ce trafic de marchandises, la position du commerçant ne jouait pas un grand rôle aux temps bibliques. Cependant, en dépit de cela, on qualifie le Juif d'éternel commerçant. Dans la littérature biblique, le mot «Kenaani» (Cananéen) signifie aussi commerçant. Or la Bible ne parle pratiquement jamais du commerçant juif. Malgré leur proximité, les villes portuaires des Philistins et des Phéniciens n'exerçaient pas d'attrait sur les Juifs. Plus tard seulement, lors de la Diaspora, principalement en Egypte et en Grèce, la structure professionnelle des Juifs se modifia. On entendit alors parler de banquiers effectuant des opérations financières avec des souverains. Lorsque les gens d'Hérode habitant en Israël voulaient emprunter de l'argent, ils devaient se rendre à Alexandrie, car il n'y avait ni changes ni courtiers à Jérusalem.

Les chefs du peuple refusèrent le négoce jusqu'aux derniers moments du peuplement juif en Eretz Israël. Ainsi, se référant à la Bible, Rabbi Eleasar (2e siècle) attribua à l'agriculture la première importance parmi les activités du peuple. Alors qu'il se promenait à travers les champs d'orge mûrs pour la moisson, il s'exclama: «C'est vrai, la fertilité des champs pourrait rapporter davantage à l'économie en faisant du trafic. Cependant semez sans faire du commerce! Même si apparemment vous ne ferez jamais fortune, la bénédiction reposera finalement quand même sur l'agriculture». Dans son petit livre «Contre Apion», Josèphe Flavius Mer siècle) écrit: «Nous, Juifs, ne trouvons aucun plaisir à faire du commerce, ni à favoriser par lui les relations avec les étrangers – notre occupation principale consiste à travailler notre terre merveilleusement labourable». Le peuple qui, plus tard, fut si intensément impliqué dans le capitalisme n'avait, à l'origine, rien d'un organisme commercial ayant le but de développer le système monétaire, L'intervention de Jésus dans le trafic des vendeurs sur la Place du Temple (Mat. 21), indique une influence inhabituelle des Juifs de la Diaspora en Israël. Par cet épisode nous voyons combien, au temps de la Bible, le commerce était peu considéré en Israël. Ce n'est qu'après la dispersion des Juifs que leur image changea, puisque les pays dans lesquels ils vivaient leur interdisaient l'acquisition de terres ou l'exercice de leur profession. Au Moyen Âge, la création de corporations aggrava leur situation. En effet toutes les portes professionnelles étaient fermées aux Juifs et tout accès aux corporations interdit; il ne leur restait que le commerce. C'est ainsi que, tout au long des siècles, le monde les força au trafic monétaire. À cela s'ajoutaient les continuelles persécutions et expulsions des Juifs qui, finalement, préféraient placer leurs économies dans des valeurs comme l'or ou le diamant, plutôt que dans des propriétés de terrains.

Des noms juifs tels que Rothschild, Wertheim, Tietz ou Fürstenberg étaient tellement liés au monde des finances que bientôt, dans l'opinion publique, tous les Juifs étaient considérés comme de «riches Rothschild». Or dans tout cela le courtier juif se trouvait souvent dans des situations douloureuses. En effet, alors que d'habitude tout débiteur doit répondre de sa dette, on mettait la dette sur le dos du créancier. Pratiquement, on chassait tout simplement le Juif afin d'être dégagé de tout engagement par contrat. C'est paradoxal mais vrai: ces mêmes non-Juifs qui avaient contraint leurs concitoyens juifs au trafic commercial en leur interdisant les métiers d'artisans, insultaient plus tard les Juifs, les traitant de «commerçants éternels» ou d'«âmes mercantiles».

Mais ensuite, après avoir échappé à la pression de la Diaspora et après être revenus au pays de leurs pères, ils redécouvrirent bien vite leur véritable vocation: l'agriculture et l'artisanat. Aussi, en très peu de temps, le désert fut transformé en jardin florissant et les montagnes dénudées en forêts verdoyantes. À présent, on entend un slogan en Israël dont le vrai sens rappelle les normes du temps de la Bible: «Dans la Diaspora, les Juifs étaient bons commerçants et mauvais paysans; de retour à la maison, en Israël, ils sont mauvais commerçants et bons paysans!»

© Nouvelles d'Israël Novembre 1988


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LES JUIFS DE ROME au début de l'ère chrétienne

Lorsque Paul arrivera à Rome trois ans après avoir adressé aux chrétiens de 18 Villes l'épître qu'on lire dans les pages qui suivent, une de ses premières initiatives sera de réunir «les principaux d'entre les Juifs» pour tenter de «les convaincre» (ACTES, chap. 28, vers. 17 et suiv.). En vain d'ailleurs. Si le judaïsme, là comme partout, avait préparé le terrain au christianisme, et si l'Évangile y avait sans doute été prêché d'abord dans les synagogues, il semble que celles-ci se soient alors formées à l'influence de l'Apôtre. Qui étaient ces Juifs romains dont la plupart se révélèrent si farouchement attachés à la tradition? M. Marcel Simon, directeur du Centre de recherche d'histoire des religions de l'université de Strasbourg, les a présentés dans la Bible et Terre sainte» qui a bien voulu faire bénéficier nos lecteurs de ce compétent exposé. 

Les Actes des apôtres rapportent que Saint Paul rencontra, à Corinthe, un Juif, apparemment converti, nommé Aquila, arrivé d'Italie avec sa femme Priscille, à la suite d'une mesure d'expulsion prise par l'empereur Claude contre les Juifs de Rome (ACTES, 18, 2). Mais il s'y heurta aussi à une opposition juive résolue, et face aux païens, à une concurrence tenace. Si, comme il y a lieu de le croire, la mesure mentionnée par les Actes est celle-là même que mentionne également Suétone, elle est en rapport direct avec les débuts de la mission chrétienne à Rome, et avec les troubles qu'elle suscita parmi les Juifs: c'est parce qu'ils s'agitaient «impulsore Chresto», à l'instigation de Chrestus – probablement le Christ, pris par Suétone pour un personnage encore vivant, – que l'empereur fui amené à prendre des sanctions, sans apparemment se préoccuper plus que son biographe de savoir de quoi il s'agissait exactement, et de faire la discrimination entre juifs et judéo-chrétiens. 

La communauté juive de Rome comptait parmi les plus importantes de la Diaspora. Celle d'Alexandrie la dépassait, et de très loin, et sans doute aussi celle d'Antioche. En revanche, en Occident, Carthage seule pouvait rivaliser avec elle. Nous ne disposons d'aucun chiffre précis, mais les historiens s'accordent en général pour estimer à plusieurs dizaines de milliers les Juifs de la capitale aux débuts de l'Empire. Les origines lointaines, mais certainement modestes, de cette immigration, remontent peut-être au (...) siècle avant J.-C. Mais le premier noyau vraiment important de la communauté juive de Rome est constitué de prisonniers de guerre ramenés par Pompée en 61 à la suite de sa campagne en Palestine et vendus comme esclaves.


Beaucoup d'entre eux furent ensuite affranchis. En 59 av. J.-C., deux ans à peine après le triomphe de Pompée, Cicéron laisse entendre, dans un de ses discours, que les Juifs représentaient déjà un élément de poids dans la capitale par leur nombre, mais aussi, semble-t-il, du fait qu'il y avait parmi eux au moins quelques individus riches et influents. 

De fait, au début de l'Empire, des Juifs sont présents et leur propagande s'exerce jusque dans les milieux de l'aristocratie: Horace en est le témoin amusé, et un peu agacé, à l'époque d'Auguste. Aquila, déjà nommé, était un bourgeois fort aisé. Poppée, la concubine de Néron, était judaïsante, selon le témoignage de l'historien juif Flavius Josèphe, lui-même très lié avec Vespasien et Titus, et qui vécut à Rome, dans leur entourage et sous leur protection, après la catastrophe palestinienne de 70 ap. J.-C. Il est possible que les principales victimes que fit, dans l'aristocratie romaine, la persécution de Domitien aient été des prosélytes juifs, ou des sympathisants, plutôt que des convertis au christianisme. 



Pour la plupart des affranchis ou des esclaves 

Il reste néanmoins que, considéré d'ensemble, le judaïsme romain représente surtout des couches sociales assez modestes. Un nouvel afflux de prisonniers amenés de Palestine par Titus en 70, et dont beaucoup sans doute furent ultérieurement affranchis, n'a pu qu'accentuer ce caractère. Martial et Juvénal parlent avec mépris de ces Juifs «dressés par leur mère à mendier» et «dont un panier et du foin composent tout le mobilier», et des Juives qui, pour quelque menue monnaie, disent la bonne aventure au coin des rues: de telles images évoquent pour nous celle des Tziganes ou des colporteurs nord-africains. 

Sans doute, ce que dit un satiriste ne doit pas toujours être pris pour argent comptant. En fait, cependant, les quartiers juifs, Subure, Champ de Mars, et surtout Transtévère, comptaient parmi les plus populeux de la Rome antique. Et le témoignage des catacombes juives confirme pour l'essentiel celui des poètes latins. Des milliers de tombes s'y présentent comme de simples loculi, parfois dénués de toute inscription. Lorsqu'ils comportent une épitaphe, c'est souvent un de ces graffiti tracés d'une main maladroite sur le stuc ou sur un bout de marbre réemployé. La syntaxe et l'orthographe en sont également hésitantes. Tout cela suppose un public de petites gens, artisans ou modestes boutiquiers pour la plupart. Il y a cependant quelques exceptions: la présence de quelques beaux sarcophages, les fresques qui décorent certaines chambres funéraires témoignent chez les usagers d'une aisance assez considérable. 

Des trois principales catacombes juives de Rome, celle de Monteverde semble avoir été en usage le plus anciennement – peut-être déjà avant le début de l'ère chrétienne – et le resta au moins jusqu'à la fin du IIIe siècle. Celles de la Via Appia et de la Via Nomentana datent peut-être du le, siècle ap. J.-C. Encore que les proportions varient d'une catacombe à l'autre, le grec l'emporte partout sur le latin, et de beaucoup, dans les épitaphes: plus de 75 % des inscriptions juives de Rome sont grecques. Même dans la catacombe de la Via Appia, la plus romanisée, le latin ne représente encore que 36 %. Comme elle est peut-être la plus récente, on serait tenté de conclure à une latinisation progressive, et très lente, sous l'influence du milieu ambiant. 

Quoi qu'il en soit, le judaïsme, comme toutes les communautés religieuses venues de l'Est, qu'il s'agisse des cultes à mystères païens ou de l'Église à ses débuts, paraît être resté longtemps fidèle, même dans la capitale, pour l'usage quotidien et liturgique la langue qu'il avait d'abord parlée dans Diaspora orientale. L'hébreu n'est que très maigrement représenté dans les catacombes et s'y réduit pour l'essentiel à quelques «schalom» stéréotypés. Sans doute n'y a-t-il rien de plus à en tirer, touchant les connaissances linguistiques des usagers, que des «requiescat in pace» qui ornent parfois aujourd'hui les tombes catholiques.



Le judaïsme romain: «religio licite» 

Mis à part peut-être quelques rabbins, les Juifs de Rome étaient sans doute incapables, comme dans le reste de la Diaspora, de parier, voire de comprendre la langue biblique et même l'araméen. Le culte synagogal se célébrait, selon toute apparence, dans la langue usuelle, en grec le plus souvent. 

C'était là, du reste, une condition presque indispensable pour gagner ces prosélytes dont il est fait plusieurs fois mention dans les épitaphes. Et nous savons que la mission juive, entraînent des conversions, totales ou partielles, dont il est impossible de préciser ou d'évaluer le chiffre, est restée active jusqu'assez avant dans l'époque impériale. 

Le judaïsme romain était organisé en communautés autonomes, ayant chacune son lieu de culte. Le terme de synagogue désigne à la fois les deux choses, celui, plus rarement employé à Rome, de pfosoitchè s'applique exclusivement à l'édifice cultuel. Onze de ces synagogues ont pu être identifiées avec certitude d'après les inscriptions, mais elles n'ont laissé aucun vestige d'ordre archéologique (sauf à proximité de Rome, à Ostie). 

Sans doute y en avait-il d'autres encore, nous sommes assez bien renseignés sur leur organisation, qui paraît avoir été assez uniforme: les mêmes titres reparaissent sur de nombreuses épitaphes. L'on a beaucoup discuté pour savoir si une sorte de grand conseil, groupant les délégués des diverses synagogues, se superposait, comme à Alexandrie par exemple, à leurs organismes propres et représentait l'ensemble du judaïsme romain auprès de l'autorité civile, qui, en tout état de cause, garantissait aux Juifs, à Rome comme ailleurs, le statut de religio licita octroyé par César et resté en vigueur jusqu'à la victoire de l'Église. 

Aucune preuve décisive n'a été fournie, dans un sens ou dans l'autre. L'hypothèse d'une autonomie absolue des diverses communautés reste cependant la plus vraisemblable. Le terme de gérousie, fréquent sur les épitaphes, semble désigner le «conseil presbytéral» d'une synagogue particulière, plutôt qu'une instance commune à tout le judaïsme romain. L'archisynagogos souvent mentionné cumulait peut-être les fonctions cultuelles et enseignantes d'un rabbin et les fonctions administratives d'un président de communauté. 

Sur les caractères de la vie religieuse juive à Rome, nous en sommes réduits à des hypothèses. Cependant, tout bien considéré, il apparaît que le judaïsme romain des premiers siècles ne se différenciait pas fondamentalement du judaïsme rabbinique de type pharisien qui a assuré, après 70, la survie de la Synagogue. 

MarceI SIMON

© En ce temps-là, la Bible No 87


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Les Juifs russes sans âme russe

Dès les derniers siècles avant notre ère, des Juifs atteignirent, en même que les colonisateurs grecs, les fleuves russes Dniestr, Dniepr, Bug et Don, où ils fondèrent des établissements commerciaux. On trouve, sur des tombes remontant à 2000 ans, des noms écrits en hébreu ainsi que des images de chandeliers à sept branches et de chofars. Leur influence dans le secteur commercial, mais aussi dans le domaine culturel et religieux, semble avoir été relativement importante car, en 730, l'ensemble du peuple khazar, ainsi que ses chefs, se convertirent au judaïsme, qui se développa ensuite dans le royaume homonyme, qui devint riche et puissant.

Malgré 2000 ans en tant que partenaires actifs de l'histoire de la Russie, les Juifs n'y ont jamais renoncé à leur identité, et demeurèrent toujours un corps étranger au sein du corps ethnique russe, sous les tsars comme sous les révolutionnaires. Les religions et les formes de société allèrent et vinrent, mais les Juifs sont demeurés Juifs: ni les persécutions ni les succès ne réussirent à leur faire changer leur âme juive contre une âme russe. Souvent les Juifs russes furent les précurseurs des changements politiques et sociaux en Russie: ils changèrent la Russie, mais eux-mêmes restèrent Juifs dans l'âme et le coeur.

Cette fidélité des Juifs envers eux-mêmes leur valut, entre autres, des pogroms régulièrement répétés, car les Russes eux aussi n'ont jamais accepté ce corps étranger juif; aussi la Russie fit-elle office, jusqu'à nos jours, de simple «dépôt» pour les Juifs, jusqu'à ce que les premiers Juifs vinssent de Russie en Eretz Israël, en tant qu'élite sioniste, en vue de créer dans la Terre promise l'État juif. Et maintenant, c’est la masse des Juifs russes qui affluent en Israël.

Après 70 années d'expérimentation, le communisme, suscité entre autres par les Juifs Marx et Trotsky, n'a pas réussi à se créer un nid dans l'âme russe. Ainsi, malgré la carotte et le bâton, le bolchevisme n'est-il pas arrivé à chasser l'orthodoxie de l'âme du peuple russe, tout comme l'orthodoxie russe n'a pas réussi à éteindre le judaïsme chez les Juifs du pays.

Dostoïevsky, le connaisseur de l'essence russe, écrivait: «Le peuple russe vit entièrement dans l'orthodoxie et dans l'idée. Hors de l'orthodoxie, il n'existe rien en lui, il n'a rien et il n'a non plus besoin de rien, car l'orthodoxie est tout. Celui qui ne comprend pas l'orthodoxie ne comprendra jamais non plus l'âme russe. Oui, et pas seulement cela: il ne pourra jamais non plus aimer le peuple russe. Et, d'autre part, le peuple russe ne reconnaîtra jamais un tel homme comme lui appartenant: si tu n'aimes pas ce que j'aime, si tu ne crois pas en ce en quoi je crois, et si tu n'honores pas mon sanctuaire, alors, tu n'es pas mon frère. Celui qui veut voir les choses autrement, le peuple l'écoutera tranquillement, et le remerciera même pour sa science et ses conseils. Mais il ne le reconnaîtrait pas en tant que son semblable, il ne lui tendra pas les mains et il lui donnera encore moins son coeur».

Cette attitude typiquement russe a fait que les Juifs vivant depuis 2000 ans au milieu d'eux sont toujours demeurés des étrangers. Même Lénine, après 70 ans, a désormais échoué dans cela! Bien que le bolchevisme ait remplacé Dieu par l'homme et créé un «homme-Dieu», en vue de s'acquérir de cette manière l'âme russe, le «culte léniniste» n'est demeuré, pour la population, qu'un simple remplaçant provisoire de Dieu. À beaucoup de points de vue, le bolchevisme est donc à considérer comme l'incarnation politique de l'ancienne espérance russe en l'arrivée du Royaume de Mille Ans. Tous les enseignements, si laborieusement élaborés, du matérialisme scientifique, de la dialectique et de l'idéologie pseudo-marxiste ne servent en définitive qu'à la tentative de voiler les fondements sectaires religieux de la doctrine bolchevique du salut. L'ensemble de l'appareil doctrinal bolchevique servait le rêve de fonder un «Paradis sur Terre», qui aurait dû être atteint, une fois abattue la hiérarchie ecclésiastique, au moyen du remplacement de Dieu par l'homme. Ici aussi le bolchevisme s'est servi de la dogmatique chrétienne selon laquelle Dieu se fait homme en vue de racheter l'homme. À ceci, les Juifs n'ont plus pu s'associer, et ils sont de nouveau restés à l'écart.

L'homme Lénine est le substitut bolchevique de la divinité son sarcophage, sur la Place Rouge, est le lieu de pèlerinage. Dans l'organisation et la technique, associées au développement collectiviste, le peuple a discerné des idées et des dogmes religieux. Les éléments du marxisme ont ainsi été implantés à des fins bien déterminées dans un compartiment bien précis de la conscience russe: Le «coin aux icônes» de son coeur-cerveau de croyant. Ainsi les objets les plus simples de la technique sont-ils devenus les ustensiles sacrés du culte et les fétiches du progrès du bolchevique orthodoxe. L'«Imitation de Jésus-Christ» a été offerte au peuple sous sa forme transformée d'«Imitation de la technique». 

C'est seulement compte tenu de cette toile de fond qu'on peut également comprendre la faculté de supporter la terreur stalinienne. La «katorga» russe en tant qu'institution pénale remplaçait ainsi les mortifications que s'infligeaient les sains, transformant de douloureuses prisons en autant de saints cloîtres, les mouchards de l'Okhrana tsariste devenant la Tchéka communiste. L'histoire russe apparaît évoluer selon la terrifiante loi du «retour éternel». L'homme russe atteint une libération toujours renouvelée, pour s'aménager immédiatement sa nouvelle prison dans le cadre de la nouvelle forme de société. Libération et oppression, en Russie, sont indissolublement liées. Ainsi la doctrine léniniste du salut telle que la conçut Lénine était-elle vouée dès le départ à l'échec: Lénine, en tant que Dieu, est mort! 70 ans d'erreur appartiennent désormais au passé! Tondis que les chrétiens russes entrent désormais dans une nouvelle ère russe, les Juifs retournent en Israël, où, enfin, leur âme ne sera plus étrangère.

© Nouvelles d'Israël Mai 1990


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