LA COMPASSION
DE DIEU
POUR
LE CHRÉTIEN INCONVERTI
ADOLPH. MONOD
1866
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« Dis-leur : je suis
vivant, dit le Seigneur l'Éternel, que je ne
prends point plaisir à la mort du
méchant, mais plutôt à ce que
le méchant se détourne de sa voie et
qu'il vive. Détournez-vous,
détournez-vous de votre méchante
voie ; et pourquoi mourriez-vous, ô
maison d'Israël ? »
(Ezéchiel XXXIII, 11)
Pour bien entrer dans l'esprit de ces paroles, il
est nécessaire de connaître le
caractère des hommes auxquels elles sont
adressées. Ceux à qui elles
étaient premièrement destinées
et qui les ont entendues de leurs oreilles,
c'étaient des Israélites
inconvertis ; des Israélites, puisque
le Seigneur les appelle « la maison
d'Israël ; » mais des
Israélites inconvertis. puisqu'il les
exhorte à « se détourner de
leur méchante voie. »
Ils étalent Israélites : issus
de cette race élue avec laquelle Dieu avait
fait alliance, et qui annonçait le Messie au
monde en attendant qu'elle le lui donnât, ils
étaient à portée d'entendre,
depuis leur naissance, la bonne nouvelle de la
rémission des péchés ;
ils avaient reçu, dès le
huitième jour de leur vie, la circoncision,
ce « sceau de la justice de la
foi ; » ils
célébraient, chaque année,
cette Pâque de l'Éternel qui
préfigurait le grand sacrifice de la
croix ; ils lisaient la parole du salut dans
le livre de la loi, ils l'entendaient de la bouche
des prophètes ; naissance,
éducation, culte, prédication,
sacrements, rien ne leur manquait au-dehors.
Mais au dedans, ils portaient un coeur
inconverti : ils n'étaient point
entrés dans l'esprit de cette
alliance ; ils n'avaient point pressenti dans
ce Messie l'Agneau de Dieu ; ils n'avaient
point répondu à ces appels de la
grâce ; ils n'avaient point cru à
cette « justice de la
foi ; » ils n'avaient point
renoncé à leurs
péchés ; ils n'étaient
point devenus des hommes nouveaux ; et s'ils
différaient des païens par leurs
privilèges, ils ne différaient pas
moins des Israélites pieux par leur
impénitence.
C'étaient là les premiers objets de
l'apostrophe de Dieu dans notre texte ; mais
ce n'étaient pas les seuls. Dieu, qui parle
pour les siècles, avait en vue, outre les
Israélites inconvertis, les hommes qui, dans
d'autres temps et sous une autre économie,
présenteraient le même
caractère et allieraient comme eux la
profession de la vérité avec
l'inconversion du coeur : ces hommes qui
invoquent le nom de Jésus-Christ ; qui
ont été baptisés, dès
leur entrée dans le monde, au nom du
Père, du Fils et du Saint-Esprit ;
- qui prennent part à la sainte Cène
en mémoire de Jésus-Christ
crucifié pour nos
péchés ;
- qui lisent la Parole de Dieu, et qui
fréquentent assidûment la
prédication de l'Évangile ;
- mais qui n'ont pas reçu un coeur nouveau
et un esprit nouveau ;
- qui n'ont pas une foi vivante et agissante par
les bonnes oeuvres ;
- et qui, s'ils diffèrent des
incrédules par leur profession, ne
diffèrent pas moins des enfants de Dieu par
leurs dispositions et par leur vie ;
- membres de l'Église de
Jésus-Christ, mais non de son corps ;
baptisés d'eau, mais non du
Saint-Esprit ; chrétiens, mais
chrétiens inconvertis.
Ces hommes, vous les voyez partout : ils
abondent dans toutes les communions
chrétiennes ; ils peuplent nos villes
et nos campagnes ; ils remplissent nos
églises, et forment vraisemblablement la
plus grande partie de l'assemblée qui est
devant mes yeux.
C'est à eux aussi que s'adressent, et c'est
à eux spécialement que j'applique
aujourd'hui ces paroles sorties de la bouche de
Dieu : « Je suis vivant, que je ne
prends point plaisir à la mort du
méchant, mais plutôt à ce que
le méchant se détourne de sa voie et
qu'il vive. Détournez-vous,
détournez-vous de votre méchante
voie ; et pourquoi mourriez-vous, ô
maison d'Israël ? »
Quelles paroles ! Je ne sais, mes
frères, si elles vous saisissent comme
moi : mais cet endroit de l'Écriture
est parmi ceux qui parlent le plus vivement
à mon coeur. Le caractère qui le
distingue, l'esprit qui le pénètre de
part en part, c'est la compassion de Dieu pour les
membres inconvertis de l'Église.
Ailleurs, on le voit accablant de tels hommes du
double poids de son mépris et de sa
colère ; tantôt les comparant
à une eau tiède qu'un homme vomit de
sa bouche, ou à de vils animaux qui se
vautrent dans la fange ; tantôt ouvrant
l'enfer sous leurs pieds, et leur y montrant les
supplices les plus rigoureux choisis pour ceux qui,
« ayant connu la voie de la justice, se
sont détournés du saint commandement
qui leur avait été donné
(2 Pierre II, 21) »
C'est pour eux qu'il réserve tout ce que la
langue énergique des prophètes a
d'indignation plus vigoureuse et de reproches plus
atterrants : « Écoutez,
cieux ; et toi, terre, prête
l'oreille ! Car l'Éternel parle :
J'ai nourri des enfants ; je les ai
élevés ; mais ils se sont
rebellés contre moi. Le boeuf connaît
son possesseur, et l'âne, la crèche de
son maître ; mais Israël est sans
connaissance ; mon peuple est sans
intelligence...
Qu'ai-je à faire de la multitude de vos
sacrifices ? Mon âme hait vos nouvelles
lunes et vos fêtes solennelles ; elles
me sont fâcheuses, je suis las de les
supporter...
(Esaïe I, 2-14) »
Mais ici c'est un tout autre langage : la
compassion de Dieu y paraît toute seule. Sa
loi violée, sa majesté
outragée, l'énormité du
péché, ce n'est pas ce qui
l'occupe : ce qui l'occupe, ce qui absorbe
toute son attention, c'est la misère des
membres inconvertis de l'Église. Il n'en
peut soutenir la vue ; ses entrailles
s'émeuvent au-dedans de lui : il
s'écrie, il descend de son trône, il
se tient devant le pécheur, il le prend
à témoin de la sollicitude de son
Dieu, il le conjure d'avoir aussi pitié de
lui-même et de se convertir :
« Je suis vivant, que je ne prends point
plaisir à la mort du méchant, mais
plutôt à ce que le méchant se
détourne de sa voie et qu'il vive.
Détournez-vous, détournez-vous de
votre méchante voie ; et pourquoi
mourriez-vous, ô maison
d'Israël ? »
Mais contemplons de plus près cette
compassion de Dieu, et les avertissements qu'elle
nous donne. La compassion de Dieu, si tendrement
exprimée dans mon texte, renferme deux
instructions également salutaires pour le
chrétien inconverti : car elle lui
donne à connaître premièrement,
combien il est misérable aux yeux de
Dieu ; et secondement, combien Dieu est
favorable à sa conversion ; et par
là elle ôte les deux plus formidables
obstacles que l'ennemi de notre salut oppose
à notre conversion, en cherchant à
nous persuader d'abord que nous ne sommes pas aussi
misérables qu'on nous le dit, et ensuite que
nous ne pouvons pas être assurés que
Dieu veuille notre conversion. Ces deux
instructions feront le sujet de deux discours.
PREMIER SERMON
La compassion de Dieu pour le chrétien
inconverti nous révèle combien un tel
homme est misérable. Car Dieu ne ressemble
point dans ses compassions à l'homme, dont
les sentiments peuvent être faux ou du moins
exagérés : Dieu est parfaitement
vrai, et parfaitement exact dans tout ce qu'il
éprouve ; il ne s'émeut que
quand il y a sujet de s'émouvoir, et il ne
s'émeut aussi que précisément
jusqu'au degré qu'il y a sujet de
s'émouvoir.
Cessez donc, ô membres inconvertis de
l'Église, de vous flatter de la
pensée que l'on vous connaît mal, que
l'on rêve pour vous des maux imaginaires ou
qu'on exagère vos maux réels. Celui
qui vous crie :
« Détournez-vous,
détournez-vous de votre méchante
voie, et pourquoi mourriez-vous ? »
ce n'est pas un homme, c'est Dieu.
Sa compassion vous est une marque certaine que vous
êtes misérables ; et, en
même temps, le degré de sa compassion
vous est une mesure exacte de votre
misère.
Mesurez donc, si vous le pouvez, ce qu'il y a de
compassion dans les paroles de mon texte, et vous
connaîtrez ce qu'il y a en vous de
misère ; ou, si vous êtes
contraints de reconnaître que la compassion
ici exprimée est infinie et sans mesure,
reconnaissez aussi que votre misère, est
infinie et sans mesure.
Mais qu'y a-t-il donc en vous qui inspire à
Dieu une compassion si profonde ? C'est encore
Dieu qui vous en instruira. Sa Parole
développe ailleurs la déclaration
générale qu'elle fait ici de votre
misère, et vous en expose les traits tes
plus saillants.
Et d'abord, le premier trait, le fond et la cause
de toute votre misère, c'est le
péché ; vous êtes
misérables, parcs que vous êtes
pécheurs. Vous êtes pécheurs,
et vous en convenez : il y aurait folie
à le nier. Mais vous en convenez en termes
et d'un ton qui font voir que vous en prenez votre
parti, comme d'une faiblesse inhérente
à la nature humaine. Nous ne sommes pas
exempts de péché, sans doute ;
personne n'est exempt de péché ;
hommes, nous participons aux faiblesses de
l'humanité.
À ce langage, on reconnaît facilement
que vous n'avez jamais considéré le
péché sous son vrai jour, et que vous
n'en avez connu, ni toute l'énormité,
ni ce que je veux surtout rappeler ici, toute
l'amertume.
Savez-vous ce que c'est que le
péché ?
Pensez-y : entrez dans cette question, et
allez jusqu'au fond. Le péché, cette
disposition qui vous est si familière que
vous en parlez comme d'un trait de votre
nature ; le péché, dans lequel
vous vivez, vous vous mouvez, vous respirez,
savez-vous bien ce que c'est ?
Dieu va vous le dire. L'Écriture le
définit ainsi : « Le
péché est la transgression de la loi
(1 Jean III, 4)
(1). »
Transgression de la loi, quelle lumière dans
ce seul mot !
Transgression, ce n'est pas faiblesse, c'est
révolte ; c'est le renversement de la
loi, qui est l'ordre et la règle ;
c'est le dérèglement et le
désordre. Puis donc qu'il y a
péché en vous, il y a désordre
dans votre coeur ; et là où il y
a désordre, comment n'y aurait-il pas
misère ?
Mais encore, le péché est la
transgression de la loi, de qui ? de la loi de
Dieu, créateur et roi de toutes
choses ; de la loi qui domine souverainement
sur toutes les parties de cet univers ; de la
loi qui commande à la mer de se renfermer
dans ses limites, au soleil de donner sa
lumière, aux mondes de garder chacun sa
place, et à l'homme d'aimer Dieu et de lui
rendre grâce et gloire ; de la loi
souveraine et universelle.
Telle loi, telle transgression ; tel ordre,
tel désordre.
Qui transgresse une loi quelconque, compromet
l'ordre de tout le domaine sur lequel cette loi
étend son empire.
Qui transgresse la loi de la famille, compromet
l'ordre de la famille ;
- qui transgresse la loi d'un peuple, compromet
l'ordre de ce peuple ;
- qui transgresse la loi de la terre, compromet
l'ordre de la terre ;
- et qui transgresse la loi de l'univers, qui
pèche, compromet l'ordre de l'univers.
Éclaircissons cette pensée par un
exemple. Un membre d'une famille transgresse la loi
de la famille ; ainsi, un mari trahit la foi
conjugale : je dis qu'il compromet l'ordre de
la famille. Car, si le principe qu'il met en
pratique était mis en pratique par tout le
reste de la famille, par la femme envers son mari,
par les parents envers leurs enfants et par les
enfants envers leurs parents, par les maîtres
envers leurs serviteurs et par les serviteurs
envers leurs maîtres, tous les liens de
devoir, d'autorité, de confiance,
d'affection, qui unissent entre eux les membres de
cette famille, seraient rompus, et cette maison
entière serait en désordre ; et
lors même que la transgression d'un membre
n'est pas imitée par les autres, il est
coupable, quant à lui, comme si tous
faisaient ce qu'il fait, et responsable pour sa
part du désordre de la famille
entière.
Semblablement, celui qui pèche compromet
l'ordre de tout l'univers ; et il est autant
dans le désordre, quant à lui, que si
toutes les créatures se révoltaient
comme lui contre la loi de Dieu.
Si la mer franchissait ses limites, si le soleil
refusait sa lumière, si les mondes se
déplaçaient et s'égaraient au
hasard dans l'espace, cette révolte
universelle dont la seule pensée trouble
notre imagination, que serait-elle ?
Rien que l'extension du péché ;
rien que la mer, le soleil, les astres
péchant ; rien que toutes les
créatures faisant ce que vous faites. Et
bien que cela n'arrive point en effet et que les
autres créatures ne suivent point l'exemple
que vous leur donnez, cependant, en transgressant,
vous, la loi de Dieu, vous apportez toute la part
que vous pouvez à sa transgression
universelle ; et si, de votre propre main,
vous chassiez la mer par-dessus ses rivages, vous
éteigniez le soleil, vous déplaciez
les mondes, si vous pouviez faire cela et si vous
le faisiez, ô homme qui péchez, vous
ne seriez que conséquent avec
vous-même, et vous ne seriez pas plus dans le
désordre, quant à vous, que vous n'y
êtes en faisant ce que vous faites tous les
jours.
Mais il y a plus encore. Le péché est
la transgression de la loi de Dieu : mais de
quelle loi de Dieu ? Car il y a deux lois de
Dieu : il y a sa loi matérielle qui
régit le monde visible, auquel appartiennent
la mer, le soleil, les astres ; et il y a sa
loi spirituelle qui régit le monde
invisible, auquel appartient l'âme de
l'homme.
La loi que le péché transgresse,
c'est la seconde, la loi spirituelle qui
régit le monde invisible. L'homme
pèche, et l'harmonie du monde invisible est
troublée ; mais l'homme pèche,
et la mer respecte ses rivages, et le soleil
continue de nous éclairer, et les astres
gardent leur place.
C'est pour cela que le désordre du
péché nous frappe moins, charnels que
nous sommes et asservis aux choses visibles ;
mais c'est pour cela précisément
qu'il devrait nous frapper, nous étonner,
nous épouvanter davantage. Car lequel de ces
deux mondes est le plus grand et le plus glorieux,
l'esprit de l'homme fait à l'image de Dieu,
destiné à durer éternellement
comme Dieu, capable de jouir d'une
félicité infinie avec Dieu ; ou
la mer, le soleil, les astres, faits de poudre,
destinés à retourner en poudre, et
qui doivent être la proie des flammes dans ce
jour terrible où « la terre et le
ciel s'enfuiront et où il ne se trouvera
plus de lieu pour eux ? »
Que celui qui porte un coeur d'homme et qui sent la
dignité de sa nature, réponde. Qu'il
dise que le monde invisible est le monde
éternel, et le monde visible, le monde
périssable ; le premier, le monde
maître, et le second, le monde
serviteur ; le premier, le monde réel,
et le second, le monde type.
Qu'il dise que la nature, dans sa gloire la plus
éblouissante, n'est qu'un pâle reflet
des gloires invisibles des esprits qui demeurent
fidèles à Dieu et qui partagent sa
fidélité ; et que la
transgression des lois par lesquelles Dieu conduit
le monde visible, n'est aussi qu'une pâle
image de la transgression de la loi par laquelle il
régit le monde des esprits.
Sortez donc, ô hommes ! du cercle
étroit de ce que vos yeux peuvent voir et
vos mains toucher ; placez-vous devant le
« Père des esprits, » et
comprenez, si vous le pouvez, quel est le
désordre qu'enfante le
péché.
Quand la mer franchirait ses limites et couvrirait
la terre d'un nouveau déluge ; quand
ses ondes furieuses arracheraient tout,
renverseraient tout sur leur passage ; quand
elles rouleraient avec fracas les rochers
détachés des monts, les arbres
déracinés, les cadavres des animaux
et ceux des hommes, et ne feraient de notre globe
qu'un immense désert d'eau, le
désordre qui serait ainsi produit ne
mériterait pas d'être nommé
auprès de celui que produirait le
péché de l'homme.
Quand le soleil, sortant de son lieu,
s'éloignerait et se rapprocherait de notre
globe au gré d'un mouvement sans but et sans
règle ; quand tour à tour il le
livrerait à un hiver destructeur et le
consumerait par des ardeurs insupportables ;
quand il ferait tout mourir dans ce monde qu'il
avait mission de réjouir par sa
lumière et de vivifier par sa chaleur, le
désordre qui serait ainsi produit ne
mériterait pas d'être nommé
auprès de celui que produirait le
péché de l'homme.
Et quand le monde chancellerait sur sa base antique
et croulerait sur ses fondements ; quand les
astres et leurs systèmes se rencontreraient,
se heurteraient et se briseraient les uns sur les
autres ; quand l'univers rentrerait dans un
plus effroyable chaos que celui d'où Dieu
l'a tiré au commencement, ce
désordre, ce bouleversement de l'univers ne
mériterait pas d'être nommé
auprès du désordre que produirait le
péché de l'homme.
Tout cela serait arrivé, que si le coeur de
l'homme était encore dans l'ordre et dans la
règle, l'harmonie du monde invisible
demeurerait intacte, inaltérable, pleine de
gloire, sur les ruines de toutes les choses
visibles. Mais quand l'homme, créé
à l'image de Dieu, est sorti de cet ordre
spirituel auquel tout est subordonné dans la
création, quand il s'est
révolté contre Dieu, quand il a
péché, - alors, le désordre
est au coeur du royaume ; alors, les
réalités éternelles sont en
péril ; alors, le but du
Créateur faillirait, s'il pouvait
faillir ; alors, une main sacrilège a
été levée contre le Roi des
rois et a tenté de le renverser de dessus le
trône du monde.
Cette main, à qui est-elle ? c'est la
vôtre, c'est la mienne, c'est celle de
quiconque a péché. Voilà,
voilà le désordre du
péché ! Et par une suite
nécessaire, puisque le foyer de ce
désordre est dans le coeur du
pécheur, voilà la misère du
pécheur ; voilà votre
misère à vous, à chacun de
vous ; et voilà pourquoi le Dieu des
miséricordes s'émeut, vous conjure et
s'écrie : « Je suis vivant,
que je « ne prends point plaisir à
la mort du méchant, mais plutôt
à ce que le méchant se
détourne de sa voie et qu'il vive.
Détournez-vous, détournez-vous de
votre méchante voie ; et
pourquoi mourriez-vous, ô maison
d'Israël ? »
Que si vous êtes tellement accoutumés
à ce désordre, qu'il ne vous
épouvante plus ; si vous en êtes
venus au point de dire au péché,
« tu es mon frère, » et
à la confusion. « tu es ma
soeur, » sachez que votre misère a
un autre côté par lequel elle vous
demeurera éternellement sensible, sans
qu'aucune puissance de l'habitude vous la puisse
rendre supportable. Le péché ne vous
jette pas seulement dans le désordre, il
vous expose encore au châtiment de
Dieu ; et si vous pouvez corrompre votre coeur
pour qu'il consente au désordre, vous ne
pouvez pas corrompre Dieu pour qu'il vous exempte
du châtiment.
En vain espéreriez-vous vous persuader que
le péché ne mérite point de
châtiment en vous parce que vous l'apportez
en naissant, et que ce n'est que dans le premier
homme qu'il pourrait être justement
recherché. Car, sans remonter à Adam,
et sans entrer ici dans de longs raisonnements pour
justifier la transmission de ce triste
héritage du père aux enfants, je
viens droit à vous, et je vous adresse deux
questions qui vous concernent personnellement.
Premièrement, ne vous est-il jamais
arrivé de faire une chose que vous saviez
être mauvaise et que vous auriez pu ne pas
faire ?
Secondement, si cela vous est arrivé, n'en
avez-vous pas été repris par votre
conscience ?
À la première question, je
réponds pour vous et pour tout homme :
Oui, cela m'est arrivé ; et à la
seconde question, je réponds pour vous et
pour tout homme : Oui, ma conscience m'en a
repris.
Eh bien ! quand vous avez fait une chose que
vous saviez être mauvaise et que vous auriez
pu ne pas faire, vous avez fait en votre place ce
qu'Adam a fait en la sienne, et vous avez
participé en esprit à la chute de
toute votre race et quand votre conscience vous en
a repris, vous avez rendu témoignage contre
vous-même que vous avez mérité
un châtiment.
Mais quel est le châtiment que Dieu
réserve au péché?
Si vous n'avez vu jusqu'à présent
dans le péché qu'un
entraînement de la nature où il entre
plus de faiblesse que de perversité, il est
vraisemblable que vous n'attendez aussi qu'un
châtiment modéré, tel que celui
qu'un père indulgent inflige à son
enfant indocile.
Mais si les réflexions que nous vous avons
présentées vous ont donné des
vues nouvelles sur la gravité du
péché, vous serez ouverts aussi
à de nouvelles pensées concernant le
châtiment qu'il mérite.
Voulez-vous savoir ce que révèle sur
ce point la Parole de Dieu, cette Parole qui nomme
chaque chose de son vrai nom et qui ne peut pas
plus exagérer que mentir?
J'ose à peine vous le dire; mais il faut que
vous connaissiez toute votre misère : car si
vous ne la connaissez pas, vous y demeurerez et
vous périrez ; mais si vous la connaissez,
il vous reste une délivrance. C'est la
compassion de Dieu qui le porte à vous
révéler votre état, et c'est
la charité qui nous commande de vous
répéter ce qu'il en a dit : je vous
le répète en tremblant, et comme
à genoux devant vous. Ouvrez la Bible,
épître aux
Galates, chapitre III, verset 10, et
lisez : « Quiconque ne fait pas tout ce qui
est écrit au livre de la loi, quiconque
pèche, est maudit. »
Le châtiment du péché,
c'est la malédiction de Dieu ; le
châtiment encouru par tout pécheur,
par vous, par vous-même, c'est la
malédiction de Dieu ; vous êtes
sous la malédiction de Dieu... ne fermez pas
le livre, ne détournez pas les yeux, ne
cherchez point à vous distraire ;
non ! mais demeurez, écoutez, et
connaissez votre condition telle qu'elle est.
Malédiction, - ce mot seul a quelque chose
qui fait frémir la nature. Vous l'entendez
prononcer, et sans que vous ayez eu le temps de
vous rendre compte de ce qu'il signifie, un
saisissement involontaire, instinctif, s'empare de
vous. Mais examinez ce qu'il signifie, et cette
horreur augmentera.
Maudire (2),
c'est dire à quelqu'un : Je souhaite
que mal te soit. Il semble si conforme à la
nature de fixer sur une créature vivante,
fût-elle même étrangère
à notre espèce, un regard
d'intérêt, de lui vouloir du bien dans
notre coeur et d'exprimer ce sentiment par un
souhait charitable ; le langage des hommes est
si rempli de souhaits de ce genre, même sans
amour dans le coeur et jusqu'à
l'égard de leurs ennemis, que si l'on entend
un homme parler à un autre et commencer
ainsi : Je souhaite..., on s'attend
nécessairement à quelque bonne parole
qui va suivre. Mais quand on entend au contraire
cette suite : Je souhaite que mal te soit, il
semble que tout l'ordre de la nature est
renversé, et que quelque chose de
mystérieux, d'épouvantable,
d'infernal a dû se passer entre celui qui
donne la malédiction et celui qui la
reçoit.
Si un scélérat, le rebut de la terre,
près de recevoir le juste salaire de ses
crimes et marchant vers l'échafaud ; si
un scélérat me maudissait, un frisson
involontaire contracterait mes membres et ferait
battre mon coeur, et ces mots : Je te maudis -
résonneraient encore à mon oreille
longtemps après que la voix impure qui les
prononça se serait éteinte sous le
glaive de la justice.
Et si un homme de bien, accoutumé à
ne faire entendre que des paroles de sagesse, et
dont je n'aurais reçu moi-même que des
témoignages de bienveillance ; si un
homme de bien me maudissait, sa malédiction
jetterait dans mon âme un trouble d'autant
plus grand que je lui devrais plus et l'estimerais
davantage, et y laisserait une impression profonde,
ineffaçable.
Et si mon père, un père
vénérable, un père tendre, un
père chéri ; si mon père,
dans son lit de mort ; si mon père me
maudissait, - n'est-il pas vrai que cette
malédiction s'attacherait à mon coeur
comme une flèche qui l'aurait
transpercé ? et qui peut dire tout ce
qu'elle y répandrait d'angoisse et
d'amertume ?
Cependant la malédiction d'un homme, quel
qu'il soit, peut être injuste. Ce
scélérat ne me maudit peut-être
que pour avoir réprimé sa
méchanceté ; il se peut que cet
homme de bien soit injuste à mon
égard ; mon père même
n'est point infaillible ; un faux rapport, une
irritation soudaine peut lui arracher une
malédiction que je n'ai point
méritée ; et selon ce qui est
écrit : « Comme l'oiseau est
prompt à voler et l'hirondelle à
courir ça et là, la
malédiction donnée sans sujet
n'arrivera « point
(Prov. XXVI, 2) ; » si
j'ai l'approbation de Dieu et de mon propre coeur,
je pourrai me réfugier dans le sanctuaire de
ma conscience où l'homme ne peut
m'atteindre, lever en paix les yeux vers le ciel et
dire à Dieu : « Ils
maudiront, mais tu béniras
(Ps. CIX, 28). »
Et encore, fût-elle méritée, la
malédiction d'un homme, quel qu'il soit, est
sans puissance par elle-même. Ni ce
scélérat, ni cet homme de bien, ni
mon père n'est l'arbitre de mon sort ;
il ne commande ni à la nature, ni aux
événements, ni à mon corps, ni
à mon âme ; l'homme maudit et
meurt, et sa malédiction que
deviendra-t-elle, si un plus puissant que lui ne se
charge de l'accomplir ?
Mais si Dieu me maudissait ; Dieu, qui
« est juste quand il parle et pur quand
il juge
(Ps. LI, 4), » qui ne
frappe que le coupable et qui ne le frappe que du
nombre de coups qu'il a mérités, pas
un de plus, pas un de moins ; Dieu, qui
« est bon envers tous, dont la compassion
est sur toutes ses oeuvres
(Ps. CXLV, 9), » et qui
n'inflige aucun châtiment, que la
sainteté de sa loi, le besoin de son
gouvernement et l'énormité du crime
ne le lui arrachent comme maigre lui ;
- Dieu, qui ne parle point en vain, qui
« dit et la chose a son
être, » qui « commande et
elle comparaît
(Ps. XXXIII, 9), » et dont
la parole, soit qu'elle promette ou qu'elle menace,
soit qu'elle bénisse ou qu'elle maudisse,
est encore cette même parole qui dit au
commencement : « Que la
lumière soit, et la lumière fut
(Gen. I, 3) ; »
- Dieu, que « toutes choses servent
(Ps. CXIX, 91), » et dont
la volonté souveraine contraint toutes ses
créatures à travailler ensemble, d'un
bout de l'univers à l'autre, à
l'accomplissement de ses desseins de
miséricorde ou de vengeance ; qui
bénit, et toutes les créatures
bénissent, qui maudit, et toutes les
créatures maudissent ;
- Dieu enfin, qui me possède tout entier,
corps et âme, qui me tient serré par
devant et par derrière et dont la main est
partout sur moi, qui m'enveloppe et qui tout
ensemble me pénètre de toutes parts,
qui se fait obéir en maître par chaque
fibre de mon cerveau, par chaque battement de mon
coeur, par chaque mouvement de ma
pensée ;
- si ce Dieu tout juste, tout bon, tout-puissant,
me maudissait ; si j'étais de ceux sur
lesquels il prononce ces paroles :
« Puisqu'il a aimé la
malédiction, que la malédiction tombe
sur lui ! et puisqu'il n'a point pris plaisir
à la bénédiction, que la
bénédiction s'éloigne de
lui ! qu'il soit revêtu de la
malédiction comme d'une robe ! qu'elle
entre dans son corps comme de l'eau, et dans ses os
comme de l'huile ! qu'elle lui soit comme un
vêtement dont il se couvre, et comme une
ceinture dont il se ceigne continuellement
(Ps. CIX,
17-19) ! »
Que serait cette malédiction, sinon toutes
les perfections divines rangées en bataille
contre moi ; la justice de Dieu me
poursuivant, sa puissance m'accablant, et, ce qu'il
y a de plus terrible, sa bonté relevant
l'horreur de ses jugements et de mes remords, et
faisant elle-même mon plus cruel
tourment ?
Que serait cette malédiction, sinon toutes
les créatures conspirant à mon
supplice, chacune d'elles apportant à son
tour sa part de coopération pour
accroître ma misère, et chaque fibre
de mon cerveau, chaque battement de mon coeur,
chaque mouvement de ma pensée, se soulevant
contre moi pour me déchirer ?
Que serait cette malédiction, sinon le monde
entier, au dehors et au de dans, devenu pour moi
sans amour, la nature sans charmes, la terre sans
fruit, le ciel sans sourire, l'existence sans joie,
la dernière goutte de félicité
tarie dans le dernier repli de mon coeur, et tout
mon être séché jusque dans la
racine, comme ce malheureux figuier que la voix du
Seigneur avait maudit et dont un apôtre
disait le lendemain : « Seigneur, le
figuier que tu as maudit est tout sec
(Marc XI,
12-14) ? »
Que serait enfin cette malédiction, sinon
mon âme enveloppée et
pénétrée d'une misère
immense, infinie, et ne trouvant plus dans tous les
êtres qu'un enfer universel, un enfer au
dedans de soi, un enfer dans les créatures,
un enfer en Dieu même ?
Mais que fais-je ? où vont toutes ces
descriptions également cruelles et
impuissantes ? C'est trop pour le coeur, c'est
trop peu pour la vérité ; et
tout cela est autant au-dessous de la
réalité, que la puissance de la
parole de l'homme est au-dessous de la puissance de
la parole de Dieu...
Membres inconvertis de cet auditoire, ne vous
rassurez pas par la pensée que vous
n'éprouvez rien qui réponde à
de si effrayantes déclarations, et ne
raisonnez point ainsi en vous-mêmes :
Non, je ne me sens point maudit de Dieu.
Que vous vous sentiez maudit ou non, vous
l'êtes, puisque Dieu le dit.
Si vous ne le sentez point, sachez que cette
insensibilité est la marque d'un coeur
endurci et un premier fruit de cette
malédiction même.
Si vous ne le sentez point, sachez que vous le
sentirez un jour, quand auront péri les
choses visibles à la faveur desquelles vous
réussissez aujourd'hui à vous
déguiser votre état.
Si vous ne le sentez point, sachez que Dieu le sent
pour vous, Dieu, qui vous crie dans mon
texte : « Je suis vivant, que je ne
prends point plaisir à la mort du
méchant, mais à ce qu'il se
détourne de sa voie et qu'il vive.
Détournez-vous, détournez-vous de
votre méchante voie ; et pourquoi
mourriez-vous, ô maison
d'Israël ? »
Comme un homme qui monte sur une haute montagne,
dont le sol se développe en collines
échelonnées les unes au-dessus des
autres depuis la plaine jusqu'à son sommet,
à chaque fois qu'il arrive au pied d'une
colline nouvelle et qu'il commence à la
gravir, ne voit rien au delà et se flatte
que c'est ici la dernière et qu'il touche au
terme de sa course, mais n'en a pas plutôt
atteint la cime qu'il en découvre d'autres
qu'il faut gravir encore, et marche ainsi de
surprise en surprise et de fatigue en
fatigue ; ainsi moi, en exposant devant vos
yeux la misère du chrétien
inconverti, telle qu'elle se développe en
ses redoutables degrés, à chaque fois
que j'aborde quelque nouveau développement
et que je commence d'y entrer, je me persuade qu'il
ne saurait y en avoir de plus terrible et je me
flatte que celui-ci est le dernier et que je touche
au terme de ma pénible tâche, mais je
ne l'ai pas plutôt achevé que j'en
découvre d'autres qu'il faut vous exposer
encore, et je marche d'étonnement en
étonnement et d'épouvante en
épouvante.
Quand nous avons sondé le désordre du
péché et que nous l'avons
trouvé plus effroyable que ne serait le
bouleversement de l'univers, que pouvait-il rester
à dire encore ? Il restait la
malédiction de Dieu.
Et maintenant que nous avons ouvert cette
malédiction et que nous l'avons
trouvée renfermant un enfer universel,
peut-il y avoir un nouveau trait qui ajoute
à l'horreur d'une telle condition ?
Oui, il y en a un ; et tel, qu'il double,
qu'il triple, qu'il multiplie à l'infini la
force de tout ce qui a été dit
précédemment. C'est que cette
malédiction est éternelle, en sorte
que si vous venez à comparaître au
tribunal de Jésus-Christ sans avoir
été converti, le supplice auquel vous
y serez condamné n'aura jamais de fin. Car
il est écrit : « Maudits,
retirez-vous de moi, et allez au feu
éternel, qui est préparé au
Diable et à ses anges, » et
encore : « Et ceux-ci s'en iront aux
peines éternelles
(Matth. XXV, 41, 46). »
Des peines éternelles !... Quelle que
dût être votre misère, si elle
devait avoir une fin, elle serait en quelque sorte
supportable. L'esprit de l'homme, étant
immortel, est ainsi fait que ce qui doit finir ne
peut lui paraître long.
Un enfant qui avait entendu dire que le
séjour des méchants dans l'enfer
devait durer mille années et qu'après
cela ils en sortiraient, étant un jour
menacé de l'enfer pour sa mauvaise conduite,
répondit : « Que m'importe
d'aller en enfer ? on n'y restera
« que mille ans. »
Ce mot était aussi profond qu'il
était naïf, et par la bouche de ce
petit enfant tout le genre humain parlait. Ce qu'il
disait de mille ans, l'homme le dira
également de cent mille ans, et d'un
milliard d'années, et d'un milliard de
siècles, et d'une durée quelconque
à laquelle il doit enfin voir un terme.
Les yeux toujours fixés sur cet horizon,
quelque éloigné qu'il soit, l'homme
pourra attendre d'y être parvenu ; et
parce qu'il est immortel, ces milliards de
siècles qu'il devra passer dans la
souffrance, une fois écoulés, ne lui
sembleront rien dans l'éternité de
félicité qui doit suivre.
Mais, être livré à des peines
éternelles ; souffrir, et se
dire : Je souffre pour toujours ;
être dans la société des
démons, et se dire : Je suis ici pour
toujours ; être banni de la
présence de Dieu et de son royaume, et se
dire : J'en suis banni pour toujours ;
regarder sous ses pieds, et voir un abîme de
douleur qui n'a point de fond ; regarder sur
sa tête, et voir un ciel de colère qui
n'a point d'horizon ; jeter les yeux à
droite, à gauche, devant, derrière,
et ne découvrir de tous côtés
qu'une éternité sans rivage ;
essayer d'espérer, et ne le pouvoir
point ; s'efforcer de croire, et ne trouver
dans son coeur que la foi des démons
(Jacq. II, 19) ; crier à
Dieu, et n'en être plus écouté
(Prov. I, 28) ; se consumer en
imaginations de toute sorte pour se
délivrer, et après d'infructueux
efforts, retomber toujours sur soi-même, se
retrouver à la même place, se voir
fixé sans retour dans l'éternelle
immobilité de la malédiction
divine ; et au plus fort de ses angoisses,
entendre sortir de la conscience cette voix :
C'est toi qui t'es perdu, et du ciel cette
voix : J'ai voulu te sauver, et de l'enfer
cette voix : Il est trop tard ; - c'est
une situation dont la seule pensée trouble
l'esprit, bouleverse le coeur, confond
l'imagination, et ôte jusqu'à la force
d'en sonder et d'en développer toute
l'horreur
Mais aussi ce développement n'est pas
nécessaire : vous ne niez pas l'horreur
de cette position ; vous en convenez, vous en
êtes accablés, et vous n'avez d'autre
manière de vous rassurer contre l'effroi
qu'elle vous inspire, que de vous persuader que
cela ne vous arrivera point, que cela n'arrivera
à personne, qu'il n'y a point de peines
éternelles. Voilà l'espérance
qui vous reste - et que je vais m'efforcer de vous
ôter.
Quelle cruauté est la vôtre, me
direz-vous, et que voulez-vous donc ? Ce que
je veux ? je veux sauver vos âmes ;
et pour les sauver, je veux vous arracher une
espérance que le Diable n'a mise en vous que
pour vous empêcher de vous convertir.
Il devrait suffire de rapporter le
témoignage de la Parole de Dieu pour vous
fermer la bouche, à vous qui vous
élevez contre cette doctrine terrible ;
et, quant à moi, je ne chercherais jamais
d'autre témoignage dans une matière
qui, étant complètement en dehors de
l'expérience humaine, ne saurait être
connue de nous que par
révélation.
Mais, puisque vous opposez aux déclarations
de cette Parole ces arguments rebattus que
l'incrédulité emprunte de tout temps
à la raison humaine, il faut bien vous y
suivre un moment, pour vous en faire voir une fois
la faiblesse, dirai-je ? ou la folie.
Je pourrais répondre d'abord à tous
ces arguments à la fois, qu'ils n'ont et ne
peuvent avoir aucun fondement solide parce qu'ils
ne s'appuient que sur des conjectures, puisque
l'homme est réduit à conjecturer
toutes les fois qu'il s'agit de ce qui doit suivre
la mort. La mort doit apporter à la
condition de l'homme un changement essentiel et
profond. Mais quelle est la nature de ce
changement ? vous l'ignorez absolument ;
et quelque théorie que vous imaginiez pour
l'état futur de l'humanité, vous
n'avez aucun moyen de vous assurer que vous ne
transportiez pas dans l'enfer les idées de
la terre, semblables à ces Sadducéens
qui se figuraient que le mariage devait subsister
dans la vie éternelle, et que le
Seigneur reprit en leur disant :
« Vous errez, ne connaissant pas les
Écritures et la puissance de Dieu
(Matth. XXII, 29). » C'en
est assez pour frapper d'avance de nullité
tous vos arguments. Mais considérons-les de
plus près, et nous les trouverons sans
aucune force, même aux yeux de la raison
humaine.
On dit que l'homme n'a pas mérité une
peine éternelle ; qu'il n'y aurait
nulle proportion entre des péchés
renfermés dans une durée finie et
aussi courte que l'est la vie humaine, et un
châtiment dont la durée serait
infinie. Mais véritablement que vaut, que
signifie cette objection ?
L'homme n'a pas mérité une peine
éternelle ! Mais qui dit cela ?
Est-ce celui qui a fait la loi ? est-ce celui
qui a fait le coeur de l'homme ? Non, c'est
l'homme lui-même.
Mais devant quel tribunal laisse-t-on au coupable
le soin de mesurer la peine due à ses
crimes ? Selon quelle justice nouvelle
convient-il de faire l'homme juge dans sa propre
cause, lui, si rempli de passions et de
préjugés qu'il n'est pas même
capable de juger sûrement celle
d'autrui ?
L'homme n'a pas mérité une peine
éternelle ! Mais qu'a-t-il donc
mérité ? Puisque vous affirmez
avec tant d'assurance qu'une peine éternelle
dépasse la mesure exacte de la
culpabilité de l'homme, vous l'avez donc
cette mesure exacte ?
Montrez, et dites-nous combien de temps l'homme a
mérité de souffrir. Est-ce dix mille
ans ? est-ce mille ans ? est-ce cent
ans ? ou combien est-ce enfin ?
L'homme n'a pas mérité une peine
éternelle ! Mais comment prouverez-vous
qu'il a mérité une peine finie,
quelle qu'elle soit ? Je veux que vous ayez
déterminé le nombre des années
qu'il a mérité de souffrir : ce
sera, par exemple, dix mille ans. Que
répondrez-vous à un homme qui vous
dira : Non ; le péché est
digne d'un châtiment sévère,
sans doute, mais il ne l'est pas de la peine que
vous proposez ; mille ans, c'est la juste
proportion qu'il faut assigner à son
supplice. Et que répondra celui-là
à un troisième qui dira : Y
songez-vous ? mille ans, pour des
péchés renfermés dans un
espace de cent ans pour les plus vieux ! cent
ans sont une peine au moins suffisante. Et enfin,
que répondront-ils tous à un autre
qui viendra dire à son tour : Je ne
sais où vous prenez tous les idées
sombres que vous vous faites du
péché ; il est blâmable
sans doute et mérite une peine ; mais
n'est-il pas assez puni par les misères de
cette triste vie, sans aller encore le rechercher
au delà du tombeau ? Il n'y a point de
peine après la mort.
Dites, dites, que répondrez-vous ?
Quelle règle précise, quelle mesure
exacte produirez-vous ? Vous avez beau
chercher, vous n'en trouvez point. Mais si vous
n'avez point de mesure, pourquoi
mesurez-vous ? et si vous ne savez pas,
pourquoi affirmez-vous ?
Ah ! nous n'envions pas vos lumières
flottantes, et nous laissons vos conjectures se
disputer contre les conjectures des autres. Pour
nous, nous avons une mesure, c'est la Parole de
Dieu ; « nous affirmons ce que nous
savons et nous rendons témoignage de ce que
nous avons vu
(Jean III, 11), » vu dans
la Parole de Dieu.
Cette Parole déclare que ce que le
péché mérite, c'est une peine
éternelle : et nous croyons que le
péché mérite une peine
éternelle.
On insiste encore, et l'on dit que, l'homme
eût-il mérité une peine
éternelle, Dieu est trop bon pour la lui
infliger jamais. Cet argument, ou pour parler plus
exactement, cette exclamation a quelque chose qui
séduit, quand on ne réfléchit
pas ; mais réfléchissez, et vous
reconnaîtrez qu'elle procède de
notions fausses, injurieuses même, de la
bonté de Dieu.
Dieu est bon sans doute, bon au delà de
toute expression : mais conclure de là
qu'il n'aura pas le courage d'infliger au
pécheur une peine éternelle, si
d'ailleurs cette peine est méritée,
c'est dénaturer sa bonté, c'est
l'outrager par une louange perfide qui ne peut
être suggérée que par son
mortel ennemi.
Il me semble entendre un scélérat
envieilli, cherchant à entraîner un
jeune homme non encore endurci au crime et qui
recule à la pensée des
châtiments de la loi, et lui parlant
ainsi : Ne crains pas les juges ; ils
sont trop bons pour te condamner.
Des juges trop bons pour condamner, quel effroyable
abus de langage ! trop bons pour
réprimer les méchants, trop bons pour
répondre à la confiance du pays ou au
choix du souverain, trop bons pour s'acquitter
fidèlement des devoirs de leur sainte
charge, trop bons pour être justes et
fidèles ! Que mériteraient des
juges qui seraient bons de cette manière,
sinon qu'on les chassât ignominieusement de
leur tribunal, comme indignes de leur noble
ministère et assez lâches pour
sacrifier le repos de tout un peuple à la
tranquillité individuelle des
méchants ? et que verrait-on dans le
pays qui aurait le malheur d'être
administré avec une bonté de cette
nature, sinon les méchants invités au
crime par l'appât de l'impunité, les
gens de bien sans défense, les lois sans
force et un désordre croissant,
prélude d'une complète ruine ?
Chacun sent qu'appeler cela de la bonté,
c'est profaner ce saint nom et renverser toutes les
notions de la bonté véritable.
La vraie bonté s'allie dans un juge avec la
justice, et ne saurait jamais l'empêcher
d'infliger aux coupables les châtiments
qu'ils ont mérités. Parce qu'il est
bon, il gémit des crimes du coupable ;
il gémit de la peine qui doit les
suivre ; il gémit de la
nécessité où il se trouve de
prononcer la sentence.
Mais parce qu'il est juste, ses sentiments
personnels ne sauraient entraver l'exercice de son
ministère : avant tout il faut que la
loi règne et que la justice ait son
cours ; il condamnera en pleurant
peut-être, mais il condamnera cependant celui
qui a mérité d'être
condamné, et à la peine qu'il a
méritée.
Faible image du juge de toute la terre, en qui
l'éternelle et inaltérable
bonté s'allie avec l'éternelle et
inflexible justice, et dont la bonté ne peut
pas plus l'empêcher d'être juste que sa
justice ne peut l'empêcher d'être
bon.
Parce qu'il est bon, il ne prend point plaisir
à la mort du pécheur ; mais
parce qu'il est juste, il faut que sa loi
règne et que chacun reçoive selon ses
oeuvres ; et si, selon la loi, le
péché mérite une peine
éternelle, il faut de toute
nécessité qu'il frappe d'une peine
éternelle le pécheur
impénitent.
S'il agissait autrement, s'il le dispensait du
châtiment ou d'une partie du châtiment,
il ne ferait pas régner la loi ; il ne
consacrerait pas l'ordre, mais le
désordre ; il ne serait pas digne de
gouverner le monde, il ne serait pas juste, il ne
serait pas Dieu.
C'est ce que ne comprennent peut-être pas les
savants et les philosophes ; mais c'est ce que
le bon sens révèle à une
âme simple, et ce qu'exprimait naguère
une pauvre paysanne, dans une parole qui
résume à elle seule toux ce que nous
venons de dire. Elle croyait toucher à son
heure dernière, et soupirait après le
pardon de ses péchés qui se
présentaient à elle dans toute leur
difformité. Je l'exhortais à croire
à la grâce de Dieu en
Jésus-Christ ; mais elle me
répondait qu'elle était trop coupable
pour qu'une telle grâce pût la
concerner.
- « Ne croyez-vous pas, lui
dis-je alors, que Dieu est bon ?
- Oui, Monsieur.
- Serait-il bon si, vous voyant travaillée
de vos péchés et désirant avec
ardeur son pardon, il « vous le
refusait ?
- Oui, Monsieur, il serait encore bon, puisque j'ai
mérité la
condamnation. »
Cette pauvre femme ne comprenait pas encore ce
sacrifice ineffable par lequel Dieu s'est
montré tout à la fois
« juste, et justifiant celui qui croit en
Jésus ; » mais elle
comprenait qu'une bonté dans laquelle la
justice serait absorbée serait indigne de
Dieu.
Comprenez-le comme elle, vous qui n'avez pas
cherché votre refuge sous la croix, et ne
vous flattez pas de la vaine espérance que
la bonté de Dieu puisse empêcher votre
condamnation, si elle est
méritée.
Le péché mérite-t-il Une peine
éternelle ? Voilà la question.
Cette question décidée, si le
péché mérite en effet une
peine éternelle, la justice de Dieu
l'infligera infailliblement sans que sa
bonté le retienne. Or, cette question qui la
pourra décider que Dieu seul ? et
d'où connaîtrons-nous sa
décision que par sa Parole, qui
déclare que le péché
mérite en effet une peine
éternelle ?
On pourrait faire des réponses semblables
à toutes les autres objections de la sagesse
humaine contre l'éternité des peines.
C'est un sujet où Dieu seul possède
la vérité et où la Bible seule
peut nous la faire connaître ; et par
quelque côté qu'on l'envisage, il faut
toujours conclure ainsi : Nous ne savons
pas ; rapportons-nous-en à la Parole de
Dieu.
Vous le sentez vous-mêmes, j'en suis
assuré, mes frères ; vous sentez
qu'il n'y a rien à opposer aux peines
éternelles si la Parole de Dieu les
établit expressément, et que la seule
manière solide dont on pourrait combattre
cette doctrine, ce serait de la combattre par les
Écritures et de montrer qu'elle n'y est
point enseignée. Et c'est peut-être ce
que vous espérez encore pouvoir faire.
Peut-être, malgré les
déclarations, que nous vous en avons
citées, décidés à ne
pas croire à ce trait, le plus affreux de
votre affreuse condition, et après avoir
vainement essayé tous les autres moyens d'en
contester la vérité, vous revenez
à l'Écriture ; et vous pensez
qu'en l'examinant de plus près, vous
trouverez quelque moyen de lui faire dire que les
peines ne seront pas éternelles. Mais vous
n'y réussirez point.
Je m'explique.
Si vous n'êtes pas sincères avec la
Parole de Dieu, si vous êtes résolus
de vous séduire, si vous prenez la Bible
pour y mettre, non pour y chercher une doctrine,
vous réussirez, pour votre malheur et pour
votre endurcissement. Oui, vous trouverez dans la
Bible, non pas une seule déclaration,
formelle qu'il n'y aura point de peines
éternelles (vous vous consumeriez vainement
à la chercher d'un bout de la Bible à
l'autre), mais vous y trouverez tel principe dont
vous croirez pouvoir déduire qu'il n'y aura
point de peines éternelles ; telle
proposition qui, séparée de ce qui la
précède, de ce qui la suit et de tout
l'ensemble de la Bible, vous paraîtra
impliquer qu'il n'y aura point de peines
éternelles, que sais-je ? quelque chose
de plus incertain encore, tel esprit, telle vue,
tel sentiment qui vous paraîtra ne pouvoir
s'accorder avec les peines éternelles.
Mais si vous êtes simples, si vous êtes
sincères, vous reconnaîtrez que ce
sont là les subtilités d'un esprit
résolu de se donner le change à
lui-même, et que le sens palpable des
Écritures, le sens populaire, le sens du
petit enfant, c'est que les peines seront
éternelles.
Écoutez-moi, mes chers amis : je vous
parlerai d'expérience. Le désir de
trouver dans les Écritures que les peines ne
seront pas éternelles, je l'ai
éprouvé comme vous. Il y a eu un
temps où je ne voulais pas absolument croire
aux peines éternelles, ni pour aucun homme
ni même pour le Diable, et où
j'écrivais (je m'en souviens, et que Dieu me
le pardonne !) ces paroles
insensées : « Si
« une seule des créatures de Dieu
doit être éternellement malheureuse,
il n'y a point de bonheur possible pour
moi. »
Mais, comme je croyais en même temps que la
Bible est la Parole de Dieu, et qu'en
conséquence je ne pouvais rejeter
tranquillement l'éternité des peines
aussi longtemps que je la trouvais enseignée
dans la Bible, je m'appliquai à me persuader
qu'elle n'y était point
enseignée.
Avec cette intention, j'ai lu, j'ai
médité, j'ai commencé ;
atténuant les endroits qui paraissaient
favorables à cette doctrine ;
recherchant, exagérant, forçant ceux
que j'espérais de lui trouver
contraires ; j'ai fait tout ce que j'ai pu
pour ne pas trouver les peines éternelles
dans la Parole de Dieu, - mais je n'y ai pas
réussi : j'ai été vaincu
par l'évidence irrésistible du
témoignage des Écritures. Quand j'ai
entendu Jésus-Christ me déclarer que
« les méchants iront aux peines
éternelles et les justes à la vie
éternelle
(Matth. XXV, 46), » et
qu'ainsi les peines des uns seront
éternelles dans le même sens que la
félicité des autres ; quand je
l'ai entendu aller au-devant de mes doutes et
couper court à toutes mes objections, en me
déclarant que « leur
feu », quel qu'il soit, ne
s'éteindra point, » que
« leur ver, » quel qu'il soit,
« ne mourra point
(Marc IX, 44) ; »
quand je l'ai enfin entendu se prononcer
expressément contre l'espérance que
je voulais entretenir d'une délivrance
finale pour les damnés, et me
déclarer qu'il y a entre l'enfer et le ciel
« un abîme affermi, afin que ceux
qui veulent passer de l'un à l'autre ne le
puissent point
(Luc XVI, 26) .»
Alors, enfin, j'ai cédé, j'ai
courbé la tête, j'ai mis la main sur
ma bouche, et j'ai cru aux peines éternelles
avec cette conviction que vous me voyez
aujourd'hui, qui est d'autant plus profonde que je
l'ai plus longtemps combattue, et qui me contraint
à vous prêcher cette doctrine comme
une doctrine de Dieu, comme une doctrine sainte et
salutaire, terrible à croire, mais plus
terrible à rejeter.
Et ce que j'ai éprouvé, tous les
esprits soumis à l'Évangile l'ont
aussi éprouvé ; les peuples
l'ont éprouvé, et la doctrine des
peines éternelles a été
constamment une doctrine populaire chez les nations
chrétiennes ; que dis-je ? vous
l'éprouvez vous-mêmes, et vous sentez
que vous ne pouvez rejeter les peines
éternelles qu'en faisant violence au texte
des Écritures, ce dont Dieu veuille vous
garder !
Ah ! laissez, laissez vos chimériques,
vos périlleuses espérances.
Connaissez combien votre affreux état de
malédiction est rendu mille fois plus
affreux par ce trait dont la force est inexprimable
en langage d'homme, l'éternité de
cette malédiction ; et comprenez quel
avenir Dieu voit devant vous quand il vous
crie : « Je suis vivant, que je ne
prends point plaisir à la mort du
méchant, mais plutôt à ce que
le méchant se détourne de sa voix et
qu'il vive. Détournez-vous,
détournez-vous de votre méchante
voie ; et pourquoi mourriez-vous, ô
maison d'Israël ? »
Est-ce assez ? avons-nous tout dit ? et
la description de la misère du
chrétien inconverti est-elle enfin
épuisée ?
Déjà maudit, déjà
maudit éternellement, vous semble-t-il
possible qu'il reste un dernier trait qui
relève encore l'angoisse de son
supplice ? Oui, ce trait reste.
Ceux qui précèdent le concernent
comme inconverti, et lui sont communs avec tous les
pécheurs inconvertis ; celui qui reste
le concerne comme chrétien, lui appartient
en propre et le réduit à porter envie
à d'autres qui, eux aussi, sont maudits,
maudits éternellement.
C'est qu'il y a plusieurs places dans l'enfer, et
que la plus mauvaise est celle du chrétien
inconverti. Il y a quelque chose d'étrange
et d'horrible à parler de places
différentes dans l'enfer, et il semble que
le plus et le moins ne se puissent concevoir dans
un malheur éternel. Mais, parce qu'il y a
pourtant des degrés d'énormité
dans l'injustice des pécheurs, il y a aussi
des degrés correspondants dans leur
condamnation et des places différentes dans
l'enfer ; comme il y a des degrés dans
la félicité éternelle des
élus et des places différentes dans
le ciel. Cette gradation est déclarée
dans les images sous lesquelles l'Écriture
peint l'une et l'autre
éternité : comme il y a, d'un
côté, la « récompense
du juste » et la
« récompense du
prophète, » le juste devant
« reluire comme la splendeur du
firmament » et « celui qui en a
amené plusieurs à la justice
« comme les étoiles, »
dont l'éclat ressort sur la splendeur du
firmament
(Matth. X, 41 ;
Dan. XII, 2) ; il y a aussi, de
l'autre, le châtiment « de Tyr et
de Sidon » et le châtiment de
« Chorazin et de
Bethsaïda, » la sentence
« de « Sodome » et la
sentence « de
Capernaüm ; » et la
différence qui est entre ces diverses peines
est assez considérable pour que la Parole de
Dieu ajoute que les unes seront « plus
supportables » que les autres. C'est
pourquoi, comme il se trouve au fond d'un
précipice énorme des cavités
nouvelles qui pénètrent plus
profondément encore dans les entrailles de
la terre, et qui sont comme un abîme dans
l'abîme, ainsi, dans l'horrible condition de
quiconque sera livré au « feu
éternel
(Matth. XXV, 41), » il y
aura un surcroît d'horreur pour ceux qui
seront réservés aux derniers
supplices.
Et ces derniers supplices, pour qui
seront-ils ? Pour le chrétien
inconverti. En effet, c'est une règle
nettement établie dans les Écritures
et dont le bon sens ne peut contester la justice,
que « plus un homme aura reçu,
plus il lui sera
redemandé ; » que
« celui qui a violé la
volonté de son maître l'ayant connue,
sera battu de plus de coups que celui qui l'a
violée sans l'avoir connue
(Luc XII, 47, 48) ; »
et que, toutes choses égales d'ailleurs, le
châtiment de chacun sera aggravé en
raison des facilités qu'il aura eues pour se
convertir.
Et selon cette règle, à qui seront
réservées les dernières
places, sinon à vous, chrétiens
inconvertis ? Qui, d'entre tous les hommes, a
eu plus de facilités pour se convertir que
ceux qui sont nés dans une Église
chrétienne, qui invoquent le nom de
Jésus-Christ, qui entendent la
prédication de l'Évangile, qui ont en
main la Parole de Dieu ?
Qui a plus reçu, vous, ou ces malheureux
païens qui s'agenouillent devant des dieux de
bois et de pierre, qui mangent la chair de leurs
ennemis et qui vivent comme les brutes qui
périssent ? Si c'est vous, sachez que
votre place dans l'enfer sera plus insupportable
que celle de ces païens.
Qui a plus reçu, vous, ou ces
incrédules déclarés qui
blasphèment le nom de Dieu, qui foulent aux
pieds les choses saintes, et que la Parole de Dieu
compare à des chiens profanes et à
des pourceaux immondes ? Si c'est vous, sachez
que votre place dans l'enfer sera plus
insupportable que celle de ces
incrédules.
Qui a plus reçu, vous, ou ces
scélérats qui volent et qui tuent sur
les grands chemins, et auxquels la
société humaine est contrainte de
donner la chasse comme à des bêtes
féroces ? Si c'est vous, sachez que
votre place dans l'enfer sera plus insupportable
que celle de ces voleurs et de ces meurtriers.
Et s'il n'est point d'hommes sur la terre qui aient
autant reçu que vous, sachez qu'il n'en est
point aussi qui ne puissent espérer dans
l'enfer une place plus supportable que la
vôtre. Croyez-en le Seigneur lui-même
dans ces paroles terribles qu'il a
prononcées contre les Israélites
inconvertis de son temps : « Malheur
à toi, Chorazin ! malheur à toi,
Bethsaïda ! Car si les miracles qui ont
été faits au milieu de vous eussent
été faits dans Tyr et dans Sidon, il
y a longtemps qu'elles se seraient repenties en
prenant le sac et la cendre. C'est pourquoi je vous
dis que Tyr et Sidon seront traitées plus
supportablement que vous au jour du jugement. Et
toi, Capernaüm, qui as été
élevée jusqu'au ciel, tu seras
abaissée jusque dans l'enfer. Car si les
miracles qui ont été faits au milieu
de toi eussent été faits dans Sodome,
elle subsisterait encore. C'est pourquoi je vous
dis que Sodome sera traitée plus
supportablement que toi au jour du
« jugement
(Matth. XI, 21-24). »
Ce qui signifie, quand nous appliquons cette
solennelle sentence à
nous-mêmes : Malheur à toi,
Europe ! malheur à toi, France !
Car si les témoignages qui ont
été rendus au milieu de vous à
la vérité de l'Évangile
eussent été produits dans la Perse ou
dans la Chine, il y a longtemps qu'un peuple
nombreux s'y serait converti en confessant ses
péchés et en croyant au Seigneur
Jésus. C'est pourquoi je vous dis qu'au jour
du jugement la Perse et la Chine seront
traitées plus supportablement que vous.
Et toi, Église de Mens, qui es
célèbre entre nos Églises pour
les bénédictions signalées que
tu as reçues, tu ne seras pas moins
célèbre un jour pour les jugements
qui fondront sur toi si tu ne réponds point
à tant de grâces. Car si
l'Évangile eût été
publié au milieu des Cafres ou des Tartares
comme il l'a été au milieu de toi, il
y a longtemps qu'il serait sorti de leur sein un
grand peuple d'adorateurs de Dieu « en
esprit et en vérité. »
C'est pourquoi je vous dis qu'au jour du jugement
les Cafres et les Tartares seront traités
plus supportablement que toi.
Oui, malheur à vous ! La mesure de vos
privilèges sera la mesure de votre
condamnation. Chaque grâce nouvelle que vous
recevez sera un poids de plus jeté dans la
balance de votre supplice éternel. De tous
les hommes, ceux qui seront traités le plus
insupportablement ; - ceux que l'on montrera
dans l'enfer comme les monuments les plus
éclatants et les plus déplorables de
la justice divine ; - ceux dont un
damné dira à un autre
damné : Que nous sommes heureux de
n'être pas cet homme-là ! - ceux
qui formeront comme un enfer à part dans
l'enfer ; - ceux qui seront maudits entre les
maudits et damnés entre les damnés,
qui seront-ils ?... nommez-les
vous-mêmes !
Je succombe sous le poids de mon sujet. Je n'ai pas
le courage, je n'ai pas la force de m'arrêter
plus longtemps sur la description d'une telle
misère. Certainement cette description est
trop faible, trop incomplète, au prix de la
terrible réalité : mais, telle
qu'elle est, je n'ai pas le courage, je n'ai pas la
force de la soutenir.
Le désordre du péché, la
malédiction de Dieu, cette
malédiction fixée dans
l'éternité, et dans cet affreux
partage la place réservée aux plus
malheureux,
- quand je rassemble ces traits isolés de
misère ; quand j'en fais dans mon
imagination une seule misère qui les
réunit tous ; quand j'applique par la
pensée cette misère à une
âme d'homme, quelle qu'elle soit ; quand
je me dis enfin qu'il faut chercher cet homme,
- où ? au bout de la terre ?
non ; mais près de nous, - mais dans
ces contrées, - mais dans ce peuple, - mais
dans ce temple, - mais parmi ceux que je vois
là devant moi, qui entendent maintenant ma
voix, dont les regards rencontrent maintenant mes
regards, - un frisson court dans mes veines, le
coeur me manque, il me semble que la voix va
m'échapper, et tout ce que je puis vous dire
encore, c'est que de tous les spectacles de douleur
que j'ai contemplés dans ma vie, le plus
triste que j'aie jamais eu sous les yeux, c'est
vous, qui que vous soyez qui êtes dans cette
condition ; et qu'aucune misère dont
j'aie été témoin, aucune
misère dont j'aie entendu parler, aucune
misère que je puisse imaginer, ne me fait
éprouver une compassion qui approche de
celle que je ressens pour vous.
Si je vous voyais pauvre, manquant de tout, ayant
faim, ayant soif, ayant froid, j'aurais compassion
de vous sans doute ; mais cette compassion
n'approcherait pas de celle que m'inspire
l'état où je vous vois.
Si je vous voyais malade, en proie aux douleurs les
plus aiguës, n'ayant de repos ni jour ni nuit,
et près de rendre l'âme d'angoisse,
j'aurais compassion de vous ; mais cette
compassion n'approcherait pas de celle que
m'inspire l'état où je vous vois.
Si je vous voyais en deuil, pleurant près du
corps inanimé d'une femme, d'un mari, d'un
père, d'un enfant bien-aimé, j'aurais
compassion de vous ; mais cette compassion
n'approcherait pas de celle que m'inspire
l'état où je vous vois.
Si je vous voyais rejeté par les hommes,
abandonné de votre père et de votre
mère, trahi par la femme qui dort dans votre
sein, maltraité par vos propres enfants,
j'aurais compassion de vous ; mais cette
compassion n'approcherait pas de celle que
m'inspire l'état où je vous vois.
Et si je vous voyais accablé à la
fois de toutes ces peines et de toutes les autres
peines de cette vie qui se peuvent imaginer, et
rassemblant en vous seul tous les maux de tous les
malheureux, j'aurais compassion de vous, une tendre
et vive compassion ; mais cette compassion
n'approcherait pas de celle que m'inspire
l'état où je vous vois.
La compassion que vous m'inspirez est autant
au-dessus de toutes celles que pourraient
mériter tous les maux de cette vie, que
l'éternité est au-dessus du temps et
l'infini du fini. Cette compassion, rien de
terrestre, rien d'humain, ne peut ni
l'égaler ni l'exprimer ; et quelque
grande qu'elle soit, elle devrait l'être
davantage encore ; et si j'avais plus de
charité, elle éclaterait devant vos
yeux en un torrent de larmes...
Mais que parlé-je de mes compassions ?
et pourquoi affaiblir mon sujet en laissant
échapper l'expression de mes sentiments
personnels ? Arrière les froides
compassions de l'homme ! Elles sont trop
indignes de la misère que nous
déplorons. Il en est un autre qui à
compassion de vous, c'est Dieu ! une
compassion divine ; une compassion haute comme
le ciel, profonde comme l'enfer ; une
compassion telle que vous la révèlent
les paroles qu'il vous adresse aujourd'hui :
« Je suis vivant, que je ne prends point
plaisir à la mort du méchant, mais
plutôt à ce que le méchant se
détourne de sa voie et qu'il vive.
Détournez-vous, détournez-vous de
votre méchante voie ; et pourquoi
mourriez-vous, ô maison
d'Israël ? »
Grand Dieu, Père des
miséricordes ! fais
pénétrer au fond de leur coeur ce cri
d'alarme que tu as jeté toi-même sur
eux ! Fais qu'ils ne puissent supporter plus
longtemps leur condition, et qu'ils n'aient de
force, qu'ils n'aient de voix, qu'ils n'aient de
volonté, qu'ils n'aient de vie, que pour
« fuir la colère à
venir » et pour « saisir la vie
éternelle ! » Amen.
-
(1) Littéralement,
l'illégalité.
(2) Maledicere, mal
dire.
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